PRéFACE
Le présent rapport est soumis conformément à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), L.C. 2006, ch. 9, art. 2.
Le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique peut entreprendre une étude en vertu de la Loi à la demande d'une ou d'un parlementaire, comme c'est le cas de cette étude, ou de son propre chef.
Lorsque le commissaire amorce une étude de son propre chef, à moins que celle-ci ne soit interrompue, le commissaire est tenu de remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. En même temps qu'il remet son rapport au premier ministre, le commissaire en fournit une copie à la ou au titulaire de charge publique ou à l'ex-titulaire de charge publique faisant l'objet du rapport, et le rend accessible au public.
Sommaire
Le présent rapport fait état des conclusions d'une étude réalisée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts sur la conduite de M. Glen Bloom, ancien membre de la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels (la Commission d'examen).
Je devais déterminer s'il avait contrevenu aux règles de la Loi sur l'après-mandat en « changeant de camp » lorsqu'il a représenté une maison de vente aux enchères d'œuvres d'art dans une instance devant la Commission d'examen en 2024, après avoir participé au préalable en tant que membre de la Commission d'examen à une décision rendue en 2022 relativement à la même maison de vente aux enchères et à la même œuvre d'art.
L'étude portait sur le paragraphe 34(1) de la Loi. Aux termes de ce paragraphe, il est interdit aux ex-titulaires de charge publique d'agir au nom ou pour le compte d'une personne ou d'un organisme relativement à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire à laquelle la Couronne est partie et dans laquelle ils ont représenté ou conseillé celle-ci.
En 2022, Heffel Gallery Limited (la Galerie Heffel) a vendu une œuvre d'art à un acheteur étranger et a présenté une demande de licence d'exportation de biens culturels auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada. À la suite du refus de la licence, la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art a déposé une demande en révision auprès de la Commission d'examen, mais elle a raté sa date limite de dépôt.
La Commission d'examen a permis à la Galerie Heffel de présenter des observations sur le pouvoir de la Commission d'examen de prolonger le délai. M. Bloom faisait partie d'un panel dont les membres ont conclu que la Commission d'examen n'avait pas le pouvoir de le prolonger. Par conséquent, la Commission d'examen n'a pas effectué l'examen demandé.
En 2024, la Galerie Heffel a présenté une demande de licence d'exportation de biens culturels, qu'on leur a de nouveau refusée. Elle a présenté à la Commission d'examen, avant la date limite, une demande en révision du nouveau refus. M. Bloom, qui n'était plus membre de la Commission d'examen, a représenté la Galerie Heffel dans sa demande en révision.
Ces deux instances de la Commission d'examen portaient sur des décisions distinctes susceptibles d'un examen, même s'il s'agissait de la même maison de vente aux enchères d'œuvres d'art et de la même œuvre d'art.
Pour ces raisons, j'ai conclu que M. Bloom n'avait pas « changé de camp » lorsqu'il a représenté la Galerie Heffel dans l'instance de 2024 devant la Commission d'examen et qu'il n'avait donc pas contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi.
Préoccupations et processus
Le 13 septembre 2024, le Commissariat a reçu d'un membre du public une lettre faisant état de préoccupations au sujet de la conduite d'après-mandat de M. Glen Bloom, un ancien membre de la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels (la Commission d'examen).
En tant que personne nommée par le gouverneur en conseil de février 2013 jusqu'au 3 mars 2023, M. Bloom était un titulaire de charge publique assujetti aux dispositions de fond de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi). En tant qu'ancien titulaire de charge publique, il est assujetti aux règles d'après-mandat énoncées aux articles 33 et 34 de la Loi.
Le membre du public a écrit qu'en juillet 2024, Heffel Gallery Limited (la Galerie Heffel), une maison de vente aux enchères d'œuvres d'art, l'a informé que M. Bloom la représenterait dans le cadre d'une prochaine demande en révision, demandée par la Galerie Heffel, concernant le refus d'une demande de licence d'exportation de biens culturels pour un objet qui était visé par une décision de 2022 de la Commission d'examen. Selon la plainte, en tant que membre d'un panel, M. Bloom avait participé directement à l'examen de la demande présentée en 2022 par la Galerie Heffel.
Selon les renseignements dans la lettre, il y avait des motifs de croire que M. Bloom pourrait avoir contrevenu à une règle sur l'après-mandat, à savoir le paragraphe 34(1) de la Loi, en ayant « changé de camp ». Cette règle interdit à tout ex-titulaire de charge publique d'agir au nom ou pour le compte d'une personne ou d'un organisme relativement à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire à laquelle la Couronne est partie et dans laquelle il a représenté ou conseillé celle-ci.
Dans une lettre datée du 1er octobre 2024, M. Bloom a été informé qu'une étude sur sa conduite avait été amorcée conformément au paragraphe 45(1) de la Loi.
M. Bloom a soumis une réponse détaillée ainsi que des documents justificatifs le 15 octobre 2024, et il a été soumis à une entrevue le 29 novembre 2024. Aucun témoin n'a été interrogé outre M. Bloom.
Conformément à la pratique du Commissariat, M. Bloom s'est vu remettre une copie de la preuve documentaire pertinente et offrir l'occasion de formuler des commentaires sur une ébauche des parties factuelles du rapport d'étude (Préoccupations et processus, Faits, Question à l'étude et Position de M. Bloom) avant l'achèvement du rapport.
Faits
Contexte
La Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels
La Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels (la Commission d'examen) est un tribunal administratif quasi-judiciaire indépendant constitué en vertu de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels. Aux termes de cette Loi, la Commission d'examen étudie les demandes de licence d'exportation refusées, fixe un juste montant pour les offres d'achat au comptant et certifie les biens culturels aux fins de l'impôt sur le revenu. La présente étude porte sur la fonction d'examen des demandes de licence d'exportation refusées.
La Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels établit la Nomenclature des biens culturels canadiens à exportation contrôlée (la Nomenclature), laquelle recense les objets ou les classes d'objets nécessitant une licence d'exportation. Ces mesures de contrôle visent à protéger les biens culturels canadiens d'intérêt exceptionnel ou d'importance nationale.
Certains éléments de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels sont appliqués par l'Agence des services frontaliers du Canada, laquelle a la responsabilité de délivrer les licences d'exportation de biens culturels. La Commission d'examen sert de mécanisme pour les personnes qui souhaitent obtenir une révision de leur demande de licence d'exportation de biens culturels, lorsque cette demande a été refusée par l'Agence des services frontaliers du Canada.
Les membres de la Commission d'examen sont nommés par le gouverneur en conseil sur la recommandation de la ministre du Patrimoine canadien.
Le mandat de M. Glen Bloom en tant que membre de la Commission d'examen a pris fin en mars 2023, moment auquel il est devenu un ex-titulaire de charge publique assujetti aux règles sur l'après-mandat de l'article 34 de la Loi sur les conflits d'intérêts.
Demande en révision d'une demande de licence d'exportation de biens culturels refusée
Lorsqu’une licence d’exportation de biens culturels est refusée, le demandeur d’une licence reçoit un avis de refus de l’Agence des services frontaliers du Canada[i]. Le demandeur peut, dans les 30 jours de la date d'envoi de l'avis de refus, présenter une demande en révision de la demande de licence d'exportation de biens culturels auprès de la Commission d'examen. Le demandeur doit alors produire une déclaration écrite et peut demander une audience devant la Commission d'examen.
Après réception d'une demande en révision, les membres de la Commission d'examen tiennent une instance afin de déterminer si l'objet appartient à la Nomenclature, s'il présente un intérêt exceptionnel et s'il revêt une importance nationale. Si la Commission d'examen détermine que l'objet ne respecte aucun de ces critères, elle ordonnera à l'Agence des services frontaliers du Canada de délivrer rapidement une licence d'exportation à l'égard de l'objet. Cependant, si la Commission d'examen détermine que l'objet respecte chacun des trois critères, elle se prononcera alors sur la possibilité qu'une institution ou une autorité publique au Canada propose, dans les six mois suivant la date du constat, un juste montant pour l'achat de cet objet.
Si la Commission d'examen détermine qu'un juste montant peut être proposé, elle fixera un délai d'exportation de deux à six mois, délai au cours duquel l'objet ne peut être exporté du Canada, afin de donner aux organisations désignées l'occasion d'acquérir l'objet.
Si le demandeur ne présente pas sa demande en révision dans le délai prévu, aucune licence d'exportation d'objets culturels ne peut être délivrée à l'égard de l'objet pendant une période de deux ans à compter de la date d'envoi de l'avis de refus. Après ce délai de deux ans, une nouvelle demande de licence d'exportation de biens culturels peut être présentée à l'Agence des services frontaliers du Canada.
Demande en révision de 2022 de Heffel Gallery Limited
Le 28 avril 2022, après avoir vendu une impression d'une gravure sur bois à un acheteur situé à l'extérieur du Canada, Heffel Gallery Limited (la Galerie Heffel) a présenté une demande de licence d'exportation de biens culturels auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le 13 mai 2022, l'Agence des services frontaliers du Canada a envoyé à la Galerie Heffel un avis de refus écrit. Le refus était fondé sur l'avis d'une experte-vérificatrice, qui avait déterminé que l'impression d'une gravure sur bois faisait partie de la Nomenclature.
Le 14 juin 2022, un jour après le délai de 30 jours fixé dans la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels, la Galerie Heffel a déposé une demande en révision auprès de la Commission d'examen. Une conseillère juridique de la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art a reconnu que la demande en révision avait été présentée avec une journée de retard et a demandé que la Commission d'examen proroge le délai ou lui donne la possibilité de présenter ses observations sur le pouvoir de la Commission d'examen de proroger le délai. Le Secrétariat de la Commission d'examen a demandé au demandeur de présenter ses observations sur le pouvoir de la Commission d'examen de proroger le délai, ce que la Galerie Heffel a fait le 30 juin 2022.
Le 20 juillet 2022, la Commission d'examen a rendu une décision[ii], dans laquelle elle concluait qu'elle n'avait pas la compétence de proroger le délai de 30 jours concernant l'ouverture d'une demande en révision. Selon la décision écrite, la Commission d'examen a déterminé qu'il n'était donc pas nécessaire d'examiner les autres questions, à savoir si la Commission d'examen devrait utiliser son pouvoir discrétionnaire dans ce cas et le bien-fondé de la demande en révision de la Galerie Heffel.
M. Bloom faisait partie des sept membres du panel ayant participé aux délibérations de la Commission d'examen concernant la demande de prorogation du délai. Il a témoigné qu'il se souvenait d'avoir participé aux délibérations relatives à cette décision. D'après ses souvenirs, il n'y a pas eu d'audience et les observations écrites du demandeur n'ont pas porté sur le bien‑fondé de sa demande de licence d'exportation de biens culturels, mais plutôt sur la question de la prorogation du délai. Il a précisé que les décisions de ce genre sont prises par consensus des membres du panel.
Ayant produit sa demande après l'échéance du délai prescrit, la Galerie Heffel a attendu deux ans à compter de la date du refus pour présenter une nouvelle demande de licence d'exportation de biens culturels auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada, conformément à la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels.
M. Bloom est embauché par la Galerie Heffel pendant son après-mandat
Dans son témoignage, M. Bloom a déclaré qu'à la fin de l'automne 2023, au cours de son après‑mandat, il s'est entretenu avec une personne représentant la Galerie Heffel lors d'une réception. M. Bloom a informé cette personne qu'il n'était plus membre de la Commission d'examen.
Dans un courriel du 3 janvier 2024 à M. Bloom, la personne représentant la Galerie Heffel a sollicité sa disponibilité pour aider la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art avec les demandes de licence d'exportation de biens culturels et avec les demandes en révision subséquentes auprès de la Commission d'examen.
Le 11 janvier 2024, M. Bloom a envoyé un courriel au Commissariat pour demander un avis sur ses obligations d'après-mandat. Il a écrit dans son courriel qu'il envisageait d'accepter un mandat dans le cadre duquel il représenterait un client auprès de la Commission d'examen.
Le même jour, le Commissariat a répondu à M. Bloom, lui faisant savoir qu'en tant qu'ex-titulaire de charge publique, la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) ne lui interdisait pas d'intervenir auprès de la Commission d'examen. On lui a toutefois rappelé son obligation de se conformer à trois dispositions d'interdiction permanente applicables aux ex-titulaires de charge publique, à savoir : l'article 33, qui lui interdit de tirer un avantage indu de sa charge antérieure; le paragraphe 34(2), qui lui interdit de donner des conseils fondés sur des renseignements non accessibles au public obtenus lors de son mandat; et le paragraphe 34(1), qui lui interdit de « changer de camp » en agissant au nom ou pour le compte d'une personne ou d'un organisme relativement à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire à laquelle la Couronne est partie et dans laquelle il a représenté ou conseillé celle-ci.
Dans son témoignage, M. Bloom a déclaré que, d'après ce qu'il avait compris de la réponse du Commissariat, il pourrait conseiller la Galerie Heffel, étant d'avis que les interdictions mentionnées dans le courriel ne s'appliquaient pas à sa situation.
Selon les éléments de preuve documentaire et testimoniale, M. Bloom a accepté l'offre d'aider la Galerie Heffel peu après. Selon M. Bloom, lors d'un appel téléphonique du 17 janvier 2024 avec une personne représentant la Galerie Heffel, cette personne a mentionné que la fin de la période d'attente légale de deux ans relative à l'impression d'une gravure sur bois approchait et que la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art présenterait une nouvelle demande de licence d'exportation de biens culturels à l'Agence des services frontaliers du Canada.
Demande en révision de 2024 de la Galerie Heffel concernant l'impression d'une gravure sur bois
Le 3 juin 2024, au terme de la période d'attente légale de deux ans, la Galerie Heffel a présenté une demande de licence d'exportation de biens culturels auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada à l'égard de la même impression d'une gravure sur bois qu'en 2022. M. Bloom a déclaré dans son témoignage qu'il avait aidé la Galerie Heffel pour la rédaction de la demande.
Le 24 juin 2024, la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art a reçu un avis de refus écrit de l'Agence des services frontaliers du Canada relativement à l'impression.
Selon la preuve documentaire, le 15 juillet 2024, la Galerie Heffel a présenté à la Commission d'examen une demande en révision de la demande de licence d'exportation de biens culturels qui a été refusée en 2024. Par la même occasion, la Galerie Heffel a informé la Commission d'examen que M. Bloom représenterait la maison de vente aux enchères d'œuvres d'art.
En août 2024, au nom de la Galerie Heffel, M. Bloom a présenté des observations écrites à la Commission d'examen, lesquelles comprenaient des images, un rapport sur l'état de conservation, une déclaration écrite et deux rapports d'expert. Le 30 octobre 2024, M. Bloom a également présenté des observations orales lors d'une audience devant la Commission d'examen.
Le 14 novembre 2024, la Commission d'examen[iii] a rendu sa décision, déclarant qu’elle avait fixé un délai de six mois durant lequel elle ne fera pas délivrer de licence d’exportation de biens culturels à l’égard de l’impression d’une gravure sur bois.
Question à l'étude
La question à l'étude est la suivante :
M. Glen Bloom a‑t‑il « changé de camp » et ainsi contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi sur les conflits d'intérêts en représentant la Galerie Heffel devant la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels à l'égard d'une demande de 2024 en révision d'une demande de licence d'exportation de biens culturels refusée, étant donné qu'il avait participé, en tant que membre de la Commission d'examen, à une décision de 2022 concernant le même objet et le même demandeur?
position de M. Bloom
Dans ses représentations écrites du 15 octobre 2024, M. Bloom a déclaré qu'il n'a pas contrevenu à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) ni, en particulier, au paragraphe 34(1) de la Loi.
Il a reconnu être un ex-titulaire de charge publique et avoir agi pour ou au nom du demandeur, Heffel Gallery Limited (la Galerie Heffel), à l'égard d'une demande en révision de 2024 auprès de la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels (la Commission d'examen), ce qui, a‑t‑il reconnu, constitue une instance au sens du paragraphe 34(1).
Cependant, M. Bloom est d'avis que le paragraphe 34(1) de la Loi prévoit deux autres conditions qui doivent être remplies pour qu'il y ait contravention. Il a écrit dans ses représentations qu'aucune de ces conditions n'existait.
La première condition est que la Couronne doit être partie à l'instance de demande en révision. Il est d'avis que la seule partie à la demande en révision de 2024 était la Galerie Heffel. M. Bloom a écrit que la Couronne n'est pas désignée en tant que partie et n'a joué aucun rôle dans l'instance. La Commission d'examen était l'organisme décisionnel et non pas une partie à l'instance. Pour étayer sa position, M. Bloom s'est appuyé sur Le rapport Toews[iv], daté d'avril 2017, dans lequel le Commissariat a examiné la question de savoir si l'ancien ministre avait contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi en « changeant de camp » dans une procédure judiciaire à laquelle la Couronne était partie devant les cours fédérales. M. Bloom a soutenu que, puisqu'il n'y avait qu'une seule partie à l'instance de demande en révision, il n'était pas possible de changer de camp.
Il a soutenu que la deuxième condition à remplir pour qu'il y ait contravention au paragraphe 34(1) est que l'instance de 2024 où il a agi pour ou au nom de la Galerie Heffel doit être la même instance que celle à laquelle il a pris part en tant que titulaire de charge publique en 2022.
Selon M. Bloom, il n'a ni conseillé la Couronne ni agi pour elle dans la demande de 2024 en révision de la demande d'une licence d'exportation de biens culturels refusée. Sa position est que, si la demande en révision de 2024 concernait le même demandeur et le même objet d'exportation que dans la demande en révision de 2022, il reste qu'il s'agissait de deux instances distinctes.
Pour appuyer cette position, M. Bloom a affirmé que la demande en révision de 2024 était fondée sur des faits nouveaux, qui n’existaient pas en 2022. Pour démontrer que la Commission d’examen s’est fondée sur des faits nouveaux dans sa décision de 2024, M. Bloom a attiré l’attention du Commissariat sur le paragraphe 96 de la décision publiée de 2024 de la Commission d’examen, où il est dit que l’on dispose maintenant de beaucoup plus d’information sur la rareté, la qualité et la valeur de l’impression sur bois. Selon M. Bloom, la Commission d’examen n’aurait pas eu ces renseignements à prendre en compte en 2022 si la demande en révision avait été présentée à temps.
Analyse et conclusion
Analyse
La Loi sur les conflits d'intérêts (La Loi) prévoit des règles pour les ex-titulaires de charge publique, dont l'interdiction permanente de « changer de camp » prévue au paragraphe 34(1), qui est libellé en ces termes :
34. (1) Il est interdit à tout ex-titulaire de charge publique d’agir au nom ou pour le compte d’une personne ou d’un organisme relativement à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire à laquelle la Couronne est partie et dans laquelle il a représenté ou conseillé celle-ci.
Je dois déterminer si M. Glen Bloom a contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi quand il a représenté Heffel Gallery Limited (la Galerie Heffel) devant la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels (la Commission d'examen) dans sa demande en révision de 2024 d'une décision de 2024 dans laquelle l'Agence des services frontaliers du Canada a refusé une demande de licence d'exportation de biens culturels à l'égard d'une impression d'une gravure sur bois que la Galerie Heffel avait vendue à un acheteur étranger en 2022.
En 2022, alors qu'il était titulaire de charge publique, M. Bloom a participé en tant que membre d'un panel à la décision de la Commission d'examen concernant la demande de prolongation de délai de la Galerie Heffel afin de pouvoir présenter, après le délai prescrit, une demande en révision d'une décision de 2022 dans laquelle l'Agence des services frontaliers du Canada avait refusé de délivrer une licence d'exportation pour ladite impression d'une gravure sur bois.
M. Bloom a reconnu le fait que, alors qu'il était titulaire de charge publique, il a participé en tant que membre d'un panel à la décision de 2022 de la Commission d'examen concernant la prolongation de délai. Il a également reconnu le fait que, pendant son après‑mandat, il a été embauché par la Galerie Heffel pour la représenter à l'égard de la demande en révision de 2024, ni le fait qu'il a exécuté ce mandat. Enfin, il a dit partager l'interprétation du Commissariat, selon laquelle la demande en révision constituait une instance au sens du paragraphe 34(1).
La position de M. Bloom est qu'il n'a pas contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi parce que deux éléments essentiels pour conclure à une contravention étaient absents :
1. la Commission d'examen elle-même n'était pas une partie à l'instance, mais plutôt l'organisme décisionnel (il a soutenu que la seule partie était la Galerie Heffel);
2. la demande en révision de 2024 sur laquelle il a travaillé n'était pas liée à l'instance dont la Commission d'examen était saisie lorsqu'il a siégé au panel en 2022.
Concernant ce premier point, M. Bloom a soutenu que la Commission d'examen n'était pas une partie à l'instance, étant un organisme décisionnel et non pas une partie plaidante. Pour appuyer cette position, il a cité
Le rapport Toews de 2017, publié par le Commissariat. Ce rapport, dont les faits avaient trait à la Couronne en tant que partie plaidante dans le cadre d'une instance judiciaire, traitait également du paragraphe 34(1) de la Loi.
Pour examiner l'argument de M. Bloom sur ce point, je dois d'abord déterminer le sens du terme « Couronne » aux fins du paragraphe 34(1) de la Loi, y compris qui pourrait être considéré comme agissant au nom de la Couronne ou comme conseillant la Couronne, comme l'énonce cette disposition.
Je considère que, dans son sens habituel, la Couronne désigne l'organe exécutif du gouvernement. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence, qui considère que les entités du secteur public, comme les tribunaux administratifs tels que la Commission d'examen, constituent un moyen par lequel la Couronne peut exercer son pouvoir[v].
- Par conséquent, la Couronne engloberait la Commission d'examen, dont les décideurs nommés « agissent au nom » de la Couronne.
- La deuxième question relativement à ce point consiste à déterminer si la Commission d'examen est une « partie » à l'instance. La position de M. Bloom est qu'une partie doit plaider une cause et qu'il ne peut s'agir du décideur. Je ne peux souscrire à cette position. À la lecture du paragraphe 34(1) dans son contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du Parlement, je suis d'avis que la définition du terme « partie » doit comprendre toute personne prenant part à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire.
Le paragraphe 34(1) de la Loi s'applique à tous les ex-titulaires de charge publique, y compris les ex-titulaires de charge publique principales et principaux. Comme l'énoncent les rapports annuels du Commissariat, la majorité de ces postes sont occupés, à temps plein ou à temps partiel, par des personnes nommées par le gouverneur en conseil qui siègent en tant que décideurs à des commissions, conseils ou tribunaux administratifs. Les décisions des entités administratives ne sont habituellement pas définitives, pouvant faire l'objet d'un appel prévu par la loi ou d'une révision judiciaire. À mon avis, l'intention du Parlement n'était pas d'exclure de l'application du paragraphe 34(1) les ex-titulaires de charge publique et les ex-titulaires de charge publique principales et principaux ayant occupé d'importantes fonctions décisionnelles au motif qu'ils étaient décideurs et qu'en conséquence, ils n'agissaient pas au nom de la Couronne ou ne la conseillaient pas relativement à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire.
Une telle interprétation, en vertu de laquelle un ex-membre d'un tribunal serait autorisé à représenter un client pour la révision judiciaire ou l'appel d'une décision qu'il a lui-même rendue, serait contraire à l'intérêt public et à l'intégrité de ces régimes administratifs. Par conséquent, le terme « partie » doit être interprété dans un sens plus large afin d'englober les personnes qui agissent au nom de la Couronne ou qui la conseillent en tant que décideurs en prenant part ou en travaillant à une instance, une opération, une négociation ou une autre affaire.
En ce qui concerne Le rapport Toews, ce n'est qu'en raison des faits de l'affaire en question que le paragraphe 34(1) de la Loi est analysé du point de vue de la Couronne en tant que partie plaidante. Je ne considère aucunement que ce rapport limite la portée du paragraphe 34(1) de la Loi.
Ayant déterminé que la Couronne, à savoir la Commission d'examen, était partie à l'instance en 2022 et en 2024 et que M. Bloom, en tant que titulaire de charge publique et décideur, a agi pour la Couronne en 2022, je dois maintenant examiner le deuxième point de M. Bloom, c'est‑à‑dire déterminer s'il s'agissait effectivement de deux instances distinctes de sorte que le paragraphe 34(1) de la Loi ne s'applique pas.
Bien que les faits montrent que les demandes de licence d'exportation présentées en 2022 et 2024 à l'Agence des services frontaliers du Canada concernaient le même demandeur, la Galerie Heffel, et le même objet, l'impression d'une gravure sur bois vendue à un acheteur étranger en 2022, j'accepte la position de M. Bloom selon laquelle les instances de 2022 et 2024 doivent être considérées comme deux instances distinctes. Ainsi, le paragraphe 34(1) de la Loi ne s'appliquait pas.
L'instance de 2022 n'était pas la même instance précise pour laquelle il a représenté la Galerie Heffel devant la Commission d'examen en 2024. Dans chacun des cas, la Galerie Heffel a demandé une licence d'exportation, se l'est vu refuser par l'Agence des services frontaliers du Canada et a présenté une demande en révision de la décision à la Commission d'examen.
Les instances traitaient en outre de questions distinctes. Parce que la demande avait été présentée après l'échéance, l'instance de 2022 ne portait pas sur le bien-fondé de la décision de refuser la licence d'exportation de biens culturels, mais uniquement sur la question du pouvoir de la Commission d'examen de proroger le délai prescrit pour la présentation de demandes. Dans son témoignage sous serment sur ce point, M. Bloom a déclaré que, en 2022, la Commission d'examen n'a reçu aucune observation sur le bien-fondé de la décision de refuser la licence d'exportation, mais seulement des observations sur la question de la prolongation du délai. On note que la décision de 2022 elle-même, publiée sur le site Web de la Commission d'examen, ne portait pas sur le bien-fondé de la demande. En 2022, la Commission d'examen a déterminé qu'elle n'avait pas le pouvoir de proroger le délai pour la présentation d'une demande en révision.
En juin 2024, au terme de la période d'attente de deux ans prévue par la loi, la Galerie Heffel a présenté à l'Agence des services frontaliers du Canada une autre demande de licence d'exportation, laquelle a de nouveau été refusée. L'instance devant la Commission d'examen en 2024 n'a porté que sur le bien‑fondé de la décision de refuser la demande de licence d'exportation de biens culturels, rendue en 2024.
Conclusion
Pour les motifs énoncés ci-dessus, à savoir qu'il y a eu deux instances distinctes relatives à deux décisions susceptibles d'un examen de l'Agence des services frontaliers du Canada, je conclus que M. Bloom n'a pas « changé de camp », et donc, qu'il n'a pas contrevenu au paragraphe 34(1) de la Loi en représentant la Galerie Heffel dans l'instance de 2024 devant la Commission d'examen.
[i] Licences d'exportation de biens culturels de l'Agence des services frontaliers du Canada
[ii] Décision de juillet 2022 de la Commission : demande en révision
[iii] Décision de novembre 2024 de la Commission d’examen : demande en révision
[iv] Le rapport Toews
[v] Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo‑Services Inc., [2017]
1 RCS 1069.