PRéFACE
La
Loi sur les conflits d’intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.
Une étude en vertu de la Loi peut être amorcée à la demande d’un parlementaire, conformément au paragraphe 44(1), ou par la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique (la commissaire) de son propre chef, conformément au paragraphe 45(1) de la Loi.
Lorsqu’une étude est amorcée en vertu de l’article 45 de la Loi, à moins que l’étude ne soit interrompue, la commissaire est tenue, conformément au paragraphe 45(3), de remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l’étude. Le paragraphe 45(4) prévoit que la commissaire doit en même temps remettre un double du rapport au titulaire ou à l’ex‑titulaire de charge publique visé, et rendre le rapport accessible au public.
Le présent rapport énonce les conclusions de mon étude menée en vertu de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à la conduite de M. Nigel Wright alors qu'il était chef de cabinet du premier ministre d'alors, Stephen Harper, relativement à des fonds qu'il a transférés au sénateur Mike Duffy pour qu'il puisse rembourser plus de 90 000 $ qu'il avait reçus en indemnités de subsistance.
Les frais de subsistance du sénateur Duffy ont fait la manchette et fait l'objet, en février 2013, d'un examen indépendant du cabinet comptable Deloitte, à la demande du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, alors présidé par le sénateur David Tkachuk.
J'ai amorcé mon étude en mai 2013, mais j'ai dû l'interrompre en juin 2013, au moment où la Gendarmerie royale du Canada a ouvert une enquête sur ce transfert de fonds. Je n'ai pu reprendre mon étude qu'en juin 2016.
Le sénateur Duffy a réclamé des frais de subsistance dans la région de la capitale nationale en tant que sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard bien qu'il résidait dans la région de la capitale nationale depuis les années 1970. M. Wright considérait ces réclamations comme étant un enjeu politique pouvant mettre le gouvernement dans l'embarras, et estimait qu'il était de son devoir, en tant que chef de cabinet, de gérer cet enjeu et de veiller à ce que les indemnités de subsistance versées au sénateur Duffy soient remboursées. Le 20 février 2013, le sénateur Tkachuk a proposé que si le sénateur Duffy envoyait au cabinet Deloitte une lettre admettant son erreur et demandant le montant qu'il devrait rembourser, alors l'examen sur ses frais de subsistance serait interrompu.
Monsieur Wright a approuvé la proposition du sénateur Tkachuk et a donné comme instruction à son personnel de préparer un scénario de remboursement dans lequel le sénateur Duffy rembourserait les fonds et reconnaîtrait publiquement avoir fait une erreur attribuable à l'ambigüité des règles. En retour, le Cabinet du Premier ministre défendrait sa qualification constitutionnelle relative au lieu de résidence, ce qui permettrait au sénateur Duffy de continuer de siéger au Sénat.
Pendant les négociations, le sénateur Duffy a déclaré qu'il n'avait pas les fonds nécessaires pour rembourser les indemnités reçues. M. Wright a contacté le sénateur Irving Gerstein, qui présidait le Fonds conservateur du Canada, pour voir si le Fonds pouvait couvrir les réclamations d'indemnités de logement du sénateur Duffy, alors estimées à 32 000 $, ainsi que ses frais juridiques. Après que M. Wright eut informé le sénateur Duffy que le montant à rembourser serait couvert, l'avocate du sénateur Duffy a envoyé un courriel à M. Wright pour énoncer des conditions supplémentaires.
Le sénateur Gerstein a confirmé à M. Wright que le Fonds conservateur du Canada couvrirait les réclamations d'indemnités de logement de 32 000 $ du sénateur Duffy ainsi que ses frais juridiques. Lorsqu'il a été déterminé que le montant à rembourser, intérêts compris, dépassait plutôt les 90 000 $, M. Wright a décidé qu'il payerait lui-même ce montant. Il a préparé une traite bancaire qui a été remise en mains propres au bureau de l'avocate du sénateur Duffy le 26 mars 2013 avec la condition que la somme équivalente soit immédiatement versée au receveur général du Canada pour rembourser les dépenses de 90 172,24 $.
Mon étude était concentrée sur le paragraphe 6(1) et l'article 9 de la Loi.
Le paragraphe 6(1) interdit au titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts. Le titulaire de charge publique se trouve en conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
L'article 9 de la Loi interdit au titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser de manière irrégulière l'intérêt personnel d'une tierce partie. Je devais déterminer si M. Wright s'était prévalu de sa charge de chef de cabinet pour tenter d'influencer la décision du sénateur Irving Gerstein et du Fonds conservateur du Canada dans le but de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel du sénateur Duffy.
J'ai conclu que M. Wright a contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi. M. Wright a géré cet enjeu politique dans le contexte de sa responsabilité de chef de cabinet; par conséquent, ses décisions entraient tout à fait dans l'exercice de sa charge en sa qualité de titulaire de charge publique. Il a favorisé l'intérêt financier du sénateur Duffy en le soustrayant à l'obligation de se servir de ses propres fonds pour rembourser les indemnités de subsistance. J'ai noté l'interdiction prévue au paragraphe 16(3) de la
Loi sur le Parlement à quiconque de donner à un sénateur une rémunération en déterminant que ce transfert de fonds était irrégulier. J'ai également déterminé que M. Wright aurait dû raisonnablement savoir que, en prenant la décision de donner les fonds au sénateur Duffy, il se trouvait en situation de conflit d'intérêts.
J'ai conclu que M. Wright a contrevenu à l'article 9 de la Loi. J'avais déjà déterminé, relativement au paragraphe 6(1), que M. Wright avait agi en sa qualité de titulaire de charge publique et qu'il avait favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel du sénateur Duffy. En demandant au sénateur Gerstein si le Fonds conservateur du Canada pouvait fournir les 32 000 $, montant qu'on pensait à l'époque être celui que le sénateur Duffy devrait rembourser, M. Wright a manifestement tenté de les influencer dans le but de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel du sénateur Duffy.
Par conséquent, j'ai conclu que M. Wright a contrevenu au paragraphe 6(1) ainsi qu'à l'article 9 de la Loi.
Les 14 et 15 mai 2013, les médias ont rapporté que M. Nigel Wright, alors chef de cabinet du premier ministre de l'époque, Stephen Harper, aurait aidé à négocier une entente avec l'honorable Mike Duffy, sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard. Selon les médias, M. Wright aurait personnellement fourni la somme de 90 172,24 $ au sénateur Duffy afin qu'il rembourse les indemnités qu'il avait reçues pour des frais de subsistance dans la région de la capitale nationale. Le sénateur Duffy vivait dans la région de la capitale nationale depuis de nombreuses années.
Au cours des jours suivants, les médias ont publié des articles et des renseignements additionnels à ce propos. On y rapportait que la somme offerte au sénateur Duffy par M. Wright n'aurait pas à lui être remboursée, et que l'entente avait été approuvée par M. Wright dans le cadre de ses fonctions de chef de cabinet du premier ministre. Certains articles alléguaient que M. Wright et le sénateur Duffy étaient amis, ce qui aurait nécessité que M. Wright se récuse de toute décision touchant le sénateur Duffy.
Compte tenu de l'information publiée par les médias, j'étais préoccupée par le fait que M. Wright ait pu manquer à ses obligations en vertu du paragraphe 6(1) et des articles 7, 8, 9 et 21 de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir qu'en prenant cette décision il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.
L'article 7 de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
L'article 8 de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique d'utiliser des renseignements qui ne sont pas accessibles au public afin de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel de toute autre personne.
L'article 9 de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer autrui dans le but de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel de toute autre personne.
L'article 21 de la Loi oblige tout titulaire de charge publique à se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.
Sur la base des articles médiatiques, j'avais des motifs de croire que M. Wright pourrait avoir contrevenu à certaines ou à toutes les dispositions susmentionnées de la Loi.
Le 15 mai 2013, j'ai écrit à M. Wright pour l'informer que j'avais des préoccupations au sujet du paragraphe 6(1) et des articles 7, 8, 9 et 21 de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) à la suite des articles publiés par les médias.
Le 21 mai 2013, j'ai entrepris une étude de mon propre chef conformément au paragraphe 45(1) de la Loi. J'ai écrit à M. Wright pour l'en informer. Je lui ai fait savoir que le motif de mon étude était de déterminer s'il avait contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 8, 9 et 21 de la Loi. Je lui ai demandé de me fournir, par écrit, tout renseignement factuel et tout document relatif à mon étude.
J'ai reçu la réponse de M. Wright le 28 mai 2013 et j'ai mené une entrevue auprès de lui le 5 juin 2013. J'ai informé M. Wright lors de cette entrevue que j'avais décidé d'exclure l'article 7 de la Loi du champ de mon étude. À la suite de son entrevue, M. Wright a fourni des renseignements supplémentaires au Commissariat le 12 juin 2013.
Le 13 juin 2013, j'ai communiqué avec le sénateur Duffy afin de lui demander de témoigner; cependant, le jour même, j'ai été informée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qu'elle faisait enquête, en vertu de l'article 121 du Code criminel (fraudes envers le gouvernement), au sujet du versement de près de 90 000 $ de M. Wright au sénateur Duffy. Par conséquent, en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi, j'ai dû suspendre mon étude et j'en ai informé M. Wright. Le paragraphe 49(1) de la Loi oblige le commissaire à suspendre sans délai une étude si l'on découvre que l'objet de l'étude est le même que celui d'une enquête menée dans le but de décider si une infraction a été commise à une loi fédérale.
Je n'étais pas au courant à ce moment-là que la GRC avait aussi envisagé déposer des accusations contre M. Wright pour abus de confiance et corruption, ainsi que pour avoir donné à un sénateur une rémunération, ce qui est interdit par la
Loi sur le Parlement du Canada. J'ai été mise au courant de cette situation par l'intermédiaire d'une lettre datée du 15 avril 2014, de la part du commissaire adjoint de la Division nationale de la GRC, dans laquelle il m'informait que la GRC avait terminé son enquête sur M. Wright sans déposer d'accusations criminelles contre lui. J'ai déterminé, malgré les arguments de M. Wright à l'effet contraire et malgré aussi mon propre désir d'effectuer mon étude promptement, que je ne pouvais reprendre mon étude sur la conduite de M. Wright jusqu'à la conclusion de la procédure criminelle du sénateur Duffy, car elle portait sur le même objet.
Plus de deux ans plus tard, le 2 juin 2016, après l'écoulement de la période d'appel de l'acquittement du sénateur Duffy au sujet du versement de 90 172,24 $, j'ai avisé M. Wright de la reprise de l'étude que j'avais entreprise le 21 mai 2013. Je lui ai demandé de me fournir tout renseignement ou document additionnel au plus tard le 30 juin 2016. M. Wright m'a demandé un délai supplémentaire par l'entremise de son avocat et je le lui ai accordé. J'ai reçu des documents additionnels les 13 juillet 2016 et 2 août 2016, ainsi que des représentations supplémentaires de M. Wright le 26 août 2016.
Le 20 janvier 2017, j'ai informé M. Wright que mon étude porterait uniquement sur le paragraphe 6(1) et l'article 9 de la Loi et que j'en avais exclu les articles 8 et 21 de la Loi. Dans cette lettre, j'ai précisé que mon étude en vertu de l'article 9 de la Loi se concentrait sur les rapports de M. Wright avec le sénateur Irving Gerstein, qui était alors président du Fonds conservateur du Canada.
En réponse à la contravention présumée à l'article 9 de la Loi, M. Wright m'a fourni, le 15 février 2017, deux déclarations sous serment : l'une de la part de M. Wright et l'autre de la part de l'ancien chef de cabinet, M. Ray Novak.
Le 23 mars 2017, M. Wright m'a fourni d'autres représentations relativement aux deux allégations.
Habituellement, une deuxième entrevue est menée avec la personne faisant l'objet de l'étude lorsque tous les éléments de preuve ont été recueillis. Puisque M. Wright était seul à témoigner et que toute la preuve documentaire provenait soit de M. Wright ou de sources publiques, je n'ai pas eu à effectuer cette deuxième entrevue avec lui. Je lui ai toutefois accordé la possibilité de me rencontrer et de présenter son point de vue avant de finaliser la partie factuelle de mon étude.
Conformément à la pratique que j'ai établie, nous avons donné à M. Wright et à son avocat la possibilité de commenter l'ébauche des sections factuelles du présent rapport avant de le finaliser, soit les sections intitulées Les préoccupations, Le processus, Les constatations de faits et La position de M. Wright. Ces commentaires ont été pris en compte dans la version définitive du présent rapport.
Les médias ont largement parlé de l'objet de cette étude et des gestes des personnes impliquées. De plus, ces faits connexes ont été décrits en détail dans les motifs du jugement de l'honorable Charles H. Vaillancourt de la Cour de justice de l'Ontario dans sa décision du 21 avril 2016 à la suite de la procédure criminelle intentée contre le sénateur Duffy.
La présente étude, ayant trait à la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), se concentre sur les faits essentiels pour déterminer si M. Wright a contrevenu au paragraphe 6(1) ou à l'article 9 de la Loi.
Je me suis fiée principalement au témoignage de M. Wright du 5 juin 2013; à sa déclaration sous serment datée du 14 février 2017; et à ses représentations du 28 mai 2013, du 12 juin 2013, du 13 juillet 2016, des 2 et 26 août 2016 et du 23 mars 2017, ainsi qu'aux documents qu'il m'a fournis.
Contexte
Monsieur Wright a été nommé conseiller principal du premier ministre d'alors, Stephen Harper, le 8 novembre 2010, date à laquelle M. Wright est devenu titulaire de charge publique principal assujetti à la Loi. Il a été nommé chef de cabinet du premier ministre le 1er janvier 2011.
Le sénateur Duffy a été nommé pour représenter l'Île-du-Prince-Édouard en 2008, bien qu'il ait résidé dans la région de la capitale nationale depuis les années 1970. Dans un courriel envoyé par le sénateur Duffy au sénateur David Tkachuk, alors président du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, le sénateur Duffy lui a expliqué qu'il s'est fait dire, à la suite de son assermentation en 2009, qu'il avait le droit de réclamer des frais de subsistance pour sa résidence dans la région de la capitale nationale. Le sénateur Duffy avait couramment réclamé des dépenses de résidence secondaire, ainsi que des indemnités quotidiennes pour les repas, depuis 2009.
Le 3 décembre 2012, les médias ont commencé à faire mention des réclamations de frais de subsistance du sénateur Duffy. Peu après, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a demandé que les réclamations concernant les frais de subsistance engagés pour une résidence secondaire de trois sénateurs, dont celles du sénateur Duffy, soient examinées à l'interne.
L'implication de M. Wright
Monsieur Wright a indiqué lors de son entrevue que c'est à la suite d'un article de presse du 5 février 2013 qu'il a appris que le sénateur Duffy avait demandé une carte d'assurance-maladie de l'Île-du-Prince-Édouard par des voies non officielles et sans devoir attendre les délais habituels. M. Wright a dit que cela lui indiquait, pour la première fois, que le sénateur Duffy n'était pas certain de la justesse de ses réclamations de frais de subsistance pour une résidence secondaire et que le sénateur Duffy s'apprêtait à les défendre. M. Wright a écrit que pour la première fois, il considérait que cela pouvait poser un problème.
Dans ses représentations écrites, M. Wright a indiqué que lorsque la couverture médiatique a pris de l'ampleur, à titre de chef de cabinet du premier ministre Harper, il a entrepris d'essayer de comprendre les faits. M. Wright a écrit que le 6 février 2013, après une conversation avec le sénateur Tkachuk, il a déterminé que les frais réclamés par le sénateur Duffy ne seraient pas défendables.
Le 7 février 2013, M. Wright a indiqué dans un courriel, envoyé à partir de son adresse courriel du gouvernement à ses collègues du Cabinet du Premier ministre, qu'il a parlé au sénateur Duffy, au sénateur Tkachuk et à la sénatrice Marjory LeBreton, trois nominations conservatrices. M. Wright a aussi écrit dans ce courriel que ce que le sénateur Duffy a fait était incorrect, en principe, et qu'il devait être réprimandé ou devait rembourser les sommes réclamées, ou les deux. M. Wright a ajouté dans ce courriel qu'« il y avait de l'ambigüité [dans les règles de résidence], qu'elles seront donc clarifiées, et que [le sénateur Duffy] ne réclamera plus d'indemnités de subsistance dorénavant » [traduction].
Dans ses représentations écrites, M. Wright a indiqué qu'il tentait simplement de « gérer un problème politique » et de s'assurer que les sommes qu'il croyait injustement réclamées par le sénateur Duffy seraient remboursées. Il m'a écrit qu'il croyait aussi que le sénateur Duffy devait rembourser les frais de subsistance réclamés en fonction de considérations politiques et de principes, et non pas en fonction de considérations juridiques. M. Wright m'a dit que le Cabinet du Premier ministre croyait que les réclamations du sénateur Duffy étaient fautives tant en principe que du point de vue politique.
Monsieur Wright a expliqué qu'en voulant corriger le fait que le sénateur Duffy ait reçu des sommes qu'il n'aurait pas dû réclamer même s'il était techniquement dans son droit de le faire, il croyait qu'il défendait les intérêts du gouvernement et du premier ministre, et non pas les intérêts personnels du sénateur Duffy. Il a ajouté que ses fonctions de chef de cabinet incluaient la gestion des enjeux qui pouvaient devenir un embarras pour le gouvernement.
Le 8 février 2013, le Sénat a annoncé avoir mandaté le cabinet comptable Deloitte pour procéder à un examen indépendant des réclamations et documents connexes de trois sénateurs, dont le sénateur Duffy. La période couverte par l'examen était du 1er avril 2011 au 30 septembre 2012.
Lors de mon entrevue avec M. Wright, il a affirmé que le 11 février 2013, le sénateur Duffy — après avoir d'abord défendu son droit aux indemnités de subsistance dans la région de la capitale nationale — a finalement consenti à rembourser toutes les sommes reçues et à ne plus réclamer d'indemnités de subsistance à l'avenir. M. Wright a indiqué dans un courriel, envoyé à partir de son adresse courriel du Cabinet du Premier ministre à ses collègues du Cabinet du Premier ministre, que le sénateur Duffy rembourserait les sommes à condition que le fait d'admettre que sa résidence principale est dans la région de la capitale nationale ne le disqualifie pas pour siéger comme sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard.
Dans ce même courriel, M. Wright a aussi demandé ce qui suit, en faisant référence au leadership conservateur au Sénat : « Le leadership pourrait-il BIEN VOULOIR coordonner [leurs] actions avec le Cabinet du Premier ministre avant que TOUTE démarche ne soit entreprise » [traduction]. M. Wright a écrit à ses collègues du Cabinet du Premier ministre qu'il a fait cette demande puisque certains gestes de sénateurs conservateurs avaient rendu la situation plus difficile. M. Wright avait été informé dans un courriel émanant du gestionnaire des affaires parlementaires au sein du Cabinet du Premier ministre que deux sénateurs avaient demandé au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration que le processus soit accéléré. Il avait aussi été informé, dans ce même courriel, que la sénatrice LeBreton se préparait à soumettre une motion demandant une définition du mot résidence ainsi qu'une ébauche de nouvelles règles exigeant que les sénateurs fournissent une preuve de résidence.
Dans ses représentations écrites, M. Wright a mentionné se souvenir que le 13 février 2013, quand il a vu le sénateur Duffy parler au premier ministre, il s'est joint à leur conversation. M. Wright a écrit que le sénateur Duffy faisait valoir son point de vue qu'il ne devrait pas avoir à rembourser le montant de ses réclamations de frais de subsistance en raison du manque de clarté dans les règles et du fait que sa résidence primaire était réellement à l'Île-du-Prince-Édouard. De son côté, M. Wright a soutenu que, quelle que soit l'interprétation technique des règles, le sénateur Duffy devrait rembourser tous les montants réclamés. M. Wright a indiqué que le premier ministre a écouté le point de vue de chacun et a clos la discussion en indiquant que le sénateur Duffy devrait rembourser les sommes réclamées parce qu'il n'avait pas eu à débourser des sommes supplémentaires lorsqu'il résidait dans la région de la capitale nationale.
Monsieur Wright m'a dit que le 20 février 2013, le sénateur Tkachuk l'a contacté et lui a proposé la solution suivante au cas du sénateur Duffy : si le sénateur Duffy écrivait une lettre aux vérificateurs de Deloitte, sous réserve de tout droit, dans laquelle il admettait avoir fait une erreur dans ses réclamations et demandait de savoir combien il devait rembourser, alors le comité directeur du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration mettrait fin à l'examen de Deloitte au sujet du sénateur Duffy. M. Wright a écrit plus tard qu'il a compris que le sénateur Tkachuk avait auparavant directement présenté cette proposition au sénateur Duffy.
Dans ses représentations écrites, M. Wright a indiqué qu’il a « retenu » la proposition du sénateur Tkachuk et a décidé de la mettre en œuvre. Cette même journée, le 20 février 2013, son cabinet a préparé une note de service concernant les mesures à prendre, incluant des lignes de presse. Dans un courriel de suivi subséquent, envoyé à plusieurs cadres supérieurs du Cabinet du Premier ministre, M. Wright a souligné plusieurs points clés liés au scénario de remboursement, dont ceux qui suivent :
Monsieur Wright a écrit dans sa lettre datée du 28 mai 2013 que lorsqu'il a contacté le sénateur Duffy plus tard le 20 février 2013 pour discuter de la proposition du sénateur Tkachuk, le sénateur Duffy a indiqué qu'il ne disposait pas des fonds nécessaires pour rembourser la somme due. M. Wright a aussi écrit qu'il lui a alors répondu qu'il verrait ce qu'il était possible de faire à ce propos et que le jour même, il a contacté le sénateur Irving Gerstein, alors président du Fonds conservateur du Canada[1], afin de savoir si les indemnités de logement, totalisant environ 32 000 $, et les frais juridiques du sénateur Duffy pouvaient être payés par le Fonds. M. Wright a ajouté dans sa lettre que, une semaine plus tôt, le sénateur Gerstein avait demandé, en termes vagues, s'il pouvait être d'une aide quelconque à l'égard de « l'affaire du sénateur Duffy » [traduction].
Monsieur Wright a écrit que le 21 février 2013, le sénateur Duffy s'est engagé à rembourser ses indemnités de logement et à ne pas défendre son droit à ces indemnités en public ou devant le comité directeur du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. M. Wright a ajouté avoir informé le sénateur Duffy que le montant à rembourser serait couvert.
Plus tard au cours de la même soirée, M. Wright a reçu un courriel, qui lui a été acheminé de la part de l'avocat du Cabinet du Premier ministre, précisant les conditions additionnelles du scénario de remboursement qui avaient été rédigées par l'avocate du sénateur Duffy et qui n'avaient pas déjà fait l'objet de discussions entre M. Wright et le sénateur Duffy. Ce courriel indiquait que le sénateur Duffy n'aurait pas à rembourser lui-même les indemnités de logement dans la région de la capitale nationale, et que ses frais juridiques seraient aussi couverts. M. Wright a répondu au courriel à partir de son adresse courriel du gouvernement en y ajoutant ses commentaires entre crochets après chaque point. Il a accepté ces conditions en supposant que le sénateur Duffy ferait une déclaration et qu'il s'en tiendrait aux lignes de presse discutées entre eux antérieurement.
Les conditions de l'entente, telles qu'elles ont été définies par l'avocate du sénateur Duffy, sont énoncées ci-dessous en caractères réguliers et les réponses de M. Wright en
italique :
Le Comité de la régie interne confirmera que le sénateur Duffy a été retiré de l’examen de Deloitte
c'est ce qui se passera puisque le seul élément de vérification de Deloitte relativement au sénateur Duffy deviendra caduc, et je recevrai un engagement à l'égard de cet arrangement de la part des sénateurs LeBreton, Tkachuk et Stewart-Olsen
et assurera le sénateur Duffy que ses réclamations sont en ordre jusqu’à présent et ne feront pas l’objet d’examens subséquents par le Comité, le Sénat ou par qui que ce soit d’autre.
Je crois que le Comité directeur pourra dire que le problème de la résidence secondaire sera clos avec le remboursement et l'engagement du sénateur Duffy de ne pas réclamer à nouveau à moins que ses arrangements de résidence ne changent de façon à lui permettre de réclamer ces sommes. Je ne crois pas que l'entente puisse dire autre chose sur toute autre dépense, car personne n'a jamais soulevé la question à leur égard. Seul le Comité sénatorial pourrait prendre un tel engagement, ce qu'il ne peut pas faire de manière raisonnable.
Si un membre du Comité fait une déclaration, elle sera en conformité avec les lignes de presse approuvées.
c'est exactement la position qui sera prise par la sénatrice LeBreton et les sénateurs conservateurs du comité directeur, car les lignes de presse seront exactes et nous voulons que ces sénateurs émettent des commentaires exacts.
Il y aura aussi une déclaration écrite que le sénateur Duffy répond et a toujours répondu aux exigences requises pour siéger à titre de sénateur de l’Î-P-É.
J'ai été très clair avec le sénateur Duffy qu'une « source haut placée du gouvernement » fera une déclaration le jour de la déclaration du sénateur Duffy indiquant qu'il n'y a aucun doute que le sénateur Duffy est qualifié pour siéger à titre de sénateur de l'Î-P-É. Le premier ministre donnera la même réponse si on lui pose la question; il en va de même pour les autres porte-parole autorisés du gouvernement. C'est parce que c'est vrai. Il n'y aura pas de déclaration écrite.
Comme son inéligibilité évidente aux indemnités de logement provient de son temps passé sur la route pour le compte du Parti [conservateur], il y aura un arrangement pour rembourser le sénateur Duffy intégralement. Ses frais juridiques seront également remboursés.
Je ne connais pas le montant exact des frais juridiques, ni s'ils sont raisonnables; ils doivent donc être divulgués immédiatement. Sans tenir compte de l'exactitude du fondement de ce point, le Parti est prêt à payer pour le sénateur Duffy, car il est clair qu'il a innocemment perçu de l'argent en trop. J'ai appelé le Parti pour confirmer cela, car j'estime que le sénateur a le droit de recevoir une telle confirmation.
Si les règles ou la politique régissant les déplacements du Sénat changent pour permettre au sénateur Duffy de réclamer des indemnités de logement à l’avenir, il pourra le faire à ce moment-là.
Le sénateur Duffy devrait être libre à l'avenir de recevoir toute indemnité ou tout remboursement auquel il a manifestement droit en vertu des règles du Sénat. Où il y a une ambigüité possible, le sénateur Duffy devrait demander des avis aux autorités sénatoriales compétentes avant de réclamer.
Le Cabinet du Premier ministre déploiera tous les efforts raisonnables pour veiller à ce que si les membres du caucus conservateur parlent de cette affaire, ils s’en tiennent aux lignes de presse convenues.
Tout à fait, c'est notre avis puisque les lignes de presses convenues sont exactes et nous ne souhaitons pas que les gens fassent des déclarations inexactes. [traduction]
Des échanges de courriels entre le Cabinet du Premier ministre et le bureau de l'avocate du sénateur Duffy ont confirmé l'acceptation par le sénateur Duffy des réponses de M. Wright à l'égard des conditions du sénateur Duffy. Lors de son témoignage en cour, M. Wright a indiqué croire qu'il s'agissait des conditions d'un « arrangement » entre le sénateur Duffy et lui-même.
Monsieur Wright a écrit que le 22 février 2013, le sénateur Gerstein lui a confirmé que le Fonds conservateur du Canada acceptait de rembourser les 32 000 $ d'indemnités de logement dans la région de la capitale nationale réclamées par le sénateur Duffy de même que ses frais juridiques.
Plus tard le même jour, le sénateur Duffy a consenti au scénario. La preuve documentaire démontre que le sénateur Duffy avait soulevé des objections auprès du Cabinet du Premier ministre et auprès du leadership conservateur au Sénat les jours précédents. Malgré ces objections, le sénateur Duffy a fait une déclaration publique télévisée dans laquelle il admettait avoir fait une erreur en réclamant des indemnités de subsistance et disait qu'il les rembourserait et qu'il s'abstiendrait de réclamer des indemnités de logement à l'avenir.
Le remboursement
Les premiers reportages des médias mentionnaient que les réclamations d'indemnités de logement du sénateur Duffy dans la région de la capitale nationale étaient de plus de 33 000 $.
Selon ces reportages, ce montant comprenait uniquement les réclamations d'indemnités de logement pour sa résidence secondaire.
La preuve documentaire démontre que le sénateur Duffy a demandé au sénateur Tkachuk, alors président du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, de déterminer « le montant à rembourser afin de régler toute l'affaire » [traduction]. M. Wright a affirmé qu'il avait demandé qu'on calcule le montant le plus élevé possible que le sénateur Duffy aurait pu réclamer.
Des courriels échangés entre des membres du Cabinet du Premier ministre démontrent que le 26 février 2013, le greffier du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a avisé le sénateur Tkachuk que le sénateur Duffy avait réclamé des indemnités quotidiennes pour les repas en plus des indemnités de logement, et que le montant total était d'environ 80 000 $. M. Wright a mentionné dans un courriel à un collègue du Cabinet du Premier ministre, après avoir reçu ces renseignements, qu'il était « plus que furieux » [traduction]. Cependant, il a mentionné dans ce courriel que tout serait repayé.
Monsieur Wright m'a dit qu'il trouvait « scandaleux » que le sénateur Duffy réclame une indemnité pour les repas qu'il prend dans sa propre demeure. M. Wright a dit qu'il croyait que le Fonds conservateur du Canada considérerait aussi cela comme scandaleux. M. Wright a indiqué que, lorsqu'il a plus tard été confirmé que la somme à rembourser dépassait les 90 000 $ (soit le montant d'environ 80 000 $ plus les intérêts), il « [croyait] que c'était dans l'intérêt du public de rembourser la somme » et « [croyait] toujours qu'il était dans nos intérêts politiques de traiter l'affaire, de la régler et de passer à autre chose » [traduction].
Monsieur Wright a affirmé que le 1er mars 2013, il a informé le sénateur Gerstein qu'il payerait la somme lui-même et qu'il a ensuite reçu confirmation du sénateur Gerstein que le Fonds conservateur du Canada n'aurait pas remboursé au sénateur Duffy ce montant plus élevé.
Monsieur Wright a écrit que le 22 mars 2013 il a organisé le transfert de fonds au bureau de l'avocate du sénateur Duffy. Puis, une traite bancaire a été remise en mains propres au bureau de l'avocate du sénateur Duffy le 26 mars 2013 avec la condition expresse que le jour même du transfert, un montant équivalent soit remis au receveur général du Canada pour le remboursement des dépenses de 90 172,24 $.
En mai 2013, le cabinet comptable Deloitte a finalement déterminé que le sénateur Duffy devait rembourser que 1 050.60 $ au receveur général du Canada.
Les fonctions de M. Wright alors qu'il était chef de cabinet du premier ministre
Dans ses représentations écrites, M. Wright a décrit de manière détaillée, et en citant plusieurs sources universitaires, son rôle officiel en tant que chef de cabinet du premier ministre ainsi que ses responsabilités relativement au Cabinet du Premier ministre. Ses nombreuses fonctions au sein du Cabinet du Premier ministre contribuaient à l'avancement du programme du gouvernement dans les deux chambres du Parlement. Ses fonctions comprenaient « la liaison avec le caucus », « les affaires parlementaires » et « la gestion des enjeux » [traduction]. Se référant à ces sources universitaires, M. Wright a ajouté que le Cabinet du Premier ministre était censé exercer ses activités « avec une vision politique » [traduction].
Dans une déclaration sous serment, M. Wright a décrit le rôle partisan qu'il a exercé à l'égard du Parti conservateur du Canada comme étant supplémentaire à son rôle de chef de cabinet. M. Wright a indiqué que son rôle partisan comprenait des interactions avec les divers représentants du Parti conservateur et des participations à des réunions en tant que représentant du chef du Parti conservateur du Canada. Il a écrit que toutes les décisions importantes du Parti, y compris les décisions financières concernant le Fonds conservateur du Canada, ne devaient pas être prises sans qu'il ait été consulté, et, dans la plupart des cas, sans avoir obtenu son approbation. M. Wright a dit que ces interactions partisanes étaient distinctes de ses interactions officielles en sa qualité de chef de cabinet. Le successeur de M. Wright à titre de chef de cabinet, M. Ray Novak, a affirmé dans une déclaration sous serment qu'il a tenu un double rôle semblable.
Monsieur Wright a noté dans sa déclaration sous serment que son rôle officiel à titre de chef de cabinet ainsi que son rôle partisan non officiel comprenaient tous les deux des dimensions politiques. Il a ajouté que la résolution des dépenses du sénateur Duffy « servait les intérêts politiques du gouvernement et du Parti conservateur » [traduction].
Monsieur Wright a reconnu que certaines des actions qu'il a prises afin de régler la controverse des réclamations du sénateur Duffy relevaient de ses fonctions officielles en tant que chef de cabinet, et il a écrit que celles-ci comprenaient :
- ses communications avec les employés du Cabinet du Premier ministre, l'avocate du sénateur Duffy et un conseiller en relations publiques, ainsi que les instructions données;
- ses communications directes et indirectes avec des sénateurs et des membres de leur personnel;
- ses révisions et ses commentaires des politiques, rapports, brouillons et documents;
- les avis fournis au gouvernement au sujet de politiques, de stratégies, de communications et de gestion des enjeux.
[traduction]
Monsieur Wright a aussi indiqué dans sa déclaration sous serment qu’il a utilisé soit son adresse courriel du Parti conservateur, soit son adresse de courriel personnelle, ainsi que son BlackBerry personnel, lorsqu’il menait des activités partisanes. Il a ajouté que c’était séparé et distinct de son adresse courriel du gouvernement ainsi que de son BlackBerry fourni par le gouvernement, qu’il n’utilisait pas à des fins partisanes.
Monsieur Wright m'a fourni des représentations détaillées sur les contraventions alléguées du paragraphe 6(1) et de l'article 9 de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
D'entrée de jeu, M. Wright a reconnu avoir commis des erreurs de jugement dans cette affaire, mais a soutenu, dans ses nombreuses représentations, que ces erreurs ne constituaient pas une contravention à la Loi. Il a expliqué que son intention dans cette affaire a toujours été de favoriser ce qu'il croyait sincèrement être les intérêts du gouvernement, ceux du premier ministre et du public, et qu'il n'avait pas comme objectif de favoriser les intérêts personnels du sénateur Duffy, et certainement pas les siens.
Monsieur Wright a admis, dans sa lettre du 28 mai 2013, que les gestes qu'il avait posés dans cette affaire, autres que ceux visant à obtenir ou fournir les fonds au sénateur Duffy, relevaient de ses fonctions officielles. Selon M. Wright, lorsqu'il a transféré la somme de 90 172,24 $ au sénateur Duffy, il n'agissait pas dans le cadre de ses fonctions officielles, puisque cela ne faisait pas partie de ses tâches de chef de cabinet.
Monsieur Wright a aussi écrit que ses fonctions ne requéraient pas qu'il fasse de cadeaux personnels et que ce paiement n'avait jamais été demandé ni proposé par un autre titulaire de charge publique et que son employeur ou son cabinet n'attendait certainement pas de lui qu'il le fasse. Il a indiqué que, comme il n'était pas dans l'obligation envers son employeur de faire ce qu'il a fait, il a agi hors de ses fonctions officielles et ce geste était entièrement de nature privée, et qu'il n'a donc pas contrevenu à la Loi.
Dans sa lettre du 28 mai 2013, M. Wright m'a aussi précisé que, contrairement à ce que les médias avaient rapporté en février 2013, le sénateur Duffy n'est pas et n'a jamais été un ami et qu'il n'avait pas consenti à lui éviter un blâme. Il considère le sénateur Duffy comme une relation professionnelle, sans plus, pareille à ses relations avec tout autre membre du caucus conservateur. Il écrit aussi qu'il n'a pas de lien de parenté avec le sénateur Duffy.
En ce qui concerne l'allégation relative au paragraphe 6(1) de la Loi, M. Wright m'a fourni un certain nombre d'arguments précis, énoncés plus bas, quant aux raisons pour lesquelles, selon lui, il n'a pas contrevenu à cette disposition.
Du point de vue de M. Wright, on ne peut interpréter son geste de verser 90 172,24 $ au sénateur Duffy comme une décision au sens du paragraphe 6(1) de la Loi. M. Wright a fait valoir que cela ôterait tout sens au terme « décision ». Il a avancé qu'en vertu de la Loi, prendre une décision implique davantage que de simplement poser un geste.
Monsieur Wright a avancé que, conformément aux règles d'interprétation bilingue des lois, il fallait examiner ensemble les versions anglaise et française du paragraphe 6(1) et qu'il fallait également examiner le paragraphe 6(1) à la lumière de l'article 4 de la Loi, qui circonscrit la définition de conflit d'intérêts.
Monsieur Wright a soutenu que pour que le paragraphe 6(1) s'applique, il ne suffit pas qu'une décision soit « liée » à une charge, parce que seule la version anglaise du texte comprend cette possibilité (avec la formule « related to the exercise… »); il soutient que la décision doit plutôt s'inscrire dans l'exercice réel de sa charge. Cette interprétation, selon M. Wright, est essentielle, parce qu'elle constitue l'élément commun des versions anglaise et française du paragraphe 6(1) de la Loi. M. Wright a aussi avancé qu'en l'absence du terme « related » à l'article 4, le conflit d'intérêts survient uniquement si le titulaire de charge publique exerce réellement un pouvoir officiel ou une fonction officielle.
Monsieur Wright estime aussi que la possibilité de favoriser un intérêt personnel aurait résulté du fait qu'il avait les moyens financiers de faire le paiement, et qu'elle ne résultait pas de l'exercice de sa charge.
De même, M. Wright estime qu'il faut davantage qu'un résultat passif ou qu'une conséquence non voulue. Il a déclaré que l'intérêt du sénateur Duffy n'avait pas été favorisé parce que M. Wright n'a rien fait dans le but d'affecter son intérêt.
Tout au long de l'affaire, M. Wright a maintenu que le sénateur Duffy était peut-être en droit, techniquement, de recevoir les allocations de subsistance, mais que du point de vue moral et politique, il n'aurait pas dû les demander.
Monsieur Wright est aussi d'avis que puisque le sénateur Duffy ne devait pas cet argent, le remboursement ne constituait pas un avantage pour le sénateur et que, par conséquent, M. Wright n'aurait pas favorisé l'intérêt personnel du sénateur Duffy. Selon M. Wright, quoi qu'il en soit, cela n'était pas irrégulier même si l'intérêt personnel du sénateur Duffy avait été favorisé. À son avis, pour conclure à une irrégularité il doit y avoir un traitement de faveur ou une contravention à une règle ou à une politique. Il faut plus qu'un vague sentiment que la conduite était fautive ou qu'elle était motivée par le désir de favoriser un intérêt personnel.
Monsieur Wright a aussi soutenu qu'au moment où il a fait le paiement, étant donné qu'il y avait des arguments convaincants selon lesquels le sénateur Duffy n'avait aucune obligation de rembourser, il n'aurait pas pu savoir qu'il favorisait l'intérêt personnel du sénateur Duffy et on ne pouvait s'attendre de façon raisonnable à ce qu'il le sache. Plus précisément, M. Wright a soutenu qu'il ne pouvait savoir ou ne pouvait raisonnablement être tenu de savoir quelque chose qui n'était pas vrai.
Monsieur Wright a ajouté qu'en aidant à résoudre la situation du sénateur Duffy, il protégeait l'intérêt politique du gouvernement, et non l'intérêt personnel du sénateur Duffy. Il a conclu qu'il n'avait pas contrevenu à la Loi, car « au sens de la Loi, les intérêts politiques ne sont pas des intérêts personnels » [traduction].
En ce qui concerne l'allégation relative à l'article 9 de la Loi, M. Wright a réitéré la distinction entre son rôle officiel de chef de cabinet et son « rôle partisan » comme membre du Parti conservateur du Canada et du Fonds conservateur du Canada.
La position de M. Wright est que c'est dans le cadre de son rôle partisan qu'il a approché le sénateur Gerstein, président du Fonds conservateur du Canada, pour savoir si le Fonds conservateur du Canada pouvait rembourser les dépenses du sénateur Duffy. De l'avis de M. Wright, le paiement qu'aurait pu verser le Fonds conservateur du Canada au sénateur Duffy n'aurait pas été différent de n'importe quel autre paiement discrétionnaire versé à des membres du Parti.
Monsieur Wright a aussi soutenu que, de façon générale, la Loi n'a jamais été censée s'appliquer à la participation d'un titulaire de charge publique à la prise de décision d'un parti politique et que, en particulier, l'article 9 ne s'applique pas à l'influence que les titulaires de charge publique politiques peuvent avoir sur les décisions que prennent les partis politiques.
Monsieur Wright a aussi avancé que les décisions des partis politiques ne sont pas couvertes par l'article 9 de la Loi parce qu'elles ne sont pas des personnes et que le Fonds conservateur du Canada agit uniquement en tant qu'agent principal du Parti conservateur du Canada.
Analyse
Relativement au paragraphe 6(1) de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), je dois déterminer si M. Wright a, en sa qualité de chef de cabinet du premier ministre, pris une décision ou participé à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge, et s'il savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'en prenant cette décision il se trouvait en situation de conflit d'intérêts.
Relativement à l'article 9 de la Loi, je dois déterminer si M. Wright s'est prévalu de ses fonctions officielles de chef de cabinet pour tenter d'influencer les décisions du sénateur Irving Gerstein et du Fonds conservateur du Canada de manière à favoriser de façon irrégulière les intérêts personnels du sénateur Mike Duffy.
Paragraphe 6(1) de la Loi
Le paragraphe 6(1) de la Loi est libellé ainsi :
6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts. | 6. (1) No public office holder shall make a decision or participate in making a decision related to the exercise of an official power, duty or function if the public office holder knows or reasonably should know that, in the making of the decision, he or she would be in a conflict of interest.
|
L’article 4 de la Loi énonce les circonstances dans lesquelles un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d’intérêts au sens de la Loi. En voici le libellé :
4.
Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne. |
4. For the purposes of this Act, a public office holder is in a conflict of interest when he or she exercises an official power, duty or function that provides an opportunity to further his or her private interests or those of his or her relatives or friends or to improperly further another person's private interests. |
Monsieur Wright soutient que le transfert de fonds au sénateur Duffy n'a pas fait l'objet d'une décision. M. Wright a affirmé qu'il n'a pas pris de décision dans cette affaire; il a simplement pris certaines mesures.
Monsieur Wright soutient que, dans l'alternative, s'il y avait eu une décision, celle‑ci n'aurait pas été prise dans l'exercice de sa charge; la décision ne serait donc pas visée par le paragraphe 6(1) de la Loi.
Je me concentrerai d'abord sur l'affirmation voulant que la décision n'ait pas été prise dans l'exercice de sa charge.
Je ne peux examiner le transfert de fonds entre M. Wright et le sénateur Duffy de façon isolée; je dois tenir compte de tout le contexte dans lequel les fonds ont été transférés pour déterminer si M. Wright exerçait sa charge.
Le 11 février 2013, M. Wright a pris le contrôle de l'enjeu politique à titre de chef de cabinet du premier ministre en demandant à son personnel de s'assurer que le leadership conservateur au Sénat se coordonne avec le Cabinet du Premier ministre avant qu'une action quelconque ne soit entreprise relativement aux réclamations du sénateur Duffy. Tous les courriels pertinents au sujet de cette affaire provenaient de l'adresse courriel professionnelle de M. Wright à titre de chef de cabinet, y compris ceux concernant le versement du 90 172,24 $.
Si M. Wright n'avait pas été chef de cabinet du premier ministre, il n'aurait pas été mis au courant de tous les aspects touchant cette affaire, il n'aurait pas indiqué au sénateur Duffy qu'il chercherait une solution au manque de fonds allégué par celui‑ci et n'aurait certainement pas imposé de conditions au versement de l'argent ayant servi au remboursement des réclamations des frais de subsistance du sénateur Duffy. En fait, M. Wright n'aurait peut‑être aucunement été impliqué dans cette affaire.
Le témoignage de M. Wright et la preuve documentaire recueillie démontrent que M. Wright a pris part à une série de négociations dans le but de régler l'enjeu politique qui avait été créé par les réclamations des frais de subsistance du sénateur Duffy, et ce, en établissant un scénario de remboursement. Le remboursement constituait l'un des éléments du scénario. Toutes les étapes du scénario ont été gérées et approuvées par M. Wright. Celui‑ci prenait les décisions à toutes les étapes, y compris celle du transfert de fonds au sénateur Duffy.
Je suis d'avis que M. Wright agissait dans l'exercice de sa charge de chef de cabinet du premier ministre lorsqu'il a « retenu » la proposition du sénateur Tkachuk du 20 février 2013 qui prévoyait mettre en place un scénario dans lequel le Sénateur Duffy serait remboursé. C'est également dans le cadre de ses fonctions de chef de cabinet qu'il a négocié les conditions supplémentaires du scénario avec le sénateur Duffy et son avocate. En fait, M. Wright a admis que toutes les mesures qu'il a prises relativement à cette affaire, mis à part le versement des fonds au sénateur Duffy, faisaient partie de ses responsabilités de gestion des enjeux.
À mon avis, ce versement remplissait l'une des conditions d'une entente conclue entre le Cabinet du Premier ministre et le sénateur Duffy concernant le remboursement des frais de subsistance contestés. Entre autres, ces conditions prévoyaient, notamment, un aveu d'erreur du sénateur Duffy, un engagement du sénateur Duffy à rembourser les frais réclamés et une entente selon laquelle ces argents seraient fournis au sénateur Duffy. En échange, le Cabinet du Premier ministre défendrait la qualification constitutionnelle du sénateur Duffy en matière de résidence et produirait des lignes de presse pour les représentants du gouvernement.
Bien qu'il soit évident que M. Wright n'avait pas l'obligation de fournir les fonds de sa poche, la preuve documentaire démontre que la fourniture de ces fonds s'est faite dans le cadre d'une entente entre le Cabinet du Premier ministre et le sénateur Duffy, entente prise dans l'exercice de la charge de M. Wright. M. Wright avait assuré le sénateur Duffy que l'argent lui serait fourni. Une fois le montant final dévoilé, M. Wright s'est lui-même chargé de résoudre l'affaire, à l'aide de ses propres fonds, pour mettre en œuvre l'entente. Le transfert des fonds ne peut donc pas être dissocié du scénario de remboursement.
Je porte maintenant mon attention sur l'affirmation selon laquelle le transfert de fonds entre M. Wright et le sénateur Duffy n'a fait l'objet d'aucune décision.
La preuve établit clairement que M. Wright a transféré 90 172,24 $ au sénateur Duffy, une somme qui devait servir à rembourser le montant que le sénateur Duffy a réclamé pour ses frais de subsistance et qu'il a reçu.
J'ai déterminé que toutes les mesures que M. Wright a prises pour gérer cet enjeu politique découlaient de l'approbation et de la mise en place du scénario de remboursement. L'intervention de M. Wright dans le remboursement des dépenses du sénateur Duffy faisait tout à fait partie de ses responsabilités concernant la gestion des enjeux politiques en sa qualité de chef de cabinet du premier ministre du Canada. Il s'agissait d'une décision que M. Wright a prise dans l'exercice de sa charge de chef de cabinet.
Monsieur Wright a présenté des arguments afin d'étayer la position selon laquelle je ne pourrais pas considérer que le paragraphe 6(1) couvre les décisions qui étaient seulement « liées à » la décision qu'il a prise ou à laquelle il a participé. Comme je l'ai expliqué plus haut, j'ai conclu que la décision en question a été prise directement dans l'exercice de la charge, et qu'elle n'était pas simplement liée à l'exercice de la charge. Il n'est donc pas nécessaire de régler la question complexe d'interprétation législative qui consiste à déterminer si le paragraphe 6(1) couvre les décisions qui sont seulement « liées aux » décisions prises ou auxquelles la personne concernée a participé.
Il reste à déterminer si M. Wright savait ou aurait dû raisonnablement savoir que sa décision le placerait en situation de conflit d'intérêts en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi. Selon l'article 4 de la Loi, il y a conflit d'intérêts lorsqu'un titulaire de charge publique favorise son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami, ou lorsqu'un titulaire de charge publique favorise de façon irrégulière l'intérêt personnel de toute autre personne.
Je suis d'avis que M. Wright n'a pas favorisé son propre intérêt personnel et qu'il n'existe aucun lien de parenté ni d'amitié entre lui et le sénateur Duffy au sens de l'article 4 de la Loi. Pour déterminer s'il existe un conflit d'intérêts dans le présent cas, je dois déterminer si M. Wright a favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel du sénateur Duffy.
Monsieur Wright a maintenu tout au long de l'étude que le transfert de fonds au sénateur Duffy était un cadeau personnel. Il a également affirmé que le sénateur Duffy avait techniquement droit au remboursement des frais relatifs à sa résidence secondaire, même si ce droit était moralement indéfendable.
La preuve démontre que le versement de 90 172,24 $ par M. Wright n'était pas simplement un cadeau puisqu'il était assorti de plusieurs conditions. Certaines de ces conditions — en particulier un aveu d'erreur — étaient contraires à la position du sénateur Duffy selon laquelle il n'avait pas à rembourser les dépenses parce que les règles n'étaient pas claires. Ces conditions étaient liées directement au versement de 90 172,24 $ avec pour objectif de régler l'enjeu politique que M. Wright avait identifié.
Selon M. Wright, aucun intérêt personnel n'était en jeu parce qu'aucune somme d'argent n'était due; il ne pouvait donc raisonnablement pas savoir que, en transférant les fonds au sénateur Duffy, il se plaçait en situation de conflit d'intérêts. En fait, lorsque les fonds ont été transférés, M. Wright n'avait pas connaissance des conclusions de l'examen que le cabinet Deloitte avait mené afin de déterminer si le sénateur Duffy devait rembourser les frais de subsistance qu'il a réclamés. En outre, le cabinet Deloitte a conclu que le sénateur Duffy devait rembourser 1 050,60 $.
Après l'élaboration de l'entente du remboursement coordonnée par M. Wright, le sénateur Duffy s'est publiquement engagé, le 22 février 2013, à rembourser ces sommes, lesquelles il a payées par la suite en utilisant les fonds versés par M. Wright. Le transfert d'argent de M. Wright au sénateur Duffy a favorisé les intérêts personnels du sénateur Duffy, évidemment ses intérêts financiers dans le présent cas, en lui évitant d'utiliser ses avoirs pour ce faire.
Le fait que M. Wright ait versé de l'argent au sénateur Duffy, en assortissant le versement de conditions et malgré l'opposition persistante du sénateur Duffy, était suffisamment grave pour que le dépôt d'accusations de rémunération interdite en vertu du paragraphe 16(3) de la
Loi sur le Parlement du Canada soit envisagé à l'encontre de M. Wright. Même si aucune démarche n'a été poursuivie concernant la question de l'illégalité du geste posé par M. Wright, je qualifierais certainement ce geste d'irrégulier.
Je suis donc d'avis qu'en offrant de l'argent au sénateur Duffy en contrepartie de son engagement de se conformer aux conditions énumérées dans l'entente, M. Wright a favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels du sénateur Duffy au sens de l'article 4 de la Loi. M. Wright savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'il était en situation de conflit d'intérêts dans cette affaire.
Pour les raisons ci-dessus, je conclus que M. Wright a contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi.
Article 9 de la Loi
L'article 9 de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de tenter d'influencer la décision d'une personne dans le but de favoriser de façon irrégulière les intérêts personnels d'un tiers.
Cette disposition se lit comme suit :
9. Il est interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
|
9. No public office holder shall use his or her position as a public office holder to seek to influence a decision of another person so as to further the public office holder's private interests or those of the public office holder's relatives or friends or to improperly further another person's private interests. |
Il existe des circonstances dans lesquelles des personnes reçoivent un paiement ou une indemnisation de la part de l'organe financier d'un parti politique. Pensons entre autres au paiement de frais juridiques ou d'allocations et du remboursement de déplacements partisans et de dépenses de divertissement. La présente étude n'a pas pour objet de commenter ou d'examiner le processus décisionnel du Fonds conservateur du Canada, pas plus qu'elle ne vise à étendre la portée de la Loi aux interactions politiques.
La présente étude porte uniquement sur la conduite de M. Wright et sa participation, en tant que titulaire de charge publique assujetti à la Loi, au remboursement des frais de subsistance engagés par le sénateur Duffy. À cet égard, je dois déterminer si M. Wright s'est prévalu de ses fonctions officielles de chef de cabinet pour tenter d'influencer le sénateur Gerstein et le Fonds conservateur du Canada dans le but de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel du sénateur Duffy.
Je ne souscris pas à l'argument de M. Wright selon lequel le Fonds conservateur du Canada n'est pas une personne morale compte tenu de son lien avec le Parti conservateur du Canada et que, par conséquent, il n'est pas assujetti à la Loi. Le Fonds conservateur du Canada est une organisation constituée en vertu d'une loi fédérale, à savoir la
Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif. Il a la capacité ainsi que tous les droits, pouvoirs et privilèges d'une personne physique.[2] Le Fonds est une personnalité juridique distincte du parti enregistré, qui, lui, est dépourvu de personnalité morale. Il est évident que le Fonds conservateur du Canada est une « personne » au sens de la Loi.
Dans le cadre de mon analyse en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi, j'ai conclu que tout ce que M. Wright a fait pour tenter de gérer l'enjeu politique a été fait en sa qualité de chef de cabinet du premier ministre du Canada. Cela inclurait ses interactions auprès du sénateur Gerstein et le Fonds conservateur du Canada pour obtenir l'argent nécessaire — une somme alors estimée à 32 000 $ — pour que le sénateur Duffy rembourse les indemnités de subsistance qu'il avait reçues.
Monsieur Wright a soutenu qu'il faut faire la distinction entre son rôle officiel de chef de cabinet et son rôle partisan à l'égard du Parti conservateur. Il a maintenu que ses interactions partisanes avec le Parti conservateur du Canada et le Fonds conservateur du Canada ne s'inscrivaient pas dans le cadre de son rôle officiel de chef de cabinet. Je ne suis pas d'accord en l'occurrence. La nature même du poste de M. Wright, particulièrement en ce qui a trait à la gestion des enjeux, fait en sorte qu'il est impossible de dissocier et de distinguer son rôle officiel de son rôle partisan dans l'affaire du sénateur Duffy.
Monsieur Wright a été informé le 20 février 2013, pendant les négociations qui avaient lieu dans le cadre de l'affaire, que le sénateur Duffy n'avait pas l'argent nécessaire pour rembourser le montant exigé. M. Wright a communiqué immédiatement avec le sénateur Gerstein pour savoir si le Fonds conservateur du Canada accepterait de verser les fonds requis pour le remboursement, ce qui faisait partie du scénario de remboursement convenu et approuvé par M. Wright en sa qualité de chef de cabinet.
Je suis d’avis que dans ses communications avec le sénateur Gerstein, M. Wright s’est prévalu de ses fonctions officielles de chef de cabinet du premier ministre pour tenter d'influencer le sénateur Gerstein et le Fonds conservateur du Canada afin qu’il rembourse les frais de subsistance du sénateur Duffy.
J’ai déjà conclu qu’en offrant des fonds au sénateur Duffy en contrepartie de son engagement de remplir les conditions énumérées dans l’entente, M. Wright aurait raisonnablement dû savoir qu’il favoriserait de façon irrégulière les intérêts personnels du sénateur Duffy. Je suis d’avis qu’un raisonnement semblable s’applique lorsque M. Wright cherchait à influencer une décision d’effectuer des paiements assortis de ces conditions, y compris le sénateur Gerstein et le Fonds conservateur du Canada.
Monsieur Wright a tenté d’influencer la décision du sénateur Gerstein et du Fonds conservateur du Canada pour couvrir les frais de subsistance du sénateur Duffy dans le but de favoriser de façon irrégulière les intérêts personnels du sénateur Duffy. Pour ces raisons, je conclus que M. Wright a contrevenu à l’article 9 de la Loi.
Conclusion
Pour les raisons énoncées ci-dessus, je conclus que M. Wright a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 9 de la Loi.
1 - Le Fonds Conservateur du Canada est régi par la
Loi canadienne sur les organismes à but non lucratif. Il s'agit de l'agent principal du Parti conservateur du Canada en vertu de la
Loi électorale du Canada et, en vertu de l'article 425 de cette loi, il est chargé des opérations financières du Parti conservateur.
2 -
Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23, para. 16(1).