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Rapport Verschuren

​​​​​​​PRéFAce​

Le présent rapport est soumis conformément à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) L.C. 2006, ch. 9, art. 2.

Le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique peut entreprendre une étude en vertu de la Loi à la demande d'une ou d'un parlementaire, comme c'est le cas de cette étude, ou de son propre chef.

Lorsque le commissaire amorce une étude à la demande d'un parlementaire, il est tenu de remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. En même temps qu'il remet son rapport au premier ministre, le commissaire en fournit une copie à la personne qui a fait la demande, à la ou au titulaire de charge publique ou à l'ex-titulaire de charge publique faisant l'objet du rapport, et le rend accessible au public.​

Sommaire

Le présent rapport fait état des conclusions de l'étude que j'ai réalisée en vertu de la Loi sur ​les conflits d'intérêts sur la conduite d'Annette Verschuren lorsqu'elle était présidente du conseil d'administration de Technologies du développement durable Canada (TDDC).

Après sa nomination à TDDC en juin 2019, Mme Verschuren a continué de siéger au conseil d'administration de deux sociétés sans but lucratif : le Centre Verschuren pour la durabilité de l'énergie et de l'environnement (le Centre Verschuren), qu'elle a fondé, et le District de la découverte MaRS (MaRS). Ces organismes sont des accélérateurs d'entreprises qui offrent aux entreprises au stade initial l'accès à du mentorat, à des investissements et à d'autres formes de soutien.

Elle continuait également d'être la présidente, la directrice générale et l'actionnaire majoritaire de NRStor inc., une société qu'elle a fondée. NRStor conçoit, détient et exploite des projets de stockage d'énergie.

On a allégué que Mme Verschuren était en conflit d'intérêts lorsqu'elle a participé à deux catégories de décisions de financement de TDCC. La première portait sur les entreprises qui avaient été nommées ou étaient liées au Centre Verschuren ou à MaRS. La seconde portait sur l'approbation de fonds d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 pour NRStor.

L'étude a porté sur le paragraphe 6(1) et les articles 9 et 21 de la Loi.

En vertu du paragraphe 6(1), les personnes qui sont titulaires de charge publique n'ont pas le droit de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de leur charge si elles savent ou devraient raisonnablement savoir que, ce faisant, elles pourraient se trouver en situation de conflit d'intérêts.

Comme indiqué à l'article 4, les personnes qui sont titulaires de charge publique se trouvent en situation de conflit d'intérêts lorsqu'elles exercent un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui leur fournit la possibilité de favoriser leur intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Au titre de l'article 9, les titulaires de charge publique n'ont pas le droit de se prévaloir de leurs fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser leur intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne. 

En vertu de l'article 21, les titulaires de charge publique doivent se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait les placer en situation de conflit d'intérêts. En se récusant, les personnes qui sont titulaires de charge publique ne se contentent pas de s'abstenir de voter; elles doivent se retirer physiquement de l'endroit où la question est débattue pour que leur simple présence n'influence pas la décision d'autrui.

J'ai examiné si Mme Verschuren, en tant que présidente du conseil d'administration de TDDC, a contrevenu à la Loi en s'abstenant de décisions du conseil d'administration d'approuver le versement de financement d'amorçage à des projets nommés par le Centre Verschuren ou la société MaRS, et d'une décision d'approuver la modification d'un projet de démarrage d'une entreprise avec laquelle le Centre Verschuren avait une relation d'affaires.

En raison de son rôle de membre du conseil d'administration de MaRS, du Centre Verschuren et de TDDC, Mme Verschuren a favorisé de façon irrégulière l'intérêt des bénéficiaires des fonds de TDDC versés aux entreprises liées à ces accélérateurs. Elle a suivi la pratique de s'abstenir du vote au lieu de se récuser, pratique qui, malheureusement, s'écarte de la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC et ne se conforme pas aux exigences de la Loi. J'ai donc conclu qu'elle a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi.

J'ai également examiné si Mme Verschuren avait contrevenu à la Loi en participant à deux décisions sur le versement de fonds d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 en mars 2020 et 2021 afin de favoriser son intérêt.

J'ai déterminé que les intérêts financiers de Mme Verschuren dans NRStor en lien avec ces décisions constituaient en effet un intérêt personnel aux termes de la Loi. Elle a participé à ces décisions en sachant que NRStor bénéficierait du financement. Ces décisions ont favorisé son intérêt personnel, et elle aurait dû se récuser. J'ai donc conclu qu'elle a contrevenu paragraphe 6(1) et l'article 21 de la Loi.

Enfin, j'ai cherché à savoir si Mme Verschuren s'était prévalue de ses fonctions officielles à titre de présidente du conseil d'administration de TDDC pour tenter d'influencer d'autres membres du conseil dans ces deux décisions sur le versement de fonds d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19, en présentant les motions sur les paiements afin de favoriser son intérêt personnel.

La preuve démontre que ce n'est pas Mme Verschuren qui a eu l'idée de verser des fonds d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 à des projets existants admissibles, et qu'elle n'a pas non plus participé à l'établissement des critères d'admissibilité ou des sommes à débourser. Au‑delà de sa participation aux discussions sur les propositions de la direction de TDDC et de la présentation des motions lors des réunions, aucun élément de preuve n'indique qu'elle a tenté d'influencer la décision de ses collègues. J'ai donc conclu qu'elle n'a pas contrevenu à l'article 9 de la Loi.

Je constate que le manque de cohérence dans les processus décisionnels du conseil d'administration de TDDC a contribué à ces contraventions. Le conseil n'a pas toujours suivi sa pratique habituelle consistant à examiner et à approuver individuellement les demandes de financement. Cette pratique aurait permis aux administratrices et administrateurs en situation de conflit d'intérêts de se récuser de certaines parties des réunions, comme l'a fait Mme Verschuren dans d'autres cas, conformément tant à la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC qu'à la Loi.​

Préoccupations et processus

Le 10 novembre 2023​, j'ai reçu une lettre de Michael Barrett, député de Leeds–Grenville–Thousand Islands et Rideau Lakes, me demandant d'entreprendre une étude en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) de la conduite de la présidente du conseil d'administration de Technologies du développement durable Canada (TDDC) de l'époque, Annette Verschuren, relativement à l'octroi d'un financement de TDDC à plusieurs projets.

Mme Verschuren est devenue titulaire de charge publique assujettie à la Loi lorsqu'elle a été nommée par le gouverneur en conseil au conseil d'administration de TDDC le 19 juin 2019.

Dans sa lettre, M. Barrett a indiqué que le témoignage livré par Mme Verschuren devant le Comité permanent de l'accès à l'information, de la vie privée et de l'éthique de la Chambre des communes le portait à croire que Mme Verschuren avait présenté une motion à une des réunions du conseil d'administration de TDDC en 2020 qui proposait l'octroi d'un financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 à un certain nombre d'entreprises, notamment à NRStor inc., dont elle est la présidente et première dirigeante et dont elle fait partie des bénéficiaires effectifs. Sur la foi des mêmes informations, M. Barrett a également indiqué dans sa lettre que l'entreprise de Mme Verschuren et les autres avaient reçu un autre paiement en 2021.

M. Barrett a allégué que selon les informations mentionnées précédemment, Mme Verschuren pourrait avoir contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 9 et 21 de la Loi.

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit aux personnes qui sont titulaires de charge publique, dans l'exercice de leur charge, de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision si elles savent ou devraient raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, elles pourraient se trouver en situation de conflit d'intérêts, notamment lorsque la décision offre la possibilité de favoriser leurs intérêts personnels ou ceux de leurs parents ou amis, ou de favoriser de façon irrégulière ceux de toute autre personne. L'article 9 de la Loi interdit aux titulaires de charge publique de se prévaloir de leurs fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser leur intérêt personnel ou de favoriser de façon irrégulière celui d'une autre personne. L'article 21 de la Loi oblige les titulaires de charge publique à se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote à l'égard de toute question qui pourrait les placer en situation de conflit d'intérêts.

Ayant déterminé que la demande de M. Barrett répondait aux exigences énoncées à l'article 44 de la Loi, j'ai écrit à Mme Verschuren le 16 novembre 2023 pour l'informer que j'avais entamé une étude visant à déterminer si elle avait contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 9 et 21 de la Loi.

Ma lettre à Mme Verschuren faisait également état d'une allégation distincte fondée sur des informations publiques voulant qu'elle ait approuvé, à titre de présidente du conseil d'administration de TDDC, du financement pour plusieurs entreprises soutenues par deux accélérateurs dont elle fait partie du conseil d'administration. Si cette allégation était fondée, Mme Verschuren pourrait avoir favorisé de façon irrégulière les intérêts de ces entreprises et contrevenu ainsi au paragraphe 6(1) de la Loi. En outre, elle ne se serait pas récusée, comme l'exige l'article 21, de la prise de décisions qui risquaient de la placer en situation de conflit d'intérêts.

Le 22 novembre 2023, Mme Verschuren a démissionné de son poste de présidente du conseil d'administration de TDDC.

M. Barrett m'a écrit le 27 novembre 2023 pour porter à mon attention d'autres projets financés par TDDC auxquels Mme Verschuren pouvait être liée en sa qualité de membre des conseils d'administration de Saputo et de CNRL, deux entreprises qui ont participé aux projets en question à titre de « membres du consortium ». Ces informations n'ont pas entraîné d'autres allégations.

Le 8 décembre 2023, à la suite d'une demande distincte de M. Barrett, j'ai entamé une étude de la conduite d'un autre membre du conseil d'administration de TDDC, Guy Ouimet, concernant sa participation aux votes tenus en 2020 et en 2021 sur le financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19.

Le 21 décembre 2023, Mme Verschuren a soumis une réponse détaillée, assortie de documents justificatifs, aux allégations dont j'avais fait état dans ma lettre du 16 novembre. Mme Verschuren a été soumise à une entrevue le 23 février 2024. Le Commissariat a interrogé deux autres témoins et a obtenu des informations et des documents auprès de trois autres témoins[​i]De plus, un ex-membre du personnel de TDDC a fourni au Commissariat un recueil de documents qui, en fin de compte, n'a pas été considéré dans le cadre de ce rapport. Certains témoignages et preuves documentaires recueillis ont été utilisés à la fois pour les rapports d'étude de Mme Verschuren et de M. Ouimet.

Conformément à la pratique du Commissariat, j'ai fourni à Mme Verschuren une copie de la preuve documentaire pertinente recueillie au cours de cette étude, ainsi qu'une ébauche de la partie factuelle du rapport d'étude (Préoccupations et processus, Faits, Questions à l'étude et Position de Mme Verschuren) avant qu'elle ne soit finalisée.

Lors de mon étude, j'étais conscient que le Bureau du vérificateur général effectuait également un audit sur la manière dont TDDC finance les technologies de développement durable. En outre, le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes et le Comité permanent de l'industrie et de la technologie de la Chambre des communes ont entrepris des études sur les préoccupations soulevées dans une plainte déposée par un groupe de dénonciateurs concernant les pratiques de TDDC, et j'étais au courant du témoignage de Mme Verschuren devant les deux comités. Les travaux du Bureau du vérificateur général et des comités de la Chambre des communes n'ont en aucun cas entravé le mien. Il est important de noter que cette étude a porté uniquement sur la conduite de Mme Verschuren en ce qui concerne ses obligations en vertu de la Loi.

Je tiens à souligner que les conclusions du rapport de la vérificatrice générale, publié le 4 juin 2024, concernent des décisions auxquelles participaient les deux catégories de personnes siégeant au conseil d'administration : celles qui, comme Mme Verschuren, sont nommées par le gouverneur en conseil et assujetties à la Loi, et celles qui ne le sont pas. De plus, les cas de conflits d'intérêts relevés par la vérificatrice générale se rapportent au Code de conduite et à la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC. 

Faits

Contexte

Technologies du développement durable Canada

​Technologies du développement durable Canada (TDDC, aussi la « Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable ») est une fondation à but non lucratif créée par le gouvernement du Canada en 2001 par l'intermédiaire de la Loi sur la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable​.

La gouvernance et la supervision des activités de TDDC sont assurées par un conseil d'administration et un conseil des membres de la Fondation. Le conseil d'administration est composé de deux catégories de personnes. La présidente ou le président et six autres administratrices ou administrateurs sont nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat n'excédant pas cinq ans, sur recommandation du ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie. Les huit autres administratrices et administrateurs sont nommés par les membres de la Fondation. Une fois leur mandat échu, les membres du conseil d'administration restent en fonction jusqu'à ce que leur successeur soit nommé.

Les objectifs et les buts de TDDC sont de fournir un financement pour des projets qui effectuent la mise au point et la mise à l'épreuve de nouvelles techniques favorisant le développement durable, notamment celles qui visent à apporter des solutions aux questions relatives aux changements climatiques et à la qualité de l'air, de l'eau et du sol.

TDDC rend compte au Parlement par l'entremise du ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie.

Volets de financement

Au cours de la période visée par cette étude, TDDC a financé des projets de technologies propres à l'aide de trois volets de financement dans le cadre du Fonds de technologies du DD : amorçage, démarrage et croissance.

Le financement d'amorçage fournit aux entreprises au stade initial une contribution ponctuelle non remboursable de 50 000 $ à 100 000 $ pour soutenir des projets qui pourraient apporter des avantages sur le plan de l'environnement ou du développement durable. Les entreprises qui présentent une demande doivent avoir obtenu un financement provenant d'autres sources privées et être nommées par l'un des partenaires accélérateurs approuvés par TDDC. Un accélérateur est un organisme qui offre aux entreprises au stade initial l'accès à du mentorat, à des investissements et à d'autres formes de soutien pour les aider à devenir stables et autonomes.

Les accélérateurs qui nomment le projet d'une entreprise candidate pour du financement d'amorçage doivent soumettre à TDDC un dossier de candidature décrivant les forces et les risques du projet, confirmant que l'entreprise a participé aux programmes ou qu'elle a utilisé les services de l'accélérateur et attestant que ce dernier ne déduira aucuns frais ou aucune commission de la contribution de TDDC destinée à l'entreprise. Les entreprises invitées à faire une demande fournissent alors à TDDC des informations techniques et financières détaillées concernant le projet. TDDC examine les demandes et invite les entreprises admissibles à présenter un exposé de cinq minutes devant un jury – composé habituellement d'au moins un membre du conseil d'administration de TDDC – dont les recommandations sont transmises au Comité d'examen des projets, et en dernier lieu, soumises pour approbation définitive au conseil d'administration.

Dans le cadre des ententes de contribution de financement d'amorçage, les coûts de projet admissibles peuvent inclure les services professionnels, scientifiques, techniques et contractuels, les essais en situation réelle, les fournitures et l'équipement, y compris les fournitures et le matériel de laboratoire et de terrain, ainsi que divers autres types de coûts tels que les salaires, l'impression, l'expédition et la traduction. La période maximale de financement est d'un an à partir de la date d'entrée en vigueur de l'entente, mais la contribution est payée en entier immédiatement. Les ententes de contribution exigent que les entreprises qui reçoivent un financement d'amorçage fassent rapport de leurs progrès à TDDC, de tout autre financement obtenu et de tout changement important apporté à leur entreprise.

Le financement de démarrage est destiné aux entreprises dont la technologie a été éprouvée à petite échelle, se révèle prometteuse, est susceptible d'apporter un avantage environnemental et est prête à être validée sur le marché. Les entreprises doivent participer à un processus de financement concurrentiel et peuvent recevoir jusqu'à 10 millions de dollars sur une période pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Semblable au financement de démarrage, le financement de croissance est destiné aux entreprises à forte croissance, dont les résultats environnementaux sont établis et qui cherchent à accélérer leur croissance et à élargir leur clientèle. Les propositions de projets sont évaluées en fonction de leurs avantages pour l'environnement, de leur maturité technologique, de leur plan d'affaires et de leur accès au marché, de leur force d'innovation technologique, de leur capacité de gestion et de leur solidité financière.

Dans le cadre des volets de financement de démarrage et de croissance, les projets sont dirigés par les entreprises candidates et soutenus par un « consortium ». À TDDC, le partenaire de consortium est une « une organisation qui n'est pas liée au candidat au financement et qui souhaite apporter une contribution au projet à prix coûtant. » Les partenaires de consortium ne peuvent pas tirer d'avantages liés au projet pendant la durée de celui-ci. Le rôle attendu des partenaires consiste plutôt à assumer une partie des risques liés au projet. Ce n'est que plus tard, une fois que la technologie a fait ses preuves et qu'elle est commercialisée, que les partenaires peuvent éventuellement en retirer des bénéfices.

Conseil d'administration

​​La Loi sur la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable exige que le conseil d'administration de TDDC soit représentatif des spécialistes de la mise au point et de la mise à l'épreuve des techniques favorisant le développement durable – notamment celles qui visent à apporter des solutions aux questions relatives aux changements climatiques et à la qualité de l'eau, de l'air et du sol – qu'il soit représentatif des milieux d'affaires, et qu'il dispose de connaissances suffisantes au sujet des techniques favorisant le développement durable.

​L'article 24 de la Loi sur la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable interdit au conseil d'administration de déléguer à quiconque, y compris à un de ses comités, son pouvoir d'autoriser l'octroi d'un financement à des projets admissibles, établissant ainsi le pouvoir exclusif du conseil d'administration de prendre des décisions de financement pour TDDC.

Les travaux du conseil d'administration sont soutenus par les comités de vérification, de gouvernance et de nomination, du personnel et de la culture, et d'examen des projets. Ces comités fonctionnent indépendamment de la direction, ont un rôle consultatif et ne disposent pas d'un pouvoir de décision indépendant. Ils rendent compte au conseil d'administration par l'intermédiaire des présidentes et présidents des comités. Les personnes qui occupent les postes de présidence du conseil d'administration et de direction générale de TDDC siègent aux comités en tant que membres d'office, sans droit de vote. 

Le Comité de vérification aide le conseil d'administration à s'assurer que TDDC respecte ses obligations fiduciaires en matière de gestion financière, de vérification et d'établissement de rapports. Le Comité de gouvernance et de nomination examine les politiques de gouvernance et évalue les mesures de conformité, comme celles liées au Code de conduite et à la Politique sur les conflits d'intérêts pour le conseil d'administration de TDDC, et examine et discute des risques opérationnels importants auxquels TDDC est exposé. Le Comité du personnel et de la culture est chargé d'informer le conseil d'administration sur le rendement de la direction générale, la structure organisationnelle et les avantages sociaux. Le Comité d'examen des projets examine les propositions de projets et soumet des recommandations de financement au conseil d'administration pour approbation. 

Politique sur les conflits d'intérêts pour le conseil d'administration de TDDC

​​Jusqu'à l'entrée en vigueur d'un nouveau Code de déontologie en novembre 2023, tous les membres du conseil d'administration de TDDC étaient assujettis au Code de conduite et à la Politique sur les conflits d'intérêts (la Politique). Les administratrices et administrateurs nommés par le gouverneur en conseil sont également assujettis à la Loi sur les conflits d'intérêts en tant que titulaires de charge publique. Les administratrices et administrateurs nommés par les membres de la Fondation ne sont pas légalement liés par la Loi. Dans leur serment d'office, qui doit être signé chaque année, tous les membres du conseil d'administration reconnaissent avoir lu et compris la Politique.

La Politique, un document accessible au public, définit des normes de conduite concernant la manière dont les administratrices et administrateurs sont censés remplir leurs fonctions au sein du conseil d'administration, notamment en « [agissant] avec honnêteté et bonne foi » et en fournissant des informations sur les projets proposés « en se fondant exclusivement sur les mérites de l'analyse de rentabilité présentée ». En vertu de la Politique, les personnes qui siègent au conseil d'administration doivent également « être informé[es] de la législation en vertu de laquelle la Fondation a été créée, ainsi que des règlements et politiques de TDDC dans la mesure où ils concernent le conseil d'administration » et « faire preuve de diligence et de dévouement dans la préparation des réunions du conseil d'administration ». La Politique prévoit également des restrictions sur les activités de négociation de titres.

La s​​ection 3 de la Politique prévoit que les administratrices et les administrateurs sont tenus de respecter les obligations des titulaires de charge publique énoncées dans la Loi sur les conflits d'intérêts, même celles et ceux qui ne sont pas légalement liés par cette Loi. La Politique fournit également une description de ce qu'est un conflit d'intérêts qui reflète la formulation de l'article 4 de la Loi, mais l'étend également aux situations qui peuvent raisonnablement être perçues comme donnant lieu à un conflit d'intérêts.

Procédures du conseil d'administration en matière de conflits d'intérêts

Les procédures à suivre par les administratrices et administrateurs pour la divulgation des conflits d'intérêts concernant les entreprises qui ont demandé un financement à TDDC figurent à la section 5 de la Politique.

En vertu de la Politique, avant qu'une liste de projets proposés ne soit présentée au Comité d'examen des projets, puis à l'ensemble du conseil d'administration pour examen et approbation, les administratrices et administrateurs reçoivent, pour chaque projet proposé, le nom de la personne qui présente une demande et des membres du consortium, ainsi qu'une brève description du projet. Dès réception de ces informations, ils doivent déclarer à TDDC, par écrit, tout conflit d'intérêts potentiel, réel ou perçu, ou répondre qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts avec l'un des projets proposés, avant de recevoir des informations supplémentaires sur les projets.

La preuve documentaire et les témoignages démontrent que, plusieurs semaines avant chaque réunion du conseil d'administration, un courriel du personnel de TDDC était envoyé aux membres du conseil pour leur demander de déclarer tout conflit d'intérêts « réel ou perçu » avec un ou plusieurs des projets énumérés dans un tableau d'information joint au courriel. Ce tableau contenait les noms des entreprises proposant des projets et les noms et titres des membres de leur équipe de gestion, ainsi que les noms des membres du consortium et une description d'un paragraphe des projets proposés. Lorsque les projets du volet de financement d'amorçage étaient soumis à l'approbation des administratrices et administrateurs, des informations similaires, mais plus succinctes, étaient diffusées de la même manière et au même moment. Un résumé de deux pages de la Politique, intitulé « Révision des lignes directrices relatives aux conflits d'intérêts » [traduction], était également joint au courriel.

Les administratrices et administrateurs déclaraient leurs conflits en répondant à tous les destinataires du courriel original. Après avoir répondu au courriel de demande de déclaration, ils pouvaient ensuite accéder, par l'intermédiaire d'un portail en ligne, à des informations détaillées sur tous les projets pour lesquels ils n'avaient pas déclaré de conflit. À ce moment-là, le personnel de TDDC mettait également à jour le registre interne des conflits d'intérêts, le cas échéant, en ajoutant les nouveaux conflits déclarés.

La section 5 de la Politique décrit plus en détail la procédure à suivre lors des réunions des administratrices et administrateurs au cours desquelles les projets proposés sont examinés :

Chaq​ue ordre du jour des réunions du comité d'examen des projets et des réunions du conseil d'administration consacrées à l'approbation des financements comprendra, avant tout examen des projets proposés, un point exigeant la déclaration et l'enregistrement de tout conflit potentiel. Dans le cas où un conflit a été déclaré, l'administrateur·rice ou le membre du comité concerné doit se récuser des délibérations sur le(s) projet(s) proposé(s), avec lequel/lesquels il est en conflit. Pour plus de clarté, la récusation implique que l'administrateur ou le·la membre du comité quitte la salle de réunion ou la conférence téléphonique et ne participe en aucune manière aux discussions ou au vote sur le(s) projet(s) proposé(s).

Activités de Mme Verschuren avant de rejoindre le conseil d'administration de TDDC

Avant d'être nommée présidente du conseil d'administration de TDDC le 19 juin 2019, Mme Verschuren participait à diverses activités qui ont un lien avec les affaires visées par la présente étude.

En 2010, Mme Verschuren a fondé le Centre Verschuren pour la durabilité de l'énergie et de l'environnement (le Centre Verschuren), qui est un accélérateur de technologies propres, et a siégé à son comité consultatif. Elle a également siégé à son conseil d'administration sur une base volontaire et sans rémunération depuis la constitution du Centre Verschuren en tant que société sans but lucratif le 25 juillet 2019, ayant été initialement créé comme partie de l'Université du Cap Breton, en Nouvelle-Écosse. Le mandat du Centre Verschuren est de contribuer à la croissance des petites et moyennes entreprises de technologies propres en vue de mettre au point de nouvelles technologies durables et de les commercialiser en Nouvelle-Écosse ou ailleurs au Canada et d'avoir une incidence positive sur les objectifs mondiaux de développement durable.

Mme Verschuren a fondé NRStor inc. en 2012 et assume les fonctions de présidente et de première dirigeante de l'entreprise, dont elle est également l'actionnaire majoritaire. NRStor conçoit, détient et exploite des projets de stockage d'énergie au moyen de technologies émergentes ou non conventionnelles. Dans la réalisation de ses projets, NRStor forme généralement un partenariat avec d'autres entreprises et parties intéressées.

En mai 2018, le District de la découverte MaRS (MaRS) a annoncé la nomination de Mme Verschuren à la présidence de son conseil d'administration. Mme Verschuren assume les fonctions de présidente sur une base volontaire et sans rémunération. MaRS est un grand centre d'innovation sans but lucratif et un accélérateur, qui est établi à Toronto, en Ontario, et qui fournit toute une série de services et de mesures de soutien aux entreprises dans les domaines de la médecine et des technologies propres. MaRS loue également des espaces de bureau à certaines entreprises, dont NRStor. Pendant son entrevue, Mme Verschuren a précisé qu'elle avait déclaré ce conflit d'intérêts au conseil d'administration de MaRS, qui avait consigné cette information dans ses dossiers.

Mme Verschuren a aussi siégé au conseil d'administration de deux entreprises qui étaient membres du consortium pour des projets qui ont reçu du financement de démarrage ou de croissance de TDDC à la suite de demandes de financement. Dans certains cas, les projets avaient été approuvés avant la nomination de Mme Verschuren. Dans les autres, Mme Verschuren a déclaré son conflit d'intérêts et s'est récusée des discussions et des votes liés au projet lors des réunions du conseil d'administration, comme en font état les procès-verbaux des réunions en question.

Nomination de Mme Verschuren au conseil d'administration de TDDC

Le cabinet du ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie a communiqué avec Mme Verschuren en avril 2019 pour discuter de la possibilité de sa nomination à la présidence du conseil d'administration de TDDC. Des discussions subséquentes se sont tenues avec le Bureau du Conseil privé en mai 2019.

Dans une déclaration écrite de conflit d'intérêts datée du 13 mai 2019 qui faisait partie de sa demande concernant la possibilité de nomination, Mme Verschuren a déclaré des conflits d'intérêts possibles avec NRStor, CNRL et le Centre Verschuren. Dans le cas de NRStor, elle a mentionné le financement que l'entreprise recevait de TDDC à l'époque, et a ajouté qu'il « pourrait y avoir d'autres demandes de financement à l'avenir dont je devrais évidemment me récuser [...] » [traduction].

Dans ses présentations écrites, Mme Verschuren a déclaré que lors des discussions avec le ministre de l'époque, Navdeep Bains, et le sous-ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique de l'époque, John Knubley, qui se sont tenues avant sa nomination, elle avait soulevé le fait que NRStor recevrait vraisemblablement du financement de TDDC, en supposant que le projet financé serait mené à terme. Mme Verschuren a compris que l'octroi de financement de TDDC à NRStor était lié à des critères objectifs établis dans une entente préexistante, et que les décisions à cet effet seraient prises par le personnel de TDDC, et non pas par le conseil d'administration.

Mme Verschuren a également consulté une conseillère à la conformité du Commissariat, le 4 juin 2019, avant sa nomination. Mme Verschuren se souvient d'avoir discuté des conflits d'intérêts potentiels que sa nomination pourrait entraîner, dont ceux avec NRStor, le Centre Verschuren et MaRS. La conversation a également porté sur ce que devrait faire Mme Verschuren s'il y avait d'éventuels conflits d'intérêts. Les avis donnés à Mme Verschuren indiquaient que le conflit d'intérêts avec NRStor et d'autres conflits d'intérêts potentiels ne l'empêcherait pas d'accepter la nomination pourvu que les règles établies dans la Loi sur les conflits d'intérêts soient suivies, notamment l'obligation de se récuser de toute discussion ou décision qui pourrait la placer en situation de conflit d'intérêts.

Après sa nomination par décret le 19 juin 2019, Mme Verschuren a écrit ce qui suit au conseiller à la conformité à qui elle avait parlé auparavant : « Je voudrais obtenir votre avis officiel sur toute mesure qui devrait être prise en sus des mesures établies dans les lignes directrices sur les conflits d'intérêts de TDDC pour gérer tout conflit d'intérêts perçu ou potentiel » [traduction]. Le courriel était accompagné d'une copie de la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC.

Dans sa réponse à la demande de Mme Verschuren le 28 juin 2019, un gestionnaire de la division des Conseils et de la conformité au Commissariat a indiqué qu'en se conformant aux politiques de TDDC, Mme Verschuren « soutiendrait sans aucun doute [son] obligation de respecter la Loi sur les conflits d'intérêts [...] » et qu'elle devrait obtenir des directives précises à l'égard des politiques de TDDC. Le gestionnaire a précisé également à Mme Verschuren que le Commissariat « tient compte uniquement de [sa] conformité avec la Loi et, par conséquent, [elle est] tenue de connaître les obligations prévues dans cette même loi » [traduction]. Il a finalement mentionné que le Commissariat répondrait à toute question qu'elle pourrait avoir sur le sujet.

Le même jour, Mme Verschuren a également reçu une lettre que le commissaire à l'époque, Mario Dion, transmettait aux titulaires de charge publique nouvellement nommés, accompagnée d'un sommaire des règles énoncées dans la Loi sur les conflits d'intérêts qui s'appliquent aux titulaires de charge publique, ainsi qu'une copie du texte intégral de la Loi. Voici un extrait de la lettre :

J'aim​erais attirer votre attention sur le fait que même si un Code de conduite (le Code) s'applique aux personnes nommées dans votre organisation, vous êtes tout de même tenue de vous conformer aux dispositions de la Loi. La conformité avec le Code n'entraîne pas automatiquement la conformité avec la Loi, même dans le cas de dispositions similaires. [Traduction]


Dans sa réponse à la lettre du commissaire, Mme Verschuren a indiqué : « Je confirme avoir compris mes obligations au titre de la Loi sur les conflits d'intérêts » [traduction]. Mme Verschuren n'a pas eu d'autres contacts avec le Commissariat par la suite, jusqu'au début de l'étude.

Un dossier interne d'une page de TDDC qui présente un résumé du projet financé de NRStor indique que le 27 juin 2019, NRStor avait présenté une demande liée à un deuxième projet, qui a été annulée « en prévision » de la nomination de Mme Verschuren au conseil d'administration. À son entrevue, Mme Verschuren a indiqué qu'elle était intervenue pour que la demande provenant de NRStor soit retirée aussitôt qu'elle en a été mise au courant. Même si la date de sa nomination officielle était le 19 juin 2019, Mme Verschuren a assisté à sa première réunion du conseil d'administration à titre de nouvelle présidente entrante le 18 septembre 2019.

Programme de financement d'amorçage de TDDC

Le financement d'amorçage de TDDC a été lancé comme programme pilote en 2019 avec un groupe initial de 10 accélérateurs invités à recommander des projets. La première liste de projets dans le cadre du programme pilote a été approuvée par le conseil d'administration le 7 mai 2019. Selon les documents obtenus tels que des copies des rapports annuels de TDDC, les procès-verbaux de réunions du conseil d'administration, les ententes de financement et la liste publique de projets financés par TDDC, le conseil d'administration de TDDC a approuvé le financement d'amorçage de 208 projets entre mai 2019 et juin 2023.

Procédures du conseil d'administration pour l'approbation du financement d'amorçage

L'approbation de l'enveloppe de financement d'amorçage faisait partie des points de consentement à l'ordre du jour. Selon les témoignages des trois témoins interrogés, la présidente du conseil d'administration passait habituellement en revue lors des réunions les points à consentement figurant à l'ordre du jour, dont l'enveloppe de financement d'amorçage pour le cycle de financement courant. Il mentionnait ensuite les conflits d'intérêts déclarés concernant le financement des projets d'amorçage et demandait aux membres de présenter une motion pour proposer l'approbation de l'ordre du jour. Selon Leah Lawrence, présidente et directrice générale de TDDC de 2015 à 2023, le conseil d'administration procédait de cette manière, puisque le financement d'amorçage de tous les projets avait déjà été évalué dans le cadre d'un processus interne rigoureux. Lors des réunions, le conseil d'administration approuvait simplement l'enveloppe dans son ensemble, et non pas chaque projet individuellement.

Dans les cas où une administratrice ou un administrateur avait déclaré un conflit d'intérêts lié à un projet dans l'enveloppe de financement d'amorçage, cette personne votait sur la motion concernant les points de consentement à l'ordre du jour pour approuver l'enveloppe de financement d'amorçage, mais indiquait toutefois son abstention par rapport au projet lié au conflit d'intérêts déclaré. Cette pratique est décrite dans le procès-verbal de la réunion et a été confirmée par tous les témoins lors de leur entrevue respective.

Le vote sur la motion se faisait à main levée des personnes en faveur. Les abstentions des administratrices et administrateurs concernant les projets qui les plaçaient en conflit d'intérêts faisaient l'objet d'une note. En règle générale, le conseil d'administration de TDDC fonctionnait par consensus, ce qui veut dire que les membres discutaient des points à l'ordre du jour jusqu'à l'obtention d'un consensus sur la manière de procéder. Selon Mme Lawrence, lors de certaines réunions, le financement d'amorçage a été retiré des points de consentement à l'ordre du jour pour faire l'objet de discussions. Cependant, cette pratique n'est étayée dans aucun des procès-verbaux de réunion examinés dans le cadre de la présente étude.

Participation de MaRS et du Centre Verschuren au programme de financement d'amorçage

Selon les documents fournis par ces deux organisations, le Centre Verschuren et MaRS ont été invités à nommer des projets pour le financement d'amorçage pour la première fois le 12 mai 2020.

Dans les représentations écrites fournies dans le cadre de l'étude, Mme Beth Mason, présidente et directrice générale du Centre Verschuren, a déclaré que Mme Verschuren n'était pas au courant des communications entre le Centre et TDDC concernant le programme de financement d'amorçage et que la question n'avait pas été discutée au conseil d'administration du Centre.

Krista Jones, directrice générale intérimaire de MaRS à l'époque, a déclaré elle aussi dans ses représentations que Mme Verschuren ne semble pas avoir participé aux communications ou aux discussions avec des membres du personnel de MaRS ou d'autres membres du conseil d'administration au sujet du volet de financement d'amorçage de TDDC, notamment de l'inclusion de MaRS à la liste des accélérateurs approuvés et des nominations subséquentes de projets. Elle a indiqué que MaRS gère le soutien qu'il fournit aux entreprises à l'interne, indépendamment de son conseil d'administration.

À son entrevue, Mme Verschuren a déclaré que lors des réunions du conseil d'administration de MaRS ou du Centre Verschuren, aucune discussion n'avait eu lieu sur le programme de financement d'amorçage de TDDC, que ce soit sur la participation de l'organisation au programme ou sur la nomination des entreprises pour le financement dans le cadre du programme. Ces deux aspects ont été gérés à l'interne.

Pendant la période comprise entre mai 2020 et juin 2023, 12 projets ont été nommés par MaRS et 9 projets ont été nommés par le Centre Verschuren pour le financement d'amorçage de TDDC.

Abstentions de Mme Verschuren par rapport aux votes sur le financement d'amorçage

Lors de quatre réunions, Mme Verschuren a déclaré un conflit d'intérêts et s'est abstenue de voter sur un point de consentement à l'ordre du jour concernant le financement d'amorçage. Ces votes portaient sur cinq entreprises candidates nommées par MaRS et cinq nommées par le Centre Verschuren.

Mme Verschuren a confirmé pendant son entrevue qu'elle ne détenait pas d'intérêts personnels dans les entreprises candidates pour le financement d'amorçage et qu'elle déclarait automatiquement un conflit d'intérêts pour tout projet nommé par MaRS ou par le Centre Verschuren. Une note à cet effet avait été versée au registre sur les conflits d'intérêts tenu par TDDC.

Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer la relation entre MaRS et les entreprises que celle‑ci avait nommée pour le financement d'amorçage de TDDC, Mme Jones, de MaRS, a écrit que MaRS n'exige pas de frais pour les services offerts aux entreprises, sauf pour les billets vendus pour certains événements tels que des conférences, et pour les entreprises qui louent des espaces de bureau au sein du complexe de MaRS. Selon les documents fournis, deux entreprises qui ont reçu du financement d'amorçage sont ultérieurement devenues des locataires de MaRS, dans les deux cas plus d'un an après l'approbation de leur demande de financement par le conseil d'administration de TDDC.

Des questions ont également été posées à Mme Mason, du Centre Verschuren, sur la relation entre le Centre et les entreprises nommées par celui‑ci pour le financement d'amorçage. Dans ses représentations écrites, Mme Mason a fourni une description générale des types de biens et de services offerts par le Centre à chacune des entreprises qu'il avait nommées pour le financement d'amorçage, de même que des documents contenant la liste des sommes payées par ces entreprises au Centre en échange de ces biens et services. Au cours de l'année suivant l'approbation du financement d'amorçage par le conseil d'administration de TDDC, les sommes s'élevaient à des montants variant, selon l'entreprise, entre quelques milliers de dollars et des dizaines de milliers de dollars. Pendant son entrevue, Mme Verschuren a confirmé qu'elle savait que les entreprises paient pour au moins certains des services que leur fournit le Centre Verschuren.

Abstentions et récusations non consignées

En outre, lors de quatre autres réunions, Mme Verschuren a dérogé de sa pratique habituelle consistant à déclarer un conflit d'intérêts ou à s'abstenir lors de votes sur le financement d'amorçage.

À deux de ces réunions, une déclaration de conflit d'intérêts de la part de Mme Verschuren a été notée dans les documents remis aux participantes et participants pour quatre projets nommés par MaRS et trois projets nommés par le Centre Verschuren, mais aucune abstention n'a été notée au procès-verbal des réunions en question. Aux deux autres réunions, même si trois projets nommés par MaRS et qu'un projet nommé par le Centre Verschuren ont été soumis pour approbation du conseil, aucune déclaration de conflit d'intérêts n'a été inscrite dans les documents remis aux personnes participant aux réunions, et aucune abstention n'a été notée dans les procès-verbaux. Dans trois de ces quatre réunions, les abstentions de certains autres membres du conseil concernant le financement d'amorçage ont été notées dans les procès-verbaux.

Lorsque Mme Verschuren a été invitée à regarder les documents liés à ces cas décrits précédemment pendant son entrevue, elle n'a pas pu expliquer pourquoi aucune déclaration n'apparaissait dans les documents ou pourquoi aucune note d'abstention n'avait été inscrite dans les procès-verbaux. Selon son témoignage, même si elle avait examiné chaque fois attentivement la liste des projets nommés pour le financement d'amorçage, il semblerait qu'elle n'ait pas remarqué que certains projets avaient été nommés par MaRS ou par le Centre Verschuren, et qu'elle ne s'était donc pas abstenue de voter.

Les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration ont été préparés par Ed Vandenberg, avocat retenu pour fournir des services juridiques à TDDC et qui était également secrétaire de séance du conseil d'administration. Pendant son entrevue, M. Vandenberg a expliqué que le rôle de secrétaire de séance dont il s'acquittait depuis environ 2013 consistait à assurer une bonne gouvernance pendant les réunions du conseil d'administration ainsi qu'à consigner les décisions et à préparer les procès-verbaux.

Lorsqu'il a été invité, pendant son entrevue, à examiner un des cas décrits précédemment, M. Vandenberg a déclaré que l'absence de note liée à l'abstention de Mme Verschuren découlait peut-être d'une erreur de sa part. Interrogée sur le processus de révision et de mise au point des procès-verbaux des réunions du conseil d'administration, Mme Lawrence a déclaré pendant son entrevue que de son point de vue, les procès-verbaux étaient soigneusement révisés et ajustés à l'interne au besoin, et devraient être considérés comme exacts. Elle a également déclaré que des changements importants étaient rarement apportés aux procès-verbaux lors des réunions du conseil d'administration.

Volets de financement de démarrage et de croissance

Procédure du conseil d'administration pour l'approbation de financement de démarrage et de croissance

La pratique habituelle pour les projets des volets de financement de démarrage et de croissance consistait à examiner et à voter sur les projets individuellement. Dans les cas de conflits d'intérêts, les récusations des administratrices et administrateurs en conflit étaient consignées dans le procès-verbal des réunions du conseil d'administration. Tous les témoins interrogés ont confirmé que dans les cas où une récusation avait lieu, la personne concernée quittait physiquement la salle (ou était déplacée dans une salle d'attente virtuelle séparée, selon le cas) avant que la discussion sur le projet ne commence et ne revenait à la réunion qu'une fois le vote sur une motion de financement du projet terminé.

Les récusations de Mme Verschuren

Au cours de 11 réunions du conseil d'administration, Mme Verschuren s'est récusée 14 fois de discussions et de votes sur des demandes de financement de démarrage ou de croissance. Les procès-verbaux de chacune des réunions indiquaient qu'elle avait quitté la réunion et qu'elle y était retournée seulement après la présentation du projet et la tenue de la discussion et du vote.

Les raisons pour lesquelles Mme Verschuren avait déclaré ces conflits donnant lieu à des récusations étaient, dans la plupart des cas, énoncées dans la réponse que cette dernière donnait au courriel initial de chaque cycle de financement et reportées dans le registre interne des conflits d'intérêts tenu par TDDC. Ces raisons allaient de l'existence d'une relation entre l'entreprise candidate et MaRS ou le Centre Verschuren, à un lien personnel existant ou antérieur avec un membre de la direction de l'entreprise, ou encore, dans un cas, l'entreprise en question étant une concurrente de NRStor. Comme il a été mentionné précédemment, deux récusations découlaient aussi de la participation de Mme Verschuren à des conseils d'administration de sociétés.

Abstention de Mme Verschuren en raison d'un conflit d'intérêts potentiel

En janvier 2023, le conseil d'administration a approuvé la modification d'un projet de l'entreprise Kraken Sense pour laquelle un financement de démarrage avait été approuvé un an plus tôt. Mme Verschuren s'était récusée de la discussion et du vote sur le projet à l'époque en raison de l'association entre l'entreprise et le Centre Verschuren. Selon les informations et les documents obtenus du Centre Verschuren, le Centre fait payer des frais à Kraken Sense pour l'utilisation d'installations spécialisées et la fourniture de matériaux de façon continue depuis 2021.

La modification apportée au projet soumis pour approbation au conseil d'administration à la réunion du 19 janvier 2023 était l'ajout d'un paiement d'étape et la majoration du financement de 40 %. Le document de déclaration de conflit d'intérêts remis avant la réunion indiquait que Mme Verschuren avait déclaré un conflit d'intérêts avec Kraken Sense. À la réunion, la modification du projet a été votée dans le cadre d'un bloc de projets dont le financement avait été approuvé sans présentation détaillée ni discussion, et ce, même si le projet n'était pas un point de consentement à l'ordre du jour. Le procès-verbal de la réunion indiquait que Mme Verschuren s'était abstenue de voter sur le projet de Kraken Sense.

Paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19

Conflit d'intérêts potentiel de Mme Verschuren avec NRStor

En juin 2017, NRStor a fait une demande de financement à TDDC pour un projet de construction d'une installation de stockage par air comprimé à Goderich, en Ontario, en partenariat avec l'entreprise Hydrostor inc. et l'Université de Waterloo. Ces deux organisations figurent en tant que membres du consortium dans la liste des projets financés par TDDC. Dans son entrevue, Mme Verschuren a expliqué que NRStor était l'entreprise qui avait développé le projet et que, pour leur part, Hydrostor essayait de démontrer la viabilité de la technologie à air comprimé et l'Université de Waterloo souhaitait mener des recherches sur l'utilisation de la caverne de sel comme réservoir d'air comprimé.

Le conseil d'administration de TDDC a approuvé le financement de 2 123 526 $ pour le projet Goderich le 20 septembre 2017, et une entente de contribution entre TDDC et NRStor a été conclue le 14 janvier 2018. Un premier versement de 714 510,15 $ était payable immédiatement, soit à une date antérieure à la nomination de Mme Verschuren à sa charge publique. D'autres versements ont ensuite été effectués à chaque paiement d'étape, mais Mme Verschuren n'a pas participé aux décisions sur l'octroi des fonds. Selon les détails du projet présentés dans un document en annexe de l'entente de contribution, NRStor devait être le principal bailleur de fonds pour le projet. De leur côté, Hydrostor et l'Université de Waterloo devaient fournir un soutien substantiel en nature. Le document indique également une autre source de financement public.

Dans ses représentations écrites, Mme Verschuren a expliqué que NRStor développait normalement ses propres projets en tant qu'entité distincte dans le cadre d'une société en commandite, et que c'était le cas du projet Goderich. Tous les fonds versés par TDDC à NRStor ont été investis dans la société en commandite et la comptabilisation complète de l'utilisation de ces fonds a été fournie à TDDC conformément à l'entente de contribution.

En août 2019, NRStor a transféré ses intérêts dans le projet en échange d'un montant symbolique à Hydrostor pour des raisons liées au rôle et aux intérêts de chacun des partenaires dans les résultats du projet. Mme Verschuren a également affirmé qu'elle avait cessé de s'impliquer dans les décisions liées au projet Goderich dès son entrée en fonction comme présidente du conseil d'administration de TDDC en juin 2019 et que la participation de NRStor au projet avait été prise en charge par le vice-président de l'entreprise.

Le Registre des entreprises de l'Ontario montre que la société en commandite NRStor Goderich CAES LP a été créée en décembre 2015 avec la société par actions NRStor Goderich CAES GP inc. comme associée commanditée. Cette dernière a elle aussi été inscrite au Registre en décembre 2015 avec Mme Verschuren comme administratrice. En décembre 2021, Mme Verschuren a cessé d'être inscrite au Registre comme administratrice de la société.

Selon Mme Verschuren, dont les propos sont corroborés par les documents financiers provenant de NRStor, la société en commandite a dépensé un total d'environ 26,5 millions de dollars dans le projet Goderich, auquel NRStor et Hydrostor ont contribué environ 8,5 millions de dollars et 15 millions de dollars respectivement. La contribution totale de TDDC (fournie à NRStor et non prise en compte dans le montant de 8,5 millions de dollars) était de 2 341 187,42 $, ce qui inclut le montant approuvé initialement par le conseil d'administration en 2017 et deux paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 en mars 2020 et 2021. Il convient de noter que NRStor a contribué aux dépenses du projet pour une somme supérieure aux fonds reçus de TDDC et transférés à la société en commandite, y compris pendant la période qui a suivi la vente de ses intérêts dans le projet à Hydrostor.

Paiement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 en mars 2020

Le 11 mars 2020, la COVID-19 a été déclarée pandémie par l'Organisation mondiale de la Santé. Le 18 mars 2020, la frontière canado-américaine a été fermée pour tous les déplacements non essentiels, et les provinces et territoires ont mis en place diverses restrictions de rassemblement et mesures d'auto-isolement.

Mme Lawrence a déclaré qu'à l'époque, le personnel et les membres du conseil d'administration s'inquiétaient pour les entreprises financées par TDDC, car la plupart d'entre elles ne généraient aucun revenu. Elle a indiqué que le gouvernement fédéral n'avait pas encore annoncé de mesures de soutien pour les entreprises ne générant pas de revenus et que, par conséquent, il y avait un sentiment d'urgence, tant au sein du personnel qu'au sein du conseil d'administration, quant à la nécessité d'intervenir.

Mme Lawrence a déclaré que le personnel de TDDC avait été chargé de proposer des approches et des scénarios. Selon la documentation, le personnel a communiqué avec les dirigeantes et dirigeants de plus de la moitié des entreprises financées pour comprendre l'état de leurs activités et leurs besoins découlant des restrictions liées à la pandémie. Selon Mme Lawrence, cette activité a amené la direction de TDDC à proposer l'idée de fournir un financement provisoire aux entreprises pendant que l'industrie attendait que le gouvernement fédéral annonce des programmes de soutien pour les entreprises ne générant aucun revenu.

Conseils juridiques demandés par Mme Lawrence

Mme Lawrence a déclaré avoir appelé M. Vandenberg pour obtenir des conseils juridiques sur la proposition. Pendant son appel avec M. Vandenberg, elle a décrit les grandes lignes de la proposition de paiement provisoire aux entreprises financées par TDDC. Elle a déclaré avoir demandé à M. Vandenberg des conseils en matière de gouvernance sur la manière dont TDDC devait procéder à l'approbation au sein du conseil d'administration, compte tenu des conflits d'intérêts de ses membres.

Selon Mme Lawrence, M. Vandenberg lui a dit qu'étant donné que chaque projet serait traité de la même manière du point de vue des critères et de l'approche, il n'était pas nécessaire d'avoir des motions séparées pour les administratrices et administrateurs ayant des conflits d'intérêts directs ou perçus. Mme Lawrence a déclaré qu'elle avait accepté son conseil.

M. Vandenberg a déclaré qu'au cours de l'appel, Mme Lawrence a expliqué qu'il s'agirait d'un financement supplémentaire qui aurait une portée générale et qui serait fourni à tous les projets, sans exemptions. Sur cette base, il lui a dit qu'étant donné qu'aucune décision particulière n'était prise concernant une entreprise précise, il n'était pas nécessaire de déclarer les conflits d'intérêts, puisque ceux-ci avaient déjà été déclarés lorsque les décisions initiales de financement avaient été prises. M. Vandenberg a également déclaré qu'il lui avait dit qu'il serait incorrect de considérer l'affaire comme un ensemble de décisions individuelles, étant donné qu'il s'agissait d'une décision générale.

Selon M. Vandenberg, les conflits d'intérêts ont toujours été au premier plan dans l'esprit de toutes les personnes participant aux réunions du conseil d'administration lorsqu'une décision de financement était prise. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas suggéré, par excès de prudence, que les administratrices et administrateurs ayant un conflit d'intérêts se retirent du vote, M. Vandenberg a déclaré que cela aurait laissé entendre qu'il ne s'agissait plus d'un financement de portée générale fourni à chaque entreprise selon un pourcentage de financement. Selon M. Vandenberg, cela n'aurait pas été dans l'esprit de la proposition. Selon lui, il s'agissait d'une décision sur laquelle chaque administratrice et administrateur avait la responsabilité de se prononcer, ce qui n'aurait pas eu lieu si les personnes ayant déclaré des conflits d'intérêts s'étaient récusées.

Mme Lawrence a déclaré qu'elle ne se souvenait pas que M. Vandenberg ait mentionné des termes comme « portée générale » ou « vaste catégorie », termes que l'on retrouve dans la Loi sur les conflits d'intérêts. Elle et M. Vandenberg ont tous deux déclaré que cette Loi n'avait pas été mentionnée au cours de leur discussion. Mme Lawrence a déclaré que la question des « conflits d'intérêts » a été soulevée dans le contexte des processus et procédures qui régissent TDDC. M. Vandenberg a déclaré que ses conseils juridiques étaient fondés sur sa connaissance générale de la gouvernance et de la manière dont elle doit être mise en œuvre.

Tant Mme Lawrence que M. Vandenberg ont déclaré qu'ils n'avaient pas envisagé la possibilité que le quorum ne soit pas atteint en raison des conflits d'intérêts de certains administrateurs et administratrices.

Les règlements administratifs de TDDC fixent les exigences en matière de quorum pour les réunions du conseil d'administration. L'article 6.05 des règlements administratifs énonce qu'une majorité des administrateurs en exercice constitue le quorum nécessaire à l'examen des affaires lors de toute réunion du conseil d'administration.

Selon Mme Lawrence, le quorum était évalué par l'administrateur de la gouvernance de TDDC au début de chaque réunion. Selon M. Vandenberg, si le quorum est atteint pour commencer une réunion, toute décision nécessite seulement la majorité des administratrices et administrateurs habilités à voter sur cette question. Par conséquent, les exigences en matière de quorum continueraient d'être respectées même si un nombre réduit d'administratrices et d'administrateurs prenait part à un vote donné.

Réunion d'urgence du conseil d'administration du 23 mars 2020

Pendant son entrevue, Mme Verschuren s'est rappelé avoir eu une discussion avec Mme Lawrence quelques jours après le début de la pandémie sur les difficultés touchant les entreprises du portefeuille de TDDC et la possibilité de leur fournir une forme de soutien général.

Selon la preuve documentaire, le 20 mars 2020, Mme Lawrence a informé les administratrices et administrateurs qu'une réunion d'urgence du conseil d'administration se tiendrait le 23 mars afin d'aborder la situation. Le courriel les informait des mesures prises par le personnel de TDDC pour communiquer avec les entreprises du portefeuille et indiquait : « Nous sommes prêts, sous réserve de l'approbation du conseil d'administration et des discussions avec ISDE [Innovation, Sciences et Développement économique Canada], à procéder à une injection immédiate de liquidités dans nos entreprises au cours des quatre prochaines semaines, la première tranche étant versée dès le 31 mars » [traduction]. Le courriel ne demandait pas aux administratrices et administrateurs de divulguer leurs conflits d'intérêts avant la réunion, comme c'est généralement le cas lorsque des décisions de financement doivent être prises.

Les documents relatifs à la réunion d'urgence ont été mis à la disposition des membres du conseil le 20 mars 2020. Il s'agissait d'un ordre du jour et de deux documents justificatifs : une présentation de cinq diapositives expliquant le contexte de la réunion et résumant la proposition à discuter, et un document intitulé « Augmentation proposée de 5 % de la contribution de TDDC pour les projets actifs – FAQ » [traduction].

Treize administratrices et administrateurs ont assisté à la réunion du 23 mars 2020, dont Mme Verschuren. Selon le procès-verbal de la réunion, qui a été préparé par M. Vandenberg, Mme Lawrence a noté que le personnel de TDDC avait contacté les entreprises financées par TDDC et que l'information reçue était utilisée pour élaborer des solutions et des approches visant à résoudre les difficultés à court, moyen et long termes rencontrées par les entreprises dans le contexte de la pandémie. La réponse immédiate à court terme de TDDC était de fournir un soutien aux entreprises afin de leur donner plus de temps pour évaluer les effets et mettre en œuvre de nouvelles mesures pour renforcer la résilience à plus long terme.

Le procès-verbal indique également que Mme Lawrence avait discuté de la question des conflits d'intérêts avec M. Vandenberg. Étant donné que tous les projets avaient déjà été examinés et approuvés pour le financement selon les procédures normales, que cette proposition était une question opérationnelle, que toutes les entreprises étaient traitées sur un pied d'égalité et qu'aucune entreprise ne faisait l'objet d'un traitement différencié, il avait été déterminé qu'aucune administratrice et aucun administrateur n'avait de conflit d'intérêts réel ou perçu lié à la proposition en raison d'un intérêt qu'il pouvait avoir dans une entreprise particulière.

Proposition de la direction

Selon le procès-verbal de la réunion et les documents justificatifs, les préoccupations de l'industrie ont conduit à recommander un paiement supplémentaire immédiat de 5 % sur la base des montants de contribution précédemment approuvés à toutes les entreprises ayant un contrat actif en place et des projets en cours, y compris les projets du volet de financement d'amorçage. Dans le cadre de cette proposition, environ 126 projets bénéficieraient d'une augmentation de financement pour un total d'environ 18,6 millions de dollars, ce qui représenterait un paiement moyen de 148 000 $ aux entreprises individuelles. La majeure partie du financement devait être versée avant la fin du mois de mars 2020. Pour les entreprises n'ayant pas encore conclu de contrat avec TDDC, l'objectif était de conclure un contrat de projet le plus rapidement possible afin de fournir une aide sous la forme d'un premier paiement d'étape. Selon les documents justificatifs, la proposition visait à permettre à TDDC d'apporter rapidement son soutien aux entreprises sans créer de charge administrative supplémentaire.

En ce qui concerne les projets du volet de financement d'amorçage, Mme Lawrence et M. Vandenberg se souviennent tous deux que les administratrices et administrateurs étaient d'avis que l'application des 5 % aux projets du volet de financement d'amorçage serait un montant trop faible pour constituer une aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19. M. Vandenberg a expliqué qu'afin de rendre le montant du financement utile, les membres du conseil ont décidé qu'un pourcentage plus élevé de paiement devait être fourni. Finalement, le paiement minimum a été fixé à 15 000 $ pour ces projets.

M. Vandenberg et Mme Lawrence ont tous deux déclaré que le changement d'approche visant à introduire un montant minimum pour certaines entreprises n'a pas donné lieu à d'autres discussions concernant les conflits d'intérêts, étant donné qu'aucune ventilation selon des entreprises particulières n'avait été dressée.

Lors de son entrevue, Mme Verschuren a déclaré que ni elle ni aucun autre administratrice et administrateur n'avait soulevé de préoccupations concernant les conflits d'intérêts après avoir pris connaissance des conseils juridiques de M. Vandenberg relayés par Mme Lawrence. Selon sa compréhension de la situation de conflit d'intérêts, puisque tous les conflits avaient été déclarés et que les décisions à prendre allaient toucher toutes les entreprises de la même manière, il n'était pas nécessaire que les administrateurs se récusent. Selon Mme Verschuren, la discussion lors de la réunion avait surtout porté sur les risques encourus par les entreprises et sur la recommandation de la gestion.

Décision du conseil d'administration

Selon le procès-verbal, Mme Verschuren, en tant que présidente, a alors proposé la motion 94-B-01 : « Que le conseil d'administration augmente de 5 % les versements pour toutes les entreprises qui sont actuellement dans le portefeuille actif afin de tenir compte des considérations de minimis, en particulier pour les entreprises du volet de financement d'amorçage » [traduction]. La décision a été approuvée à l'unanimité.

Mme Verschuren a confirmé qu'elle savait que NRStor recevrait un financement supplémentaire si le conseil d'administration votait en faveur de la motion, mais elle ne savait pas quel était ce montant à l'époque. Elle n'avait pas non plus fait de démarches pour confirmer que le paiement avait été bel et bien reçu. Ces propos ont été confirmés par Mme Lawrence, qui a déclaré que le conseil avait été invité à voter sur l'approche et le mécanisme pour le versement des paiements plutôt que sur les montants individuels.

Selon la preuve documentaire, 118 entreprises ont reçu un paiement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19. Le montant lié au projet Goderich que NRStor a reçu était de 106 176 $. 

Paiement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 en mars 2021

Selon Mme Lawrence, un an après le début de la pandémie, le sentiment d'urgence et l'inquiétude persistaient pour les entreprises qui recevaient un financement de TDDC, ainsi que pour le secteur canadien des technologies propres dans son ensemble. Les entreprises étaient confrontées à des confinements continus et avaient du mal à accéder aux produits.

Réunion spéciale du conseil d'administration du 9 mars 2021

Pendant son entrevue, Mme Verschuren s'est rappelé avoir eu une discussion avec Mme Lawrence au sujet des effets persistants de la pandémie sur les entreprises financées par TDDC. Elle savait que TDDC avait mené un sondage auprès des entreprises de son portefeuille et que les informations recueillies indiquaient que celles‑ci auraient besoin de plus de soutien pour relever les défis continuels. Mme Verschuren a confirmé qu'elle n'avait pas reçu ce sondage et qu'elle n'y avait donc pas répondu au nom de NRStor.

Le 9 mars 2021, une réunion spéciale du conseil d'administration a été organisée pour discuter des efforts de reprise après la pandémie. Quatorze administratrices et administrateurs ont assisté à la réunion, dont Mme Verschuren.

En préparation de la réunion, le 2 mars 2021, ces derniers ont reçu un ordre du jour contenant un point intitulé « Effort de reprise après la pandémie pour accélérer l'adoption des technologies climatiques au Canada » [traduction], ainsi qu'un document préparé par le personnel de TDDC décrivant les difficultés auxquelles étaient confrontées les entreprises en raison des restrictions de voyage en cours dues à la pandémie et des facteurs internationaux comme les investissements mondiaux dans les technologies climatiques. Le document soulevait le fait que les idées, les emplois et les capacités de production associées dans le domaine des technologies climatiques, ainsi que les infrastructures de capitaux privés, pourraient être transférés hors du Canada. Selon ce document, il était donc urgent de développer le marché intérieur, de renforcer les chaînes d'approvisionnement et d'accélérer la croissance des projets des technologies climatiques.

Contrairement à ce qui s'est produit dans le contexte de la réunion sur les mesures d'aide de mars 2020 sur les mesures d'aide, la question des conflits d'intérêts n'a pas été soulevée en mars 2021. Mme Lawrence a déclaré par ailleurs qu'elle n'avait pas contacté M. Vandenberg pour obtenir des conseils juridiques avant cette réunion.

Proposition de la direction

Selon le procès-verbal de la réunion, Mme Lawrence a présenté au conseil une proposition visant à accorder une augmentation aux entreprises qui avaient un contrat actif et des activités en cours et qui étaient sur le point d'achever leur projet.

Outre les informations contextuelles, les critères de financement, qui figuraient également en annexe du document distribué aux administratrices et administrateurs avant la réunion, ont également été présentés. En ce qui concerne les entreprises ayant un contrat actif avec TDDC, les projets du volet de financement de croissance à revenus positifs avec une clientèle établie recevraient une augmentation pouvant aller jusqu'à 10 %, car ils étaient plus proches du marché et avaient de plus grands besoins. Tous les autres projets admissibles recevraient une augmentation de leur contribution de TDDC pouvant aller jusqu'à 5 %. Les entreprises dites « diplômées » qui n'avaient pas de projet actif avec TDDC, mais qui généraient des revenus et démontraient une croissance, pourraient recevoir jusqu'à 100 000 $. Les projets du volet de financement d'amorçage n'ont pas été inclus dans la proposition.

Selon la documentation, les entreprises seraient encouragées à utiliser les fonds pour développer des partenariats et acquérir des clients dans la chaîne d'approvisionnement nationale, dans le but de renforcer le marché national des technologies climatiques.

Mme Lawrence a déclaré que des contacts plus fréquents avec les entreprises tout au long de la pandémie ont permis au personnel de TDDC de mieux comprendre les besoins des entreprises et la manière dont le personnel pouvait assurer au mieux la surveillance et le soutien. Cela a permis de développer une approche plus nuancée en fournissant différents niveaux de financement supplémentaire.

Selon la preuve documentaire et les témoignages, dont celui de Mme Verschuren, ni la question des conflits d'intérêts ni les conseils juridiques de M. Vandenberg fournis en mars 2020 n'ont été soulevés au cours de la réunion.

Décision du conseil d'administration

Selon le procès-verbal de la réunion, Mme Verschuren, en tant que présidente, a alors proposé la motion 100(B).01 : « Que le conseil d'administration approuve la recommandation de fournir 25 millions de dollars de fonds pour soutenir les entreprises dans leurs efforts pour développer des partenariats et acquérir des clients dans la chaîne d'approvisionnement nationale » [traduction]. La motion a été approuvée à l'unanimité.

Mme Verschuren a confirmé qu'elle savait à l'époque que NRStor recevrait un paiement si le conseil votait en faveur de la motion. Selon sa compréhension des critères établis dans la proposition de la direction, NRStor n'était pas admissible à l'augmentation de 10 %.

Selon les documents préparés par le personnel de TDDC après la réunion du conseil, 102 entreprises ont reçu un financement supplémentaire. NRStor a reçu une augmentation de 5 % du financement lié au projet Goderich pour un montant de 111 485 $.

Liens de Mme Verschuren avec d'autres entreprises qui ont reçu des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19

Des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 ont été versés à plusieurs entreprises pour des projets comprenant un partenaire du consortium dont le conseil d'administration comptait Mme Verschuren parmi ses membres. Je fais remarquer que selon les règles du financement de démarrage et de croissance de TDDC, les membres du consortium ne peuvent pas retirer d'avantages directs ou immédiats des projets qu'ils soutiennent. Par conséquent, les intérêts de Mme Verschuren dans les décisions sur les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 pour des projets comprenant un partenaire de consortium sont trop ténus pour entraîner un conflit d'intérêts.

Mme Verschuren s'était dans le passé récusée, pour d'autres motifs, de discussions et de décisions du conseil par rapport à deux autres entreprises qui ont reçu de l'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19. Elle n'a d'intérêts financiers dans ni l'une ni l'autre de ces entreprises.

Aucune entreprise ayant reçu le financement d'amorçage parce qu'elle avait été nommée par MaRS ou par le Centre Verschuren n'a reçu de paiement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19, puisque ces deux organisations ont été invitées pour la première fois à nommer des entreprises pour le financement d'amorçage en mai 2020 (c.‑à‑d. après la réunion du 23 mars 2020). Par ailleurs, aucun paiement n'a été versé aux entreprises qui recevaient du financement d'amorçage en mars 2021.

Questions à l'étude

Les que​stions à l’étude sont les suivantes :​

1. Mme Verschuren a‑t‑elle contrevenu au paragraphe 6(1) et à l’a​rticle 21 de la Loi sur les conflits d’intérêts (la Loi) en participant aux décisions sur le financement d’amorçage, de démarrage et de croissance impliquant MaRS et le Centre Verschuren, et en omettant de se récuser de ces décisions?

2. a) Mme Verschuren a‑t‑elle contrevenu a​u paragraphe 6(1) et à l’article 21 de la Loi en participant à deux décisions sur le financement d’aide d’urgence dans le contexte de la COVID‑19 dont bénéficierait NRStor, et en omettant de se récuser de ces décisions?

b) Mme Vers​churen a‑t‑elle contrevenu à l’article 9 de la Loi en se prévalant de sa fonction de présidente du conseil d’administration de TDDC pour tenter d’influencer d’autres membres du conseil dans les mêmes deux décisions sur le financement d’aide d’urgence dans le contexte de la COVID‑19?

Position de Mme Verschuren

Les représentations écrites du 21 décembre 2023, Mme Annette Verschuren traitent de sa participation aux décisions du conseil d'administration de TDDC d'approuver le financement d'amorçage pour des entreprises nommées par deux accélérateurs auxquels elle est autrement liée, de même que de sa participation à des décisions prises par le conseil consistant à verser deux paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 à NRStor, entreprise qu'elle avait fondée et qu'elle dirige. Mme Verschuren soutient qu'elle n'a pas contrevenu à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).

Quant aux décisions sur le financement d'amorçage, Mme Verschuren a affirmé que MaRS et le Centre Verschuren n'avaient pas reçu d'avantages pécuniaires lorsque les entreprises qu'ils ont nommées ont reçu du financement de TDDC et que l'un et l'autre de ces accélérateurs sont des organismes sans but lucratif soucieux de l'intérêt public.

Se référant à la position soutenue depuis longtemps par le Commissariat voulant qu'un intérêt personnel au sens de la Loi se rapporte principalement à un intérêt de nature financière, Mme Verschuren, qui a siégé aux conseils d'administration de MaRS et du Centre Verschuren sur une base volontaire, n'avait pas d'intérêt personnel dans les décisions en question. Elle n'a pas non plus favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels de l'une ou l'autre des organisations, puisque ces dernières sont des organismes sans but lucratif.

Mme Verschuren a aussi soutenu avoir déclaré les conflits d'intérêts perçus avec MaRS et le Centre Verschuren et s'être abstenue par rapport aux décisions du conseil d'administration concernant leurs nominations, même si la Loi ne l'exigeait pas, pour respecter les critères plus élevés établis dans la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC et par excès de prudence.

Enfin, selon Mme Verschuren, l'abstention était une mesure tout à fait appropriée, puisque les approbations pour le financement d'amorçage faisaient partie des points de consentement à l'ordre du jour des réunions du conseil d'administration et qu'aucune discussion de fond sur les entreprises candidates n'avait eu lieu. Dans ces circonstances, une déclaration de conflit d'intérêts et une abstention ont mené au même résultat qu'une récusation.

Concernant les décisions du conseil d'administration sur les paiements d'aide d'urgence liés à la COVID‑19, du point de vue de Mme Verschuren, le contexte de ces décisions était important étant donné l'immense incertitude économique engendrée par la pandémie. Ces décisions, qui étaient recommandées par la direction de TDDC, ont été prises pour répondre aux préoccupations graves sur la viabilité des entreprises émergentes que TDDC soutenait déjà.

Mme Verschuren a également soutenu que les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 s'appliqueraient à toutes les entreprises financées par TDDC, dont aucune ne recevait de traitement préférentiel. Selon elle, les membres du conseil d'administration ne disposaient pas d'une liste d'entreprises lorsqu'ils ont pris les décisions et aucune discussion ne s'est tenue sur des entreprises en particulier, puisque les projets avaient déjà été approuvés auparavant. Le conseil d'administration votait sur l'enveloppe de financement et sur les critères employés pour le versement des paiements. Le montant de la somme à verser à chaque entreprise était déterminé par le personnel de TDDC en fonction des critères approuvés, particulièrement dans le cas du deuxième paiement, où les entreprises pourraient bénéficier de différents niveaux de soutien.

Par conséquent, selon Mme Verschuren, les décisions concernant l'approbation des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 étaient des décisions « de portée générale » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. Ainsi, tout intérêt financier que Mme Verschuren avait dans le financement additionnel alloué à NRStor ne favorisait pas son « intérêt personnel » au sens de la Loi, et sa participation aux votes ne l'avait pas placée dans une situation de conflit d'intérêts au sens de l'article 4. Vu autrement, mais avec le même résultat, ces décisions touchaient les intérêts de Mme Verschuren uniquement en tant qu'individu faisant partie d'une « vaste catégorie de personnes », au sens du paragraphe 2(1) de la Loi, regroupant quiconque détenait des intérêts dans le portefeuille actif de TDDC des entreprises qui recevraient du financement d'urgence.

Mme Verschuren a également soutenu qu'en participant aux votes concernant les deux décisions de financement, elle et les autres membres du conseil d'administration avaient agi conformément aux conseils juridiques selon lesquels les récusations n'étaient pas nécessaires, puisque les conflits d'intérêts réels ou perçus avaient déjà été déclarés et que les administratrices et administrateurs en situation de conflit d'intérêts s'étaient récusés des discussions et des décisions initiales concernant le financement des projets.

Finalement, l'objet des décisions du conseil d'administration sur les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 n'était pas d'enrichir Mme Verschuren ou n'importe qui d'autre. En prenant ces décisions, le conseil d'administration exerçait plutôt de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire lui permettant de verser des fonds additionnels aux entreprises conformément au mandat de TDDC. Les décisions ont été prises pour éviter que le climat économique qui régnait à l'époque n'entraîne de conséquences dévastatrices pour le secteur canadien des technologies propres.

Analyse et conclusion

Au cours de cette étude, j'ai passé en revue tous les cycles de financement présidés par Annette Verschuren, présidente du conseil d'administration de Technologies du développement durable Canada (TDDC) de l'époque. J'ai examiné plus précisément son intérêt dans chacune des discussions ou chacun des votes auxquels elle a participé afin de déterminer l'existence d'un conflit potentiel. Je souligne par ailleurs que Mme Verschuren a régulièrement divulgué les cas où il y avait un conflit perçu et s'est récusée, ce qui va au-delà des exigences de la Loi. Aucune de ces situations n'a soulevé de préoccupations quant à l'existence de contraventions à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).

Je dois donc déterminer si Mme Verschuren s'est placée en situation de conflit d'intérêts en ce qui concerne deux affaires qui seront traitées séparément : la première porte principalement sur le financement d'amorçage et la seconde sur les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19.

Question à l'étude n° 1 : participation aux décisions sur le financement d'amorçage, de démarrage et de croissance impliquant MaRS et le Centre Verschuren

La première question qui fait l'objet de l'étude concerne la participation de Mme Verschuren aux décisions du conseil d'administration d'approuver le financement de projets qui avaient été nommés par le District de la découverte MaRS (MaRS) ou le Centre Verschuren pour la durabilité de l'énergie et de l'environnement (le Centre Verschuren). Ces deux organisations sont des accélérateurs approuvés par TDDC, le soutien de TDDC étant requis pour obtenir du financement d'amorçage. Mme Verschuren siège au conseil d'administration de ces deux accélérateurs. Il a été allégué que Mme Verschuren, en sa qualité de présidente du conseil d'administration de TDDC, a participé à la prise de décisions qui ont favorisé de façon irrégulière les intérêts de ceux qui ont reçu du financement d'amorçage.

Les dispositions pertinentes sont le paragraphe 6(1) et l'article 21 de la Loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.

21. Le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.


L'article 4 de la Loi définit les circonstances dans lesquelles un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts au sens de la Loi. Il se lit comme suit :

4. Po​ur l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Approbation du financement d'amorçage par le conseil d'administration

La partie de l'ordre du jour des réunions du conseil d'administration relative à l'approbation des projets qui recevraient du financement d'amorçage faisait partie des points de consentement à l'ordre du jour, au même titre que l'approbation du procès-verbal de la réunion précédente et d'autres points. Cela signifie, comme le confirme la preuve, que ces points n'ont fait l'objet que de peu, voire d'aucune discussion de fond. La raison invoquée pour inclure l'enveloppe du financement d'amorçage dans les points de consentement à l'ordre du jour était que, chaque projet ayant été préalablement examiné et approuvé à l'interne, le conseil d'administration n'approuvait pas les projets individuellement, mais plutôt un processus pour aider les entreprises au stade initial.

Une seule motion était présentée et un seul vote avait lieu pour l'ensemble des points de consentement à l'ordre du jour, qui aboutissait toujours à une approbation unanime par le conseil d'administration, le procès-verbal indiquant parfois que certains membres avaient déclaré un conflit d'intérêts relativement à certains projets et qu'ils s'abstenaient de participer au vote en ce qui concernait ces projets. Il semble ainsi qu'au lieu de se récuser lors du vote sur les points de consentement à l'ordre du jour, le membre du conseil d'administration qui était en conflit d'intérêts voyait son vote artificiellement scindé par une « abstention » de la partie du vote touchée par le conflit.

Les procès-verbaux des différentes réunions du conseil d'administration de TDDC révèlent en outre un certain manque d'uniformité quant aux pratiques adoptées par Mme Verschuren dans les situations où un conflit d'intérêts potentiel avait été décelé. Dans la plupart des cas où du financement d'amorçage a été accordé à des entreprises nommées par MaRS ou le Centre Verschuren, elle s'est abstenue lors des votes pour lesquels elle avait déclaré un conflit potentiel. Toutefois, à deux réunions, Mme Verschuren ne semble pas s'être abstenue de voter, malgré ses déclarations de conflits potentiels. Et à deux autres réunions, aucune déclaration ou abstention n'a été notée dans les procès-verbaux malgré l'existence de conflits potentiels. 

Abstention ou récusation

La mesure de conformité requise prévue à l'article 21 de la Loi consiste en ce que les titulaires de charge publique se récusent des discussions, décisions, débats ou votes sur toute question qui pourrait les placer en situation de conflit d'intérêts. La seule référence à l'abstention dans la Loi se trouve au paragraphe 6(2), qui s'applique uniquement aux ministres et aux secrétaires parlementaires, dans l'exercice de leurs fonctions de députées et députés, et leur interdit de participer à un débat ou à un vote sur des questions à l'égard desquelles ils pourraient se trouver en situation de conflit d'intérêts.

La récusation est définie comme le fait de « se retirer en tant que juge ou décisionnaire dans une affaire, en particulier en raison d'un conflit d'intérêts[ii] », tand​is que l’abstention concerne « le fait de ne pas voter pour ou contre quelque chose​[iii] ». Concrètement, un décisionnaire tel qu'un juge se récuse des procédures en se retirant des délibérations et de la décision. Un décisionnaire s'abstient de participer aux délibérations et aux votes sur des questions du domaine public, comme des décisions prises par les États-nations lors d'assemblées internationales.

En​​ ce qui a trait aux décisions prises par les titulaires de charges publiques, l'importante distinction entre l'abstention et la récusation a été expliquée comme suit dans le Rapport Morneau II :

En se récusant, le titulaire de charge publique ne se contente pas de s’abstenir de voter; il doit se retirer physiquement de l’endroit où la question est débattue, de crainte que sa simple présence puisse être perçue comme ayant influencé la décision des autres titulaires de charge publique​[iv].

Le Code de conduite et la Politique sur les conflits d’intérêts de TDDC (la Politique), que les ​administratrices et administrateurs reconnaissent avoir lu et compris chaque année dans le cadre de leur serment d’office, expose également cette distinction. Sous la rubrique Déclaration lors des réunions et récusation, la Politique se lit comme suit :​

Chaque ordre du jour des réunions du Comité d'examen des projets et des réunions du conseil d'administration consacrées à l'approbation des financements comprendra, avant tout examen des projets proposés, un point exigeant la déclaration et l'enregistrement de tout conflit potentiel. Dans le cas où un conflit a été déclaré, l'administrateur·rice ou le membre du comité concerné doit se récuser des délibérations sur le(s) projet(s) proposé(s), avec lequel/lesquels il·elle est en conflit. Pour plus de clarté, la récusation implique que l'administrateur·rice ou le membre du comité quitte la salle de réunion ou la conférence téléphonique et ne participe en aucune manière aux discussions ou au vote sur le(s) projet(s) proposé(s).
[Ajout du caractère gras]​


Le paragraphe cité ci-dessus, qui se trouvait dans toutes les versions de la Politique en vigueur pendant le mandat de Mme Verschuren, n'a pas été modifié lorsque le volet de financement d'amorçage a été lancé. Il ne fait pas mention d'« abstention » ni des circonstances dans lesquelles une mesure autre qu'une récusation serait appropriée lorsqu'un administrateur est en situation de conflit d'intérêts.

Les votes du conseil d'administration de TDDC visant le financement d'amorçage, qui faisait partie des points de consentement à l'ordre du jour des réunions, semblent avoir été en grande partie une formalité puisqu'il n'y avait pas de délibérations sur les projets proposés dans le cadre du volet de financement d'amorçage. Néanmoins, le Code de conduite et la Politique sur les conflits d'intérêts de TDDC et – plus important encore – la Loi précisent qu'une récusation est nécessaire à chaque fois en cas de conflit d'intérêts potentiel. La récusation permet aux autres membres du conseil d'administration d'exprimer leurs préoccupations ou leur désaccord sur des questions qui concernent les intérêts personnels d'autres membres du conseil d'administration. L'abstention dans de tels cas est insuffisante.

Intérêts personnels dans les décisions sur le financement d'amorçage

En ce qui a trait à l'allégation relative aux votes sur le financement d'amorçage, Mme Verschuren a fait valoir que ni elle, ni MaRS, ni le Centre Verschuren n'avaient d'intérêts personnels en rapport avec l'une ou l'autre des entreprises dont les projets étaient soumis à l'approbation du conseil d'administration, étant donné qu'il s'agit d'organismes sans but lucratif. Par conséquent, aucune des décisions n'a placé Mme Verschuren en situation de conflit d'intérêts au sens de la Loi, mais elle a néanmoins déclaré un conflit et s'est abstenue de voter, allant ainsi au-delà de ce qu'exige la Loi.

Je reconnais que Mme Verschuren n'avait pas d'intérêt financier dans ces entreprises. Je reconnais également qu'il était expressément interdit à MaRS et au Centre Verschuren, en tant qu'accélérateurs qui appuient la candidature d'entreprises,  de recevoir une « commission d'intermédiaire » qui serait déduite de la contribution apportée par TDDC. L'intérêt premier de recevoir un financement d'amorçage de 50 000 $ à 100 000 $ appartenait donc visiblement aux entreprises qui recevaient ces fonds.

L'analyse ne s'arrête toutefois pas là. La preuve démontre qu'il était essentiel pour les entreprises d'être nommées par un accélérateur reconnu pour obtenir du financement d'amorçage de TDDC et, d'autre part, pour les accélérateurs d'avoir une relation de travail avec les entreprises pour pouvoir proposer leur candidature.

Rien dans la preuve ne suggère que Mme Verschuren, au niveau de l'accélérateur, a directement contribué à la nomination de projets précis pour obtenir du financement d'amorçage ou que, à TDDC, elle a exercé son influence pour déterminer quels projets seraient soumis à l'approbation du conseil d'administration de TDDC. Cependant, en raison du double rôle de Mme Verschuren en tant qu'administratrice des organismes responsables de la mise en candidature et de la prise de décisions, ainsi que de la relation commerciale potentielle entre les accélérateurs et les entreprises nommées, il y avait un conflit potentiel.

De plus, dans le cas du Centre Verschuren, les dépenses admissibles énumérées dans le formulaire de demande de financement d'amorçage concernaient précisément le type de services et de fournitures que le Centre fournissait aux entreprises moyennant des frais. Mme Verschuren aurait donc raisonnablement su que le Centre Verschuren pouvait potentiellement tirer parti, indirectement, d'une décision d'accorder un financement d'amorçage à une entreprise dont il avait présenté la candidature.

Pour ces raisons, Mme Verschuren a convenablement voulu divulguer ces conflits avant chaque vote du conseil d'administration sur le financement d'amorçage, ce qu'elle a fait dans presque tous les cas. Cependant, même dans la grande majorité des cas où elle avait déclaré qu'elle était en situation de conflit, la mesure qu'elle a prise pour y remédier a été de s'abstenir de voter.

Ayant déclaré être en situation de conflit d'intérêts par rapport au financement d'amorçage, Mme Verschuren et d'autres membres du conseil d'administration ont pu croire qu'en s'abstenant de voter, ils avaient traité ces conflits de manière adéquate, étant donné l'absence de discussion sur la question avant le vote. En vérité, l'ensemble du processus d'approbation du financement d'amorçage était défaillant. La preuve démontre que les décisions visant le financement d'amorçage avaient essentiellement déjà été prises aux étapes précédentes, et que l'approbation finale par le conseil d'administration était automatique puisque les décisions étaient prises par consensus et que, de toute façon, le financement d'amorçage faisait partie des points de consentement à l'ordre du jour. Ainsi, une abstention, en particulier une abstention partielle pour des projets précis qui ne faisaient partie que d'un seul point de l'ordre du jour, n'avait aucun effet sur les décisions prises au sujet de ces projets.

C'est sans parler des deux cas où Mme Verschuren n'a pas déclaré de conflits d'intérêts potentiels et des deux cas où elle en a déclaré, sans toutefois s'abstenir. Chaque fois où il y avait un conflit, seule une récusation aurait permis d'éviter de contrevenir au paragraphe 6(1) de la Loi et de satisfaire aux exigences de l'article 21.

Abstention relative au financement de démarrage

Mme Verschuren s'est abstenue de participer au vote sur l'augmentation du financement de démarrage versé à Kraken Sense, une entreprise qui avait une relation d'affaires avec le Centre Verschuren, raison pour laquelle Mme Verschuren avait déclaré être en situation de conflit d'intérêts. Il s'agissait d'un conflit d'intérêts au sens de la Loi, et ce, pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le cas des décisions visant le financement d'amorçage pour des entreprises nommées par MaRS et le Centre Verschuren. Par conséquent, Mme Verschuren devait là aussi se récuser de cette décision afin d'éviter de contrevenir au paragraphe 6(1) et à l'article 21.

Conclusion sur la question à l'étude n° 1

Mme Verschuren a reconnu qu'il était intrinsèquement inapproprié de prendre part, en sa qualité de présidente du conseil d'administration de TDDC, à des décisions touchant MaRS et le Centre Verschuren, compte tenu de son rôle au sein de ces organismes. Elle a déterminé qu'il y avait un conflit et, dans la plupart des cas, elle a fait les déclarations qui convenaient avant les réunions du conseil d'administration. En ce qui concerne le financement d'amorçage et un autre cas concernant le financement de démarrage, Mme Verschuren s'est abstenue de voter au lieu de se récuser. Malheureusement, cette mesure, qui s'écartait de la Politique du conseil d'administration, n'était pas non plus conforme aux exigences de la Loi.

Par conséquent, je conclus que Mme Verschuren a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi.

Question à l'étude n° 2a : participation aux décisions sur les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19

J'en viens maintenant à la question relative aux motions présentées par Mme Verschuren, en sa qualité de présidente du conseil d'administration de TDDC, ayant trait au financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19, en mars 2020 et 2021. L'un des bénéficiaires de ce financement était NRStor inc., une société fondée par Mme Verschuren et dont elle est la présidente et première dirigeante, ainsi que l'actionnaire majoritaire. Selon les allégations, Mme Verschuren aurait participé à la prise de décisions afin de favoriser son intérêt personnel. 

Pour déterminer s'il existe un conflit d'intérêts au sens de la Loi, l'un des éléments que je dois examiner est la question de savoir si la titulaire d'une charge publique a eu la possibilité de favoriser des intérêts personnels. La Loi ne donne pas de définition de ce qui constitue un intérêt personnel, mais elle prévoit les trois exclusions suivantes :

Intérêt personnel N'est pas visé l'intérêt dans une décision ou une affaire :

(a)   de portée générale;
(b)   touchant le titulaire de charge publique faisant partie d'une vaste catégorie de personnes;
(c)   touchant la rémunération et les avantages sociaux d'un titulaire de charge publique.


Les deux premières exclusions sont pertinentes dans cette affaire et ont été soulevées par Mme Verschuren dans ses représentations écrites au sujet des décisions du conseil d'administration sur les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19.

Intérêts de Mme Verschuren dans l'affaire

Jusqu'à présent, dans le cadre de l'application de la Loi, le Commissariat a interprété le terme « intérêt personnel » comme se reportant principalement à des intérêts de nature financière.

La preuve démontre qu'en mars 2020, tous les projets admissibles aux paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 ont reçu la même augmentation proportionnelle, à savoir une augmentation du financement de 5 % calculée en fonction des ententes de contribution existantes avec TDDC, sous réserve d'un minimum de 15 000 $. D'après les éléments de preuve, en mars 2020, 118 projets étaient touchés par la décision du conseil d'administration de TDDC.

En mars 2021, le conseil d'administration a approuvé une formule plus complexe pour le financement en lien avec la COVID-19 selon laquelle les entreprises répondant à certains critères recevraient 5 %, d'autres 10 %, et d'autres encore ne seraient pas admissibles. Le personnel de TDDC devait déterminer si un projet admissible recevait 5 % ou 10 %. En mars 2021, 102 projets ont reçu du financement supplémentaire.

Les décisions d'accorder des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID‑19 aux entreprises ont manifestement favorisé les intérêts personnels de ces entreprises. Pour NRStor, les deux paiements se sont élevés à 106 176 $ en 2020 et 111 485 $ en 2021, pour un total de 217 661 $.

Cet intérêt financier direct n'a pas été déplacé ou supprimé par le fait que ces fonds ont été transférés à une société en commandite, une entité juridiquement distincte. Bien que la société en commandite créée par NRStor pour gérer le projet Goderich financé par TDDC, à partir d'août 2019, n'était plus liée à Mme Verschuren par le biais de la propriété, Mme Verschuren a continué à en être l'unique directrice jusqu'en décembre 2021. De plus, NRStor a continué à s'engager financièrement dans le projet jusqu'à son achèvement, en versant des montants qui dépassaient les fonds provenant de TDDC. Par conséquent, alors que la société en commandite était le bénéficiaire final et l'utilisateur des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19, NRStor a bénéficié des contributions de TDDC dans la mesure où elles réduisaient sa propre contribution financière au projet.

À mon avis, les intérêts financiers de NRStor constituent également des intérêts pour Mme Verschuren, puisqu'elle est la fondatrice, la présidente, la directrice générale et l'actionnaire majoritaire de l'entreprise. Étant donné qu'il existe, à première vue, des intérêts pour Mme Verschuren dans cette affaire, je dois déterminer si l'une ou l'autre des deux exclusions pertinentes a pour effet de les exclure de l'application des dispositions de la Loi relatives aux conflits d'intérêts.

Décision ou affaire de portée générale

Mme Verschuren a affirmé que la décision d'accorder des paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 en mars 2020 et mars 2021 était une décision de portée générale, puisque tous les projets admissibles avaient reçu un financement proportionnel à leur ampleur. Cette position reflète l'avis juridique que la direction de TDDC a reçu et a transmis au conseil d'administration en mars 2020. Selon cet avis juridique, les administratrices et administrateurs du conseil n'auraient pas besoin de se récuser de la prise de décision puisque tout conflit d'intérêts existant avait déjà été déclaré, que toutes les entreprises et leurs projets avaient déjà été approuvés dans le cadre des processus normaux, que la décision à prendre était de nature opérationnelle et que toutes les entreprises seraient traitées de la même manière.

Bien que le terme « portée générale » ne soit pas défini dans la législation fédérale, la Cour suprême du Canada a abondamment écrit sur le sujet dans le contexte des lois de portée générale. La Cour a estimé que si une loi s'applique uniformément à l'ensemble d'un territoire et que son objet et son intention ne sont pas « relatifs à » un groupe de citoyens, il s'agit d'une loi de portée générale[v]. Les instruments de portée générale s’appliquent donc à « un nombre indéterminé de personnes » qui relèvent du champ d’application ou de la compétence du décisionnaire[vi]. Ils ne s’appliquent pas à une personne ou à un groupe de personnes particulières, ni à une situation part​​​​iculière​[vii].

Les décisions judiciaires ou les directives ministérielles peuvent également avoir une portée générale. Les tribunaux ou les membres des tribunaux administratifs peuvent rendre des décisions ou des directives de pratique de portée générale, c’est-à-dire applicables à toute personne relevant de la compétence d’un tribunal[viii]. Les directives peuvent être de portée générale si elles s’appliquent à l’ensemble du ministère en vertu du pouvoir confié par la loi au ministre[ix].

Comme l'illustre la jurisprudence citée dans les paragraphes précédents, les questions de portée générale visent un nombre indéterminé de personnes sans égard à la catégorie. En l'espèce, les décisions contestées de TDDC, prises en mars 2020 et en mars 2021, s'appliquaient spécifiquement à un groupe identifiable : les projets en cours dont le financement avait été approuvé précédemment. La liste des critères établis par TDDC pour déterminer les bénéficiaires admissibles au financement ne s'appliquait pas de manière prospective; un portrait de la situation a été fait en mars 2020 et la décision a été appliquée en fonction de cette situation.

Une décision ou une affaire s'appliquant à une activité réglementée particulière et à un groupe identifiable, même de manière uniforme, n'est pas de portée générale. À mon avis, la décision du conseil d'administration prise en mars 2021 d'accorder deux pourcentages différents des fonds d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 ne fait qu'appuyer cette détermination et vient contrer la position de Mme Verschuren selon laquelle on a traité tous les organismes de la même manière. Une décision ou une affaire comme celle-ci devrait plutôt faire l'objet d'un examen en vertu de la deuxième exception de la définition de l'intérêt personnel, à savoir si elle touche, dans ses intérêts, la titulaire de charge publique faisant partie d'une « vaste catégorie de personnes » au sens de la Loi.

Décision ou affaire touchant la titulaire de charge faisant partie d'une vaste catégorie de personnes

Pour déterminer si la deuxième exclusion des intérêts personnels prévue par la Loi peut s'appliquer, je dois examiner si la titulaire de charge publique est touchée par la décision ou l'affaire en question en tant que membre faisant partie d'une vaste catégorie de personnes.

Également non définie dans la législation fédérale, l'expression « vaste catégorie de personnes » peut être interprétée dans son sens ordinaire et grammatical. Une catégorie est définie comme étant un « groupe de personnes, de choses, de qualités ou d'activités qui ont des caractéristiques ou des attributs communs[x] ». La définition la plus simple du terme « vaste » l'assimile à « ample », mais quelque chose de vaste peut être compris comme incluant « une grande variété de personnes, de choses ou d'expériences; étendu (un vaste éventail d'options; une vaste expérience)[xi] ». Ainsi, une vaste catégorie de personnes pourrait comprendre un grand nombre de personnes ayant toutes sortes de différences entre elles, mais qui auraient en commun au moins une caractéristique ou un attribut important. Des exemples de vastes catégories de personnes peuvent être des groupes professionnels (enseignantes et enseignants, avocates et avocats, agricultrices et agriculteurs, etc.) ou d'autres groupes facilement identifiables, tels que les propriétaires immobiliers ou les enfants, qui comptent un grand nombre de personnes.

Si une affaire ou une décision touche de la même manière tous les membres d'une vaste catégorie de personnes et que la titulaire de charge publique fait partie de cette catégorie, il est probable que son intérêt dans l'affaire ou la décision soit exclu de l'application de la Loi[xii]Inversement, si une décision ou une affaire est très ciblée et touche les intérêts de la titulaire de charge publique en tant que membre d'un petit groupe, ou si la titulaire de charge publique est traitée différemment ou a un intérêt dominant dans l'affaire, celle-ci ne sera plus considérée comme étant une affaire qui la touche en tant que membre d'une vaste catégorie de personnes. Autrement dit, plus la catégorie de personnes concernées par une décision ou une affaire particulière est vaste, plus il y a de chances que la titulaire de charge publique agisse dans l'intérêt public plutôt que pour servir un intérêt personnel.

Cela correspond à l'interprétation donnée à des dispositions similaires relatives à l'intérêt personnel dans le cadre d'affaires examinées par mes homologues provinciaux. Dans une note publiée en 1993, l'honorable Gregory T. Evans, commissaire à l'intégrité de l'Ontario de l'époque, a établi que les membres de la députation provinciale qui étaient également membres d'organismes agricoles pouvaient participer aux travaux d'un comité chargé d'examiner un projet de loi qui les avantagerait s'il était adopté. Le commissaire Evans a estimé que cette sous-catégorie de 20 000 membres, bien que formant une « minorité » parmi les 60 000 agricultrices et agriculteurs de l'Ontario, constituait une catégorie d'électeurs suffisamment vaste pour exclure leurs intérêts de la définition de l'intérêt personnel de la Loi sur les conflits d'intérêts applicable aux députés de 1988[xiii].

La commissaire à l'ét​hique de l'Alberta s'est également prononcée sur le terme « vaste catégorie » dans le contexte d'une enquête. Un membre de l'Assemblée législative de l'Alberta avait utilisé les pouvoirs que lui conférait sa fonction pour tenter d'influencer une décision du gouvernement provincial afin de favoriser les intérêts personnels de sa conjointe. Cette dernière était l'unique actionnaire et directrice d'un détaillant sur le marché de l'énergie, et le député a profité d'une intervention pendant la période des questions pour tenter d'influencer le gouvernement afin qu'il abandonne sa politique énergétique qui portait préjudice à l'entreprise de sa conjointe. La commissaire a estimé qu'une catégorie de 34 détaillants d'électricité ne constituait pas une vaste catégorie et que ses intérêts en tant qu'actionnaire unique d'un détaillant d'énergie, par opposition à ses intérêts en tant que consommatrice d'électricité, ne faisaient pas d'elle un membre d'une vaste catégorie de personnes[xiv].

À la lumière de ce qui précède, je suis d'avis que les bénéficiaires du financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 de la part de TDDC en mars 2020 et 2021, qui comprenaient toute personne ayant un intérêt dans NRStor, ne constituent pas une vaste catégorie de personnes. De plus, les intérêts de Mme Verschuren dans l'affaire – en tant que fondatrice, présidente, directrice générale et actionnaire majoritaire de l'une des entreprises bénéficiaires – la plaçaient dans une catégorie de personnes encore plus restreinte, avec un intérêt dans l'affaire significativement différent de celui des autres bénéficiaires. L'intérêt de Mme Verschuren est donc à juste titre considéré comme un intérêt personnel aux fins de la Loi.

Si Mme Verschuren aurait dû raisonnablement savoir qu'elle se trouvait en situation de conflit d'intérêts

Je dois maintenant déterminer si Mme Verschuren a pris une décision ou participé à la prise d'une décision liée à l'exercice de sa charge en sachant ou en devant raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, elle pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts et, par conséquent, en violation du paragraphe 6(1) de la Loi.

En ce qui concerne les contributions supplémentaires versées en lien avec la COVID-19 en mars 2020 et mars 2021, Mme Verschuren affirme que ces décisions n'ont pas avantagé des projets précis. Au contraire, elle affirme qu'il y a eu consensus au sein du conseil d'administration de TDDC pour adopter une mesure qui s'appliquait de la même façon à tous les projets admissibles. L'avis juridique que le conseil d'administration de TDDC a reçu en mars 2020 indiquait que les conflits d'intérêts précédemment divulgués par les administratrices et administrateurs ne les empêchaient pas de participer à cette décision au motif qu'elle était de portée générale.

À mon avis, Mme Verschuren a pris ce qu'elle estimait à l'époque être des mesures adéquates pour s'assurer que ses intérêts n'interféraient pas avec l'exercice de ses fonctions officielles à titre de présidente du conseil d'administration de TDDC. Elle pensait à ce moment-là avoir agi sans outrepasser les limites de la Loi. Toutefois, le fait d'avoir suivi un avis juridique externe ne dispense pas une titulaire de charge publique des obligations qui lui incombent en vertu de la Loi.

Conclusion sur la question à l'étude n° 2a

Compte tenu des circonstances exceptionnelles de la pandémie de COVID-19, la Politique du conseil d'administration n'a pas été prise en compte lors des décisions de 2020 et 2021 visant les paiements d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19. Les administratrices et administrateurs n'ont pas déclaré leurs conflits d'intérêts avant les réunions et personne ne s'est récusé. Cette négligence a été aggravée par le fait que le conseil d'administration a reçu un avis juridique inexact justifiant cette approche.

Mme Verschuren a participé à ces décisions en sachant que NRStor, l'entreprise qu'elle a fondée, qu'elle dirige et qu'elle possède en tant qu'actionnaire majoritaire, était parmi les bénéficiaires de ce financement supplémentaire. Elle était tenue de se récuser dans ces affaires, ce qu'elle n'a pas fait. Par conséquent, je conclus que Mme Verschuren a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi.

Question à l'étude n° 2b : tenter d'influencer la décision d'autres membres du conseil d'administration

Une deuxième allégation relative aux mêmes décisions d'accorder un financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 portait sur le rôle que Mme Verschuren a joué, en sa qualité de présidente du conseil d'administration de TDDC, dans la présentation des motions, en mars 2020 et 2021, proposant de verser cette aide financière. Il était allégué qu'en présentant ces motions, Mme Verschuren se serait prévalue de ses fonctions officielles en tant que titulaire de charge publique pour tenter d'influencer la décision d'autres membres du conseil d'administration de TDDC dans le but de favoriser son intérêt personnel, ce qui est contraire à l'article 9 de la Loi.

L'article 9 de la Loi se lit comme suit :

9. Il est interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.


La preuve démontre que ce n'est pas M
me Verschuren qui a eu l'idée d'accorder une aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 aux projets qualifiés figurant déjà sur la liste, et qu'elle n'a pas non plus participé à l'établissement des critères d'admissibilité ou des sommes à débourser. Au-delà de sa participation aux discussions sur les propositions de la direction de TDDC et de la présentation des motions lors des réunions, je n'ai trouvé aucune autre preuve de son implication dans cette affaire.

Conclusion sur la question à l'étude n° 2b

Aucun élément de preuve n'indique que Mme Verschuren a tenté d'influencer la décision de ses collègues du conseil d'administration de TDDC. Je conclus qu'elle n'a pas contrevenu à l'article 9 de la Loi.

Résumé des conclusions

En ce qui concerne la question à l'étude n° 1, Mme Verschuren a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi en participant aux décisions sur le financement d'amorçage et de démarrage impliquant MaRS et le Centre Verschuren, malgré le fait qu'elle ait déclaré être en situation de conflit d'intérêts et qu'elle se soit abstenue de voter dans la plupart des cas, et en omettant de se récuser de ces décisions.

En ce qui a trait à la question à l'étude n° 2a, Mme Verschuren a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi en participant à deux décisions sur le financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19 dont bénéficierait NRStor, après avoir suivi un avis juridique inexact, et en omettant de se récuser de ces décisions.

Pour ce qui est de la question à l'étude n° 2b, aucun élément de preuve n'indique que Mme Verschuren a contrevenu à l'article 9 de la Loi en se prévalant de sa fonction de présidente du conseil d'administration de TDDC pour tenter d'influencer d'autres membres du conseil dans les mêmes deux décisions sur le financement d'aide d'urgence dans le contexte de la COVID-19.

Dernière observation

La pratique habituelle du conseil d'administration de TDDC consistait à examiner et à approuver les demandes de financement séparément. Cette pratique était conforme à la fois à la Politique de TDDC en matière de conflits d'intérêts et à la Loi. Elle permettait aux administratrices et administrateurs en situation de conflit d'intérêts de se récuser des parties des réunions auxquelles ils ne devaient pas assister. 

Il est regrettable qu'un manque d'uniformité dans les processus décisionnels de TDDC, en plus d'un avis juridique inexact, ait conduit Mme Verschuren à s'écarter de cette pratique habituelle et donc à contrevenir à la Loi.

Annexe : Liste des témoins​

​Les noms des témoins sont énumérés ci-dessous en fonction des organisations dont ces personnes relevaient au moment des faits qui font l'objet du présent rapport.

Entrevues

Technologies du développement durable Canada

  • Leah Lawrence, présidente et directrice générale

  • Ed Vandenberg, conseiller juridique (sous contrat), secrétaire de séance du conseil d'administration

Renseignements et documents demandés

Technologies du développement durable Canada

  • Ziyad Rahme, président et directeur général par intérim

Le Centre Verschuren

  • Mme Beth Mason, directrice générale

District de la découverte MaRS

  • ​​Krista Jones, directrice générale par intérim



[i] Une liste de témoins se trouve à l’annexe du présent rapport.

[ii] « Recusal » (récusation) dans le Black's Law Dictionary, 10e éd., p. 1467 [traduction].

[iii] « Abstention » dans le Black's Law Dictionary, 10e éd., p. 10 [traduction].

[iv] Rapport Morneau II, par. 261.

[v] Voir : Kruger et al. c. La Reine, [1978] 1 RCS. 104, au par. 110.

[vi] Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 RCS 212, p. 224-25.

[vii] Voir, par exemple : Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, au par. 88.

[viii] Voir, par exemple : Farah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2018] 1 RCF 473, au par. 37.

[ix] Voir, par exemple : Loi sur le ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales, L.R.O. 1990, ch. M. 16, par. 13(3) et 17(8). 

[x] « Class » (catégorie) dans le Black’s Law Dictionary, 10e éd., p. 304 [traduction].

[xi] « Broad » (vaste) dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., (2004), p. 189 [traduction].

[xii] Voir : Commissariat à l’éthique de l’Alberta, Determining a private interest (2017) [en anglais seulement].

[xiii] Hon. Gregory T. Evans, Note dont l'objet était : Réunions de comité (20 septembre 1993), dans Report of the Honourable Robert C. Rutherford Re: Mr. Joseph Tascona, MPP, Bureau du commissaire à l'intégrité de l'Ontario (15 janvier 1998), p. 31-32 (pièce 3) [en anglais seulement].

[xiv] Report of the Investigation by Hon. Marguerite Trussler, Q.C., into allegations involving Ric McIver, 4 janvier 2017 [en anglais seulement]. Bien que contestées pour d'autres motifs, les conclusions de la commissaire ont été confirmées par la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans l'affaire McIver v. Alberta (Ethics Commissioner), 2018 ABQB 240 [en anglais seulement].​


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