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Rapport Trudeau III

​​PRÉFACE

Le présent rapport est produit conformément à la Loi sur les conflits d'intérêts L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi).

Le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique peut entreprendre une étude en vertu de la Loi à la demande d'une ou d'un parlementaire, comme c'est le cas de cette étude, ou de son propre chef.

Lorsque le commissaire amorce une étude à la demande d'une ou d'un parlementaire, il est tenu de remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. Le commissaire doit en même temps remettre un double du rapport à la ou au titulaire ou à l'ex‑titulaire de charge publique visé, et le rendre accessible au public.

SOM​MAIRE

Le présent rapport énonce les conclusions de mon étude menée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à la conduite du très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada, à l'égard de sa participation à deux décisions concernant les intérêts personnels d'UNIS (WE, en anglais). D'une part, la décision de confier à UNIS la gestion de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE), programme fédéral visant à encourager les jeunes à faire du bénévolat. D'autre part, la décision de financer ou non un programme d'Entrepreneuriat social proposé par UNIS, plus particulièrement un programme numérique offrant des conseils d'entrepreneuriat et des possibilités de mentorat. On m'a demandé d'enquêter en raison des liens entre M. Trudeau et sa famille et UNIS, organisme caritatif international de développement et d'autonomisation des jeunes fondé par MM. Marc et Craig Kielburger. Depuis 2007, M. Trudeau a participé à huit éditions de la Journée UNIS. Son épouse a été ambassadrice honorifique pour UNIS, a animé son propre balado parrainé par UNIS et a, elle aussi, participé à huit événements de la Journée UNIS. La mère et le frère de M. Trudeau ont également participé à des activités rémunérées pour UNIS.

Au début d'avril 2020, le ministre des Finances, l'honorable Bill Morneau, a fait part à M. Trudeau du fait que son ministère examinait des options pour aider les étudiantes et étudiants de niveau postsecondaire qui perdraient leur emploi d'été en raison de la pandémie de COVID‑19, notamment l'idée de leur faire faire du bénévolat par l'entremise du mouvement national Service jeunesse Canada.

À la demande de M. Morneau, des fonctionnaires du ministère des Finances du Canada ont entamé des discussions avec des fonctionnaires d'Emploi et Développement social Canada (EDSC) au sujet d'un possible nouveau programme national de bénévolat pour les jeunes. Le 21 avril, les fonctionnaires du ministère des Finances ont présenté à M. Morneau une ébauche de note de service concernant des propositions de mesures d'appui aux étudiants, qui comptait quatre annexes de financement pour approbation par le ministre des Finances et de la documentation à titre informatif.

Une des annexes portait sur la bonification du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et la création d'un portail de jumelage des bénévoles. Une autre demandait du financement pour la création d'un nouveau programme, la BCBE. Le ministère des Finances estimait que la BCBE devait être gérée par un tiers en partenariat avec un organisme comme UNIS et recommandait de prévoir des fonds pour le programme, le temps qu'on peaufine la proposition. La proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS faisait partie de la documentation jointe à la note à titre informatif.

M. Morneau a alors approuvé le financement pour Service jeunesse Canada et la BCBE. À l'insu de M. Morneau, son personnel a ordonné aux fonctionnaires du ministère des Finances d'inclure du financement pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Ces décisions ont été communiquées au Bureau du Conseil privé.

Le 22 avril, M. Trudeau a annoncé la création de la BCBE et du portail de jumelage des bénévoles parmi d'autres mesures pour aider les étudiantes et étudiants de niveau postsecondaire et les récentes et récents diplômés. 

À la demande du personnel de M. Morneau, UNIS a retravaillé un élément de sa proposition d'Entrepreneuriat social pour en faire une proposition d'un Programme de bénévolat d'été pour les jeunes qui permettrait à 20 000 jeunes de participer à des projets de bénévolat de trois mois et de toucher une bourse.

Le 23 avril, le ministère des Finances a demandé à EDSC de proposer un plan de conception et de mise en œuvre de la BCBE pour un lancement à la mi‑‎mai. Ce ministère a déterminé qu'il fallait confier la gestion du programme à un tiers et UNIS a été mentionné en soulignant que la proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes pourrait servir de base pour le programme. Le 24 avril, EDSC a demandé à UNIS de présenter une proposition en bonne et due forme pour gérer la BCBE.

Le 28 avril, EDSC a soumis un projet de plan de conception et de mise en œuvre pour la BCBE. Les fonctionnaires recommandaient UNIS comme administrateur du programme. Approuvée en principe par le Comité spécial du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie à coronavirus (COVID‑19) le 5 mai, la proposition devait être soumise à l'ensemble du Cabinet pour ratification le 8 mai.

En prévision de la réunion du Cabinet, M. Trudeau a été informé du plan de conception et de mise en œuvre d'EDSC pour la BCBE. Ce n'est qu'à ce moment qu'il a appris la participation potentielle d'UNIS à titre d'administrateur du programme. Compte tenu des liens d'UNIS et de ses parentes et parents, M. Trudeau et sa cheffe de cabinet ont décidé de retirer la présentation de la proposition de la BCBE de l'ordre du jour de la réunion du Cabinet du 8 mai et ont demandé une analyse plus poussée par la fonction publique.

Le 15 mai, M. Trudeau a approuvé les décisions du ministre des Finances concernant le financement des mesures d'aide pour les étudiants, mais il a refusé de financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Le 21 mai, après que les fonctionnaires d'EDSC ont confirmé que seul UNIS serait en mesure de gérer le programme dans le délai prévu, M. Trudeau a autorisé la présentation de la proposition concernant la BCBE au Cabinet. Le 22 mai, le Cabinet a ratifié la proposition en question.

Le personnel du cabinet du premier ministre a examiné l'entente de contribution et a recommandé son approbation. Le 22 juin, M. Trudeau a approuvé l'entente de contribution conclue avec UNIS.

Je devais déterminer si M. Trudeau a contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 7 et 21 de la Loi.

L'article 7 de la Loi interdit à toute et à tout titulaire de charge publique d'accorder un traitement de faveur à une personne ou à un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre. Pour qu'il y ait contravention à l'article 7, il faut que le traitement qu'accorde le titulaire de charge publique à une personne ou à un organisme soit plus favorable que le traitement qui aurait été accordé à une personne ou à un organisme dans une situation semblable, et il faut qu'il y ait une relation préalable entre le titulaire de charge publique et le représentant.

La décision de M. Trudeau d'approuver la proposition concernant la BCBE avec UNIS comme administrateur ne reposait pas, à mon avis, sur l'identité d'un tiers représentant, compte tenu de l'absence de relation personnelle entre M. Trudeau et MM. Marc et Craig Kielburger. De plus, les éléments de preuve démontrent que M. Trudeau n'a aucunement participé à la recommandation d'EDSC de sélectionner UNIS comme administrateur de la BCBE. Je suis d'avis que M. Trudeau n'a pas accordé de traitement de faveur à UNIS.

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision s'il sait que, ce faisant, il pourrait se retrouver en situation de conflit d'intérêts. L'article 4 prévoit qu'un titulaire de charge publique est en conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'une parente ou un parent, ou d'une amie ou un ami, ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Je suis d'avis que ni la sélection d'UNIS comme administrateur de la BCBE ni la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS ne pouvaient favoriser les intérêts personnels de M. Trudeau ou ceux de ses proches.

J'ai conclu que M. Trudeau avait eu la possibilité de favoriser les intérêts personnels d'UNIS concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et la sélection de l'organisme comme administrateur de la BCBE. Toutefois, pour qu'il y ait contravention au paragraphe 6(1), il aurait fallu que les intérêts personnels d'UNIS soient favorisés de façon irrégulière. À mon avis, aucun élément de preuve n'indique que les décisions de M. Trudeau concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et l'administration de la BCBE par UNIS ont été prises de façon irrégulière.

Puisque j'ai déterminé que M. Trudeau n'avait pas favorisé les intérêts personnels de ses proches ni accordé un traitement de faveur à UNIS, j'ai dû examiner si la relation des parents de M. Trudeau avec UNIS, qui créait une apparence de conflit d'intérêts, était couverte par la définition de conflit d'intérêts à l'article 4 de la Loi. À cet égard, j'ai déterminé qu'en l'absence d'un conflit d'intérêts réel ou encore d'une interdiction législative claire visant les conflits d'intérêts apparents, je ne pouvais pas conclure qu'il y avait eu contravention.

Selon l'article 21 de la Loi, le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.

Même si M. Trudeau a reconnu publiquement qu'il aurait dû se récuser en raison de l'apparence d'un conflit d'intérêts, la Loi ne l'obligeait pas à le faire dans de telles circonstances. L'article 21 prévoit que la récusation n'est requise que si le titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts potentiel.

Par conséquent, j'ai conclu que M. Trudeau n'a pas contrevenu au paragraphe 6(1) ni aux articles 7 et 21 de la Loi. 

PRÉOCCUPATIONS ET PROCESSUS

Le 28 juin 2020, j'ai reçu une lettre de M. Michael Barrett, député de Leeds–Grenville–Thousand Islands et Rideau Lakes. J'ai reçu une seconde lettre le 3 juillet 2020, cette fois de M. Charlie Angus, député de Timmins–Baie James. Les deux soulevaient des préoccupations selon lesquelles le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada, aurait contrevenu à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) en participant à la création de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE) et à la sélection de son administrateur : UNIS (WE, en anglais)[1].

Dans sa lettre, M. Barrett alléguait que, compte tenu des liens étroits que M. Trudeau entretient avec UNIS et de la participation de son épouse dans l'organisation, M. Trudeau avait contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi lorsqu'il a annoncé sa décision de confier à UNIS l'administration de la BCBE. Cette disposition de la Loi interdit à toute et à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait favoriser son intérêt personnel ou celui d'une parente ou parent[2], ou d'une amie ou un ami, ou favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Dans leur lettre, MM. Barrett et Angus alléguaient tous deux que M. Trudeau avait contrevenu à l'article 7 de la Loi en accordant un traitement de faveur à UNIS du fait qu'il lui confiait la gestion de la BCBE en lieu et place de la fonction publique, et ce, malgré l'existence d'autres organismes de bienfaisance canadiens se trouvant dans une situation semblable.

Dans une vidéoconférence enregistrée le 12 juin 2020 entre un cofondateur d'UNIS, M. Marc Kielburger, et plusieurs autres participantes et participants de diverses organisations de jeunesse canadiennes, M. Kielburger a expliqué qu'un représentant du cabinet du premier ministre avait communiqué avec UNIS le lendemain de l'annonce publique par M. Trudeau d'un programme qui viserait les étudiantes et étudiants. Ce représentant, selon les dires de M. Kielburger dans la vidéo, demandait si UNIS sera intéressé à participer à la mise en œuvre du programme en question. M. Kielburger a changé sa déclaration le 30 juin 2020, mais le doute était semé dans mon esprit quant à une possible contravention à l'article 7 de la Loi.

Dans sa lettre, M. Barrett alléguait également une contravention aux articles 5 et 9 de la Loi. Toutefois, il n'a pas fourni suffisamment d'informations pour établir des motifs raisonnables à l'appui de l'une ou l'autre de ces allégations. Par conséquent, je n'ai pas poursuivi l'étude de ces dispositions. M. Barrett m'a également demandé d'enquêter pour déterminer si l'épouse de M. Trudeau, Mme Sophie Grégoire Trudeau, avait accepté un cadeau ou autre avantage (sous la forme d'un voyage) de la part d'UNIS, ce qui serait contraire à l'article 11 de la Loi. Étant donné que le Commissariat avait déjà conseillé M. Trudeau à cet égard par l'entremise de son personnel ministériel, et puisqu'il n'y avait aucun nouveau fait important qui aurait pu m'amener à croire qu'il y avait eu contravention à la Loi, je n'ai pas étudié la question plus à fond.

Le 3 juillet 2020, j'ai écrit à M. Trudeau pour l'informer que les deux demandes répondaient aux exigences énoncées au paragraphe 44(2) de la Loi et que je lançais une étude en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Plus précisément, j'ai avisé M. Trudeau que j'étudierais de possibles contraventions au paragraphe 6(1) et aux articles 7 et 21 de la Loi.

J'ai reçu la réponse du M. Trudeau, ainsi que des exemplaires non caviardés de toute la documentation demandée en trois envois entre le 14 et le 31 août 2020. J'ai compris, d'après cette production de documents, que toutes les informations relatives au sujet examiné, dont certaines étaient protégées par le secret du Conseil privé de la Reine, m'avaient été communiquées.

Le 25 novembre 2020, j'ai écrit à M. Trudeau pour en savoir plus sur sa participation à la recommandation du ministère des Finances d'accorder 12 millions de dollars en financement fédéral à la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. J'ai reçu la réponse de M. Trudeau le 14 décembre 2020.

Le 11 février 2021, à la place d'une entrevue, j'ai demandé à M. Trudeau de me fournir des réponses à mes questions au moyen d'une déclaration sous serment. J'ai reçu la déclaration sous serment de M. Trudeau le 25 février 2021.

Conformément à la pratique du Commissariat, j'ai fourni à M. Trudeau une copie de la preuve documentaire pertinente recueillie pendant l'étude, ainsi que l'ébauche de la portion factuelle du rapport (Préoccupations et processus, Faits et Position de M. Trudeau) avant qu'il ne soit achevé.

Le 16 juillet 2020, à la demande de plusieurs parlementaires, j'ai lancé une étude se rapportant au même sujet concernant la conduite de l'honorable Bill Morneau, alors ministre des Finances. La preuve documentaire recueillie a servi aux deux rapports d'étude.

Le Commissariat a reçu plus de 40 000 pages de documents de M. Trudeau, de M. Morneau et de 13 témoins, dont une copie de la documentation qui avait été fournie au Comité permanent des finances de la Chambre des communes (le comité FINA). Étant donné que toutes les procédures parlementaires sont protégées par le privilège parlementaire, je n'ai pu me servir des témoignages devant le comité pour me renseigner en vue du présent rapport, même si j'en ai fait une demande formelle au comité FINA. Par conséquent, j'ai dû interroger certains témoins qui avaient déjà comparu devant le comité FINA afin d'obtenir leur témoignage à nouveau.

Je suis au fait des études entreprises par le comité FINA et deux autres comités parlementaires sur les différents aspects des dépenses publiques pendant la pandémie de COVID‑19, dont la BCBE. Leur travail n'a aucunement entravé le mien. Il est important de souligner que la présente étude portait uniquement sur la conduite de M. Trudeau concernant ses obligations en vertu de la Loi.

FAITS

Contexte

L'Organisme UNIS

UNIS est un mouvement international de bienfaisance pour le développement et l'autonomisation des jeunes, fondé en 1995 par MM. Marc et Craig Kielburger. UNIS est composé de l'Organisme UNIS, de l'entreprise sociale ME to WE[3], et de plusieurs autres filiales. Anciennement connue sous le nom d'Enfants Entraide (Free the Children), l'organisme met en œuvre des programmes de développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, en misant sur l'éducation, l'accès à l'eau potable, les soins de santé, la sécurité alimentaire et les débouchés économiques.

UNIS gère également des programmes nationaux pour les jeunes au Canada, aux États‑Unis et au Royaume‑Uni et fait la promotion de l'apprentissage par le bénévolat et la citoyenneté active. Depuis 2007, UNIS a organisé une série d'événements à grande échelle, connus sous le nom de « Journées UNIS », qui se tiennent dans différentes villes tout au long de l'année scolaire. Les éditions des Journées UNIS ont accueilli des dizaines de milliers d'étudiantes et étudiants et ont célébré leur influence sur les débats locaux et mondiaux. Les étudiants gagnent leurs billets en participant au programme UNIS à l'école, programme d'apprentissage par le bénévolat d'une durée d'un an géré par UNIS. Chaque événement compte une série de conférencières et conférenciers, comme des activistes sociaux, des élues et élus de différents ordres de gouvernement et des spectacles musicaux.

La plus récente édition de la Journée UNIS a eu lieu le 4 mars 2020 à Londres, en Angleterre. UNIS a annoncé en juillet 2020 qu'elle annulait ses activités de la Journée WE jusqu'à nouvel ordre afin de se consacrer à son volet international.

Interactions d'UNIS avec le gouvernement

Selon des documents publics, entre 2006 et 2015, UNIS a reçu environ 1,1 million de dollars du gouvernement Harper. Entre 2015 et 2019, UNIS a reçu au moins 5,5 millions de dollars de financement de différents ministères, dont Emploi et Développement social Canada (EDSC) et Patrimoine canadien. Dans une note interne produite par le personnel du cabinet du ministre des Finances, UNIS était décrit comme un intervenant clé et un « partenaire externe de même sensibilité » [traduction].

En 2017, UNIS a été l'une des nombreuses organisations sélectionnées pour mener un projet visant à marquer le 150e anniversaire de la Confédération canadienne parmi les propositions soumises au ministère du Patrimoine canadien. UNIS a reçu plus d'un million de dollars pour organiser et animer une édition de la Journée UNIS dans le cadre des festivités de la fin de semaine de la fête du Canada à Ottawa. M. Trudeau est également apparu dans une vidéo promotionnelle liée aux célébrations du 150e anniversaire du Canada produite par UNIS.

Interactions de la famille Trudeau avec UNIS

Selon M. Trudeau, sa première rencontre avec les frères Kielburger remonte au milieu des années 2000. À l'époque, les trois participaient séparément à des initiatives d'activisme et de mobilisation des jeunes.

M. Trudeau a fourni une vidéo à diffuser à la toute première édition de la Journée UNIS en octobre 2007 et, depuis son élection comme député, il a participé en personne à sept autres tels événements. Comme député nouvellement élu, en 2008, M. Trudeau s'est adressé à la foule à la deuxième édition de la Journée UNIS, à Toronto. En 2012, il a pris part à deux éditions de la Journée UNIS : l'une à Montréal (animée par son épouse, Mme Sophie Grégoire Trudeau) et l'autre à Toronto. En 2015, peu après l'élection fédérale, M. Trudeau et son épouse ont participé à une édition de la Journée UNIS à Ottawa, marquant son premier discours public en tant que premier ministre du Canada. À titre de premier ministre et de ministre des Affaires intergouvernementales et de la Jeunesse, portefeuille supplémentaire dont il a été responsable jusqu'en juillet 2018, M. Trudeau a continué de prendre part aux éditions de la Journée UNIS. Sa dernière apparition à un événement organisé par UNIS remonte à septembre 2017.

M. Trudeau a confirmé n'avoir jamais été rémunéré pour ses participations aux événements organisés par UNIS. Il a ajouté qu'il n'a jamais été remboursé pour les dépenses engagées pour participer à un tel événement et qu'il n'a pas non plus réclamé de remboursement. Pour autant qu'il se souvienne, il n'a jamais fait de don à UNIS.

M. Trudeau a aussi confirmé qu'autant qu'il le sache, son épouse et lui n'ont jamais eu de contact social avec les frères Kielburger dans un contexte personnel, comme le partage d'un repas. MM. Craig et Marc Kielburger ont eux aussi confirmé n'avoir jamais socialisé avec M. Trudeau, Mme Grégoire Trudeau, ni leur famille, et que toutes leurs interactions ont eu lieu dans un cadre professionnel.

Ni M. Trudeau ni les frères Kielburger ne se considèrent comme des amis personnels.

La première participation de Mme Grégoire Trudeau à une édition de la Journée UNIS remonte à 2008. À l'automne 2018, Mme Grégoire Trudeau est devenue ambassadrice honorifique et alliée d'UNIS Bien‑être, programme de sensibilisation aux questions de santé mentale, et a pris la parole à l'occasion d'une édition de la Journée UNIS à Vancouver. En mai 2020, elle a lancé un balado sur la santé mentale, hébergé sur une plateforme liée à UNIS.

Selon les frères Kielburger, Mme Grégoire Trudeau a participé à 10 événements liés à UNIS. Selon des documents rendus publics par UNIS, entre février 2012 et mars 2020, Mme Grégoire Trudeau a assisté à un total de huit éditions de la Journée UNIS et a reçu des honoraires de 1 500 $ pour un seul engagement, en 2012. On lui a remboursé les frais d'accueil qu'elle a engagés pour les huit événements auxquels elle a participé, qui comprenaient les hôtels, le service de voiture et les vols. Mme Grégoire Trudeau a également reçu des articles de faible valeur liés à UNIS, comme des livres et des casquettes.

La mère de M. Trudeau, Mme Margaret Trudeau, et le frère de M. Trudeau, M. Alexandre « Sacha » Trudeau, ont également participé à des activités rémunérées au nom d'UNIS. Le 15 octobre 2020, leur avocat a communiqué avec le Commissariat pour offrir leur collaboration dans le cadre de la présente étude. Le 12 novembre 2020, j'ai obtenu un dossier détaillé comprenant tous les engagements de discours et autres avantages qu'ils ont reçus d'UNIS depuis 2015.

Mme Margaret Trudeau a été engagée par UNIS par l'intermédiaire d'un bureau de conférenciers à 28 reprises entre octobre 2016 et mars 2020. Selon la documentation rendue publique par UNIS, chaque fois, elle a participé à entre trois et cinq activités par engagement. Mme Trudeau a été payée pour 27 des 28 conférences et a été remboursée pour ses frais d'accueil, qui comprenaient les repas, les hôtels, les services de voiture et les vols. Elle a également reçu des articles de faible valeur liés à UNIS.

À neuf reprises entre 2017 et 2018, M. Alexandre Trudeau a également été engagé par UNIS par l'intermédiaire d'un bureau de conférenciers et, chaque fois, a participé à entre trois et cinq activités. Selon des informations rendues publiques par UNIS, il a été payé pour neuf conférences et a été remboursé pour ses frais d'accueil, qui comprenaient les repas, les hôtels, les services de voiture et les vols. Il a également reçu des articles de faible valeur d'UNIS pendant cette période.

Dans leurs représentations écrites, Mme Margaret Trudeau et M. Alexandre Trudeau ont tous deux confirmé qu'ils n'ont pas eu de discussions avec M. Trudeau au sujet d'UNIS. M. Trudeau a affirmé qu'il n'avait pas eu de telles discussions avec son épouse, sa mère, ni son frère avant la décision du Gouvernement du Canada (le gouvernement) de mai 2020 concernant la BCBE.

Réponse du gouvernement à la pandémie de COVID‑19

Le 11 mars 2020, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que la COVID‑19 était une pandémie. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les provinces et les territoires ont déclaré l'état d'urgence pour répondre à la crise de santé publique. Le 13 mars 2020, le gouvernement a commencé à annoncer une série de mesures pour aider les provinces et les territoires, les différents secteurs de l'industrie, les familles et les travailleuses et travailleurs.

Début avril : M. Morneau cerne le besoin de mettre en place des mesures d'appui aux étudiants

Selon M. Morneau, c'est au début du mois d'avril qu'il a reconnu la nécessité d'une politique d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire qui allaient perdre leur emploi d'été ou dont la recherche d'emploi a été interrompue en raison de la pandémie de COVID‑19, et qui ne seraient pas admissibles à d'autres mesures d'aide d'urgence du gouvernement. M. Morneau a ajouté que les initiatives en matière d'appui aux étudiants représentaient une petite portion de l'ensemble des programmes d'appui du gouvernement et a fait remarquer qu'il avait reçu plus de 100 notes décisionnelles portant sur un large éventail d'enjeux politiques pour sa considération au cours de cette période. Chaque note devait faire l'objet d'une analyse officielle par le ministère des Finances et de multiples décisions devaient être prises à l'égard de chacune.

M. Amitpal Singh, conseiller en politiques auprès du ministre des Finances, a témoigné qu'il avait conçu un programme visant à encourager des projets nationaux par le biais de microsubventions, projets qui permettraient en même temps aux jeunes d'acquérir de l'expérience. Il pensait que ce programme pourrait être mis en œuvre et peut‑être même offert par le biais de Service jeunesse Canada. Il a discuté des premières étapes de son idée avec ses collègues du cabinet du ministre, du ministère des Finances et du cabinet du premier ministre. Selon M. Singh, M. Morneau comptait présenter l'idée générale de M. Singh à M. Trudeau lors de leur discussion du 5 avril.

Service jeunesse Canada est une initiative gouvernementale qui offre des possibilités de bénévolat aux jeunes de 15 à 30 ans. Ce programme relève du portefeuille de l'honorable Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse, avec le soutien de l'honorable Carla Qualtrough, ministre de l'Emploi, du Développement de la main‑d'œuvre et de l'Intégration des personnes handicapées.

Les placements de bénévolat, au sein de l'une des 12 organisations partenaires de Service jeunesse Canada, varient en intensité et en durée pour tenir compte de la participation des jeunes. Les placements à temps plein comportent au moins 30 heures de bénévolat par semaine pendant un minimum de trois mois, tandis que les placements flexibles comportent un minimum de 120 heures de bénévolat sur une période d'un an.

Les jeunes peuvent également demander des microsubventions de Service jeunesse Canada pour financer des projets à petite échelle, dirigés par des jeunes, et des idées de bénévolat innovant pour répondre aux besoins communautaires. Elles permettent aux jeunes de concevoir, d'élaborer et de mettre en œuvre un projet de bénévolat en s'appropriant un problème, en proposant une solution, en recrutant leurs pairs et en l'exécutant au niveau local. Les projets bénéficiant de microsubventions durent généralement trois mois.

5 avril : MM. Morneau et Trudeau se rencontrent pour discuter

MM. Trudeau et Morneau ont brièvement discuté de possibles mesures d'aide aux étudiants dans le cadre d'un appel téléphonique le 5 avril.

Selon M. Trudeau, on lui a dit que le ministère des Finances examinait des options pour aider les étudiants qui perdraient probablement leur emploi d'été. L'une des options était d'avoir recours à Service jeunesse Canada pour mettre les jeunes à contribution dans la prestation de services essentiels.

M. Trudeau a ajouté que le cabinet du ministre des Finances et la fonction publique avaient pris les devants en élaborant les détails d'un programme d'aide aux étudiants. Le personnel du cabinet du premier ministre a certes participé à l'élaboration du programme, mais il ne dirigeait pas les travaux. La documentation soumise au Commissariat est venue corroborer ce fait.

M. Morneau a déclaré que le 6 avril, il avait demandé à son équipe ministérielle et au sous‑ministre des Finances, M. Paul Rochon, de communiquer avec des fonctionnaires de tout le gouvernement et de préparer différentes options pour aider les étudiants. La preuve documentaire démontre que le personnel ministériel de M. Morneau a communiqué avec le cabinet du premier ministre et avec le cabinet de Mme Chagger. Les fonctionnaires du ministère des Finances ont communiqué avec des fonctionnaires d'EDSC dans le but de bonifier le mandat de Service jeunesse Canada.

Selon Mme Michelle Kovacevic, sous‑ministre adjointe au ministère des Finances, son ministère devait élaborer les paramètres politiques pour une décision sur le financement des mesures d'aide aux étudiants. Mme Kovacevic a témoigné que, même si le cabinet du ministre ne rédige pas les décisions, il aide le ministère à bien saisir ce que le ministre veut inclure dans une politique.

Du 7 au 10 avril : Proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS

Selon la documentation fournie, UNIS préparait déjà une proposition visant un programme d'Entrepreneuriat social avant la pandémie de COVID‑19. Le 7 avril, M. Craig Kielburger a parlé avec l'honorable Mary Ng, ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, pour présenter la proposition de programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS. À la suite de cet appel, M. Kielburger a soumis la proposition au cabinet de Mme Ng le 9 avril.

La proposition, retravaillée pour répondre à la nouvelle réalité de la pandémie de COVID‑19, visait à servir 8 000 jeunes Canadiennes et Canadiens sur une période de 12 mois. Elle comportait trois volets : un programme en ligne de 10 semaines offrant une expertise et un soutien en matière d'entrepreneuriat dans le contexte de la COVID‑19; un programme de mentorat mettant en relation les entrepreneuses et entrepreneurs et plusieurs centaines d'expertes et experts d'entreprises établies; et un paiement de base à tous les participantes et participants, qui comprenait également l'accès à des fonds d'encouragement supplémentaires et à des possibilités de mentorat à long terme. La proposition prévoyait trois niveaux de coûts : 6 millions, 11 millions et 14 millions de dollars.

Dans un courriel destiné à M. Kielburger, le personnel de Mme Ng lui a répondu qu'ils examineraient la proposition et qu'ils lui donneraient des nouvelles.

La proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS a également été communiquée au cabinet du ministre des Finances. Dans le but d'élargir son champ d'action à des organisations privées, M. Singh s'est entretenu avec Mme Sofia Marquez, alors directrice des Relations avec le gouvernement et les intervenants d'UNIS, le 8 avril. Au cours de l'appel, Mme Marquez a indiqué qu'UNIS avait transposé en ligne une grande partie de son travail et a parlé d'un programme d'été d'entrepreneuriat social que l'organisme était en train de développer. Mme Marquez a expliqué qu'UNIS avait la capacité de suivre les heures, de gérer les différents participants et d'effectuer les paiements, et qu'elle utiliserait ces outils pour la mise en œuvre de la proposition. 

M. Singh a parlé à Mme Kovacevic de sa conversation avec Mme Marquez et de la capacité d'UNIS de faire le suivi des heures de bénévolat. M. Singh a témoigné qu'à ce moment‑là, il pensait que le gouvernement pourrait utiliser la capacité d'UNIS à faire le suivi des heures pour combler une lacune dans la prestation de services.

Le 9 avril, Mme Marquez a envoyé la proposition d'Entrepreneuriat social par courriel à M. Singh, qui a informé Mme Marquez qu'ils devraient continuer à dialoguer avec le cabinet de Mme Ng et le tenir informé de tout développement dans le dossier.

Le 10 avril, M. Kielburger a envoyé un courriel à M. Morneau et à Mme Chagger, séparément, pour les informer de sa discussion avec Mme Ng et a joint à ce courriel une copie de la proposition qu'il avait soumise à Mme Ng.

Selon M. Morneau, il a lu le courriel de M. Kielburger, mais n'a pas lu la proposition jointe puisque ce n'était pas dans ses habitudes de lire des documents envoyés par des organisations de l'extérieur. Aucun élément de preuve n'indique que M. Morneau a répondu au courriel de M. Kielburger ou a pris quelque mesure que ce soit à ce moment‑là. Selon Mme Chagger, elle n'a pas discuté de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avec M. Morneau ni avec quelconque autre collègue du Cabinet. Je n'ai pu trouver d'éléments de preuve contraires.

14 et 15 avril : M. Morneau et M. Trudeau sont informés des derniers développements

Le 14 avril, M. Morneau a été informé des derniers développements concernant les mesures d'aide aux étudiants par des fonctionnaires du ministère des Finances. Le 15 avril, M. Trudeau a été informé, à sa demande, des mêmes développements par le personnel de M. Morneau et des fonctionnaires du ministère des Finances.

M. Trudeau a reçu des précisions sur l'idée du ministère des Finances d'inciter le plus grand nombre possible de jeunes à faire du bénévolat à l'échelle nationale. On lui a dit que cette nouvelle mesure s'inscrirait dans le cadre de Service jeunesse Canada.

Mme Kovacevic a témoigné que, pendant la séance d'information du 15 avril, elle se rappelait que M. Trudeau était généralement satisfait de la façon dont le ministère des Finances avait positionné la politique de bénévolat pour les jeunes.

Mi‑avril : Des fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances commencent à discuter d'une initiative de bénévolat et d'un portail de jumelage des bénévoles

À la suite de la séance d'information avec M. Trudeau, les fonctionnaires du ministère des Finances et d'EDSC ont commencé à discuter des options de mise en œuvre d'un nouveau programme national de bénévolat pour les jeunes, puisque l'élaboration d'un modèle pour un tel programme relevait de la responsabilité de ces derniers. Le cabinet de Mme Chagger a également été mis à contribution, selon les besoins.

En mi‑mars, à la demande du cabinet de Mme Chagger, des fonctionnaires d'EDSC ont rédigé une proposition visant à bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada. La proposition a été transmise à Mme Kovacevic le 15 avril.

Dans un courriel du 15 avril envoyé par Mme Kovacevic à deux fonctionnaires d'EDSC, dont Mme Rachel Wernick, sous‑ministre adjointe principale, Mme Kovacevic a écrit que le ministère des Finances avait déjà mis de côté des fonds pour la bonification du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et que les fonctionnaires d'EDSC devaient penser à quelque chose de plus gros pour mobiliser le plus de jeunes possible. Mme Kovacevic a suggéré de tirer parti du volet bénévolat de Service jeunesse Canada et du portail de Bénévoles Canada pour recevoir davantage d'offres pour le jumelage des bénévoles, ajoutant que M. Trudeau avait appuyé l'idée. Mme Kovacevic a également évoqué la possibilité d'offrir aux jeunes des bourses en reconnaissance de leur bénévolat. Mme Kovacevic a également informé Mme Wernick que, d'ici quelques jours, M. Trudeau allait probablement faire une annonce concernant des mesures d'appui aux étudiants et qu'il fallait définir les options possibles.

Mme Wernick a répondu qu'elle avait compris qu'en parlant du portail de Bénévoles Canada, Mme Kovacevic sous‑entendait que l'intérêt était de proposer aux jeunes des activités de bénévolat courtes et ponctuelles pour faire leur part dans le cadre de la pandémie de COVID‑19. Mme Wernick a expliqué à Mme Kovacevic que Service jeunesse Canada offrait des microsubventions à des projets entrepris par des jeunes avec d'autres jeunes, et que les activités de bénévolat dans le cadre de Service jeunesse Canada étaient plus intenses que des occasions ponctuelles d'aider à court terme.

Mme Wernick a également informé Mme Kovacevic qu'il fallait être réalistes quant à la possibilité de bonifier les microsubventions de Service jeunesse Canada, compte tenu des limites de la tierce partie chargée de verser les microsubventions aux bénéficiaires et du fait que de nombreuses organisations sans but lucratif avaient fermé leurs portes en raison de la pandémie de COVID‑19. Selon la preuve documentaire, les fonctionnaires d'EDSC ont communiqué avec le tiers au début du mois d'avril pour s'enquérir de sa capacité d'expansion et ont appris que l'organisation pouvait fournir un total de 7 200 microsubventions et qu'il faudrait trois mois pour mettre le tout en place.

Dans la même conversation par courriel, Mme Wernick a conseillé à Mme Kovacevic de ne pas nécessairement compter sur le portail de Bénévoles Canada puisqu'il était limité. Mme Wernick proposait plutôt un service de jumelage en ligne au moyen du portail Guichet‑Emplois du gouvernement avec l'aide promotionnelle d'une organisation, comme UNIS, qui pourrait exploiter sa popularité sur les médias sociaux pour diriger les jeunes vers le site du gouvernement où ils pourraient s'inscrire pour faire du bénévolat. Mme Wernick a écrit que des fonctionnaires communiqueraient avec UNIS.

Dans son témoignage, Mme Wernick a expliqué que c'était son expérience passée avec UNIS qui l'avait amenée à proposer l'organisme. Dans le cadre de la phase de conception de Service jeunesse Canada en 2018, la Direction générale des compétences et de l'emploi d'EDSC avait conclu une entente de contribution avec UNIS, à qui on avait été demandé d'explorer des modèles visant à encourager les jeunes à faire du bénévolat, en mettant particulièrement l'accent sur les supports numériques et les moyens novateurs de mobiliser les jeunes.

Toujours dans son témoignage, Mme Wernick a expliqué que les fonctionnaires d'EDSC avaient également appris, grâce à leur expérience avec la Plateforme pancanadienne d'occasions de bénévolat de Bénévoles Canada, que même si on développe un programme axé sur les jeunes ce n'est pas garanti que les jeunes vont y souscrire. Selon Mme Wernick, de 2017 à 2019, Bénévoles Canada a reçu du financement du gouvernement pour développer un portail qui devait servir de guichet unique aux jeunes pour accéder à des offres de bénévolat de partout au Canada. L'organisation a créé une base de données de 80 000 offres, mais la participation des jeunes a été très limitée, en partie parce qu'on n'avait pas intégré les médias sociaux. C'est la raison pour laquelle elle a suggéré de faire appel à un organisme comme UNIS qui, selon Mme Wernick, avait fait ses preuves en matière de mobilisation des jeunes.

Mme Kovacevic a répondu à Mme Wernick que si quelque chose pouvait être fait avec UNIS, les fonctionnaires d'EDSC devraient le proposer. Mme Kovacevic a témoigné qu'elle avait compris que l'objectif de communiquer avec UNIS à ce moment‑là était de voir s'il était possible d'exploiter leur réseau de jeunes pour les amener à consulter le portail de jumelage des bénévoles du gouvernement. Mme Kovacevic a également déclaré qu'étant donné les délais très serrés et le travail à accomplir, si la participation d'UNIS ou de toute autre organisation pouvait aider le gouvernement à réaliser son ambitieux programme, elle voulait que les fonctionnaires le proposent.

À la suite de ses discussions du 15 et 16 avril avec Mme Kovacevic, Mme Wernick et les fonctionnaires d'EDSC ont commencé à étudier diverses options et à évaluer l'infrastructure du gouvernement pour le portail de jumelage. Ils voulaient déterminer la capacité du gouvernement de créer rapidement une fonction pour faire le suivi des heures de bénévolat, la capacité de la tierce partie responsable de la gestion du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada à prendre de l'expansion, et la capacité de divers groupes sans but lucratif à suivre les heures de bénévolat et à verser les bourses.

Dans son témoignage, Mme Wernick a témoigné que les fonctionnaires d'EDSC ont tenté de répondre très rapidement aux options souhaitées par le gouvernement telles qu'elles leur avaient été présentées par les fonctionnaires du ministère des Finances.

17 avril : Mme Chagger parle à UNIS

Selon la preuve documentaire, après avoir rencontré Mme Chagger lors de l'édition de la Journée UNIS de décembre 2019 à Ottawa, M. Kielburger a communiqué avec elle en février 2020 et a demandé une réunion afin de discuter du travail d'UNIS et leur souhait de collaborer davantage avec le gouvernement. À la suite de cette demande, une réunion a été organisée pour le 17 avril.

En vue de cette réunion, les fonctionnaires d'EDSC ont remis une note d'information à Mme Chagger. Cette note indiquait qu'EDSC avait récemment reçu la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui proposait de créer un portail de formation en ligne sur le bénévolat. La preuve documentaire démontre que la directrice générale de Service jeunesse Canada a communiqué avec Mme Marquez afin d'obtenir de plus amples renseignements sur la proposition d'UNIS. Selon la note d'information, la proposition d'UNIS offrait plusieurs domaines de collaboration future, dont certains pourraient être adaptés pour répondre aux besoins immédiats des jeunes en raison de la pandémie de COVID‑19. Il a été suggéré que Mme Chagger indique à M. Kielburger qu'elle demanderait à ses fonctionnaires de communiquer avec lui pour en savoir plus sur cette proposition, qui pourrait répondre aux besoins immédiats des jeunes en raison de la pandémie.  

Mme Chagger et M. Kielburger se sont parlé le 17 avril. C'est à ce moment que M. Kielburger et Mme Marquez ont présenté la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. À la suite de leur réunion, Mme Chagger a demandé à son personnel si la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS était à l'étude. Son personnel a communiqué avec le personnel du cabinet de Mme Ng pour s'enquérir de l'opinion de Mme Ng sur la proposition. Le personnel de Mme Ng a fait savoir que la proposition d'UNIS faisait l'objet d'un examen et que ni Mme Ng ni son personnel n'avait encore parlé à M. Kielburger à ce sujet.

18 avril : M. Morneau reçoit un compte rendu sur le programme d'aide aux étudiants

Le 18 avril, les fonctionnaires du ministère des Finances ont fait le point avec M. Morneau sur l'élaboration du nouveau programme national de bénévolat. Selon M. Morneau, les fonctionnaires ont soulevé la possibilité d'un partenariat avec le secteur privé ou le secteur sans but lucratif pour le versement des bourses et ont mentionné UNIS, entre autres organismes, à titre d'exemple d'un groupe faisant déjà le même genre de travail. Dans l'ébauche d'une note de service du 17 avril, rédigée par le ministère des Finances à l'intention de M. Morneau, aucun partenariat avec un tiers n'avait été proposé.

Mme Kovacevic a dit dans son témoignage que pendant la séance d'information, M. Morneau a demandé que les jeunes reçoivent une subvention plutôt qu'une bourse pour le bénévolat et a proposé d'avoir recours à une société privée pour verser les subventions.

À la suite de sa séance d'information avec M. Morneau, Mme Kovacevic a dit que les fonctionnaires d'EDSC l'avaient avisée que le fait de verser une subvention plutôt qu'une bourse nécessiterait le recours à un organisme pour verser la subvention en question parce que le gouvernement avait atteint sa capacité avec le versement de la Prestation canadienne d'urgence et de l'assurance‑emploi. Mme Wernick a témoigné que la participation d'une société privée était loin d'être idéale. Il aurait été préférable de faire plutôt appel à un organisme ayant de l'expérience avec les jeunes pour assurer la réussite du programme. Selon la preuve documentaire, à l'époque, les fonctionnaires d'EDSC étudiaient la possibilité de faire verser la bourse ou la subvention par des groupes universitaires, étant donné que le but du nouveau programme national de bénévolat était d'aider les jeunes à payer leurs études postsecondaires.

19 avril : Une fonctionnaire d'EDSC communique avec UNIS

Pendant que les fonctionnaires d'EDSC continuaient d'évaluer l'infrastructure du gouvernement et sa capacité à exploiter un portail de jumelage des bénévoles, Mme Wernick a envoyé un courriel à M. Kielburger pour lui dire que le gouvernement travaillait sur un projet qui pourrait intéresser UNIS. Mme Wernick a écrit qu'il y avait une mince possibilité d'influencer la réflexion et qu'elle bénéficierait grandement des idées de M. Kielburger. Ils se sont parlé peu après.

Mme Wernick a expliqué qu'elle avait appelé M. Kielburger pour lui communiquer de façon générale l'objectif du gouvernement concernant un programme de bénévolat d'été pour les jeunes et obtenir sa réaction en tant qu'expert dans le domaine. Ils ont également discuté des défis actuels auxquels étaient confrontées les organisations sans but lucratif en raison de la pandémie de COVID‑19. Selon Mme Wernick, M. Kielburger a dit qu'à cause de la pandémie, les offres de bénévolat, qui sont généralement faites en personne, devraient maintenant se faire en ligne. Les petits organismes sans but lucratif n'ayant pas beaucoup de capacité numérique allaient avoir besoin d'aide.

C'est à ce moment, selon le témoignage de Mme Wernick, que M. Kielburger a mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Selon les notes de la fonctionnaire concernant l'appel, M. Kielburger a expliqué que la proposition d'Entrepreneuriat social pourrait être jumelée à une initiative nationale de bénévolat et être bonifiée.

Dans une vidéoconférence enregistrée le 12 juin entre M. Marc Kielburger et plusieurs autres participants de diverses organisations canadiennes de jeunes, M. Kielburger a dit aux participants que le cabinet du premier ministre avait communiqué avec UNIS le lendemain de l'annonce par M. Trudeau des mesures d'aide aux étudiants. Selon la déclaration de M. Kielburger dans la vidéo, on lui avait demandé si son organisme voulait participer à la mise en œuvre de la nouvelle BCBE. M. Kielburger a par la suite affirmé qu'il s'était trompé en disant que le cabinet du premier ministre avait communiqué avec lui et que c'était plutôt des fonctionnaires d'EDSC qui l'avaient appelé. Dans sa déclaration officielle, M. Kielburger a confirmé qu'il s'était trompé en disant que l'appel avait eu lieu dans la semaine du 26 avril. L'appel en question était celui du 19 avril entre M. Craig Kielburger et Mme Wernick. La preuve documentaire et le témoignage de Mme Wernick le confirment.

M. Rick Theis, directeur, Politiques et affaires du cabinet du premier ministre, a confirmé qu'il n'avait pas communiqué avec les représentants d'UNIS, et qu'il n'avait pas connaissance que quelqu'un d'autre au sein du cabinet du premier ministre ait eu des contacts avec l'organisme à ce moment‑là. Aucune preuve documentaire ne permet d'affirmer le contraire.

Après son appel à M. Kielburger, Mme Wernick a informé ses fonctionnaires et Mme Kovacevic de son appel avec M. Kielburger. Dans un courriel destiné au personnel du cabinet de M. Morneau, Mme Kovacevic a indiqué que les fonctionnaires d'EDSC croyaient que le gouvernement pourrait être en mesure de faire appel à UNIS comme tierce partie pour le portail de jumelage et d'utiliser l'infrastructure en ligne du gouvernement comme mécanisme de paiement.

Après avoir été informé par Mme Kovacevic, M. Singh a envoyé un courriel à M. Morneau pour l'informer que des fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances avaient décidé d'« intégrer » [traduction] UNIS à titre de tierce partie chargée du versement des bourses et de la gestion du portail de jumelage des bénévoles. Il a écrit qu'il l'appuyait fortement et qu'il était en communication avec UNIS. Toutefois, Mme Kovacevic a précisé dans son témoignage qu'aucune décision n'avait été prise à ce moment concernant UNIS.

19 avril : Communication de la proposition initiale d'EDSC pour un programme national de bénévolat

À la suite de l'appel du 19 avril de Mme Wernick à M. Kielburger, et après avoir terminé l'analyse de l'infrastructure et de la capacité du gouvernement à exploiter et alimenter un portail de jumelage des bénévoles, les fonctionnaires d'EDSC ont rédigé une proposition visant une modeste bonification de Service jeunesse Canada, comptant jusqu'à 15 000 microsubventions. Elle comprenait le développement du site Web Je veux aider, un portail de jumelage des bénévoles et d'un programme de récompense pour les heures de bénévolat accomplies.

Il a été noté dans la proposition d'EDSC que pour mobiliser davantage de jeunes, EDSC étudierait la possibilité d'aider les organisations de jeunesse à orienter davantage de jeunes vers le portail, notamment par l'intermédiaire des médias sociaux. UNIS a été cité comme exemple d'un organisme qui avait un grand nombre d'abonnés sur les médias sociaux.

La proposition laissait entendre qu'un grand nombre d'organisations sans but lucratif avaient fermé leurs portes ou que beaucoup fonctionnaient avec des ressources limitées. Par conséquent, soutenir l'intégration des bénévoles nécessiterait du temps et des ressources qui étaient déjà très sollicitées. En outre, les jeunes de niveau postsecondaire seraient probablement plus intéressés par des offres de bénévolat structuré, et acquerraient une expérience plus significative, que par des offres de travail manuel non qualifié. Toutefois, ces types de possibilités nécessiteraient un soutien plus important de la part de l'organisation bénévole.  

Par conséquent, les fonctionnaires d'EDSC ont suggéré d'utiliser la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui prévoyait 8 000 stages, pour alimenter le portail de jumelage des bénévoles, car elle offrirait des expériences d'apprentissage plus significatives aux étudiants et s'appuierait sur les moyennes et grandes entreprises plutôt que de taxer les organisations sans but lucratif.

Mme Wernick a affirmé qu'étant donné l'urgence de développer un programme approprié, les fonctionnaires d'EDSC pensaient qu'une partie de la structure de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS pourrait être adaptée et utilisée pour bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada. Mme Wernick a également déclaré que les fonctionnaires d'EDSC pensaient qu'UNIS pouvait aider les jeunes et les organisations sans but lucratif à offrir des services numériques.

Le 19 avril, Mme Wernick a communiqué la proposition d'EDSC, ainsi que la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, à un autre fonctionnaire d'EDSC et à Mme Kovacevic, qui a ensuite transmis le courriel de Mme Wernick à M. Singh.

20 avril : UNIS communique avec la fonction publique à la suite d'un appel avec Mme Chagger

Le 20 avril, Mme Marquez a envoyé un courriel à la directrice générale de Service jeunesse Canada, qui avait communiqué avec elle en prévision de l'appel du 17 avril avec UNIS pour faire le point sur l'appel.

Dans son courriel, Mme Marquez a écrit que M. Kielburger avait donné un aperçu à Mme Chagger de la programmation numérique actuelle en matière d'apprentissage de bénévolat et du bien‑être mental dans le cadre de la pandémie de COVID‑19. Selon Mme Marquez, Mme Chagger a exprimé un intérêt à examiner les façons dont la proposition d'Entrepreneuriat social pourrait être adaptée pour comprendre une composante axée sur le bénévolat. Mme Chagger a aussi suggéré qu'UNIS envisage un volet de bénévolat pour les jeunes qui n'étaient pas bien servis à l'époque par le mentorat virtuel et qui cherchaient à obtenir des microsubventions pour faire avancer leur projet. Selon Mme Marquez, en tant que prochaine étape, Mme Chagger a exprimé qu'elle était disposée à mettre en contact UNIS et son personnel et à cerner des moyens concrets de faire avancer l'initiative. Mme Marquez a écrit qu'elle avait partagé la proposition d'UNIS avec bon nombre de fonctionnaires, y compris Mme Wernick, et qu'elle n'avait toujours pas reçu de rétroaction.

La directrice générale a acheminé le courriel de Mme Marquez à Mme Wernick et a demandé si un suivi était nécessaire. Mme Wernick a donné comme instructions à la fonctionnaire d'indiquer à Mme Marquez que les choses continuaient d'évoluer. Mme Wernick a aussi écrit que l'affaire était entre les mains des fonctionnaires du ministère de Finances qui devaient indiquer si la proposition suscitait un intérêt avant quelconque intervention d'UNIS.

Du 19 au 21 avril : UNIS communique avec le personnel ministériel de M. Morneau

Le 19 avril, à la suite de la discussion de M. Kielburger avec Mme Wernick, Mme Marquez a envoyé un courriel à M. Singh et à un autre membre du personnel du cabinet de M. Morneau pour mentionner qu'une haute fonctionnaire d'EDSC avait communiqué avec eux concernant l'annonce de financement possible pour les jeunes, probablement dans le cadre de Service jeunesse Canada. Mme Marquez a également fait remarquer que le programme semblait précipité et non coordonné, mais qu'elle pensait néanmoins qu'UNIS pouvait aider.

Dans sa réponse, M. Singh a présenté ses excuses pour la confusion que la conversation avec Mme Wernick avait pu causer. Il a également parlé de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS indiquant qu'il avait entendu de Mme Wernick qu'UNIS pourrait ajouter aux 8 000 placements et augmenter le nombre de participants. M. Singh a demandé quel serait le coût pour porter le programme en ligne de 10 semaines à 20 000 placements et a demandé que Mme Marquez lui transmette les détails.

Dans un courriel du 20 avril à Mme Kovacevic, M. Singh l'a informée qu'il avait parlé aux membres de l'équipe d'UNIS et qu'ils étaient heureux de retravailler leur proposition d'Entrepreneuriat social initiale pour la transformer en programme pour l'été, offrant 20 000 placements pour 12 millions de dollars, afin de répondre pleinement à l'objectif de l'initiative nationale de bénévolat. Il a écrit qu'il s'était entretenu avec UNIS à un haut niveau sur la nécessité d'une tierce partie pour administrer un incitatif monétaire, si le gouvernement décidait d'en offrir un.

Mme Kovacevic a déclaré qu'elle avait compris que le courriel de M. Singh signifiait qu'il croyait que les possibilités offertes par la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS pouvaient être utilisées pour alimenter le portail de jumelage des bénévoles Je veux aider. Cependant, M. Singh a témoigné qu'il a demandé à UNIS de retravailler sa proposition comme un exercice conceptuel permettant au gouvernement de comprendre comment un programme de bénévolat national pourrait être administré, en particulier le suivi des heures de bénévolat effectuées. Dans son courriel, M. Singh a aussi indiqué qu'UNIS allait bientôt fournir une nouvelle proposition et que dès que les approbations politiques seraient reçues, EDSC devrait communiquer avec l'organisme et le mettre à contribution. Mme Kovacevic a remercié M. Singh d'avoir maintenu une relation « étroite » avec UNIS. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle voulait dire par son commentaire, Mme Kovacevic a déclaré que, au mieux de ses souvenirs, elle pensait que son commentaire venait peut‑être du fait qu'elle craignait de ne disposer que d'options limitées et qu'elle voulait s'assurer que le gouvernement entretenait cette relation.

Dans un courriel envoyé tôt le matin du 21 avril, Mme Marquez a soumis à M. Singh la nouvelle proposition d'UNIS pour un Programme de bénévolat d'été pour les jeunes. Dans son courriel, Mme Marquez expliquait que la proposition offrait de transformer le programme en ligne de 10 semaines de la proposition initiale d'Entrepreneuriat social en un programme national de bénévolat en ligne qui permettrait à 20 000 jeunes Canadiens de participer à des stages et à des projets de bénévolat d'été pendant la crise COVID‑19, au coût de 12 millions de dollars. M. Singh a témoigné qu'il n'avait ni évalué ni analysé la nouvelle proposition et qu'il n'avait pas non plus parlé de la proposition avec M. Morneau.

M. Singh a ensuite transmis la proposition d'UNIS pour le Programme de bénévolat d'été pour les jeunes à un membre du personnel ministériel au sein du cabinet du premier ministre. M. Singh a également déclaré qu'il n'avait pas parlé au personnel du cabinet du premier ministre de la nouvelle proposition d'UNIS.

21 avril : M. Morneau reçoit un compte rendu sur la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant

Le 19 avril, les fonctionnaires du ministère des Finances ont remis à M. Morneau une ébauche de note de service concernant les mesures d'aide aux étudiants proposées, qui contenait quatre notes de financement (annexes 1 à 4) pour approbation par le ministre des Finances, ainsi que de la documentation à titre informatif (annexes 5 à 9). Le 20 avril, la note de service et les annexes ont été communiquées aux fonctionnaires du Bureau du Conseil privé et au personnel du cabinet du premier ministre.

Le 21 avril, des fonctionnaires du ministère des Finances ont fait le point avec M. Morneau sur l'ébauche de la note de service du 19 avril et les neuf annexes. 

Annexe 1 : Bonification des programmes d'emploi et de qualification professionnelle des jeunes

La note portait sur une vaste bonification des programmes fédéraux existants, comme Service jeunesse Canada, par l'augmentation des activités de bénévolat des jeunes et du nombre de microsubventions offertes par Service jeunesse Canada et par la création du portail de jumelage des bénévoles Je veux aider pour soutenir les efforts plus larges pour aider les jeunes à saisir les offres de bénévolat un peu partout au pays.

Il a été noté que pour mobiliser le plus grand nombre de jeunes possible avec le portail de jumelage des bénévoles, EDSC étudierait la possibilité de recourir à des organisations de jeunesse, notamment par l'intermédiaire des médias sociaux. UNIS a été proposé comme exemple d'organisation ayant un grand nombre d'abonnés sur les médias sociaux.

Il a été recommandé que M. Morneau approuve la somme de 112 millions de dollars pour bonifier Service jeunesse Canada, ce qui inclut 2 millions de dollars pour soutenir le portail de jumelage des bénévoles Je veux aider.

Annexe 4 : La Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant

Cette note concernait la nouvelle BCBE, proposition visant à encourager les jeunes et les étudiants à faire du bénévolat dans le cadre de la réponse à la COVID‑19 et à subvenir aux besoins de leurs communautés. Selon le document, l'appel à l'action serait accompagné du lancement du nouveau portail de jumelage des bénévoles Je veux aider qui soutiendrait les efforts plus larges pour aider les jeunes Canadiens à saisir les offres de bénévolat, comme indiqué à l'annexe 1 sur Service jeunesse Canada.

La note soulignait également les avantages et les inconvénients potentiels du lancement du programme pendant l'été. On faisait remarquer qu'un lancement à la fin de l'été donnerait plus de temps pour prendre des décisions concernant le mécanisme de mise en œuvre et les options connexes. Cependant, étant donné les alternatives limitées et l'intérêt de déployer rapidement la BCBE, une tierce partie pour administrer la bourse a été considérée comme la meilleure option. Les fonctionnaires ont déclaré que le responsable de la mise en œuvre devrait être associé à une organisation connaissant bien le secteur du bénévolat, comme UNIS.

Les fonctionnaires du ministère des Finances ont souligné qu'il fallait retravailler l'annexe 4 en raison de préoccupations importantes concernant les bénéficiaires cibles, le coût potentiel et la comparaison du programme avec d'autres mesures proposées pour les jeunes.

Les fonctionnaires du ministère des Finances ont recommandé que si on prévoyait faire une annonce à court terme, il ne fallait présenter que les grandes lignes de la bourse. Ils ont également recommandé de réserver 900 millions de dollars pour l'initiative selon des estimations préliminaires et 100 millions de dollars supplémentaires pour la mise en œuvre et les coûts associés pour un portail plus large et une campagne de sensibilisation du public. Les fonctionnaires ont noté que si M. Morneau acceptait la recommandation, ils s'emploieraient à définir la portée du mécanisme de mise en œuvre et à obtenir une décision de financement sur les éléments en suspens, notamment la manière dont un tiers serait sélectionné et le coût approximatif de la gestion de la bourse.

Le 21 avril, M. Morneau a signé la page de décision approuvant l'annexe 1 et a approuvé verbalement la recommandation visant à mettre en réserve des fonds pour le programme, comme prévu à la page de décision de l'annexe 4.

Annexe 9 : Proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS

Parmi la documentation accompagnant la note, les fonctionnaires du ministère des Finances avaient inclus la proposition initiale d'UNIS sur l'Entrepreneuriat social, qui avait été soumise à Mme Ng le 9 avril. Le ministère des Finances a indiqué qu'étant donné l'intérêt d'encourager les jeunes à contribuer à la réponse à la pandémie de COVID‑19, il évaluait la proposition dans le contexte de l'option concernant la BCBE décrite à l'annexe 4 ainsi que du portail de jumelage des bénévoles proposé par Service jeunesse Canada à l'annexe 1. C'est le ministère des Finances qui a estimé qu'il pourrait être utile d'adopter une approche progressive pour la mise en œuvre d'une initiative de bénévolat plus large, compte tenu des contraintes de santé publique. La note indiquait qu'une séance d'information plus complète pourrait suivre si M. Morneau voulait une analyse plus approfondie de la proposition.

Selon M. Morneau, à sa connaissance, c'était la première fois qu'UNIS était nommé dans les documents d'information qu'il avait reçus concernant les mesures d'appui aux étudiants. Le témoignage de Mme Kovacevic est venu corroborer la version des faits de M. Morneau.

Mme Kovacevic a témoigné qu'étant donné les contraintes de temps, la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS n'avait pas été analysée ni évaluée à ce moment‑là. Selon Mme Kovacevic, M. Morneau n'a reçu aucun détail sur la proposition à sa séance d'information. Il a simplement été informé qu'ils avaient reçu la proposition.

M. Morneau a déclaré qu'il n'avait pris aucune décision concernant la proposition d'Entrepreneuriat social. Rien dans la preuve documentaire n'indique que M. Morneau a approuvé ou donné des directives sur cette initiative. Mme Kovacevic a en outre témoigné que M. Morneau n'a donné aucune instruction concernant UNIS pendant la séance d'information, n'a pas réclamé une autre séance d'information sur la proposition d'Entrepreneuriat social, et ne lui a jamais fait mention de la proposition.

Mme Kovacevic a déclaré que c'est après avoir fait le point avec le ministre qu'elle s'était rendu compte qu'ils n'avaient pas demandé à M. Morneau ses intentions concernant la proposition d'Entrepreneuriat social. Dans un courriel adressé à M. Singh pour lui demander de confirmer les décisions de M. Morneau, Mme Kovacevic a également demandé si le ministère des Finances devait réserver des fonds pour la proposition. M. Singh a répondu qu'il attendait toujours la confirmation du cabinet du premier ministre, mais qu'ils devraient mettre de côté 12 millions de dollars, et a transmis à Mme Kovacevic la nouvelle proposition de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS que Mme Marquez lui avait transmise plus tôt dans la journée.

M. Singh a témoigné qu'il n'avait reçu aucune confirmation de M. Morneau ou du cabinet du premier ministre concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et qu'il avait lui‑même pris la décision qu'une déclaration soit ajoutée à l'annexe 4 par Mme Kovacevic indiquant que la proposition avait été approuvée pour financement par M. Morneau.

Lorsqu'on lui a demandé si la proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS avait été présentée à M. Morneau, Mme Kovacevic a déclaré qu'à ce moment‑là elle n'avait lu ni l'une ni l'autre des propositions d'UNIS et qu'elle n'aurait donc pu donner aucun détail au ministre. N'ayant ni analysé ni évalué la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS, ni lu la nouvelle proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, semble‑t‑il que les fonctionnaires du ministère des Finances ne savaient pas, à ce moment‑là, qu'il s'agissait de deux propositions distinctes.

Selon le Bureau du Conseil privé, peu après la séance d'information de M. Morneau le 21 avril, un haut fonctionnaire du ministère des Finances a fait savoir au Bureau du Conseil privé que M. Morneau avait approuvé le financement de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Le Bureau du Conseil privé n'a pas été en mesure de fournir une trace de cette communication.

Dans la soirée du 21 avril, Mme Kovacevic a transmis à M. Singh la page de décision de l'annexe 4 qui comprenait l'approbation du ministre de mettre de côté 900 millions de dollars pour la BCBE et une ligne provisoire de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Mme Kovacevic a témoigné que la recommandation de financer la proposition était incluse dans l'annexe 4 et qu'il était entendu qu'elle pouvait être retirée si M. Morneau n'était pas d'accord.

Une ligne théorique de 12 millions de dollars pour UNIS a également été incluse dans la ventilation budgétaire de la BCBE et des produits de communication qui ont été rédigés à l'appui de l'annonce prochaine de M. Trudeau concernant les mesures d'appui aux étudiants.

M. Singh a admis que la ligne provisoire de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social n'aurait pas dû être incluse et, étant donné qu'il n'avait pas reçu la confirmation de l'inclure ni du cabinet du premier ministre ni de M. Morneau, il aurait dû s'assurer qu'elle avait été supprimée avant que l'annexe ne soit transmise au Bureau du Conseil privé. M. Singh a témoigné que tout s'était déroulé à un rythme effréné et que c'était une erreur dont il avait assumé la responsabilité.

Selon M. Morneau, il n'a jamais vu la version de l'annexe 4 avec la déclaration de financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Cette affirmation est cohérente avec le témoignage de Mme Kovacevic ainsi qu'avec la preuve documentaire qui démontre que M. Singh a demandé à ses collègues du cabinet du ministre de conserver l'annexe 4 et de ne pas l'envoyer à M. Morneau, car il fallait la retravailler.  

Mme Kovacevic a admis qu'étant donné le rythme effréné auquel le dossier devait progresser, des erreurs ont été commises. Selon Mme Kovacevic, dans un processus normal, un ministre aurait signé toute décision de financement avant une annonce plutôt que de simplement donner une approbation verbale, ce qui signifie qu'il y aurait eu une confirmation écrite de la décision.

21 avril : M. Trudeau reçoit un compte rendu sur les mesures d'appui aux étudiants

Le 21 avril, le personnel de M. Trudeau lui a parlé de l'ébauche de la note de service du 19 avril et des annexes sur les mesures d'appui aux étudiants préparées par le ministère des Finances à l'intention de M. Morneau.

Selon M. Trudeau, il n'avait toujours pas été question qu'UNIS joue un rôle, pour autant qu'il le sache. M. Trudeau avait toujours l'impression que Service jeunesse Canada serait probablement bonifié pour aider à la prestation du programme. M. Trudeau espérait que la bonification de Service jeunesse Canada pourrait être accélérée si cet organisme devenait responsable de la BCBE.

M. Trudeau ne se souvenait pas d'avoir lu l'annexe 9 relative à la proposition d'Entrepreneuriat social, ni qu'on lui en ait fait part à la séance d'information du 21 avril.

M. Theis, qui participait à la séance d'information, a déclaré qu'on avait présenté à M. Trudeau le concept général du programme de bénévolat national : un étudiant qui ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier de la nouvelle Prestation canadienne d'urgence pouvait demander et recevoir une bourse pour mener à bien une activité de bénévolat liée à la pandémie de COVID‑19. M. Theis a déclaré que le concept du programme n'avait pas encore été développé.

M. Theis a déclaré que la participation potentielle d'UNIS n'avait pas été mentionnée à la séance d'information, pas plus que la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. M. Theis a en outre déclaré que ni M. Trudeau ni sa cheffe de cabinet, Mme Katie Telford, n'avaient donné de directives concernant la participation d'UNIS au nouveau programme de bénévolat national.

Le 21 avril, le personnel de Mme Chagger a reçu ses premiers comptes rendus de la part des fonctionnaires d'EDSC, du cabinet de M. Morneau et du cabinet du premier ministre sur les mesures d'appui aux étudiants qui seraient annoncées le lendemain. Les fonctionnaires d'EDSC ont donné des détails sur le portail de jumelage des bénévoles Je veux aider et sur la bonification de Service jeunesse Canada. Le personnel du cabinet de M. Morneau et du cabinet du premier ministre a donné au personnel de Mme Chagger un aperçu des mesures globales d'aide aux jeunes et des nouvelles incitations financières qui seraient offertes pour les personnes ayant accompli du bénévolat. Selon la preuve documentaire, le personnel en a ensuite informé Mme Chagger.

22 avril : M. Trudeau annonce des mesures d'appui aux étudiants

Le 22 avril 2020, M. Trudeau a annoncé une série de mesures proposées pour aider financièrement les étudiants de niveau postsecondaire ainsi que les jeunes diplômés suivant la pandémie de COVID‑19. Parmi ces mesures se trouvait la BCBE, qui accorderait jusqu'à 5 000 $ aux étudiants admissibles qui feraient du bénévolat pendant l'été pour répondre à la pandémie. Il a aussi annoncé le lancement du nouveau portail de jumelage des bénévoles appelé Je veux aider, géré par EDSC, qui permettrait aux étudiants de trouver des offres de bénévolat pour contribuer à la réponse à la COVID‑19 près de chez eux.

Selon M. Morneau, même si son cabinet n'était pas le principal responsable de l'élaboration de la BCBE, son personnel a continué de participer au dossier après l'annonce de M. Trudeau parce que son cabinet avait la responsabilité de suivre l'affectation appropriée des fonds. La preuve documentaire démontre que M. Singh a continué de communiquer avec le gouvernement et avec des représentants d'UNIS au sujet du projet de la BCBE.

22 avril : M. Craig Kielburger soumet la nouvelle proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS

Suivant l'annonce du premier ministre, M. Craig Kielburger a envoyé la proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS, que Mme Marquez avait initialement envoyée à M. Singh le 21 avril, à plusieurs fonctionnaires, dont Mme Wernick et le Bureau du Conseil privé, ainsi qu'à plusieurs ministres, dont M. Morneau, Mme Ng, Mme Chagger, le cabinet de la vice‑première ministre et le cabinet du ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie. Le personnel du cabinet du premier ministre a aussi reçu la proposition de la part du Bureau du Conseil privé. Le cabinet du premier ministre en avait toutefois déjà reçu une copie de la part de M. Singh le 21 avril.

Dans son courriel, M. Kielburger précisait que la nouvelle proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS donnerait à 20 000 jeunes l'occasion de participer à divers projets de bénévolat sur une durée de trois mois pendant l'été et leur permettrait en même temps de recevoir une bourse en prévision de leurs études postsecondaires ou pour leurs besoins personnels. M. Kielburger incluait aussi dans son courriel la mouture originale de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui, selon M. Kielburger, serait mise en œuvre parallèlement à la proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes ou en tant que deuxième volet.  

Le même jour, Mme Marquez a de nouveau soumis les deux propositions d'UNIS à M. Singh. Mme Marquez a mentionné que M. Kielburger les avait envoyées à plusieurs ministres le matin même. M. Singh a acheminé le courriel de Mme Marquez à Mme Kovacevic en offrant des introductions. Dans son courriel, M. Singh informait Mme Kovacevic que lui et Mme Marquez s'étaient parlé plus tôt ce jour‑là au sujet des 20 000 postes que proposait UNIS dans son nouveau Programme de bénévolat pour les jeunes, qui pourrait aider à lancer la BCBE. M. Singh a aussi écrit qu'il espérait que Mme Kovacevic communiquerait rapidement avec Mme Marquez.  

23 avril : EDSC commence à discuter avec UNIS

Dans son témoignage, Mme Wernick a dit que c'est à la suite de l'annonce de M. Trudeau, le 23 avril, que les fonctionnaires d'EDSC ont reçu de Mme Kovacevic et d'autres fonctionnaires du ministère des Finances de plus amples détails au sujet du nouveau programme de la BCBE. Aux dires de Mme Wernick, le programme était très ambitieux et bien plus important que ce que les fonctionnaires d'EDSC avaient proposé en premier lieu avec la bonification de Service jeunesse Canada. Mme Kovacevic a demandé aux fonctionnaires d'EDSC de soumettre un plan de conception et d'exécution de la BCBE en visant la mi‑mai 2020 comme date de lancement.

Mme Wernick a déclaré dans son témoignage qu'étant donné que la BCBE devait être un programme estival lancé à la mi‑mai, les fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances ont conclu qu'ils auraient besoin d'une tierce partie pour gérer la totalité du programme. Mme Wernick a ajouté que pour offrir des possibilités de bénévolat au plus grand nombre de jeunes possible, le gouvernement n'arriverait pas à exécuter le programme à temps par lui‑même.

Mme Wernick a aussi affirmé que c'est à ce moment‑là qu'on a pressenti UNIS comme administrateur potentiel de la BCBE, puisque l'organisme avait la capacité de verser les bourses et qu'il avait soumis sa proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, qui pourrait servir de base à la BCBE.

Suivant leur discussion du 23 avril, Mme Kovacevic a informé Mme Wernick que le cabinet du ministre des Finances avait confirmé que les fonctionnaires d'EDSC devraient « courtiser » UNIS. Toutefois, ils ne devraient pas annoncer de confirmation de financement pour leur proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, car le premier ministre n'avait pas encore signé d'approbation à ce sujet. Mme Wernick a déclaré qu'elle a interprété le courriel de Mme Kovacevic comme lui donnant le feu vert pour entamer des discussions avec UNIS en vue de leur confier potentiellement la gestion de la BCBE. Mme Kovacevic a aussi précisé qu'étant donné que M. Morneau avait uniquement approuvé les 900 millions de dollars réservés à la BCBE, et qu'aucune autre action n'avait été approuvée, Mme Wernick ne devrait faire aucune promesse dans ses pourparlers avec UNIS.

Le 24 avril, Mme Wernick et Mme Kovacevic se sont entretenues avec M. Kielburger et Mme Marquez. Les fonctionnaires du gouvernement leur ont donné des détails sur la nouvelle BCBE et leur ont demandé qu'UNIS soumette une proposition complète en vue de gérer le programme, qui comprendrait des détails supplémentaires comme un plan d'exécution, un budget et un échéancier.

La preuve documentaire démontre que les fonctionnaires d'EDSC ont commencé à travailler de près avec UNIS pour élaborer une proposition de grande envergure qui confierait à UNIS la gestion de la BCBE, sous réserve de l'approbation de Mme Chagger.

26 avril : M. Morneau s'entretient avec M. Craig Kielburger

Selon M. Morneau, dans le cadre d'une campagne de communication auprès d'entreprises et d'organismes sans but lucratif pour discuter de l'impact de la pandémie de COVID‑19 sur leurs secteurs, il a communiqué avec M. Craig Kielburger le 26 avril. M. Morneau a précisé que lui et M. Kielburger n'ont pas discuté de la BCBE ni de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS.

M. Kielburger a déclaré que lui et M. Morneau ont surtout parlé des répercussions de la pandémie de COVID‑19 sur le secteur caritatif et discuté de la pandémie elle‑même. M. Kielburger a dit qu'il avait mentionné en passant sa discussion avec Mme Ng au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social.

Suivant leur conversation téléphonique, M. Kielburger a envoyé un courriel à M. Morneau pour le remercier de l'avoir appelé et pour lui envoyer deux documents relatifs à la pandémie de COVID‑19 que M. Kielburger avait mentionnés pendant leur conversation. M. Kielburger n'a pas abordé le sujet du programme d'Entrepreneuriat social dans son courriel.

M. Kielburger a confirmé qu'il n'avait pas eu d'autres discussions ou communications portant sur la proposition d'Entrepreneuriat social avec M. Morneau après leur conversation du 26 avril.

Le 27 avril, Mme Kovacevic a écrit à Mme Wernick : « Je sais que mon ministre [my min] a parlé avec UNIS. Ça discute beaucoup. Il y a beaucoup d'intérêt de mon côté » [traduction]. Mme Kovacevic a déclaré, dans son témoignage, qu'elle faisait référence, en disant « my min », aux nombreuses discussions qui avaient lieu à cette époque entre M. Singh et Mme Marquez. Toutefois, elle a précisé qu'à son avis, M. Singh n'essayait pas de faire d'UNIS l'administrateur de la BCBE. Mme Kovacevic a ajouté que pendant leurs séances d'information, M. Morneau n'avait jamais parlé d'UNIS. Selon Mme Kovacevic, la priorité de M. Morneau était la pandémie de COVID‑19 et de mettre rapidement des mesures en place pour soutenir les jeunes.

28 avril : EDSC élabore la proposition de la BCBE

Le 28 avril, des fonctionnaires d'EDSC ont fait parvenir au cabinet de Mme Chagger une ébauche de plan de conception et d'exécution pour bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et de la BCBE.

En ce qui concerne la BCBE, l'ébauche recommandait trois éléments : une bourse pour les jeunes faisant du bénévolat, la création du portail Je veux aider, où les jeunes trouveraient des offres de bénévolat et qui servirait à suivre le nombre d'heures de bénévolat accompli, et la sélection d'une tierce partie pour verser les bourses.

En ce qui concerne le portail Je veux aider, la proposition précisait qu'EDSC n'avait pas, à l'époque, la capacité de recueillir, de traduire et de vérifier la qualité des offres de bénévolat avant le lancement du portail. C'est pourquoi on recommandait qu'une tierce partie déniche et valide les offres de bénévolat. En misant sur ses réseaux d'un bout à l'autre du pays, la tierce partie serait en mesure de compiler rapidement des offres de bénévolat et d'en faire une base de données dont elle pourrait aussi contrôler la qualité.

La proposition précisait aussi que la distribution des fonds comportait de grandes difficultés pour EDSC, car il n'y avait pas, à ce moment‑là, de mécanisme pour distribuer ce type de bourse directement à un grand nombre de jeunes. Selon la proposition, le fait qu'EDSC verse des bourses directement aux jeunes pourrait présenter des problèmes du point de vue juridique et des pouvoirs. C'est pour cette raison, et pour accélérer et faciliter la distribution des fonds, que la proposition recommandait que les bourses soient administrées et distribuées par une tierce partie.

La proposition décrivait les trois domaines dans lesquels l'intervention d'une tierce partie était nécessaire si on voulait lancer le programme à la mi‑mai : la gestion des bourses, l'ajout d'offres de bénévolat, et la recherche et la validation des nouvelles offres de bénévolat à afficher sur le portail. La proposition mentionnait qu'on examinait le dossier de diverses tierces parties, mais qu'il n'y en avait pas beaucoup qui avaient ce qu'il fallait pour s'acquitter des trois volets ou qui avaient l'expertise requise pour travailler auprès des jeunes.

Les fonctionnaires d'EDSC ont fait observer qu'UNIS avait soumis une proposition qui était conforme au modèle de la BCBE. Plus précisément, UNIS avait la capacité de fournir 20 000 offres de bénévolat, d'aider à alimenter le portail en faisant appel à son réseau pour chercher de nouvelles offres, d'agir à titre de bureau central en validant les offres en fonction des critères approuvés, et de verser les bourses à chaque étudiant.

30 avril : On discute de la proposition de la BCBE à une réunion interne

Le 30 avril, des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé organisent une réunion interne pour discuter de la BCBE. M. Theis a déclaré dans son témoignage avoir demandé la tenue de cette réunion afin que les fonctionnaires lui expliquent ce qu'ils envisageaient pour la mise en œuvre de la BCBE. Étaient présents des fonctionnaires du ministère des Finances, d'EDSC, du Bureau du Conseil privé ainsi que du personnel ministériel du cabinet du premier ministre et du cabinet de Mme Chagger.

En prévision de la réunion, les fonctionnaires d'EDSC avaient fourni la proposition de BCBE ainsi qu'un document des principaux points à aborder relativement à la BCBE. Le document donnait une description des personnes admissibles, des offres de bénévolat et du portail de jumelage Je veux aider et précisait les montants des bourses et le mode de versement.

Selon les notes prises par les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé et le procès‑verbal de la réunion, celles et ceux présents à la réunion ont posé des questions sur l'admissibilité des participants, les questions d'équité et les divers niveaux de bourse en fonction des heures de bénévolat accomplies. Aucune question n'a été posée sur la gestion de la BCBE par UNIS pendant la réunion.

29 avril au 1er mai : Le personnel de M. Morneau plaide en faveur de la proposition d'Entrepreneuriat d'UNIS

La preuve documentaire démontre que pendant que M. Kielburger et Mme Marquez travaillaient avec les fonctionnaires d'EDSC pour élaborer une proposition concernant l'administration de la BCBE, ils continuaient de tenter d'obtenir du financement pour leur proposition initiale d'Entrepreneuriat social. Des documents démontrent aussi que M. Singh a aidé Mme Marquez à accéder aux bureaux ministériels en la présentant à des membres du personnel et en lui donnant les coordonnées de personnel ministériel, par exemple le personnel du cabinet de Mme Chagger et du cabinet du premier ministre.

Le 29 avril, Mme Marquez a envoyé un courriel à un membre du personnel du cabinet de Mme Chagger pour demander une rencontre, afin de discuter de la possibilité de recevoir des fonds pour la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS, en précisant que c'est M. Singh qui lui avait fourni ses coordonnées. La personne a transféré le courriel de Mme Marquez à M. Singh en lui demandant pour quelle raison il l'avait référée à elle. Dans sa réponse, M. Singh a mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et suggéré qu'on pourrait inclure cette proposition dans les travaux en cours portant sur Service jeunesse Canada et la BCBE.

Le membre du personnel de Mme Chagger a répondu à M. Singh qu'il ne croyait pas que ce programme d'Entrepreneuriat social avait un rôle dans l'affaire. Selon Mme Chagger, l'objet de la proposition ne relevait pas de son portefeuille ministériel et son cabinet n'a pas fait d'autres démarches. Il n'existe pas de preuve documentaire qui démontrerait le contraire.

Dans un courriel du 1er mai envoyé à M. Singh, un membre du personnel du cabinet de Mme Ng a écrit qu'il avait parlé avec M. Kielburger la veille et que M. Kielburger avait indiqué que le cabinet du ministre des Finances appuyait la proposition d'Entrepreneuriat social. Le membre du personnel de Mme Ng a demandé à M. Singh de lui donner du contexte.

Dans sa réponse, M. Singh a confirmé que la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS avait l'appui du cabinet du ministre des Finances. Il a aussi écrit que la proposition serait utile pour la prochaine étape de la réponse à la pandémie de COVID‑19 et a demandé s'il existait une politique ou un programme qui pourrait faire une place à cette proposition au sein du ministère de Mme Ng ou s'il faudrait élaborer un nouveau cadre. Le personnel de Mme Ng a informé M. Singh que des fonctionnaires avaient analysé la proposition et qu'ils estimaient qu'elle était mieux adaptée à EDSC. Le personnel de Mme Ng a ensuite écrit qu'il transmettrait les commentaires de M. Singh au sujet de la proposition et qu'il en discuterait avec ses collègues. Il ne semble pas que le cabinet de Mme Ng ait fait d'autres démarches concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS.

M. Singh a déclaré qu'il parlait au nom du cabinet du ministre des Finances lorsqu'il a dit au personnel de Mme Ng que la proposition avait reçu l'aval du ministre. Selon M. Singh, même si M. Morneau n'avait pas donné son appui à la proposition d'UNIS, et qu'il n'avait pas non plus donné de consignes à M. Singh concernant la proposition, il avait parlé à M. Singh de l'importance de mobiliser autant de jeunes que possible en leur donnant des possibilités d'acquérir de l'expérience de travail. M. Singh était d'avis que la proposition d'UNIS était un bon programme qui pourrait avoir un impact valable sur les jeunes et, par conséquent, en a parlé à d'autres cabinets ministériels.

Selon MM. Marc et Craig Kielburger, on ne leur a jamais promis, ni à eux ni à personne au sein d'UNIS, que leur proposition d'Entrepreneuriat social serait financée par le gouvernement.

1er mai : UNIS soumet une nouvelle version de sa proposition

Le 1er mai, M. Craig Kielburger soumet aux représentants d'EDSC une proposition mise à jour expliquant la façon dont UNIS s'y prendrait pour administrer la BCBE. La proposition a également été envoyée au personnel de Mme Chagger. La proposition donnait un aperçu du budget nécessaire au versement de bourses à trois cohortes de 20 000 étudiants. Le coût du versement à la première cohorte d'étudiants était estimé à 19,5 millions de dollars et celui des deux cohortes suivantes était estimé à 13,77 millions de dollars chacune.

Dans la proposition, les noms de l'épouse et de la mère de M. Trudeau apparaissaient en tant que personnalités ambassadrices canadiennes d'UNIS.

À ce moment‑là, le fait que les noms de l'épouse et de la mère de M. Trudeau apparaissaient dans la proposition à titre de personnalités ambassadrices d'UNIS ne semble pas avoir soulevé le moindre doute quant à un possible conflit d'intérêts pour M. Trudeau.

1er mai : Note de service du Bureau du Conseil privé au premier ministre sur les mesures d'appui aux étudiants

Le 1er mai, des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont envoyé une note de service au premier ministre au sujet des décisions prises le 21 avril par le ministre des Finances concernant les mesures d'appui aux étudiants. Dans la note, on demandait au premier ministre de confirmer sa décision en ce qui concerne la ligne de conduite et l'autorisation de financement en vue de mettre en œuvre les mesures d'appui aux jeunes et aux étudiants canadiens que M. Trudeau avait annoncées le 22 avril.

En ce qui concerne Service jeunesse Canada et la BCBE, les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont appuyé la décision du ministre des Finances.

Tenant pour acquis que M. Morneau avait approuvé le financement de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont inclus dans leur note de service une recommandation au sujet de cette proposition. Selon la note, qui a été approuvée par M. Ian Shugart, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, des fonctionnaires recommandaient de ne pas financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS parce qu'à leur avis, la proposition ne parviendrait pas à aider le vaste éventail d'étudiants touchés par la pandémie de COVID‑19, en particulier les étudiants de populations vulnérables. Ils recommandaient que si le gouvernement souhaitait financer une proposition de ce type dans le cadre d'une aide plus générale aux étudiants, il fallait mener d'autres analyses et retravailler la proposition pour la rendre plus inclusive.  

Il semblerait que les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ignoraient que les 12 millions de dollars se rapportaient à la nouvelle proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS et non à sa proposition initiale d'Entrepreneuriat social.

Selon le Bureau du Conseil privé, les interactions au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social se sont limitées aux fonctionnaires du ministère des Finances. Il n'y a eu aucune discussion entre le Bureau du Conseil privé et M. Morneau ou son personnel au sujet de cette proposition ni avec d'autres ministres ou leur personnel.

Des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont rédigé un mémoire pour le premier ministre, mais ont aussi avisé verbalement le personnel du cabinet du premier ministre quant à l'ensemble du programme d'aide aux étudiants. Le Bureau du Conseil privé a recommandé de ne pas financer la proposition d'Entrepreneuriat social. Selon M. Shugart, il n'y a pas eu d'autres discussions avec le premier ministre au sujet de la proposition.

Dans son témoignage, M. Theis a dit se souvenir que des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé avaient soulevé la même préoccupation que celle exprimée dans leur note de service.

Aux dires de M. Morneau, il n'était pas au courant de l'existence de la note de service du 1er mai, puisque ni lui ni les fonctionnaires du ministère des Finances n'avaient accès aux notes de service destinées au premier ministre. M. Morneau était surpris d'apprendre que la déclaration concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avait été incluse dans la note de service. M. Morneau a confirmé ne pas avoir donné une telle confirmation au Bureau du Conseil privé, et a dit ignorer comment ou pourquoi cette déclaration s'y était retrouvée puisqu'il n'avait jamais approuvé un tel financement.

5 mai : Présentation de la proposition d'EDSC pour la mise en œuvre de la BCBE au Comité du Cabinet sur la COVID‑19

Le 3 mai, un décret est approuvé en vue de confier la responsabilité de la BCBE à Mme Chagger. Le 5 mai, Mme Chagger approuve la proposition d'EDSC concernant la mise en œuvre de la BCBE.

Pendant la pandémie de COVID‑19, le travail habituel des comités du Cabinet a été suspendu et le gouvernement a plutôt créé un comité unique du Cabinet chargé de répondre à la pandémie : le Comité du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie à coronavirus (COVID‑19) (le Comité du Cabinet sur la COVID‑19). En étaient membres les ministres Qualtrough et Morneau; l'honorable Navdeep Bains, ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie; l'honorable Patricia Hajdu, ministre de la Santé; l'honorable Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles; l'honorable Bill Blair, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile; l'honorable Chrystia Freeland, vice‑première ministre du Canada; et l'honorable Jean‑Yves Duclos, président du Conseil du Trésor.

Le 5 mai, Mme Chagger et Mme Qualtrough ont présenté au Comité du Cabinet sur la COVID‑19 la proposition concernant la BCBE, préparée par les fonctionnaires d'EDSC. On leur avait demandé de présenter la proposition conjointement, puisque les questions d'éducation postsecondaire relevaient du portefeuille de Mme Qualtrough, et que Service jeunesse Canada relevait du portefeuille de Mme Chagger.

La proposition précisait que pour assurer la mise en œuvre efficace de la BCBE, il fallait l'appui d'une organisation tierce, étant donné le peu de temps dont on disposait pour la mettre en œuvre et compte tenu du grand nombre d'offres de bénévolat déjà disponibles pour les jeunes au moment du lancement. Ainsi, EDSC recommandait d'accorder du financement à UNIS. Selon Mme Chagger, étant donné que la fonction publique fédérale recommandait UNIS comme administrateur du programme, elle ne croyait pas qu'on avait à s'inquiéter d'un conflit d'intérêts.

Selon le procès‑verbal de la réunion, les membres du Comité du Cabinet sur la COVID‑19 se sont dits en faveur du programme proposé. Ils ont toutefois demandé des précisions quant aux paramètres de conception du programme et ont exprimé des craintes quant à la mise en œuvre par UNIS. Par exemple, ils se demandaient si UNIS avait la capacité de mettre en œuvre un programme national en si peu de temps, de répondre au volume prévu de demandes et d'assurer l'intégrité de la gestion et du versement des bourses aux étudiants de niveau postsecondaire. Plus particulièrement, un des ministres présents s'interrogeait sur le rayonnement de l'organisme au Québec et a soulevé des inquiétudes quant au coût du programme.

Les membres du Comité du Cabinet sur la COVID‑19 ont approuvé la proposition en principe.

Selon M. Morneau, il n'était pas présent à la réunion du 5 mai et n'a discuté de la proposition ni avec des fonctionnaires ni avec ses collègues du Cabinet avant qu'elle soit présentée. On lui a fait un compte rendu de la réunion le 7 mai.

5 mai : Le cabinet du premier ministre s'entretient avec des représentants d'UNIS

Le 5 mai, M. Theis et des représentants d'UNIS se sont parlé au téléphone après que M. Singh a présenté Mme Marquez à des membres du personnel du cabinet du premier ministre.

Selon M. Marc Kielburger, pendant l'appel téléphonique, son frère, lui et Mme Marquez ont discuté de la proposition d'UNIS concernant la gestion de la BCBE. Ils ont demandé de plus amples renseignements à M. Theis sur le cadre stratégique et la structure que le gouvernement souhaitait mettre en œuvre afin que le programme puisse fonctionner correctement.

M. Theis a déclaré, dans son témoignage, qu'à la fin de la discussion, les frères Kielburger et Mme Marquez ont mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social. Selon M. Theis, il a suggéré qu'ils discutent de cette proposition avec le ministère compétent.

Après l'appel, M. Craig Kielburger a envoyé à M. Theis, par courriel, la proposition d'UNIS concernant la gestion de la BCBE, en incluant aussi dans le courriel la proposition d'Entrepreneuriat social. M. Kielburger a demandé à M. Theis de lui fournir le nom des personnes avec qui il pourrait discuter de la proposition d'Entrepreneuriat social afin qu'il soit inclus dans les futures mesures de relance économique. M. Theis a déclaré dans son témoignage qu'il n'avait donné aucun nom à M. Kielburger.

M. Theis et les frères Kielburger ont confirmé ne pas avoir eu d'autres discussions. Les frères Kielburger ont aussi confirmé ne pas avoir eu d'autres discussions avec d'autres membres du personnel du cabinet du premier ministre et n'avoir jamais discuté avec M. Trudeau de leur proposition d'Entrepreneuriat social ou de la BCBE. M. Trudeau a confirmé qu'il n'avait pas personnellement communiqué avec des représentants d'UNIS pour discuter de la BCBE ni de la proposition d'Entrepreneuriat social. Je n'ai pu trouver d'éléments de preuve contraires.

7 mai : M. Morneau reçoit un compte rendu sur la BCBE

Dans un courriel envoyé le 7 mai à M. Morneau, M. Singh a indiqué que la proposition sur la BCBE allait être présentée au Cabinet le lendemain, comme l'avait demandé le cabinet du premier ministre. M. Singh a aussi écrit que la proposition respectait dans une large mesure le cadre établi par le ministère des Finances et le cabinet du premier ministre, et que le choix d'UNIS comme tierce partie souhaitée avait été approuvé par le cabinet du premier ministre. Selon M. Singh, le cabinet du premier ministre avait approuvé le choix d'UNIS en autorisant la présentation de la proposition au Cabinet.

M. Theis a témoigné que lui et d'autres membres du personnel du cabinet du premier ministre avaient décidé de présenter la proposition à l'ensemble du Cabinet pour qu'elle soit ratifiée, ce que ne pouvait pas faire le Comité du Cabinet sur la COVID‑19. M. Theis a aussi affirmé que les dossiers de premier plan étudiés par le Comité du Cabinet sur la COVID‑19 devaient également être portés à l'attention du reste du Cabinet afin que tous les ministres soient au courant des dossiers importants.

Dans un courriel envoyé le 7 mai à Mme Wernick, Mme Kovacevic a indiqué qu'UNIS entretenait des liens avec le cabinet de M. Morneau. Mme Kovacevic a utilisé le terme « meilleurs amis » [traduction] pour décrire la relation entre l'organisme et le ministre Morneau. Elle a ajouté qu'elle ne voulait pas que le cabinet de M. Morneau éclipse Mme Wernick et a demandé au personnel de M. Morneau de dire à UNIS que Mme Wernick était le point de contact. Amenée à expliquer pourquoi elle avait utilisé le terme « meilleurs amis », Mme Kovacevic a déclaré qu'elle ne voulait pas dire que les deux parties avaient une relation spéciale, mais des interactions régulières. Mme Wernick a témoigné que, pour elle, le terme voulait dire qu'il y avait eu des interactions entre le cabinet de M. Morneau et UNIS. Mme Wernick a dit que, d'après son expérience de travail dans la fonction publique fédérale, les cabinets ministériels étaient souvent en communication avec les intervenants; selon elle, ce type d'interactions est approprié et acceptable.

8 mai : M. Trudeau reçoit un compte rendu sur la BCBE

Le 8 mai, Mme Chagger devait présenter la proposition sur la BCBE au Cabinet.

Selon M. Trudeau, c'est à une séance d'information donnée par son personnel avant la présentation au Cabinet qu'il a appris que la proposition prévoyait la conclusion d'une entente de contribution avec UNIS, tierce partie proposée pour l'exécution du programme. M. Trudeau n'avait jusqu'alors pas discuté d'UNIS dans le contexte de la BCBE et s'attendait toujours à ce qu'une version « hyperbonifiée » du Service jeunesse Canada mette en œuvre le programme.

M. Trudeau a indiqué que Mme Telford et lui avaient voulu savoir pourquoi Service jeunesse Canada, ou une autre organisation gouvernementale, n'était pas recommandé pour exécuter le programme. M. Trudeau et son personnel savaient également qu'UNIS était vu comme un organisme ayant des contacts avec des gens au gouvernement. M. Trudeau lui‑même était au nombre de ces contacts, car il avait déjà été invité à parler à des événements d'UNIS. Étant donné que la décision prise ne manquerait pas d'être scrutée, M. Trudeau a jugé qu'il était particulièrement important de s'assurer que le processus décisionnel et la décision elle‑même soient les meilleurs possible dans les circonstances.

M. Trudeau a indiqué que Mme Telford et lui ont estimé qu'il fallait plus de temps pour étudier la proposition avant de la présenter au Cabinet. Ils voulaient être en mesure d'examiner la proposition et de comprendre les raisons qui amenaient la fonction publique à recommander qu'UNIS mette en œuvre le programme. M. Trudeau a donc demandé que le dossier soit retiré de l'ordre du jour de la réunion du Cabinet et que la discussion sur le sujet soit remise à plus tard, le temps d'approfondir l'examen.

M. Theis a déclaré se souvenir que Mme Telford avait exprimé des préoccupations concernant les relations de la famille de M. Trudeau avec UNIS, et que M. Trudeau et Mme Telford avaient tous deux décidé de retirer la proposition de l'ordre du jour du Cabinet parce qu'ils ne comprenaient pas exactement pourquoi la fonction publique estimait que seul UNIS pouvait gérer la BCBE, ni pourquoi le recours aux organisations de Service jeunesse Canada n'avait pas été envisagé. M. Theis a témoigné que, pour cette raison, M. Trudeau a demandé à son personnel de tenter de mieux comprendre la recommandation de la fonction publique.

M. Morneau a dit qu'il n'avait pris part à aucune discussion concernant le report de la présentation au Cabinet, et qu'il n'avait pas discuté de la question avec le premier ministre ni avec ses collègues.

Dans un courriel envoyé au personnel de Mme Chagger à la suite de la décision de ne pas présenter la proposition sur la BCBE plus tôt le même jour, Mme Wernick a jugé qu'il ne fallait pas avoir d'attentes irréalistes concernant la rapidité à laquelle les fonctionnaires pouvaient lancer la BCBE, d'autant plus qu'une autre semaine était perdue en raison du report de la présentation au Cabinet.

Du 13 au 15 mai : Le cabinet du premier ministre exige une analyse plus poussée

Le 13 mai, le personnel de Mme Chagger a transmis à des fonctionnaires d'EDSC la directive de M. Theis concernant le Service jeunesse Canada et la BCBE, comme l'avait demandé M. Trudeau. Les fonctionnaires d'EDSC ont alors été mandatés de déterminer si on pourrait confier la gestion de la BCBE aux 12 organisations de Service jeunesse Canada en plus d'UNIS.

Dans un échange de messages textes avec M. Jamie Kippen, chef de cabinet de Mme Chagger, M. Theis a indiqué qu'il s'agissait de déterminer la meilleure marche à suivre; il a aussi fait écho des préoccupations soulevées relativement au coût et au point de vue voulant que seul UNIS pouvait gérer le programme.

Les fonctionnaires d'EDSC ont réagi en attirant l'attention du personnel de Mme Chagger sur le fait que les organisations de Service jeunesse Canada éprouvaient déjà des difficultés à mettre en œuvre les programmes existants. Ils ont aussi expliqué que Service jeunesse Canada n'avait pas les capacités requises pour accepter d'autres offres de bénévolat, et que ses programmes n'étaient pas destinés à répondre, par l'entremise de bénévoles, aux besoins des communautés découlant de la pandémie de COVID‑19, ce qui était la raison d'être de la BCBE.

Le 15 mai, des membres du personnel de Mme Chagger ont offert à M. Theis leur évaluation de l'idée qu'avait eue le cabinet du premier ministre d'inviter les partenaires nationaux de Service jeunesse Canada à gérer la BCBE de concert avec UNIS. Dans un courriel envoyé à M. Theis, M. Kippen a fait savoir que, puisque la BCBE sortait du mandat donné à Service jeunesse Canada et aux autres parties concernées, les fonctionnaires d'EDSC avaient recommandé vivement de ne pas confier la gestion de la BCBE aux organisations de Service jeunesse Canada. En outre, les fonctionnaires ont indiqué que, pour assurer la bonne gestion des risques financiers et juridiques, il fallait accorder à une seule organisation la mission de verser les bourses.

Dans son témoignage, M. Theis a dit que le personnel de Mme Chagger lui avait envoyé la position d'EDSC, selon laquelle il fallait retenir les services d'UNIS pour garantir la bonne gestion de la BCBE. Lorsqu'on lui a demandé si elle maintenait la position de la fonction publique selon laquelle UNIS était la seule organisation qui pouvait administrer la BCBE, Mme Wernick a témoigné qu'étant donné l'étendue et l'ampleur du programme et la vitesse à laquelle il devait être élaboré et devenir opérationnel, elle maintenait effectivement cette position. Elle a témoigné que s'ils avaient été moins serrés dans le temps, les fonctionnaires d'EDSC auraient proposé différentes options.

15 mai : M. Trudeau approuve le financement des mesures d'appui aux étudiants

Le 15 mai, le personnel du cabinet du premier ministre a remis à M. Trudeau une note d'information sollicitant son approbation des décisions du ministre des Finances concernant le financement des mesures d'appui aux étudiants, qui comprenait le financement conditionnel de 900 millions de dollars pour la BCBE.

La note d'information contenait également la recommandation tirée de la note d'information du 1er mai provenant du Bureau du Conseil privé au sujet de ce que l'on avait cru être, par erreur, la décision du ministre des Finances d'accorder 12 millions de dollars à UNIS pour sa proposition d'Entrepreneuriat social. Dans la note d'information, les membres du personnel du cabinet du premier ministre avisaient M. Trudeau qu'ils étaient d'accord avec la recommandation des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé de ne pas approuver le financement pour la proposition.

M. Trudeau était d'accord avec la recommandation du Bureau du Conseil privé d'approuver le financement d'un vaste programme d'aide financière aux étudiants et de refuser le financement de 12 millions de dollars à UNIS pour sa proposition d'Entrepreneuriat social.

Aux dires de M. Trudeau, il n'avait pas eu connaissance de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avant de recevoir la note d'information du 15 mai.

21 mai : M. Trudeau est informé des résultats de l'examen de la BCBE

Le 21 mai, M. Trudeau a été informé des résultats de l'examen de la mise en œuvre de la BCBE avant la réunion du Cabinet prévue pour le 22 mai. Selon M. Theis, il a informé M. Trudeau que des fonctionnaires l'avaient assuré qu'ils avaient fait preuve de la diligence requise et s'est dit satisfait de leur recommandation selon laquelle UNIS était la seule organisation en mesure d'exécuter le programme en question dans les délais prévus.

Selon M. Trudeau, compte tenu de cet exercice de diligence raisonnable et des assurances fournies par la fonction publique, lui et son personnel étaient à l'aise de présenter la proposition au Cabinet.

22 mai : Ratification de la proposition concernant la BCBE

Le 22 mai, la proposition concernant la BCBE a été présentée au Cabinet sous la même forme qu'elle avait été présentée au Comité du Cabinet sur la COVID‑19 le 5 mai.

Mme Chagger a demandé au Cabinet l'autorisation d'accorder des prix en espèces par le biais de bourses pouvant atteindre 5 000 $ aux étudiants admissibles qui auront fait du bénévolat dans le cadre de la pandémie de COVID‑19, ainsi que du financement pour UNIS pour dénicher des offres de bénévolat un peu partout au Canada.

Le Cabinet a ratifié la proposition sous réserve de l'approbation finale du financement par le ministre des Finances et le premier ministre.

Selon M. Morneau, il a appuyé la proposition finale concernant la BCBE. Le 29 mai, M. Morneau a reçu une lettre officielle de Mme Chagger qui demandait le financement de la BCBE et, le 3 juin, il a approuvé par écrit l'annexe 4 : l'exécution de la BCBE.

Du 25 mai au 21 juin : Le cabinet du premier ministre examine l'entente de contribution

À la suite de la décision du Cabinet de ratifier la proposition concernant la BCBE, le personnel du cabinet du premier ministre a demandé à voir l'entente de contribution conclue avec UNIS. Dans son témoignage, M. Theis a dit que le personnel du cabinet du premier ministre voulait s'assurer de bien comprendre comment UNIS comptait gérer le programme.

Le 29 mai, le personnel du cabinet du premier ministre a rencontré des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé pour discuter de l'entente de contribution conclue avec UNIS. Le personnel du cabinet du premier ministre avait relevé des passages qu'il voulait revoir avec UNIS, comme l'amélioration des exigences en matière de rapports et la présentation régulière de rapports sur les résultats concernant la diversité des étudiants ayant accès au programme.

Dans une note d'information du 11 juin destinée à Mme Telford, le personnel du cabinet du premier ministre faisait le point sur la version finale de l'entente de contribution. Dans la note, le personnel a décrit les changements qu'on avait demandé d'apporter pour s'assurer que le programme réponde aux attentes du gouvernement. Le personnel recommandait que l'entente soit conclue et demandait à Mme Telford son approbation pour aller de l'avant et transmettre la recommandation à M. Trudeau. Le 21 juin, Mme Telford a donné son approbation.

Selon M. Trudeau, il n'a pas reçu de copie de l'entente de contribution et n'a pas eu son mot à dire dans la négociation de l'entente. Le témoignage de M. Theis est venu corroborer la version des faits de M. Trudeau.

22 juin : M. Trudeau approuve l'entente de contribution avec UNIS

Selon M. Trudeau, le 15 juin, M. Theis a fait le point avec lui sur la proposition concernant la BCBE.

M. Trudeau a reçu une note d'information sur les décisions finales en matière de politique et de financement hors cycle pour la BCBE. Dans cette note, le personnel recommandait à M. Trudeau de fournir des directives supplémentaires concernant la supervision du décaissement des fonds approuvés à UNIS pour la gestion d'un maximum de 100 000 placements de volontaires en ce qui concerne les trois tranches qui avaient été déterminées et le financement proposé pour chaque tranche. Le personnel a recommandé à M. Trudeau de demander à la ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse d'écrire au président du Conseil du Trésor pour faire le point sur la BCBE, avant de prélever des fonds supplémentaires pour la prochaine tranche de placements. Le 22 juin, M. Trudeau a signé la note d'information fournie par son personnel, approuvant la proposition concernant la BCBE et le financement de l'entente de contribution avec UNIS.

Mme Chagger a signé l'entente de contribution avec UNIS le 23 juin. Celle‑ci prévoyait 19,5 millions de dollars pour la première tranche de 20 000 placements, 13,53 millions de dollars pour la deuxième tranche de 20 000 placements, et 10,5 millions de dollars pour la troisième tranche allant jusqu'à 60 000 placements additionnels, soit un total de 43,53 millions de dollars.

Le 25 juin, M. Trudeau a annoncé publiquement le lancement de la BCBE, qui serait gérée par UNIS.

Le 3 juillet, Mme Chagger a annoncé que le gouvernement fédéral et UNIS avaient convenu de rompre tout lien. 

POSITION DE M. TRUDEAU​

M. Trudeau a affirmé que la décision du gouvernement de confier la gestion de la BCBE à UNIS en tant qu'administrateur tiers ne l'avait pas placé en situation de conflit d'intérêts. Selon lui, cette décision ne lui a pas donné la possibilité de favoriser son intérêt personnel ni celui de l'un ou l'autre de ses parents, ni de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel d'une autre personne, en l'occurrence UNIS. M. Trudeau a maintenu qu'il n'avait pas pris part à la sélection d'UNIS comme administrateur de la BCBE, mais qu'il avait plutôt suivi la recommandation de la fonction publique fédérale, qui n'a proposé aucune autre solution viable.

Selon M. Trudeau, il n'entretient pas de proches relations avec UNIS, puisqu'il n'est pas ami avec MM. Kielburger et qu'il n'a de liens étroits avec aucun autre membre de l'organisme. M. Trudeau a ajouté qu'il n'avait jamais fréquenté MM. Kielburger dans un contexte personnel et qu'il n'avait jamais bénéficié financièrement de sa participation à des activités d'UNIS.

M. Trudeau a aussi affirmé que sa mère et son frère poursuivent leur propre carrière de façon indépendante, en se livrant à de nombreuses initiatives auprès d'un large éventail de partenaires et d'organisations. Il a ajouté qu'il savait à l'époque que son frère et sa mère avaient tous deux pris part à des activités d'UNIS, sans toutefois être au courant de leurs arrangements financiers avec l'organisme. M. Trudeau a ajouté qu'il n'y avait aucun lien entre le mandat de gestion de la BCBE confié à UNIS et le travail de ses parents pour l'organisme. Selon lui, la décision de confier la gestion de la BCBE à UNIS n'aurait pas permis à ses parents de profiter de cette relation pour favoriser leurs intérêts personnels.

En ce qui concerne l'engagement de Mme Grégoire Trudeau auprès d'UNIS, M. Trudeau a noté que je ne trouvais rien à redire à son affiliation non rémunérée à l'organisme, y compris le remboursement de frais de déplacement et d'hébergement, en septembre 2018. M. Trudeau faisait alors référence à l'avis produit par le Commissariat selon lequel Mme Grégoire Trudeau devait son rôle auprès d'UNIS à ses propres qualifications et à sa propre carrière.

M. Trudeau a soutenu que dans chacun des trois cas, il n'y avait aucun lien entre le travail qu'UNIS allait entreprendre pour la BCBE et les allocutions prononcées par ses parents. Autrement dit, il n'y avait aucune raison de croire que les parents de M. Trudeau obtiendraient plus de travail ou du travail mieux rémunéré d'UNIS à l'avenir étant donné qu'UNIS a été sélectionné pour administrer la BCBE. Par conséquent, M. Trudeau était d'avis que puisque sa décision d'approuver la création de la BCBE ne représentait pas une occasion de favoriser leurs intérêts personnels, elle n'a pas engendré un conflit d'intérêts.

Enfin, M. Trudeau a soutenu que l'apparence de conflit d'intérêts ne suffisait pas à conclure qu'il y avait eu contravention à la Loi. À son avis, pour qu'il y ait contravention, il doit y avoir un conflit d'intérêts réel. De plus, la Loi n'exige une récusation que dans les cas où le titulaire de charge publique sait ou devrait raisonnablement savoir qu'il se trouve dans une situation de conflit d'intérêts réel. Selon M. Trudeau, l'exigence établie à l'article 21 devrait donc être interprétée en harmonie avec le paragraphe 6(1).

ANALYSE ET CONCLUSION​

Analyse

Dans le cadre de cette étude, je dois déterminer si M. Trudeau, en sa qualité de premier ministre du Canada, a contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 7 et 21 de la Loi lorsqu'il a pris part à la décision d'accorder ou non du financement pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et de choisir UNIS comme administrateur de la BCBE.

Traitement de faveur

En commençant d'abord par l'allégation de la contravention à l'article 7 de la Loi, je dois déterminer si M. Trudeau, dans l'exercice de ses fonctions officielles, a accordé un traitement de faveur à UNIS en fonction de l'identité d'une personne qui représentait UNIS.

L'article 7 prévoit ce qui suit :

7. Il est interdit à to​​​ut titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.

Dans le Rapport Paradis, l'étude de la commissaire Dawson portait aussi sur une possible contravention à l'article 7 de la Loi. Comme l'expression « traitement de faveur » n'est pas définie dans la Loi, la commissaire de l'époque s'était appuyée sur la définition utilisée dans le rapport de 1984 du Groupe de travail sur les conflits d'intérêts, coprésidé par les honorables Michael Starr et Mitchell Sharp, intitulé L'éthique dans le secteur public. Dans ce rapport, l'expression « traitement de faveur » est ainsi définie : « privilèges qui ne sont pas accordés à d'autres personnes dans des circonstances semblables ».

La commissaire Dawson avait conclu que les facteurs « l'amenaient fortement à croire » que M. Paradis, alors ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, avait accordé un traitement de faveur à une entreprise (la Green Power Generation). Il l'avait fait en organisant des rencontres entre des fonctionnaires de son ministère et le fondateur de l'entreprise, M. Rahim Jaffer, même s'il était très peu au fait de la proposition. La commissaire Dawson avait conclu que M. Paradis voulait « aider un ancien collègue de caucus ». Le traitement de faveur reposait donc sur l'identité du représentant de l'organisation.

Dans le Rapport Finley, la commissaire Dawson a également étudié l'application de l'article 7 dans le contexte d'une initiative de financement fédéral. Elle avait conclu que Mme Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, avait accordé un traitement de faveur à l'auteur d'une proposition en l'autorisant à fournir d'autres renseignements en complément de sa proposition initiale et en demandant une évaluation externe, processus dont aucun autre demandeur n'a bénéficié. Mme Finley avait également choisi la proposition gagnante, malgré certaines lacunes dont elle était au courant. Toutefois, la commissaire Dawson avait conclu que rien n'établissait que le traitement de faveur reposait sur l'identité du représentant de l'auteur de la proposition. Bien qu'il ait été constaté que Mme Finley n'a pas contrevenu à l'article 7 de la Loi, la décision d'accorder le financement à l'auteur de la proposition a été jugée contraire au paragraphe 6(1) en raison du traitement de faveur.

Comme l'illustre le Rapport Finley, l'article 7 n'inclut pas les cas où la partie intéressée profite d'un traitement de faveur accordé directement par un titulaire de charge publique. L'interdiction de l'article 7 couvre les cas où la personne ou l'organisme reçoit un traitement de faveur, en raison de l'identité de son représentant.

Il convient de réitérer que les motifs raisonnables d'étudier une contravention possible de l'article 7 comprenaient principalement la déclaration enregistrée de M. Marc Kielburger selon laquelle un membre du cabinet du premier ministre avait communiqué avec lui le lendemain de l'annonce publique du 22 avril de M. Trudeau concernant un programme d'aide aux étudiants à venir. M. Kielburger m'a fourni une déclaration sous serment à l'effet qu'il s'était mal exprimé. Cette constatation est d'ailleurs soutenue par la version des événements de M. Trudeau et de M. Theis ainsi que par la preuve documentaire, qui démontre que le cabinet du premier ministre n'a pas pris part aux discussions concernant la sélection de l'administrateur de la BCBE à ce moment.

À la suite de mon examen des éléments de preuve recueillis, je suis d'avis que M. Trudeau n'a pas accordé un traitement favorable à UNIS et que les décisions qu'il a prises dans cette affaire n'étaient pas influencées par l'identité de l'un ou l'autre de ses représentants.

M. Trudeau a été informé de l'évolution du programme d'aide aux étudiants le 15 et le 21 avril 2020. À ce moment, il avait l'impression que ce serait la fonction publique fédérale qui s'occuperait de la gestion du programme par l'intermédiaire de Service jeunesse Canada, même si on allait faire appel à une tierce partie pour aider à débourser les fonds. En fonction de mon examen de la preuve documentaire, j'accepte la position de M. Trudeau selon laquelle il n'a appris la participation d'UNIS dans la BCBE qu'au moment où le Cabinet a été saisi du dossier le 8 mai. M. Trudeau a alors demandé que la fonction publique procède à une autre analyse pour confirmer que seul UNIS était en mesure de gérer la BCBE, retardant ainsi le processus d'approbation de deux semaines.

Le 15 mai 2020, M. Trudeau a souscrit à la recommandation du Bureau du Conseil privé de financer la BCBE et de ne pas financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Cette dernière décision, soit la seule que M. Trudeau ait prise relativement à la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, ne peut être perçue de quelconque façon comme étant favorable à UNIS. Pour ce qui est de la BCBE, l'approbation que M. Trudeau a donnée le 15 mai, puis sa participation le 22 mai à la sélection par le Cabinet d'UNIS en tant qu'administrateur du programme, étaient effectivement favorables à UNIS. Cependant, ces décisions ne constituaient pas un traitement qui était plus favorable que celui qui aurait été accordé à une autre tierce partie recommandée de manière semblable.

Je n'ai pu trouver aucun élément de preuve indiquant que M. Trudeau aurait donné des directives particulières au Cabinet ou à son personnel ministériel sur la façon de procéder quant au programme d'aide aux étudiants. M. Trudeau n'a pas participé personnellement à quelconque discussion mettant en cause UNIS, et son personnel ministériel n'a commencé à communiquer avec UNIS qu'après avoir été approché par EDSC pour gérer la BCBE. 

De plus, dans toutes ces situations, M. Trudeau n'était pas, à mon avis, motivé par l'identité de quelconque personne représentant UNIS, y compris les frères Kielburger ou l'un ou l'autre de ses parents.

Je n'ai pas non plus vu d'éléments de preuve indiquant qu'UNIS aurait tenté de communiquer avec M. Trudeau directement au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social ni de la BCBE.

Mme Margaret Trudeau et M. Alexandre Trudeau ont également confirmé qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre parlé à M. Trudeau d'une affaire officielle, y compris de la BCBE. M. Trudeau a aussi confirmé qu'il n'a pas discuté de cette initiative avec son épouse.

Les éléments de preuve démontrent que les interactions avec UNIS dans le dossier à l'étude ont eu lieu surtout avec des membres du personnel ministériel de M. Morneau et avec des fonctionnaires. Ces individus étaient responsables de la conception et de l'élaboration du volet sur le bénévolat dans le cadre des mesures d'appui aux étudiants. C'est pourquoi j'ai également étudié la question à savoir si M. Trudeau ou un membre de son personnel ministériel était intervenu indirectement, par le biais de la fonction publique, pour accorder à UNIS un traitement de faveur.

Mmes Wernick et Kovacevic, les fonctionnaires responsables de l'élaboration de la BCBE, ont toutes deux témoigné qu'elles ignoraient toute association de M. Trudeau et de sa famille avec UNIS. Elles ont également toutes deux affirmé n'avoir reçu aucune directive de M. Trudeau ou de son cabinet et rien dans la preuve documentaire ne suggère le contraire.

Je crois que dans la frénésie de distribuer les fonds le plus rapidement possible à celles et ceux touchés par la pandémie de COVID‑19, on s'est écarté du processus habituel d'élaboration des politiques. Mme Kovacevic a expliqué que l'ébauche d'une note d'information a été diffusée et utilisée pour informer M. Trudeau, mais qu'elle n'avait pas été mise à jour pour tenir compte de l'évolution des discussions entre EDSC et UNIS. La proposition d'Entrepreneuriat social était restée jointe à la note d'information destinée au premier ministre et les fonds affectés figuraient toujours dans les outils de communication même s'ils n'avaient pas été approuvés par M. Morneau. De son côté, Mme Wernick a expliqué dans son témoignage qu'elle aurait présenté davantage d'options si elle avait eu le temps de procéder à une analyse en bonne et due forme. Ces écarts par rapport à la procédure habituelle s'expliquent par les conditions extraordinaires qui régnaient à ce moment‑là plutôt que par la participation de M. Trudeau à titre personnel ou par l'intermédiaire de son cabinet ministériel.

Décision de M. Trudeau concernant la proposition d'Entrepreneuriat social et la BCBE

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision qui le placerait dans une situation de conflit d'intérêts. En voici le libellé :

6. (1) Il est interd​​​it à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.

L'article 4 de la Loi décrit les circonstances dans lesquelles un titulaire de charge publique serait en situation de conflit d'intérêts pour l'application du paragraphe 6(1) de la Loi. Voici ce que prévoit l'article 4 :

4. Pou​​​r l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

L'article 21 de la Loi exige que le titulaire de charge publique se récuse de certaines situations. En voici le libellé :

21. Le ​​titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.

En ce qui concerne l'allégation d'une contravention possible au paragraphe 6(1), j'ai examiné si M. Trudeau, à titre de premier ministre, a participé à la prise d'une décision qui lui aurait fourni la possibilité de favoriser son intérêt personnel, ou celui d'un parent ou d'un ami, ou de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel de toute autre personne.

Je suis d'avis qu'il n'y avait aucune occasion de favoriser l'intérêt personnel de M. Trudeau. J'ai examiné la participation de M. Trudeau à plusieurs événements de la Journée UNIS, participation pour laquelle il n'a reçu ni rémunération ni avantage. J'ai aussi examiné sa participation aux demandes de financement précédentes d'UNIS. À cet égard, je souligne que M. Trudeau était alors ministre des Affaires intergouvernementales et de la Jeunesse à partir de sa réélection en 2015 jusqu'en juillet 2018. Il n'aurait pas été inhabituel qu'il soit tenu au courant des initiatives d'UNIS et que son cabinet participe à de telles discussions à titre officiel. Aucun élément de preuve n'a suscité des préoccupations que les intérêts de M. Trudeau aient été favorisés en raison des discussions sur la BCBE ou sur autre dossier touchant UNIS. 

À mon avis, il n'y avait aucun lien réel entre le rôle d'UNIS dans la BCBE et les engagements rémunérés des parents de M. Trudeau. De plus, aucun élément de preuve n'a démontré que l'un d'eux aurait pu profiter, même indirectement, de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS ni de la BCBE. L'objectif de la BCBE était d'aider les étudiants et les jeunes qui avaient été touchés par les perturbations causées par la pandémie de COVID‑19. Même si UNIS avait pu tirer un gain financier de l'administration de la BCBE, l'argument selon lequel des parents de M. Trudeau, qui avaient été payés par UNIS pour prononcer des allocutions, auraient pu ultimement profiter des fonds reçus par UNIS (pour gérer la BCBE) est trop vague et trop spéculatif pour mériter un examen plus approfondi.

Les nombreuses apparitions de M. Trudeau à des événements de la Journée UNIS et les nombreuses demandes de financement fédéral des Kielburger m'ont amené à étudier l'existence possible d'une relation personnelle entre les deux parties. Dans le Rapport Watson, la commissaire Dawson s'est penchée sur une relation semblable entre un titulaire de charge publique et un demandeur de financement fédéral dans le cadre d'une possible contravention du paragraphe 6(1) et de l'article 21 de la Loi. L'étude portait sur des décisions qu'aurait prises M. Colin Watson, un membre du conseil d'administration de l'Administration portuaire de Toronto, concernant un projet d'achat d'un nouveau traversier. Il avait été allégué que le demandeur, M. Robert Deluce, était un ami du membre de M. Watson.

La commissaire Dawson a souligné que le terme « ami » n'est pas défini dans la Loi. Elle a ajouté que le mot pouvait s'appliquer à « une variété de rapports, du compagnon de vie de longue date au voisin, en passant par le collègue, la connaissance et le partenaire d'affaires qu'on ne voit qu'à l'occasion et envers qui on ressent peu d'attachement ». À son avis, l'interdiction concernant la prise de décision au paragraphe 6(1) ne vise pas les personnes autres que « celles qui ont un lien étroit d'amitié, un sentiment d'affection ou un lien spécial ».

Je suis également d'avis que M. Trudeau et MM. Kielburger ne sont pas amis au sens de la Loi. M. Trudeau ne fréquentait pas MM. Kielburger à l'extérieur de ses fonctions publiques et de sa participation aux événements de la Journée UNIS. Cela a en outre été confirmé par MM. Kielburger. Aucun élément de preuve ne m'a porté à remettre en question la position de M. Trudeau, rendue sous serment, à cet égard.

Pour compléter mon analyse, je dois donc déterminer si M. Trudeau a exercé une fonction officielle qui lui a fourni la possibilité de favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel d'UNIS, comme il est prescrit à l'article 4 de la Loi.

J'ai étudié deux occasions de favoriser l'intérêt personnel d'UNIS. La première portait sur la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui avait été distribuée à plusieurs ministres, à leur personnel et à des fonctionnaires. La proposition a ensuite été examinée par le ministère des Finances puis envoyée au Bureau du Conseil privé pour approbation. Bien que le Bureau du Conseil privé ait fini par ne pas recommander le financement de cette initiative, la situation donnait néanmoins l'occasion à M. Trudeau de favoriser l'intérêt personnel d'UNIS puisque la décision finale lui revenait. La deuxième occasion portait sur la ratification par le Cabinet de la BCBE et le choix de confier la gestion du programme à UNIS.

Il va sans dire que l'intérêt d'UNIS aurait été favorisé si le gouvernement était allé de l'avant avec la proposition d'Entrepreneuriat social ou si UNIS avait géré la BCBE. Dans les deux cas, UNIS aurait acquis un intérêt financier important pour son rôle. L'acquisition de tout intérêt financier par un individu ou une organisation, qu'elle conduise ou non à une hausse des avoirs de la personne, est considérée comme un intérêt personnel au sens de la Loi. Comme ma prédécesseure l'a mentionné dans le Rapport Trudeau au sujet d'une subvention fédérale accordée au Centre mondial du pluralisme, organisme sans but lucratif, « même si les décisions sur le financement public sont généralement censées être prises dans l'intérêt public, il n'en reste pas moins qu'une subvention publique favorise expressément l'intérêt personnel du bénéficiaire ».

Pour qu'il y ait contravention au paragraphe 6(1), l'intérêt personnel en question doit avoir été favorisé de façon irrégulière. Dans le Rapport Trudeau II, j'ai fourni des exemples d'irrégularités tirés de rapports d'étude antérieurs. J'ai expliqué qu'il y a irrégularité au sens de la Loi lorsqu'un titulaire de charge publique, dans l'exercice de sa charge, va à l'encontre de l'intérêt public, soit en agissant en dehors du champ de sa compétence, soit en agissant contrairement à une règle, à une convention ou à un processus établi.

Bien que je n'aie trouvé aucune indication selon laquelle M. Trudeau aurait accordé un traitement de faveur à UNIS dans mon analyse de la question à l'étude en vertu de l'article 7 de la Loi, je dois souligner que le traitement de faveur, au sens général, pourrait également être considéré comme une irrégularité au titre du paragraphe 6(1). C'était d'ailleurs le cas dans le Rapport Finley.

À mon avis, la création et la ratification éventuelle de la BCBE n'ont pas été faites de façon irrégulière. Les éléments de preuve ont mis en évidence les conditions de travail extraordinaires qui ont conduit à l'élaboration de ce programme. La fonction publique a été chargée, au début du mois d'avril, de concevoir un programme qui permettrait de distribuer des millions de dollars de fonds fédéraux à des milliers de bénéficiaires en quelques semaines. Lorsqu'un programme de cette ampleur est mis en place dans un délai aussi court, comme je l'ai mentionné plus tôt, il est inévitable que l'on s'écarte des pratiques habituelles. Aucun de ces écarts n'était le résultat d'instructions ou de directives données par M. Trudeau concernant ce dossier.

Néanmoins, les éléments de preuve recueillis dans le cadre de l'étude démontrent que M. Trudeau et des membres de sa famille participaient étroitement aux affaires d'UNIS depuis plusieurs années. Sa mère et son frère ont tous deux été rémunérés pour parler à des événements organisés par UNIS, tandis que son épouse a été ambassadrice officielle et alliée d'UNIS depuis 2018, en plus d'animer son propre balado parrainé par UNIS. Pas plus tard qu'en mars 2020, la mère et l'épouse de M. Trudeau ont participé à des activités de la Journée UNIS et ont été remboursées pour leurs frais de déplacement et d'hébergement. Des photographies de la mère et de l'épouse de M. Trudeau ont même été utilisées dans une version mise à jour de la proposition d'UNIS pour la BCBE. À tout cela s'ajoutent les nombreuses occasions où M. Trudeau, lui‑même, a participé à des rassemblements publics d'UNIS et a bénéficié du matériel publicitaire et promotionnel généré, directement et indirectement, par UNIS.

Une interaction isolée, que ce soit par M. Trudeau ou par un seul parent, aurait probablement été insuffisante pour remettre en question l'exercice de ses fonctions officielles concernant UNIS. Le simple fait de participer à un événement organisé par UNIS, comme tant d'autres députés et titulaires de charge publique le font, ne nécessite pas automatiquement une récusation concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote portant sur cette organisation.

Toutefois, pris ensemble, les nombreux éléments exposés dans les paragraphes précédents donnent lieu à une forte apparence de conflit entre la relation de la famille Trudeau avec UNIS et le devoir de M. Trudeau de prendre des décisions qui servent au mieux l'intérêt public. C'est cette apparence de conflit d'intérêts qui a motivé mon étude d'une possible contravention au paragraphe 6(1).

M. Trudeau ne conteste pas le fait que sa proximité ainsi que celle de sa famille avec UNIS crée une apparence de conflit d'intérêts. Toutefois, selon M. Trudeau, un conflit apparent n'entraîne pas nécessairement une contravention à une règle de fond sur les conflits d'intérêts en vertu de la Loi.

Le nœud du problème est donc de savoir si l'apparence de conflit est couverte par la définition du conflit d'intérêts de l'article 4 de la Loi et, dans l'affirmative, si elle constitue une irrégularité au sens de la Loi.

Il est généralement reconnu que les conflits d'intérêts se divisent en trois catégories : réels, potentiels ou apparents. Dans la Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens, le commissaire Parker avait pour tâche de déterminer s'il y avait conflit d'intérêts réel ou apparent « tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après‑mandat ». En l'absence d'une définition précise du conflit d'intérêts dans le Code ou dans tout autre instrument politique régissant la conduite des titulaires de charge publique, le commissaire Parker a élaboré des définitions de chaque terme qui ont ensuite été adoptées par les tribunaux de première instance et d'appel dans les affaires de conflit d'intérêts.

Selon le commissaire Parker, pour que le conflit d'intérêts soit réel, trois conditions doivent être réunies :

  • l'existence d'un intérêt privé;

  • la connaissance de cet intérêt par le titulaire d'une charge publique;

  • l'existence, avec les fonctions officielles du titulaire, d'un lien suffisant pour en influencer l'exercice.

​​Le commissaire Parker a fait remarquer qu'un conflit d'intérêts potentiel survient entre le moment où le titulaire de charge publique se rend compte qu'il a un intérêt personnel dans une affaire donnée et le moment où il exerce une fonction officielle qui le placerait dans une situation de conflit d'intérêts. Le conflit ​​potentiel est « ce court répit de réflexion à tête froide qui permet au titulaire d'une charge publique de résoudre le conflit qui se présente de façon à accroître la confiance du public dans l'intégrité du gouvernement ».

Un conflit potentiel survient dès qu'un conflit réel est prévisible par le titulaire de charge publique. Il doit alors « prendre les mesures nécessaires » pour se retirer du conflit potentiel. S'il exerce une fonction ou une responsabilité officielle sans avoir préalablement supprimé l'intérêt personnel, « il franchit le pas décisif et se retrouve alors en situation de conflit d'intérêts réel ».

Pour tenter de formuler une définition du conflit d'intérêts apparent, le commissaire Parker s'est tourné vers la common law et le concept de crainte raisonnable de partialité. Ce principe juridique énonce que « justice doit non seulement être faite, mais paraître avoir été faite[4] ». S'appuyant sur une jurisprudence plus récente, le commissaire Parker a observé :

I​​​l suffit qu'une personne informée envisageant l'affaire d'une façon réaliste et pratique et ayant soigneusement pesé les choses finisse par conclure qu'il y a apparence de conflit. C'est ce que le mot apparence signifie. […] « Il y a conflit d'intérêts apparent lorsqu'il y a crainte raisonnable de conflit d'intérêts, crainte qu'une personne raisonnablement bien informée pourrait à bon droit avoir[5] ».

Le Code sur l'après‑mandat, qui régissait la conduite des titulaires de charge publique à l'époque de l'enquête du commissaire Parker prévoyait que les « ministres doivent également éviter de se placer dans une situation où ils sont, ou peuvent sembler être, redevables à une personne ou à un organisme qui pourrait tirer parti d'un traitement de faveur de leur part » [soulignement ajouté]. À cet égard, le commissaire Parker a également reconnu qu'il n'était pas nécessaire qu'un conflit réel survienne pour que l'on conclue à un conflit d'intérêts apparent.

Le Code régissant les conflits d'intérêts des députés, auquel M. Trudeau et tous les autres députés doivent se conformer dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires, prévoit expressément les types de conflits à éviter. L'un des principes directeurs du Code est qu'on s'attend que les députés « remplissent leurs fonctions avec honnêteté et selon les normes les plus élevées de façon à éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents ». On s'attend également des députés qu'ils « exercent leurs fonctions officielles et organisent leurs affaires personnelles d'une manière qui résistera à l'examen public le plus minutieux, allant au‑delà d'une stricte observation de la loi ».

Le Code de valeurs et d'éthique, l'instrument de politique qui régit la bonne conduite de tous les fonctionnaires fédéraux, regorge de références aux conflits d'intérêts apparents. Les fonctionnaires, tout comme les titulaires de charge publique, jouissent de la confiance du public. Ils doivent prendre des décisions dans l'intérêt public et doivent être perçus comme étant justes, impartiaux et intègres. La Cour suprême du Canada a reconnu l'importance de « l'impartialité réelle et apparente » de la fonction publique dans un jugement de principe sur le devoir de loyauté des fonctionnaires[6]. Dans une autre décision, la Cour suprême du Canada a également souligné l'importance de préserver non seulement l'intégrité du gouvernement, mais aussi l'apparence d'intégrité[7]. Autrement dit, la confiance du public peut être ébranlée tout aussi facilement par l'apparence d'irrégularité que par l'irrégularité elle‑même.

Contrairement aux textes cités ci‑dessus, le paragraphe 6(1) de la Loi ne fait pas expressément référence aux conflits d'intérêts apparents. La référence au « conflit d'intérêts » dans cette disposition doit être lue conjointement avec l'article 4, qui établit un critère objectif pour déterminer si un titulaire de charge publique s'est placé en situation de conflit d'intérêts réel. À mon avis, elle ne laisse pas de place à une détermination subjective d'une apparence de conflit.

Cette conclusion est étayée par plusieurs sources. En 2006, dans le cadre de l'adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité, les amendements proposés pour inclure la norme d'apparence dans la Loi sur les conflits d'intérêts ont été rejetés par les deux chambres du Parlement. La raison invoquée pour ce rejet était que les amendements nuiraient à la capacité des titulaires de charge publique d'exercer leurs fonctions et feraient du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, au lieu du Parlement ou du public, l'arbitre final dans les cas d'apparence de conflit en élargissant la définition de « conflit d'intérêts » au sens de la Loi sur les conflits d'intérêts pour inclure les conflits d'intérêts « potentiels » et « apparents » [8].

Dans le rapport produit à la suite de la Commission d'enquête concernant les allégations au sujet des transactions financières et commerciales entre Karlheinz Schreiber et le Très Honorable Brian Mulroney, présidée par l'honorable Jeffrey J. Oliphant (la « Commission Oliphant »), il y a toute une section sur l'apparence de conflit d'intérêts dans le contexte de recommandations faites au gouvernement du Canada. Le commissaire Oliphant a indiqué précisément que l'article 6 de la Loi dépend de la définition de conflit d'intérêts à l'article 4. Cette définition, comme l'a souligné le commissaire Oliphant, comprend uniquement les conflits réels, « c'est‑à‑dire l'existence réelle d'une occasion de favoriser un intérêt personnel. Elle ne vise pas les conflits apparents – c'est‑à‑dire les situations où un observateur raisonnable percevrait une situation même si elle n'existe pas » [mis en évidence dans l'original].

Le commissaire Oliphant a recommandé que l'article 4 de la Loi soit modifié pour inclure les conflits d'intérêts apparents. Le conflit d'intérêts apparent, selon le commissaire Oliphant, s'entend « d'une situation où une personne raisonnablement bien informée peut convenablement avoir une perception raisonnable que la capacité d'un titulaire de charge publique d'exercer un pouvoir officiel ou d'exécuter un devoir ou une fonction officielle sera ou doit avoir été teintée par son intérêt personnel ou par l'intérêt personnel d'un parent ou d'un ami. »

En 2013, la question des conflits apparents s'est à nouveau posée dans le cadre de l'examen quinquennal de la Loi. À la suite de la recommandation de la Commission Oliphant d'inclure la norme d'apparence dans la Loi, le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique a accordé une attention particulière à cette question. Vingt‑six témoins ont comparu devant le Comité pour témoigner sur d'éventuelles modifications de la Loi, dont plusieurs ont plaidé en faveur d'une orientation législative claire sur l'apparence de conflit.

Le Comité a présenté son rapport sur l'examen législatif de la Loi en 2014. Il a étudié les observations faites par plusieurs témoins, dont la commissaire Dawson, sur la question de savoir s'il fallait élargir le champ d'application de la Loi pour y inclure les conflits d'intérêts apparents. Toutefois, aucune des 16 recommandations ne concernait la question des conflits d'intérêts apparents.

La loi sur les conflits d'intérêts des députés de la Colombie‑Britannique (la Members' Conflicts of Interest Act) est le seul texte législatif canadien qui inclut expressément les conflits apparents dans sa définition de conflit d'intérêts. D'ailleurs, selon certains de mes homologues provinciaux, les conflits d'intérêts apparents ne relèvent pas de leur compétence, sauf disposition contraire expresse de la loi[9]. Plus particulièrement, dans un rapport sur la conduite de l'ancien premier ministre de l'Ontario, l'honorable Michael Harris, le commissaire à l'intégrité de l'Ontario de l'époque, l'honorable Gregory T. Evans, c.r., a déclaré :

La pr​​euve d'une contravention ou d'une complicité dans une contravention à la Loi sur l'intégrité des députés doit être fondée sur des faits plutôt que sur des conjectures, des soupçons ou des affinités fondés sur l'amitié, l'intérêt commun ou l'affiliation politique. La réputation d'une personne, quelle que soit sa position dans la vie, est importante et si elle doit être contestée, il doit y avoir des preuves pour appuyer cette contestation.

La norme de perception de la moralité qui, selon certains, devrait être le critère appliqué aux politiciens, exigerait qu'un législateur ne se livre pas à un comportement qui semblerait inapproprié à une personne raisonnable, non partisane et pleinement informée. Le problème d'une telle « norme d'apparence » est qu'il y a peu, voire pas, de personnes raisonnables, non partisanes et pleinement informées.

La perception qu'a une personne du comportement d'une autre est une évaluation purement subjective influencée par de nombreux facteurs, dont l'intérêt de la personne qui fait l'évaluation. Ce n'est pas le bon critère pour évaluer la conduite d'un législateur[10].

M. Trudeau a reconnu le conflit d'intérêts apparent, qui dans ce cas était fondé sur les liens de sa famille et de lui‑même avec UNIS, avant de participer à la prise des décisions visant à rejeter la demande de financement de l'organisme pour son programme d'Entrepreneuriat social et à sélectionner UNIS pour administrer la BCBE. Toutefois, l'apparence de conflit n'est pas couverte par les règles de fond de la Loi. Sans un conflit d'intérêt réel ou une interdiction législative claire de se placer en situation de conflit apparent, je ne peux conclure à une contravention.

M. Trudeau a reconnu publiquement qu'il aurait dû se récuser en raison de l'apparence de conflit. Bien qu'il soit toujours conseillé de se récuser et d'informer rapidement le commissaire en cas d'apparence de conflit d'intérêts, la Loi ne l'exige pas. L'article 21 prévoit que la récusation est requise dans les cas où le titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts potentiel.

Conclusion

Selon les éléments de preuve recueillis dans le cadre de l'étude et pour les motifs susmentionnés, je conclus​ que M. Trudeau n'a pas contrevenu au paragraphe 6(1) ni aux articles 7 et 21 de la Loi. ​

ANNEXE : LISTE DES TÉMOINS​

Les noms de tous les témoins sont énumérés ci‑dessous en fonction des organisations dont ils relevaient au moment des faits qui font l'objet du présent rapport.

Entrevues

  • Mme Michelle Kovacevic, sous‑ministre‑adjointe, Direction des relations fédérales‑provinciales et de la politique sociale, ministère des Finances du Canada
  • M. Amitpal Singh, conseiller en politiques, cabinet du ministre des Finances
  • M. Rick Theis, directeur, Politiques et affaires du cabinet, cabinet du premier ministre
  • Mme Rachel Wernick, sous‑ministre adjointe principale, Direction générale des compétences et de l'emploi, Emploi et Développement social Canada

Représentations écrites et documents demandés

  • Le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada
  • L'honorable Bill Morneau, ministre des Finances
  • L'honorable Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse
  • MM. Marc et Craig Kielburger, UNIS

Renseignements et documents demandés

  • L'honorable Carla Qualtrough, ministre de l'Emploi, du Développement de la main‑d'œuvre et de l'Inclusion des personnes handicapées
  • M. Graham Flack, sous‑ministre, Emploi et Développement social Canada
  • M. Alexandre Trudeau et Mme Margaret Trudeau
  • M. Ian Shugart, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet
  • Mme Gina Wilson, sous‑ministre déléguée principale de la Diversité, de l'Inclusion et de la Jeunesse


1 - Pour les besoins du rapport, l'​​« Organisme UNIS », l'« entreprise sociale ME to WE », ou toute autre filiale de l'organisme seront désignées collectivement par « UNIS ».

2 - À l'article 2(3) de la Loi, le terme « parent » est défini comme étant toute personne apparentée à un titulaire de charge publique par les liens du mariage, d'une union de fait, de la filiation ou de l'adoption ou en​core liée à lui par affinité.

3 - Selon les renseignements affichés sur le site Web d'UNIS, les frères Kielburger reçoivent chacun un salaire de l'entreprise sociale ME to WE.

4 - Sussex Justice Case, [1924] 1 K.B. 256.

5 - Canada, Ministre des Approvisionnements et Services, Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens, (1987), p. 37.

6 - Voir : Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 RCS 455.

7 - Voir, par exemple : R. c. Hinchey, [1996] 3 RCS 1128.

8 - Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes, 39e législature., 1re session., no 082 (20 novembre 2006) à 1205 [honorable John Baird].

9 - Voir, par exemple : Select Special Conflicts of Interest Act Review Committee: Final Report, Assemblée législative de l'Alberta, mai 2006, p. 37 à 39 [en anglais seulement]; Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, 41e législature, 1re session, no 69, comparution de l'honorable Paul D.K. Fraser (6 mars 2013).

10 - Report of the Honourable Gre​gory T. Evans Re: the Honourable Michael D. Harris, Premier of Ontario (16 mai 2001) [traduction].​​​​​​


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