PRéFACE
En vertu de l'article 27 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés, qui forme l'annexe 1 du Règlement de la Chambre des communes, un député qui a des motifs raisonnables de croire qu'un autre député n'a pas respecté ses obligations aux termes du Code peut demander une enquête.
La commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique doit transmettre la demande au député qui en fait l'objet et lui accorder un délai de trente jours pour y répondre. Une fois que le député a fait connaître sa réponse, la commissaire dispose de dix jours ouvrables pour faire un examen préliminaire de la demande et de la réponse et pour informer par écrit les deux députés de sa décision quant à la nécessité ou non de tenir une enquête. Les enquêtes doivent être menées à huis clos.
Une fois l'enquête terminée, un rapport est remis au Président de la Chambre des communes qui le dépose à la Chambre à sa prochaine séance. Le rapport est accessible au public dès qu'il est déposé ou, si la Chambre ne siège pas, dès qu'il est reçu par le Président.
Dans les dix jours de séance suivant le dépôt du rapport, le député qui fait l'objet du rapport a le droit de faire une déclaration à la Chambre des communes. Le rapport doit faire l'objet d'une motion portant adoption ou d'une motion portant sur son étude par la Chambre.
Dans une lettre datée du 27 novembre 2007 et reçue le même jour, David Tilson, député conservateur de la circonscription de Dufferin-Caledon, me demande de faire enquête pour déterminer si Robert Thibault, député libéral de la circonscription de West Nova, a ou non manqué à l'une ou l'autre de ses obligations en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) en participant à l'étude menée par le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique (le Comité permanent) sur l'entente Mulroney Airbus.
Dans sa demande, M. Tilson fait mention de l'importante couverture médiatique dont a fait l'objet la poursuite intentée contre M. Thibault par le très honorable Brian Mulroney, qui réclame deux millions de dollars en dommages-intérêts. Monsieur Tilson demande que je détermine si M. Thibault a contrevenu à l'alinéa 3(2)a), à l'article 8, aux paragraphes 12(1) et (4) ainsi qu'à l'article 13 du Code en participant aux débats et aux votes sur les motions relatives à M. Mulroney et à l'entente Mulroney Airbus lors des réunions du Comité permanent des 22 et 27 novembre 2007.
J'ai écrit à M. Thibault le 3 décembre 2007 pour lui transmettre une copie de la lettre de M. Tilson en date du 27 novembre 2007 et l'informer qu'il avait trente jours pour répondre à ces allégations, conformément au paragraphe 27(3.1) du Code. Dans une lettre datée du 19 décembre 2007 et reçue le 28 décembre 2007, M. Thibault m'a fait part de sa réponse aux allégations de M. Tilson.
Après un examen préliminaire de la demande et de la réponse, j'ai adressé une lettre à MM. Thibault et Tilson, le 10 janvier 2008, pour les informer de ma décision de faire enquête et leur préciser que j'avais besoin de plus de temps et d'autres renseignements pour être en mesure de bien évaluer la situation et l'étendue de l'expression « intérêts personnels » dans le contexte des dispositions pertinentes du Code.
Messieurs Thibault et Tilson ont tous deux eu la possibilité de me transmettre les renseignements qu'ils estimaient utiles à cette enquête. De plus, M. Thibault a pu m'exposer son point de vue en personne à l'occasion d'un entretien le 25 février 2008, et nous avons aussi communiqué à plusieurs reprises par téléphone et par courriel. J'ai par ailleurs communiqué avec l'avocat de M. Thibault par téléphone. L'ébauche du présent rapport, jusqu'à et y compris les observations préliminaires, a été transmise à M. Thibault pour qu'il me fasse part de ses observations.
Contexte général
Les faits visés par la présente enquête remontent à l'automne 2007, et se sont produits dans un contexte de gouvernement minoritaire, à un moment où le climat politique était tendu et empreint de partisannerie. Les journaux faisaient alors grand cas de l'existence de prétendues relations d'affaires et transactions financières entre MM. Mulroney et Karlheinz Schreiber. Les articles portaient sur le litige entre les deux hommes au sujet d'honoraires prétendument versés par M. Schreiber à M. Mulroney pour des services d'expert-conseil, et sur la façon dont ces allégations ont pu influencer le règlement de la poursuite en diffamation conclu en 1997 entre M. Mulroney et le gouvernement fédéral.
Le 14 novembre 2007, le premier ministre Stephen Harper a annoncé la nomination de M. David Johnston, qu'il a chargé de formuler des recommandations sur les paramètres d'une enquête publique au sujet des transactions financières entre MM. Schreiber et Mulroney. Le 22 novembre, le Comité permanent a adopté une motion visant la tenue de sa propre étude sur l'entente Mulroney Airbus.
La poursuite contre M. Thibault
Au début de novembre, des médias rapportent que M. Thibault, qui est décrit comme le principal porte-parole du Parti libéral dans l'affaire Mulroney-Schreiber, a abordé cette question à la Chambre des communes le 31 octobre 2007, ainsi que dans une entrevue accordée à Mike Duffy de la chaîne CTV le même jour. Toujours selon les médias, M. Thibault aurait alors exhorté le gouvernement à ouvrir une enquête publique sur l' « affaire Airbus » et aurait affirmé que le règlement hors cour conclu avec M. Mulroney devait être réexaminé à la lumière des renseignements récemment mis au jour à propos de versements en espèces qu'aurait reçus M. Mulroney de la part de M. Schreiber en 1993 et en 1994.
Dans une lettre adressée à M. Thibault le 1er novembre 2007, l'avocat de M. Mulroney fait état des prétendus commentaires de M. Thibault durant une entrevue à la chaîne CTV :
1. « … [M. Mulroney] prétend qu'il ne connaissait pas M. Schreiber. »
2. « Selon M. Schreiber, les premiers versements ont été effectués en mai 1993, alors que M. Mulroney était encore député. »
3. « … [M. Mulroney] affirme qu'il n'entretenait aucune relation d'affaires avec M. Schreiber et même, qu'il ne le connaissait pas personnellement. » [TRADUCTION]
Il est également fait état dans cette lettre de la déclaration suivante qu'aurait fait M. Thibault à la Chambre des communes : « [M. Mulroney] a déclaré sous serment qu'il n'avait jamais eu affaire à M. Schreiber » [TRADUCTION]. Estimant que ces propos sont mensongers et ont pour but de salir la réputation de M. Mulroney, l'avocat de M. Mulroney demande à M. Thibault de « rétablir les faits ». [TRADUCTION]
Dans une lettre en date du 2 novembre 2007, l'avocat de M. Thibault accuse réception de la lettre de l'avocat de M. Mulroney, demande quelques précisions et s'engage à répondre de façon plus exhaustive la semaine suivante; ce qu'il fait dans une lettre en date du 12 novembre 2007. Dans cette lettre, l'avocat de M. Thibault affirme que les paroles prononcées par M. Thibault à la Chambre des communes sont absolument protégées par l'immunité absolue et que les extraits 1 et 3 de l'entrevue sont cités hors contexte. Replaçant dans son contexte la transcription de l'entrevue accordée dans le cadre de l'émission de la chaîne CTV, il affirme que M. Thibault aurait en fait déclaré que MM. Mulroney et Schreiber étaient « des connaissances qui pouvaient à l'occasion se rencontrer pour un café, mais qu'ils n'entretenaient aucune relation d'affaires » [TRADUCTION]. Il précise que le deuxième extrait renferme une petite inexactitude qui, à son avis, est sans importance, mais que M. Thibault pourrait envisager de rectifier de la façon suivante :
Que Brian Mulroney était effectivement premier ministre en juin 1993, lorsqu'il a accepté le contrat que lui offrait M. Schreiber en échange de versements en espèces, et qu'il était toujours député au moment où il a reçu le premier versement de 100 000 $. [TRADUCTION]
À partir du 15 novembre 2007, les journaux ont commencé à faire grand cas d'une déclaration déposée par M. Mulroney auprès de la Cour supérieure de justice de l'Ontario contre M. Thibault pour réclamer le versement de deux millions de dollars en dommages- intérêts pour les propos prétendument diffamatoires à l'endroit de M. Mulroney tenus par M. Thibault à l'occasion de sa participation à l'émission Mike Duffy Live, le 31 octobre 2007. Une déclaration a effectivement été déposée auprès de la Cour supérieure de justice de l'Ontario au nom de M. Mulroney, le 8 novembre 2007, et mon bureau en a obtenu copie en janvier 2008.
Selon les documents remis à mon bureau par M. Thibault dans le cadre de la présente enquête, le 15 novembre 2007, l'avocat de M. Mulroney a demandé à l'avocat de M. Thibault s'il avait le mandat d'accepter la signification de la déclaration.
Monsieur Thibault a été informé de l'existence de cette lettre entre le 15 et le 21 novembre 2007. Dans la réponse transmise le 21 novembre avec copie conforme à M. Thibault, qui avait pris connaissance de l'ébauche de la réponse le même jour, l'avocat de M. Thibault indique qu'il ne sollicitera pas de mandat pour accepter la signification de la déclaration au nom de M. Thibault, parce qu'en tant que professionnel, il estime avoir été traité cavalièrement puisque c'est par l'intermédiaire des journaux qu'il a appris qu'une poursuite allait être engagée. Toujours le 21 novembre, l'avocat de M. Thibault transmet à son client une copie de la déclaration qu'il avait préalablement obtenue auprès de la Cour.
L'avocat de M. Thibault m'avise que le 26 novembre, l'avocat de M. Mulroney lui transmet une réponse dans laquelle il affirme n'être absolument pour rien dans la divulgation aux journaux concernant la déclaration. Les deux avocats échangent ensuite des messages à ce sujet sur leurs boîtes vocales, les 27 novembre et 7 décembre 2007. À cet égard, l'avocat de M. Thibault informe promptement son client que des démarches de conciliation sont en cours entre lui et l'avocat de M. Mulroney et que dès qu'il aura pu s'entretenir directement avec son vis-à-vis, il sera sans doute en mesure de recommander l'acceptation de la signification.
Rien n'indique qu'il y a eu d'autres développements dans ce dossier jusqu'au 24 janvier 2008, date à laquelle l'avocat de M. Thibault reçoit une lettre de l'avocat de M. Mulroney qui précise que s'il n'a pas de nouvelles d'ici midi le lendemain, la déclaration sera signifiée personnellement à M. Thibault. Ce même jour, par courriel, l'avocat de M. Thibault avise ce dernier que tel que prévu, le sujet a refait surface. Dans ce même courriel, l'avocat de M. Thibault indique à son client qu'étant donné que l'avocat de M. Mulroney est résolu de signifier à M. Thibault la demande personnellement et que les rapports entre lui et l'avocat de M. Mulroney se sont suffisamment améliorés, il lui recommande d'accepter la signification de la déclaration.
Le 25 janvier 2008, une signification de la déclaration est transmise à l'avocat de M. Thibault, qui en accuse réception le 31 janvier. Monsieur Thibault en est informé le 4 février, à la suite d'une demande adressée à son avocat le même jour pour obtenir un rapport de la situation. Un avis d'intention de présenter une défense est signifié à l'avocat de M. Mulroney le 31 janvier 2008 et déposé au nom de M. Thibault le 4 février 2008.
L'avocat de M. Thibault m'a affirmé qu'il avait tenu son client au courant de ses échanges avec l'avocat de M. Mulroney, notamment de leurs communications par lettre, par courriel et par téléphone. Il m'a de plus confirmé qu'à aucun moment, M. Thibault ne lui avait donné pour instruction de se soustraire à la signification de la déclaration ou de la retarder.
Le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique
Le 15 novembre 2007, M. Thibault a assisté à une réunion du Comité permanent à titre de membre suppléant. Lorsque les membres d'un comité permanent sont incapables d'assister aux séances de leur comité, le Règlement prévoit leur remplacement par des substituts désignés. Le substitut a les mêmes droits et privilèges que le membre en titre qu'il remplace1. À ladite réunion, le Comité a procédé à l'élection du président et des vice-présidents et s'est penché sur différentes questions d'ordre administratif. Le consentement unanime a alors été demandé pour passer outre au préavis exigé afin de présenter une motion à l'effet que le Comité permanent entreprenne une étude des questions relatives à l'entente Mulroney Airbus. Cette entente constituait un règlement de la poursuite en libelle en date de 1995 de la part de M. Mulroney contre le gouvernement fédéral.
Le consentement unanime n'ayant pas été obtenu pour suspendre l'application des exigences en matière de préavis, l'étude de cette motion et d'une autre motion connexe a été remise à la réunion suivante, qui a eu lieu le 22 novembre 2007. Monsieur Thibault était de nouveau présent à titre de membre suppléant. Lors de cette réunion, le président du Comité a rendu une décision à l'effet que l'objet des motions en question relevait du mandat du Comité. Monsieur Tilson a ensuite invoqué le Règlement en ces termes :
L'aspect que je veux aborder concerne M. Thibault. Monsieur Martin va présenter une motion et vous avez maintenant décidé que cette motion était recevable. Par la suite, nous allons voter cette motion et débattre de cette question. Monsieur Thibault pourra me corriger si je me trompe. Je pense que c'est un homme honorable. J'ai déjà siégé avec lui à des comités et je l'ai observé. Mais d'après mes informations, ce sujet, toute cette question, concerne M. Schreiber et M. Mulroney et d'après ce que je sais, M. Mulroney a introduit une poursuite contre M. Thibault.
J'invoque le Règlement, monsieur le président, parce que je pense que M. Thibault devrait se récuser. Il ne peut se servir du comité pour obtenir la communication de preuves – ou poser une question, comme cela se dit maintenant dans le domaine juridique – pour renforcer son action personnelle. Il faut que justice semble être faite, que ce soit devant les tribunaux ou devant notre comité.
M. Thibault a répondu de la façon suivante :
Ce qui est proposé – et je sais que c'est une pratique courante et bien acceptée – c'est que, lorsqu'un membre d'un comité a un intérêt financier dans une question qui est débattue devant le comité, il doit se récuser… s'il a un intérêt commercial et familial qui est touché par cette discussion.
Quant à l'existence alléguée, supposée, proposée, possible, d'une action personnelle, l'action juridique personnelle contre un membre du comité, je ne pense pas que cela soit visé par cette pratique. Je pense que, si nous le faisions, il y aurait très rapidement quelque 308 poursuites à la Chambre des communes, intentées contre tous les députés pour des questions mineures, des questions dilatoires, dans le but d'essayer d'empêcher les députés de débattre de questions d'intérêt public parce qu'un membre du public préférerait qu'ils ne participent pas à un tel débat.
Par conséquent, dans l'intérêt de la démocratie, monsieur le président, et de la tradition parlementaire, j'espère que vous allez examiner sérieusement la suggestion grotesque qu'a faite M. Tilson.
La deuxième question que je me pose est la suivante : comment M. Tilson peut-il être au courant de l'existence d'une poursuite juridique alors que moi-même je ne suis pas au courant d'une telle poursuite?
M. Tilson a répliqué ce qui suit :
Il demeure néanmoins que M. Thibault a un intérêt pécuniaire dans cette affaire. La poursuite dont il fait l'objet porte sur une somme d'argent importante. Cela s'appelle un intérêt pécuniaire. Il est dans son intérêt que la réputation du demandeur dans cette poursuite soit compromise. Je ne pense pas qu'il devrait avoir le droit de voter à ce comité, ni celui de voter au Parlement.
Avant de débattre de la motion relative à l'entente Mulroney Airbus, le président du Comité permanent s'est prononcé sur le rappel au Règlement de M. Tilson de la façon suivante :
Le conseiller juridique a estimé, et je suis d'accord avec lui, qu'un membre d'un comité possède tous les droits reliés à cette qualité. Il est affecté à un comité, et il n'existe aucune obligation, aucune raison l'obligeant à se récuser. C'est à lui de le décider, dans le cas où il apprendrait qu'il existe une raison pour qu'il se récuse. Le comité ne peut obliger un de ses membres à se récuser.
La réunion s'est poursuivie en présence de M. Thibault, et le Comité permanent a par la suite adopté la motion suivante :
Que, pour examiner s'il y a eu des contraventions à l'éthique et des violations aux normes du code de conduite par un titulaire de charge publique, le Comité permanent sur l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique étudie les questions relevant de l'entente Mulroney Airbus, incluant toutes nouvelles preuves, témoignages et informations qui n'étaient pas disponibles au moment de l'entente, incluant les allégations relevant du très honorable Brian Mulroney faites par Karlheinz Schreiber et, particulièrement, la gestion de ces allégations par le gouvernement actuel, incluant la circulation de la correspondance pertinente au Bureau du Conseil privé et au Cabinet du premier ministre; que Karlheinz Schreiber soit appelé à témoigner devant le comité immédiatement; et que le comité fasse rapport à la Chambre de ses résultats, conclusions et recommandations à ce sujet.
D'autres motions ont par la suite été adoptées pour décider des dates de comparution de MM. Schreiber et Mulroney.
Monsieur Thibault a participé à la réunion suivante, le 27 novembre 2007, au cours de laquelle le Comité permanent a débattu et adopté des motions pour contraindre M. Schreiber à comparaître devant le Comité. Lors de cette réunion, M. Thibault a proposé de modifier une motion pour qu'elle prévoie la mise en place d'un plan pour permettre au Comité de prolonger la durée de ses séances de façon à pouvoir mener à bien son étude en temps voulu. Monsieur Thibault a aussi proposé que le Président de la Chambre des communes délivre les mandats nécessaires, non seulement pour obtenir la comparution de M. Schreiber devant le Comité, mais aussi pour exiger qu'il reste disponible jusqu'à ce que le Comité le libère. Les deux motions de M. Thibault ont été adoptées.
Monsieur Thibault a également participé aux réunions subséquentes du Comité permanent consacrées à l'étude de l'entente Mulroney Airbus, le 29 novembre ainsi que les 4, 6, 11, 12 et 13 décembre 2007. Lors de ces réunions, M. Thibault a interrogé différents témoins, dont MM. Mulroney et Schreiber.
La Chambre des communes a ajourné pour le congé des Fêtes le 14 décembre 2007 et a repris ses travaux le 28 janvier 2008. Le 11 janvier 2008, le premier ministre Harper a annoncé que le gouvernement avait décidé de constituer une commission d'enquête publique dès que le Comité permanent aurait terminé son étude.
Le Comité permanent a repris ses audiences le 5 février 2008 et poursuivi ses travaux les 7, 12, 14 et 25 février, toujours en présence de M. Thibault. Le Comité a terminé l'audition de témoins et publié, le 29 février 2008, un rapport préliminaire dans lequel il recommande que le gouvernement institue une enquête publique en bonne et due forme. Le 2 avril 2008, le Comité a publié son rapport final et celui-ci a été déposé à la Chambre des communes le même jour.
Monsieur Thibault affirme qu'il n'a contrevenu à aucune des dispositions du Code parce que la poursuite intentée contre lui ne constitue pas un « intérêt personnel » au sens du Code. C'est la position qu'il n'a cessé de défendre depuis le début, comme en témoignent ses interventions lors de la réunion du Comité permanent du 22 novembre, sa réponse à la demande d'enquête de M. Tilson ainsi que les entretiens que moi et les membres de mon personnel avons eus avec lui.
Lorsque M. Tilson a demandé à M. Thibault de se récuser lors de la réunion du Comité permanent du 22 novembre 2007, M. Thibault lui a fait la réponse citée précédemment dans le présent rapport. Il a commencé par reconnaître que « lorsqu'un membre d'un comité a un intérêt financier dans une question qui est débattue devant le comité, il doit se récuser […] », mais il a aussi fait valoir qu'une telle mesure ne s'appliquait pas dans le cas de « l'existence alléguée, supposée, proposée, possible d'une action […] juridique personnelle contre un membre du comité ». Voici ce qu'il a ajouté :
[S]i nous le faisions, il y aurait très rapidement quelque 308 poursuites à la Chambre des communes, intentées contre tous les députés pour des questions mineures, des questions dilatoires, dans le but d'essayer d'empêcher les députés de débattre de questions d'intérêt public parce qu'un membre du public préférerait qu'ils ne participent pas à un tel débat.
Monsieur Thibault a aussi affirmé à cette même réunion du 22 novembre 2007, qu'il n'était pas au courant de la poursuite intentée contre lui. Il a par la suite indiqué dans la lettre qu'il m'a adressée le 19 décembre 2007, en réponse à la demande d'enquête de M. Tilson, qu'aucune déclaration ne lui avait été signifiée et qu'à sa connaissance, aucune tentative en ce sens n'avait été faite non plus. Dans cette lettre, M. Thibault a réitéré sa position :
Il est effectivement grotesque de laisser entendre qu'une action en justice - qu'elle soit réelle ou qu'elle constitue une simple menace - contre un député au sujet d'une question relevant du domaine public soit automatiquement considérée comme une source possible de profits ou de pertes personnels en vertu du Code, et prive ainsi le député de la possibilité de s'exprimer au sujet de cette question d'intérêt public. À la limite, un citoyen qui souhaiterait réduire au silence un député n'aurait qu'à retenir les services d'un agent publicitaire pour annoncer qu'il intente une poursuite contre ce même député.
En conclusion, je crois que la position de M. Tilson relève d'une interprétation abusive du Code, dont l'objectif n'est pas et n'a jamais été de faciliter les tentatives de bâillonnement ou d'intimidation à l'endroit des députés. [TRADUCTION]
Lors de son entretien avec moi, M. Thibault a en outre fait valoir qu'à son avis, le rôle du Comité permanent n'est pas de se prononcer sur la réglementation, ni non plus de juger M. Mulroney ou de faire preuve de partialité à son endroit; son seul objectif est de rétablir les faits. Il a aussi affirmé qu'il ne voyait pas en quoi sa participation aux audiences du Comité constituait un problème, puisque le privilège parlementaire empêche quiconque de se servir des témoignages recueillis par un comité parlementaire dans le cadre d'une poursuite.
Enfin, M. Thibault a laissé entendre qu'il y aurait peut-être lieu de réviser le Code, s'il y a lieu, pour préciser le sens de l'expression « intérêts personnels », mais qu'en tout état de cause, le lien de connexité avec la poursuite intentée contre lui est trop ténu pour qu'on puisse considérer que des « intérêts personnels » sont en jeu.
La principale question à étudier dans la présente enquête est de savoir si des « intérêts personnels » de M. Thibault étaient visés par les interdictions ou les exigences prévues aux articles 8, 12 ou 13 du Code. Ces trois dispositions s'articulent autour de l'expression « intérêts personnels ».
Avant d'amorcer cette analyse, je souligne que les délibérations du Comité permanent au sujet des obligations de M. Thibault ont surtout porté sur la question de savoir si M. Thibault était ou non tenu de se récuser, compte tenu de la poursuite éventuelle de la part de M. Mulroney qui pesait sur lui à ce moment-là. Il n'y avait alors aucune considération à savoir si M. Thibault était visé ou non par une quelconque obligation de divulgation.
Quoique l'existence d'intérêts personnels soit importante pour décider de l'application des obligations d'un député aux termes des articles 8, 12 et 13, il est possible qu'un intérêt personnel justifie l'application d'une seule des obligations prévues en vertu de ces articles. Une fois que l'existence d'un intérêt personnel est établie, les choses que le député est tenu de faire ou de ne pas faire sont très différentes d'un article à l'autre. L'article 8 interdit de façon générale à un député d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels dans l'exercice de ses fonctions parlementaires; l'article 12 l'oblige à divulguer la nature générale de ses intérêts personnels qui peuvent être visées par une question à l'étude à la Chambre des communes ou en comité et l'article 13 lui impose l'obligation de s'abstenir de participer aux débats et aux votes, si ses intérêts personnels ont un lien avec la question à l'étude.
Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de liens entre les trois articles. Si l'obligation de divulgation n'entraîne pas nécessairement une obligation de récusation, il arrive très souvent que des intérêts personnels qui justifient l'application de l'obligation de divulgation en vertu de l'article 12, justifient aussi l'application de l'obligation de récusation en vertu de l'article 13. Je suis toutefois d'avis que le critère de divulgation applicable dans le cas de l'article 12 est différent et, possiblement, moins rigoureux que celui applicable à l'obligation de récusation prévue à l'article 13.
Dans presque toutes les situations, la divulgation précédera logiquement la récusation. C'est pourquoi je propose de commencer mon analyse par l'article 12 du Code. J'aborderai ensuite l'article 13, qui porte sur l'obligation faite à un député de s'abstenir de participer à un débat ou de voter sur une question. Enfin, j'examinerai l'interdiction plus générale énoncée à l'article 8.
La dernière disposition invoquée par M. Tilson, à savoir le paragraphe 3(2), est une disposition d'interprétation, à laquelle je me reporterai au besoin dans l'analyse qui suit.
Article 12
L'article 12 prévoit ce qui suit :
Divulgation des intérêts personnels : Chambre et comités
12. (1) Lorsqu'il participe à l'étude d'une question dont la Chambre ou un comité dont il est membre est saisi, le député est tenu de divulguer dans les plus brefs délais, verbalement ou par écrit, la nature générale des intérêts personnels qu'il détient dans cette question et qui pourraient être visés. Le greffier de la Chambre doit sans délai être avisé par écrit de la nature générale des intérêts personnels.
Divulgation subséquente
12. (2) Si le député se rend compte ultérieurement de l'existence d'intérêts personnels qui auraient dû être divulgués aux termes du paragraphe (1), il doit sans délai les faire connaître de la façon requise.
Publication
12. (3) Le greffier de la Chambre fait inscrire la divulgation dans les Journaux et communique ces renseignements au commissaire, qui les classe avec les documents du député relatifs à la divulgation publique.
Divulgation des intérêts personnels : autres circonstances
12. (4) Dans les cas non prévus au paragraphe (1) qui mettent en cause ses fonctions parlementaires, le député est tenu, s'il a des intérêts personnels qui pourraient être visés, de déclarer verbalement ou par écrit dans les plus brefs délais la nature générale de ces intérêts à la partie concernée. Le député donne aussi un avis écrit concernant les intérêts personnels au commissaire, qui les classe avec les documents du député relatifs à la divulgation publique.
Monsieur Tilson m'a demandé de me prononcer sur la question de savoir si M. Thibault a contrevenu aux paragraphes 12(1) et (4). À la lumière de l'énoncé liminaire du paragraphe 12(4), je suis d'avis que cette disposition s'applique subsidiairement au paragraphe 12(1). Je vais donc m'attarder uniquement au paragraphe 12(1).
Le paragraphe 12(1) est énoncé en termes généraux. Son objectif est de veiller à ce que les députés exercent leurs fonctions parlementaires avec toute la transparence voulue. Il exige des députés qu'ils divulguent les intérêts personnels qui pourraient être visés par l'étude d'une question dont la Chambre des communes ou un comité dont ils sont membres est saisi. En d'autres termes, la simple possibilité que les intérêts personnels d'un député puissent être visés par l'étude d'une question dont la Chambre des communes ou un comité est saisi suffit à justifier l'application de l'obligation de divulgation.
Intérêt personnel
La première question à trancher est de savoir si l'intérêt de M. Thibault dans l'issue de l'action en libelle intentée contre lui constitue un « intérêt personnel » au sens du Code.
L'article 13.1 définit l'expression « intérêts personnels » pour l'application des articles 12 et 13 :
Intérêts personnels
13.1 Pour l'application des articles 12 et 13, « intérêts personnels » s'entend des intérêts qui peuvent être favorisés de la façon décrite au paragraphe 3(2), mais ne visent pas les questions mentionnées au paragraphe 3(3).
Les paragraphes 3(2) et (3) sont libellés comme suit :
Intérêts personnels
3. (2) Sous réserve du paragraphe (3), sont de nature à favoriser les intérêts personnels d'une personne, y compris ceux du député, les actes de celui-ci qui ont pour effet, même indirectement :
a) d'augmenter ou de préserver la valeur de son actif;
b) de réduire la valeur de son passif ou d'éliminer celui-ci;
c) de lui procurer un intérêt financier;
d) d'augmenter son revenu à partir d'une source visée au paragraphe 21(2);
e) d'en faire un dirigeant ou un administrateur au sein d'une personne morale, d'une association ou d'un syndicat;
f) d'en faire un associé au sein d'une société de personnes.
Exclusions
3. (3) Pour l'application du présent Code, ne sont pas considérés comme les intérêts personnels d'un député ou d'une autre personne ceux :
a) qui sont d'application générale;
b) qui le concernent en tant que membre d'une vaste catégorie de personnes;
c) qui ont trait à la rémunération ou aux avantages accordés au député au titre d'une loi fédérale.
Lorsqu'il fait mention des « intérêts qui peuvent être favorisés de la façon décrite au paragraphe 3(2) », l'article 13.1 renvoie expressément aux alinéas 3(2)a) à f).
Monsieur Tilson est d'avis que l'alinéa 3(2)a) est la disposition applicable en l'instance. Bien qu'une décision judiciaire défavorable pourrait en bout de ligne influer sur la valeur de l'actif d'un député conformément à l'alinéa 3(2)a), il me semble que l'alinéa 3(2)b) est plus directement applicable à la situation en cause ici. Selon la description des intérêts personnels faite aux alinéas 3(2)a) à f), les poursuites en dommages-intérêts intentées contre un député feraient normalement partie de son « passif » (alinéa 3(2)b)) plutôt que de son « actif » (alinéa 3(2)a)).
L'issue d'une poursuite est loin d'être certaine. Par conséquent, je dois décider si le terme « passif », utilisé à l'alinéa 3(2)b), s'applique à la fois au passif réel et au passif éventuel. À mon avis, c'est effectivement le cas. Rien dans le Code ne tend à limiter l'interprétation à donner au terme « passif », et la définition juridique courante du terme « passif » permet de conclure que le terme s'entend à la fois du passif réel et du passif éventuel2.
Consciente du fait que les traditions et les privilèges en vigueur à la Chambre des communes s'apparentent à ceux d'autres corps législatifs au Canada et que la terminologie utilisée dans bien des codes d'éthique et des lois institués par ces entités est semblable à celle utilisée dans le Code, j'ai consulté mes homologues du Sénat ainsi que des provinces et territoires pour savoir comment ils interprètent le terme « passif ». La plupart m'ont répondu et confirmé que leur interprétation du terme « passif » englobe le « passif éventuel ». Bon nombre d'entre eux ont ajouté qu'à leur sens, les poursuites en instance relèvent du champ d'application du terme « passif ».
Je suis d'avis que les poursuites en dommages-intérêts intentées contre une personne constituent un passif, qui demeure « éventuel » jusqu'à ce qu'un jugement ordonnant à cette personne de verser des dommages-intérêts soit rendu. Dans l'éventualité où le tribunal rend son jugement contre la personne, le passif éventuel devient un passif réel. Les deux sont des éléments de passif aux fins du Code.
J'en arrive donc à la conclusion que l'attribution possible de dommages-intérêts dans l'action en libelle diffamatoire instituée par M. Mulroney contre M. Thibault constitue un passif au sens de l'alinéa 3(2)b) et satisfait, par conséquent, à la définition d'« intérêts personnels » énoncée à l'article 13.1 pour l'application des articles 12 et 13.
Quand la question des « intérêts personnels » se pose
Une question délicate à l'origine de la présente enquête est la suivante : à partir de quel moment la poursuite intentée par M. Mulroney contre M. Thibault devient-elle réalité - c'est-à-dire, à partir de quel moment l'attribution possible de dommages-intérêts peut-elle être considérée comme un passif éventuel de M. Thibault et, par conséquent, comme un intérêt personnel aux termes du Code? Il est difficile et sans doute quelque peu arbitraire d'établir le moment précis à partir duquel un passif éventuel existe bel et bien.
Dans certaines circonstances, les requêtes d'avocat ou les menaces de poursuite restent lettre morte et ne se concrétisent jamais. En pareil cas, si la poursuite n'est qu'une simple possibilité, il n'y a probablement pas encore de passif éventuel.
Dans le contexte d'une poursuite, certains pourraient faire valoir que l'existence d'un passif éventuel et, par conséquent, d'un intérêt personnel ne saurait être reconnue s'il n'y a pas eu signification. Je conviens pour ma part qu'une fois que les formalités de signification sont complétées, le passif éventuel devient réel.
Je suis également d'avis, par contre, que l'engagement d'une poursuite peut être suffisant, dans certaines circonstances, pour considérer qu'un intérêt personnel existe bel et bien. Normalement, le dépôt et la signification de la poursuite se font à peu près en même temps. Toutefois, lorsqu'il y a un délai entre le moment où la poursuite est déposée et celui où elle est signifiée, on peut considérer qu'un passif éventuel existe du fait de la poursuite, si des démarches sont en cours pour signifier la demande et que la partie défenderesse le sait. Le moment précis à partir duquel un passif éventuel devient réel dépend des circonstances propres à chaque cas.
Monsieur Thibault insiste sur le fait que la demande introductive d'instance ne lui avait pas été signifiée lorsque M. Tilson a laissé entendre qu'il devait se récuser. À la réunion du Comité du 22 novembre, M. Thibault a affirmé qu'il n'était pas au courant de l'existence de la poursuite. Nous savons maintenant que la déclaration a été déposée auprès de la Cour supérieure de justice de l'Ontario le 8 novembre 2007, mais que les formalités de signification n'ont pas été complétées avant le 31 janvier 2008.
Même si, effectivement, M. Thibault n'avait pas reçu de signification, il m'a confirmé le 1er avril 2008 qu'il était au courant depuis un certain temps des démarches entreprises par l'avocat de M. Mulroney pour tenter de lui signifier la demande. Cette révélation contredit les propos qu'il avait tenus dans la lettre adressée à mon bureau en réponse à la demande d'enquête en décembre 2007. Dès le 21 novembre 2007, M. Thibault était au courant des lettres échangées par les deux avocats au sujet de la signification. C'est précisément à cette date que son avocat a fait parvenir une lettre à l'avocat de M. Mulroney, en réponse à une demande de signification envoyée le 15 novembre 2007, pour l'informer qu'il n'avait aucune intention de solliciter de mandat pour accepter la signification au nom de M. Thibault. Monsieur Thibault a révisé l'ébauche de cette lettre cette même journée. La question de la récusation de M. Thibault a été soulevée le lendemain, c'est-à-dire le 22 novembre, devant le Comité permanent.
Bref, M. Thibault a confirmé que, dès le 21 novembre 2007, c'est-à-dire la journée avant que la question soit soulevée devant le Comité, il était au courant des reportages parus dans les médias, il avait reçu copie de la déclaration que son avocat avait obtenue directement auprès de la Cour et il était aussi au courant des démarches faites par l'avocat de M. Mulroney pour tenter de lui signifier la déclaration. J'en arrive à la conclusion que ces éléments sont suffisants pour considérer que M. Thibault avait un passif éventuel et, par conséquent des intérêts personnels, en jeu dans ce dossier, à compter du 21 novembre 2007.
Intérêts personnels qui « pourraient » être visés
Un deuxième critère doit être respecté pour que l'article 12 s'applique, en l'occurrence, il faut déterminer si les intérêts personnels de M. Thibault pourraient être visés par une question dont le Comité permanent est saisi.
À mon avis, les intérêts personnels de M. Thibault, en l'occurrence son passif éventuel à l'égard des dommages-intérêts réclamés dans la poursuite, pourraient être visés par l'étude menée par le Comité sur les circonstances entourant l'entente Mulroney Airbus. L'objet de l'étude du Comité et l'objet de la poursuite intentée contre M. Thibault se recoupent beaucoup puisque bon nombre des faits sous-jacents sont les mêmes. Il est raisonnable de s'attendre à ce que les renseignements recherchés par le Comité soient les mêmes que ceux dont on aura besoin pour déterminer si les allégations de propos diffamatoires formulées à l'encontre de M. Thibault sont fondées ou non.
Ainsi, en effectuant son étude, le Comité pourrait éclaircir les aspects suivants : à savoir, si M. Mulroney connaissait ou non M. Schreiber; si M. Schreiber a effectué des paiements à M. Mulroney à l'époque où celui-ci était toujours député en mai 1993 et si M. Mulroney entretenait une relation d'affaires avec M. Schreiber. Il est très facile d'établir un rapprochement entre chacune de ces questions et les déclarations contestées dans la poursuite. Par conséquent, l'étude de ces questions par le Comité et, en particulier, l'information recueillie à l'égard de chacune d'elles pourraient bien avoir un lien avec les intérêts personnels de M. Thibault dans la poursuite.
Par exemple, il se pourrait que l'étude du Comité permanent accélère la publication de certains faits plus tôt que dans le cadre de la poursuite. Si ces faits sont défavorables à M. Mulroney, celui-ci pourrait décider de renoncer à sa poursuite. Par ailleurs, même si les délibérations du Comité permanent sont visées par le privilège parlementaire, il se pourrait que des sources d'information susceptibles d'être utiles à M. Thibault dans le cadre de la poursuite y soient révélées. Par conséquent, les intérêts personnels de M. Thibault dans la poursuite pourraient être visés par la question dont le Comité est saisi, d'où la nécessité d'appliquer l'obligation de divulgation prévue au paragraphe 12(1) du Code.
Comme il est souligné précédemment, M. Thibault était au courant de l'existence de la poursuite et du fait qu'une signification était sur le point de lui être transmise, au moment où le Comité permanent s'est réuni le 22 novembre 2007. Donc, je conclus qu'il avait un passif éventuel à cette date et, par conséquent, des intérêts personnels qui pouvaient être visés par les travaux du Comité.
Par conséquent, j'en arrive aussi à la conclusion qu'en vertu du paragraphe 12(1) du Code, M. Thibault était tenu de divulguer ses intérêts personnels dans l'action en libelle, dès le 22 novembre 2007. Il ne s'agit pas là d'une obligation très lourde. L'article 12 vise simplement à favoriser la transparence. Il ne fait nullement obstacle à la capacité d'un député de s'acquitter de ses fonctions à la Chambre ou en comité.
Dans le cas qui nous occupe, il est compréhensible que M. Thibault n'ait peut-être pas accordé toute l'attention voulue à ses obligations en vertu de l'article 12, lorsque, le 22 novembre 2007, M. Tilson a demandé qu'il se récuse. Premièrement, la question de M. Tilson portait sur la récusation et non sur la divulgation, de sorte que la discussion n'a pas précisément porté sur la divulgation. Deuxièmement, la demande de M. Tilson a porté la question à l'attention du Comité, de la Chambre des communes et du grand public, d'où l'apparente inutilité d'obliger M. Thibault à faire une divulgation. Enfin, la décision du président du Comité permanent à l'effet que le Comité ne pouvait obliger ses membres à se récuser peut très bien avoir suffi à elle seule à convaincre encore davantage M. Thibault qu'il n'était tenu à aucune obligation dans cette affaire et que la question de la divulgation avait effectivement été écartée. Nonobstant ces circonstances, les obligations aux termes du Code demeurent.
Ces circonstances aident peut-être à comprendre pourquoi M. Thibault a omis de divulguer ses intérêts personnels, mais elles ne le dispensent pas, en dernière analyse, de se plier à cette obligation de la manière prévue par le Code au moment jugé opportun.
Comme je l'ai souligné précédemment, il ne s'agit pas là d'une obligation très lourde. Cette divulgation doit toutefois se faire suivant une procédure plus officielle qu'une simple mention devant le Comité ou la Chambre des communes de ses intérêts personnels, et il importe de respecter cette procédure.
Lors des discussions portant sur l'obligation de se récuser, M. Thibault a dit craindre que le fait d'imposer des obligations à un député chaque fois que quelqu'un intente une poursuite contre lui compromette la capacité des députés de s'acquitter de leurs fonctions parlementaires. Cette crainte a peu d'application en ce qui concerne les exigences en matière de divulgation. Un effet négatif potentiel peut être la possibilité qu'une poursuite intentée contre un député est sans fondement et qu'une divulgation nuise injustement à sa réputation.
Je conclus que M. Thibault était tenu de divulguer ses intérêts personnels conformément au paragraphe 12(1). Malgré le fait que le Comité permanent a terminé son étude de cette question, M. Thibault demeure tenu de divulguer par écrit au greffier de la Chambre la nature générale de ses intérêts personnels, comme l'exige le paragraphe 12(2). Cette divulgation sera inscrite et rendue publique conformément au paragraphe 12(3) du Code.
Article 13
L'article 13 prévoit ce qui suit :
Débat ou vote
13. Le député ne peut participer à un débat ou voter sur une question dans laquelle il a un intérêt personnel.
L'article 13 oblige les députés à s'abstenir de participer à un débat ou de voter à la Chambre des communes ou en comité sur une question dans laquelle ils ont un intérêt personnel. Autrement dit, ils doivent se récuser dans de telles circonstances.
Dans l'analyse relative à l'article 12, j'en suis arrivée à la conclusion que l'attribution possible de dommages-intérêts dans l'action en libelle diffamatoire instituée par M. Mulroney contre M. Thibault satisfait à la définition d'« intérêt personnel » énoncée à l'article 13.1 pour l'application des articles 12 et 13. J'en suis également arrivée à la conclusion que dès le 21 novembre 2007, M. Thibault avait des intérêts personnels en jeu dans ce dossier aux fins de l'application de l'article 12. Cette date vaut aussi pour l'application de l'article 13.
La question qui reste à trancher en ce qui concerne l'article 13 est différente de celle examinée dans le cas de l'article 12. Aux termes de l'article 12, un député est tenu de divulguer ses intérêts personnels « qui pourraient être visés » par « l'étude d'une question dont la Chambre ou un comité […] est saisi ». L'article 12 s'applique automatiquement si le député concerné est présent lors de l'étude d'une question dans laquelle ses intérêts personnels pourraient être visés. La simple possibilité qu'un intérêt personnel puisse être visé par l'étude d'une question à la Chambre des communes ou en comité suffit à justifier l'application de l'obligation de divulgation. L'article 13 s'applique si le député a un intérêt personnel dans une question à l'étude à la Chambre des communes ou en comité. À mon sens, cela signifie qu'il doit y avoir un lien entre la question et l'intérêt personnel.
Entre le 22 novembre 2007 et le 29 février 2008, le Comité permanent a débattu et mis aux voix un certain nombre de motions, notamment sur la pertinence ou non d'entreprendre une enquête au sujet de l'entente Mulroney Airbus, sur la façon de procéder à cette fin et sur les témoins à interroger. L'étude du Comité avait pour but d'examiner les circonstances et les faits qui ont incité le gouvernement à conclure une entente avec M. Mulroney pour régler l'action en libelle diffamatoire. Le Comité cherchait à faire la lumière sur les événements ayant mené à l'entente Mulroney Airbus.
Les déclarations aux médias de M. Thibault à l'origine de la poursuite intentée contre lui par M. Mulroney portent aussi sur les événements, véridiques ou non, qui ont mené à l'entente Mulroney Airbus. Les activités du Comité et la poursuite s'appuient essentiellement sur les mêmes faits. Dans les deux cas, il s'agissait de savoir qui savait quoi et à quel moment à propos de l'entente Mulroney Airbus.
Les forts recoupements entre les questions examinées par le Comité permanent et celles mises en cause dans la poursuite intentée contre M. Thibault sont évidents dès le moment où la motion portant étude de l'entente Mulroney Airbus est débattue et mise aux voix, le 22 novembre 2007, ainsi que tout au long des travaux du Comité à ce sujet.
Monsieur Thibault a participé au débat et au vote sur la motion portant étude de l'entente Mulroney Airbus, le 22 novembre 2007. Comme il est souligné dans l'analyse relative à l'article 12, le président du Comité permanent a jugé que le Comité ne pouvait obliger ses membres à se récuser et a préféré s'en remettre au jugement de M. Thibault pour en décider. Monsieur Thibault aurait alors dû se reporter au Code pour voir quelles étaient ses obligations. La décision du président du Comité et ma décision aux termes du Code sont le résultat de deux processus distincts et n'ont aucune incidence l'une sur l'autre.
Lors des réunions subséquentes du Comité, M. Thibault a participé à l'interrogatoire d'un certain nombre de témoins, dont MM. Schreiber et Mulroney. Dans la formulation de ses questions, M. Thibault a précisément cherché à vérifier la véracité de ses déclarations au sujet de M. Mulroney et de ses rapports avec M. Schreiber, à l'origine de la poursuite intentée contre lui, ainsi que les faits sous-jacents à ces déclarations. Ces déclarations sont reproduites précédemment dans le présent rapport et, en résumé, elles portent sur la question de savoir si M. Mulroney connaissait M. Schreiber et s'il était encore député au moment où les versements lui ont été remis.
De façon précise, les questions posées à ces témoins par M. Thibault ont surtout porté sur les faits évoqués dans chacune des déclarations prétendument diffamatoires faites à l'émission Mike Duffy Live. Par exemple, lorsqu'il a interrogé M. Schreiber, le 29 novembre 2007, M. Thibault lui a posé les questions suivantes :
L'hon. Robert Thibault : Monsieur Schreiber, avez-vous conclu un accord avec M. Mulroney en juin 1993, alors qu'il était encore premier ministre, vous enjoignant à lui procurer des fonds directement ou par l'entremise d'une tierce personne?
[…]
L'hon. Robert Thibault : Monsieur Schreiber, est-ce qu'un paiement en argent comptant de 100 000 $ a été remis à Brian Mulroney en août 1993, pendant qu'il était encore député, par vous ou par une personne rattachée à vous?
Le 11 décembre 2007, M. Thibault a de nouveau interrogé le témoin de la façon suivante :
L'hon. Robert Thibault : J'ai lu les déclarations que M. Mulroney a faites lorsqu'il a témoigné au cours des audiences préliminaires concernant son procès contre le gouvernement fédéral. Il a dit — je résume car c'était un contexte plus long — qu'il n'avait eu « aucune relation d'affaires avec Schreiber » et vous semblez dire maintenant que cela s'est passé avant ce témoignage. Certains penseront, en lisant ces mots, que cela voulait dire qu'il n'avait pas eu de relations d'affaires avec vous.
Il s'agissait pourtant de relations d'affaires. Vous avez négocié avec Mulroney et avec son gouvernement au sujet de Thyssen, n'est-ce pas?
[…]
Par ailleurs, au moment d'interroger M. Mulroney, le 13 décembre 2007, M. Thibault lui a demandé ce qui suit :
L'hon. Robert Thibault : Le premier acompte, vous l'avez touché alors que vous étiez toujours député. Les deux paiements ultérieurs de 100 000 $ chacun, vous les avez reçus alors que vous étiez au service d'un cabinet d'avocats. Est-ce bien exact?
[…]
L'hon. Robert Thibault : […] Au lac Harrington, à en croire votre témoignage, vous avez choisi de dire à M. Schreiber qu'il pouvait revenir vous entretenir de ses affaires.
Ensuite, vous avez choisi d'accepter de l'argent, en liquide, dans une chambre d'hôtel à Montréal.
Dans une déposition, vous avez dit qu'il vous arrivait à l'occasion de prendre le café avec lui.
[…]
L'hon. Robert Thibault : Ensuite, vous avez encore une fois choisi d'accepter de l'argent à l'hôtel Reine-Elizabeth, puis une autre fois encore, toujours du liquide, à New York à l'hôtel Pierre.
Ces questions de M. Thibault concordent parfaitement avec les objectifs de l'étude du Comité. Elles visent à faire la lumière sur les faits à l'origine de l'entente Mulroney Airbus et sur les rapports entre MM. Mulroney et Schreiber. Si M. Thibault n'avait pas posé ces questions, il est fort probable qu'un autre membre du Comité l'aurait fait à sa place. Ces questions touchent aussi des éléments essentiels de ce qu'il souhaitera voir établi dans sa défense.
J'ai réfléchi à la question de savoir si l'article 13 pourrait être interprété de façon que l'obligation de récusation ne s'applique que si l'intérêt personnel lui-même, c'est-à- dire l'attribution possible de dommages-intérêts ou la concrétisation du passif éventuel découlant de la poursuite, est précisément la question dont le Comité permanent est saisi. J'ai conclu que cette interprétation ne cadrait pas avec l'esprit de l'article 13. L'intention de l'article 13 a dû être de s'appliquer à un ensemble plus large de circonstances. La probabilité que la Chambre des communes ou un comité soit saisi d'une question mettant directement en cause l'intérêt personnel d'une personne est très mince. Normalement, par contre, il peut arriver que la Chambre ou un comité soit appelé à se pencher sur une question d'intérêt public et que des intérêts personnels soient mis en cause, mais de façon incidente seulement. C'était le cas pour M. Thibault.
Pour comprendre mon raisonnement, il est peut-être utile de se reporter aux exemples plus fréquents d'application de l'article 13. À cet égard, le genre de situation qui vient le plus facilement à l'esprit serait, par exemple, celle d'un député détenteur de parts importantes dans une entreprise qui doit décider s'il peut participer à l'étude à la Chambre ou en comité d'une question ayant un lien clairement établi avec son intérêt personnel dans cette entreprise. Généralement, cela se produit lors de l'étude d'un projet de loi dont les dispositions se rapportent à cette entreprise sans toutefois mettre en cause directement l'intérêt personnel du député. Il est évident que dans un cas semblable, le député ne devrait pas participer à un débat ou à un vote sur une question dont la portée est liée à l'intérêt personnel en question.
J'applique le même raisonnement à la situation de M. Thibault. Il y a clairement un lien entre les travaux du Comité permanent et l'intérêt personnel de M. Thibault. À partir du moment où la motion portant étude de l'entente Mulroney Airbus a été proposée, le 22 novembre 2007, M. Thibault n'aurait pas dû participer aux débats ou aux votes du Comité relatifs à l'étude en question. Je ne crois pas qu'il soit utile de faire des distinctions techniques entre le fait de participer aux débats ou aux votes, d'une part, et le fait de participer de façon générale aux activités du Comité, d'autre part. Ces deux aspects forment un continuuM. Par conséquent, je conclus que le ou à compter du 22 novembre 2007, M. Thibault aurait dû s'abstenir de participer aux activités du Comité portant sur l'entente Mulroney Airbus.
Monsieur Thibault soutient que même s'il avait pu obtenir de l'information susceptible de lui être utile dans le cadre de la poursuite intentée contre lui, il lui aurait été impossible de l'utiliser parce que celle-ci aurait été protégée par le privilège parlementaire. C'est vrai, mais comme il est mentionné dans l'analyse relative à l'article 12, l'information mise au jour au fil des délibérations du Comité pourrait amener à conclure que la même information aurait pu être obtenue autrement que dans le cadre de ces travaux.
Monsieur Thibault a aussi fait valoir que les débats et les votes du Comité sur les différentes questions n'allaient pas avoir d'incidence déterminante sur son intérêt personnel, en l'occurrence sur son passif éventuel dans le cadre de la poursuite. À son avis, l'issue de la poursuite allait être décidée par une cour de justice indépendante parce que les deux procédures sont entièrement indépendantes l'une de l'autre. C'est vrai.
Même si ces affirmations peuvent aider à expliquer la détermination de M. Thibault et les arguments qu'il invoque pour expliquer qu'il n'avait pas à se récuser, il n'en demeure pas moins qu'il y avait un lien très étroit entre son intérêt personnel et l'étude menée par le Comité. Sa participation aux travaux du Comité pourrait raisonnablement être perçue comme pouvant être influencée par son intérêt personnel et, de ce fait, entraver l'exercice de ses fonctions parlementaires, créant ainsi une situation de conflit d'intérêts réel ou apparent. Son intérêt personnel dans la poursuite pouvait influencer sa conduite devant le Comité, peu importe que cet intérêt personnel puisse être effectivement visé par l'information obtenue et sans égard au fait qu'une cour indépendante allait décider de l'issue de la poursuite.
Comme il est mentionné précédemment, M. Thibault dit craindre que le rôle des députés soit écarté à la légère et que les récusations faites sur la foi de poursuites intentées contre des députés ne nuisent à leur capacité de s'acquitter de leurs fonctions parlementaires. Je conviens qu'il faut un motif sérieux pour empêcher des députés de participer à des votes et à des débats parlementaires. Je note par ailleurs que, contrairement à l'obligation de divulgation prévue à l'article 12, l'obligation de se récuser en vertu de l'article 13 entrave sérieusement l'exercice des fonctions officielles d'un député.
Cette considération doit toutefois être équilibrée avec l'un des principaux objectifs du Code qui est de veiller à ce que les députés exercent leurs fonctions officielles de façon à favoriser la confiance du public dans la façon dont ils s'acquittent de leur fonction. Les buts et les principes du Code sont énoncés aux articles 2 et 3. Je cite, par exemple, l'introduction du paragraphe 2(1) et l'alinéa b) de cette même disposition :
2. (1) Vu que les fonctions parlementaires constituent un mandat public, la Chambre des communes reconnaît et déclare qu'on s'attend à ce que les députés :
[…]
b) remplissent leurs fonctions avec honnêteté et selon les normes les plus élevées de façon à éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents et à préserver et accroître la confiance du public dans l'intégrité de chaque député et envers la Chambre des communes;
Le fait que M. Thibault n'aurait pas dû, dans ce cas-ci, participer aux délibérations du Comité permanent ne signifie pas que les députés soient empêchés de participer aux délibérations de la Chambre des communes ou d'un comité dès qu'une poursuite est intentée contre eux. Avant d'en arriver là, il faut établir qu'un lien existe entre la poursuite et la question à l'étude à la Chambre des communes ou en comité pour conclure que l'intérêt personnel du député est en jeu.
La poursuite intentée contre M. Thibault fait suite à des déclarations qu'il aurait faites aux médias à l'extérieur du Parlement. De plus, les questions à l'étude devant le Comité permanent recoupent en grande partie la teneur même des déclarations à l'origine de la poursuite. Un tel concours de circonstances n'est vraisemblablement pas fréquent. Il n'est justifié d'empêcher un député de participer à un débat ou à un vote que si les questions à l'étude à la Chambre ou en comité ont un lien avec ses intérêts personnels.
Je conclus que l'article 13 oblige M. Thibault à s'abstenir de participer aux débats ou aux votes sur l'entente Mulroney Airbus et qu'en conséquence, il a contrevenu à l'article 13.
Article 8
L'article 8 se lit comme suit :
Favoritisme
8. Le député ne peut, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.
L'article 8 vise à interdire de façon générale à un député d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'une autre personne dans l'exercice de ses fonctions parlementaires. En d'autres termes, un député ne peut agir d'une façon qui pourrait avoir pour effet de favoriser ses intérêts personnels.
Ma conclusion en ce qui concerne l'article 8 découle des observations déjà formulées au sujet des articles 12 et 13 du Code. Monsieur Thibault a participé au débat sur la question de savoir s'il y avait lieu ou non d'ouvrir une enquête sur l'entente Mulroney Airbus et a posé des questions qui avaient un lien direct avec celles soulevées dans la poursuite intentée contre lui. En posant ces questions, M. Thibault s'est trouvé à « agir de façon à » favoriser ses intérêts personnels, peu importe les raisons qui l'ont poussé à le faire. Je reconnais que ces questions touchent un aspect essentiel de l'étude menée par le Comité et que, dans l'exercice de ses fonctions officielles, M. Thibault n'avait peut-être pas l'intention de favoriser ses intérêts personnels. Toutefois, étant donné le degré important de recoupement entre l'objet de l'étude du Comité et la poursuite, la participation de M. Thibault aux délibérations du Comité revenait à agir « de façon à favoriser » ses intérêts personnels dans la poursuite.
Je conclus donc que M. Thibault a contrevenu à l'article 8 du Code.
Cette affaire soulève une importante question : à savoir si et à partir de quel moment une poursuite constitue un passif et, par conséquent, un « intérêt personnel » aux fins du Code. Ces concepts sont essentiels à la détermination des trois dispositions pertinentes au rapport, soit les articles 8, 12 et 13. J'ai conclu qu'une poursuite constitue un passif et, pour cette raison, que les obligations sous ces articles s'appliquaient et que M. Thibault ne s'est pas acquitté de ces dernières.
Le Code exige qu'un député ayant un intérêt personnel doit éviter d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels en vertu de l'article 8; et prévoit dans quelles circonstances le député doit divulguer officiellement cet intérêt en vertu de l'article 12 et ne peut participer au débat ou voter sur la question dans laquelle il ou elle a un intérêt personnel en vertu de l'article 13.
Parce que l'affaire soulève des questions qui n'ont jamais été adressées sous le Code et qu'il est raisonnable de s'attendre que le sens des termes tels que « intérêt personnel » et « passif » soient, dans les circonstances, incertain pour les députés, je conclus que le manquement aux obligations sous les articles 8, 12 et 13 du Code de la part de M. Thibault résulte d'une « erreur de jugement commise de bonne foi » et que par conséquent, le paragraphe 28(5) du Code s'applique.
Le paragraphe 28(5) du Code prévoit :
28. (5) S'il conclut que le député ne s'est pas conformé à une obligation aux termes du présent code, mais qu'il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter de l'enfreindre, ou que l'infraction est sans gravité, est survenue par inadvertance ou est imputable à une erreur de jugement commise de bonne foi, le commissaire l'indique dans son rapport et peut recommander qu'aucune sanction ne soit imposée. [ je souligne ]
Conséquemment, je recommande qu'aucune sanction ne soit imposée à l'égard de M. Thibault résultant du manquement à ses obligations sous le Code.
Les obligations de M. Thibault aux termes du Code ne disparaissent pas du simple fait que le Comité a terminé ses travaux sur l'entente Mulroney Airbus. Comme il est mentionné précédemment, M. Thibault était tenu le 22 novembre 2007 de divulguer l'existence de ses intérêts personnels dans l'issue de la poursuite intentée contre lui, conformément au paragraphe 12(1) du Code. Si M. Thibault ne s'est toujours pas acquitté de cette obligation, il devra le faire sans délai sur réception du présent rapport, conformément au paragraphe 12(2).
Des craintes ont été soulevées concernant l'utilisation des poursuites, plus particulièrement des poursuites en libelles diffamatoires, pour compromettre la capacité des députés de s'acquitter de leurs fonctions parlementaires. Je ne peux prédire si effectivement ceci deviendra un problème bien que j'espère que ce ne sera pas le cas. S'il appert, toutefois, que cette situation engendre une sérieuse crainte pour les députés, le Code pourrait être réajusté pour exclure les poursuites en libelles diffamatoires, de l'application du terme « intérêt personnel » aux fins des articles 8 et 13. Cette étape ne semble pas être nécessaire, en tout cas, pour ce qui est de la divulgation sous l'article 12.
Comme dernier commentaire je note qu'une difficulté fondamentale se pose en traitant d'une demande d'enquête portant sur l'article 12 ou 13 du Code. Lorsqu'il faut se prononcer sur l'application possible de l'obligation de divulgation ou de récusation, la décision doit être rendue très rapidement pour que la question puisse être réglée efficacement. Parallèlement, le Code ne permet pas de donner suite rapidement aux demandes d'enquête. Par souci d'équité, il faut laisser suffisamment de temps au député qui fait l'objet de la demande pour qu'il y réponde et il faut aussi procéder à un examen attentif de l'affaire.
Le Code établit deux délais obligatoires. En vertu du paragraphe 27(3.1), le député qui fait l'objet d'une plainte doit recevoir une copie de la demande d'enquête et se voir accorder un délai de 30 jours pour y répondre. Une fois la réponse obtenue, la commissaire est tenue, en vertu du paragraphe 27(3.2), de faire un examen préliminaire de l'affaire dans les 10 jours ouvrables afin de déterminer si une enquête s'impose.
L'enquête ne commence vraiment qu'une fois ces deux délais expirés. Le temps nécessaire pour mener à bien l'enquête dépend alors de la complexité des questions de fond et de procédure à examiner. Une fois l'enquête terminée et le rapport rédigé, il faut compter un délai supplémentaire pour la traduction dans l'une ou l'autre langue officielle et pour l'impression. Par conséquent, il s'écoule en général presque trois mois à partir du moment où la plainte est déposée.
Je reconnais que la présente décision survient bien après le fait. Pour les raisons énoncées ci-dessus, il ne pouvait en être autrement. En plus des délais inévitables, cette enquête particulière a soulevé d'épineuses questions d'interprétation et a effectivement obligé l'innovation dans l'application du Code. J'espère que le présent rapport aidera à la compréhension du Code.
1 - Robert Marleau et Camille Montpetit, La procédure
et les usages de la Chambre des communes (Ottawa, Chambre des communes, 2000) p. 824.
2 - La huitième édition du Black's Law Dictionary (St. Paul, Minnesota, West Group, 2004) définit le terme « passif » comme une « obligation financière ou pécuniaire » [TRADUCTION], et dresse la liste des différents types de passif, notamment le « passif éventuel », qui est à son tour défini comme « un élément de passif dont la concrétisation dépend d'un événement précis, c.-à-d. qui est tributaire de la survenance ou non d'un événement futur et incertain » [TRADUCTION] (p. 932-933).