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Rapport Ratansi

​​PRÉFACE

En vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code), qui constitue l'annexe I du Règlement de la Chambre des communes, une enquête peut être lancée à la demande d'une députée ou d'un député, par résolution de la Chambre des communes ou par le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique lui-même.

Si le commissaire craint qu'un député ne se soit pas conformé à ses obligations en vertu du Code, le commissaire doit lui donner un avis écrit de ses préoccupations et lui accorder 30 jours pour y répondre. Si, après avoir accordé ce délai de 30 jours pour répondre, le commissaire a des motifs raisonnables de croire que le député ne s'est pas conformé à ses obligations en vertu du Code, le commissaire peut commencer une enquête de son propre chef pour déterminer si le député a respecté ses obligations en vertu du Code.

À la fin d'une enquête, un rapport doit être fourni au Président de la Chambre des communes, qui le présente ensuite à la Chambre des communes à sa prochaine séance. Le rapport est rendu public une fois qu'il est déposé ou, si la Chambre ne siège pas, lorsque le Président le reçoit.​​​​​​​​

SOMM​AIRE

Le présent rapport énonce les conclusions de mon enquête menée en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) relativement à la conduite de Mme Yasmin Ratansi, députée de Don Valley-Est, en lien avec l'emploi à son bureau de circonscription de Mme Zeenat Khatri, du 23 janvier 2017 au 2 novembre 2020. Mme Ratansi a désigné Mme Khatri comme sa sœur dans ses déclarations publiques.

L'enquête a porté sur l'article 8 du Code, qui interdit à tout député, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.

J'ai d'abord déterminé que Mme Ratansi avait bel et bien favorisé les intérêts personnels de Mme Khatri au sens du Code en employant cette dernière dans son bureau de circonscription. Or, comme Mme Khatri n'est pas considérée comme membre de la famille aux fins de l'application du Code, il me fallait déterminer si les intérêts personnels de celle-ci avaient été favorisés d'une façon indue.

Le Code ne précise pas les circonstances pouvant constituer une irrégularité lorsqu'il s'agit d'examiner les actes susceptibles d'avoir favorisé d'une façon indue les intérêts personnels d'une autre personne. J'ai toutefois déterminé qu'une irrégularité pouvait avoir lieu dans des circonstances où un député agit contrairement à une règle.

Dans le cas présent, j'ai examiné le Règlement administratif relatif aux députés (le Règlement administratif), adopté par le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, visant l'utilisation des ressources mises à la disposition des députées et députés par la Chambre pour leur permettre de s'acquitter de leurs fonctions parlementaires. Le Règlement administratif interdit aux députés d'embaucher des membres de leur proche famille, terme qui englobe, depuis 2012, les frères et sœurs.

Les éléments de preuve recueillis au cours de l'enquête démontrent que, bien que Mme Ratansi ait toujours considéré Mme Khatri comme sa sœur et l'ait désignée comme telle en public, Mme Khatri est en fait sa sœur de famille d'accueil. Cependant, la perception du public de la relation familiale de Mme Ratansi avec Mme Khatri – perception alimentée par les déclarations et les gestes publics de Mme Ratansi elle-même – donnait lieu à une forte apparence d'un lien d'emploi contrevenant au Règlement administratif.

J'ai utilisé mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 3.1 du Code pour prendre en considération l'objet et les principes du Code afin de déterminer si la députée avait contrevenu à des règles de conduite. Les principes 2b) et c) indiquent que les députés doivent éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents et exercer leurs fonctions officielles d'une manière qui résistera à l'examen public le plus minutieux, une obligation qui va au-delà d'une stricte observation de la loi. Tenant compte de ces principes, j'estime que l'apparence qu'une députée ou un député a contrevenu à une règle qui ne figure pas au Code peut, dans certaines circonstances, mener à une irrégularité aux termes de l'article 8.

Ayant déterminé que Mme Ratansi a favorisé les intérêts personnels de Mme Khatri en lui offrant un emploi dans son bureau de circonscription, et ce, d'une façon indue en raison de l'apparence d'un lien d'emploi contrevenant au Règlement administratif, j'ai conclu que Mme Ratansi a contrevenu à l'article 8 du Code. 

PRÉOCCUPATIONS ET PROCESSUS

Le 5 novembre 2020, j'ai reçu une lettre dans laquelle Mme Yasmin Ratansi, députée de Don Valley‑Est, me demandait mon avis pour savoir si elle avait manqué à ses obligations aux termes du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code).

Dans sa lettre, Mme Ratansi expliquait que sa sœur adoptive, Mme Zeenat Khatri, avait été à l'emploi de son bureau de circonscription de 2017 au 2 novembre 2020, date à laquelle elle a mis fin à l'emploi de Mme Khatri dès qu'elle a appris que le Règlement administratif relatif aux députés (le Règlement administratif) du Bureau de régie interne de la Chambre des communes interdisait aux députées et députés d'embaucher des membres de leur proche famille, y compris les frères et sœurs.

Après avoir examiné les renseignements fournis dans sa lettre du 5 novembre, j'ai écrit à Mme Ratansi le 10 novembre, conformément au paragraphe 27(4) du Code, pour l'informer que j'avais des motifs de croire qu'elle pouvait avoir contrevenu à l'article 8 du Code :

8. Le député ne peut, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.

Mme Ratansi ne semblait pas avoir favorisé ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille, car le Code n'inclut pas les frères et sœurs dans sa définition de « membres de la famille ». Toutefois, l'embauche de la sœur de Mme Ratansi semblait à première vue avoir contrevenu au paragraphe 62(1) du Règlement administratif, qui interdit aux députés d'embaucher un membre de leur « proche famille », terme qui comprend un frère ou une sœur, selon la définition contenue dans le Règlement administratif. J'avais donc des motifs de croire que Mme Ratansi avait peut‑être favorisé d'une façon indue les intérêts personnels d'une autre personne, soit Mme Khatri, ce qu'interdit l'article 8 du Code.

Conformément au paragraphe 27(4) du Code, j'ai demandé à Mme Ratansi de répondre à mes préoccupations dans un délai de 30 jours, à la suite duquel je devais déterminer s'il y avait lieu d'entreprendre une enquête sur sa conduite.

Le 12 novembre, j'ai reçu une lettre de M. Michael Barrett, député de Leeds–Grenville–Thousand Islands et Rideau Lakes, me demandant de faire enquête en vertu du Code sur la conduite de Mme Ratansi. L'allégation faite par M. Barrett contre Mme Ratansi, qui se fondait sur des informations diffusées dans des reportages récents, reflétait les préoccupations que j'avais déjà exprimées dans ma lettre du 10 novembre à Mme Ratansi.

J'ai répondu à M. Barrett le 16 novembre pour l'informer que, puisque l'allégation formulée dans sa lettre était déjà prise en charge en vertu du paragraphe 27(4) du Code, je n'entamerais pas de processus distinct sur la même question, mais que je transmettrais néanmoins sa demande à Mme Ratansi. Je lui ai aussi indiqué que je l'aviserais en temps opportun de ma décision de lancer ou non une enquête. Le même jour, j'ai acheminé à Mme Ratansi la demande de M. Barrett, tout en lui faisant part des motifs pour lesquels je n'entreprenais pas de processus distinct à la suite de cette demande.

J'ai reçu la réponse de Mme Ratansi à ma lettre de préoccupations le 9 décembre 2020. Dans sa lettre, Mme Ratansi fournissait des informations factuelles sur les circonstances dans lesquelles elle avait embauché Mme Khatri. Elle expliquait aussi sa position voulant que l'embauche de sa sœur adoptive dans son bureau de circonscription puisse, en fait, ne pas avoir été contraire au Règlement administratif. En outre, Mme Ratansi a aussi écrit que, si je jugeais quand même qu'elle avait contrevenu au Code, son manquement était attribuable à une erreur de jugement commise de bonne foi.

Le 18 décembre, j'ai écrit à Mme Ratansi pour l'informer que, compte tenu des renseignements à ma disposition, j'avais décidé d'entreprendre une enquête.

J'ai reçu des représentations écrites et des documents de Mme Ratansi et de son avocat le 29 décembre 2020, puis les 11 et 18 janvier et le 1er février 2021.

J'ai tenu une entrevue avec Mme Ratansi le 9 février 2021, et j'ai reçu des documents supplémentaires le 16 mars 2021.

Mme Ratansi a eu l'occasion d'examiner la transcription de l'entrevue et une ébauche des parties factuelles du présent rapport (Préoccupations et processus, Faits et Position de Mme Ratansi) et de faire ses commentaires sur le sujet avant la production de la version définitive. 

FAITS​

Emploi de Mme Khatri durant le premier mandat de députée de Mme Ratansi

Mme Yasmin Ratansi a d'abord été députée de Don Valley‑Est du 28 juin 2004 au 1er mai 2011. À partir de 2006, Mme Zeenat Khatri a travaillé comme adjointe de circonscription au bureau de circonscription de Mme Ratansi.

Lors de son entrevue, Mme Ratansi a expliqué que sa gestionnaire de bureau, Mme Helen Flanagan, était responsable de trouver du personnel pour son bureau de circonscription. Afin d'obtenir des candidatures pouvant être recommandées à la députée, Mme Flanagan avait fait appel aux services d'un consultant en ressources humaines. Mme Ratansi a dit qu'elle approuvait habituellement les recommandations de Mme Flanagan et qu'elle lui faisait confiance parce qu'elle était une gestionnaire de bureau chevronnée qui avait travaillé pour plusieurs députés avant elle.

Mme Khatri est l'une des candidates qui avaient été choisies par le consultant en ressources humaines et recommandées à Mme Ratansi par Mme Flanagan. Mme Ratansi m'a dit qu'elle n'avait pas, d'elle‑même, approché Mme Khatri au sujet de la possibilité de travailler à son bureau, et qu'elles n'avaient pas abordé le sujet de quelque autre façon à l'époque.

Mme Ratansi m'a confirmé qu'elle avait dit à Mme Flanagan que Mme Khatri était sa sœur, mais cela ne posait pas de problème, car, selon ce que Mme Flanagan lui avait alors expliqué, la règle interdisant aux députés d'embaucher des membres de leur proche famille ne s'appliquait pas aux frères et sœurs.

Mme Khatri a conservé son poste d'adjointe de circonscription attachée aux dossiers d'immigration jusqu'en 2011, année où Mme Ratansi a perdu son siège à l'élection générale fédérale.

Modification du Règlement administratif relatif aux députés

Le Règlement administratif relatif aux députés (le Règlement administratif) du Bureau de régie interne de la Chambre des communes (le BRI) régit l'utilisation des ressources que la Chambre met à la disposition des députés pour qu'ils s'acquittent de leurs fonctions parlementaires. Sur la question du personnel affecté au bureau de circonscription et au bureau parlementaire, le Règlement administratif interdit aux députés d'employer des membres de leur proche famille.

Lors du premier mandat de députée de Mme Ratansi, la définition du terme « proche famille » contenue dans le Règlement administratif ne comprenait que les parents, la conjointe ou le conjoint et les enfants de la députée ou du député. Elle ne s'appliquait pas aux frères et sœurs. En 2012, soit pendant la période de quatre ans où Mme Ratansi n'était pas députée, le BRI a révisé le Règlement administratif. Parmi les différentes modifications alors apportées, il a changé la définition du terme « proche famille » pour qu'elle comprenne les frères et sœurs.

Dans ses représentations écrites et pendant l'entrevue, Mme Ratansi a déclaré qu'elle n'avait pris connaissance de la modification apportée aux règles applicables que récemment.

Personnel nommé au bureau de circonscription de Mme Ratansi après sa réélection en 2015

À l'issue de l'élection générale de 2015, Mme Ratansi a retrouvé son siège de députée de Don Valley‑Est. Elle a affirmé à plusieurs reprises, dans ses représentations écrites, de même que pendant son entrevue, qu'elle avait eu du mal à trouver et à conserver du personnel capable de traiter le grand nombre de dossiers d'immigration présentés dans sa circonscription.

Au début de 2017, Mme Ratansi a déterminé que, compte tenu du nombre croissant de dossiers en attente de traitement, elle devait demander à Mme Khatri de venir travailler au bureau pour une période d'au moins six mois. Selon Mme Ratansi, Mme Khatri était une ancienne employée d'expérience qui possédait déjà les compétences et les connaissances nécessaires pour traiter les dossiers efficacement. Elle voulait que Mme Khatri s'occupe surtout de montrer à une nouvelle recrue comment traiter les dossiers d'immigration. D'après Mme Ratansi, la situation n'était pas idéale pour Mme Khatri, car cet emploi l'empêchait de se consacrer à son entreprise familiale et l'obligeait à faire une longue navette quotidienne entre la maison et le bureau.

Dans ses représentations écrites et pendant l'entrevue, Mme Ratansi a expliqué que, avant d'embaucher Mme Khatri, elle avait vérifié les règles applicables en vertu du Code et avait déterminé que, puisque Mme Khatri n'était pas membre de sa famille au sens où l'entendait le Code, il ne lui était pas interdit de l'embaucher. Mme Ratansi m'a dit pendant l'entrevue qu'elle savait que le Règlement administratif interdisait d'embaucher un membre de sa proche famille, mais qu'elle n'avait alors pas consulté le Règlement administratif. Elle a également confirmé qu'elle n'avait pas fait de vérification semblable dans le cas d'une autre embauche; c'est seulement lors de l'embauche de Mme Khatri qu'elle avait vérifié les règles, vu son lien avec elle.

La lettre d'emploi de Mme Khatri, datée et signée par les deux parties le 16 janvier 2017, portait sur un emploi « régulier à plein temps » devant commencer le 23 janvier 2017; aucune date de fin n'était précisée. Mme Ratansi a fait savoir durant l'entrevue que, sur le plan des ressources humaines, un emploi de six mois ou plus n'est pas considéré comme temporaire, mais elle avait mentionné la nature temporaire de l'entente à Mme Khatri.

Mme Ratansi a expliqué que, au cours des mois suivants, le nombre de dossiers confiés à son bureau était demeuré élevé, et que le maintien des effectifs restait difficile; des employés formés décidaient de partir pour diverses raisons, notamment pour poursuivre des études ou saisir d'autres occasions. Par conséquent, Mme Khatri avait accepté de rester jusqu'à ce qu'une autre personne soit trouvée pour la remplacer.

​Selon Mme Ratansi, les membres de son personnel savaient que Mme Khatri était sa sœur, et il n'avait jamais été soulevé que la situation pouvait poser problème; en outre, personne n'avait mentionné la règle applicable en vertu du Règlement administratif.

Cessation de l'emploi de Mme Khatri

Mme Ratansi m'a déclaré lors de son entrevue que le Parti libéral l'a appelée le 2 novembre 2020 pour l'informer qu'il avait reçu une lettre anonyme indiquant qu'elle employait sa sœur à son bureau, ce qu'elle a confirmé. On lui a alors dit qu'elle ne pouvait pas employer un membre de sa proche famille — dont sa sœur faisait partie — et qu'elle devait donc mettre fin à son emploi et demander l'avis du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.

Mme Ratansi m'a aussi dit qu'elle avait pris immédiatement les mesures qu'on attendait d'elle. Le même jour, elle a avisé Mme Khatri, de vive voix et par écrit, qu'elle mettait fin à son emploi, décision qui entrait en vigueur le jour même, pour les raisons évoquées par le parti et, comme elle l'a indiqué dans la lettre de cessation d'emploi de Mme Khatri, « pour éviter toute apparence d'irrégularité ».

Mesures prises par Mme Ratansi depuis le 2 novembre 2020

Le 5 novembre 2020, Mme Ratansi m'a envoyé une lettre dans laquelle elle a indiqué que Mme Khatri, sa sœur adoptive, travaillait comme employée salariée à temps plein dans son bureau de circonscription depuis 2017, qu'elle avait appris le 2 novembre seulement que Mme Khatri ne devrait pas travailler pour elle, étant un membre de sa proche famille, et qu'elle avait mis fin à l'emploi de Mme Khatri dès qu'elle avait pris conscience de la situation. Mme Ratansi a conclu sa lettre en me demandant mon avis à savoir si elle avait contrevenu au Code d'une quelconque façon en embauchant sa sœur adoptive.

La lettre du 5 novembre 2020 de Mme Ratansi contient les renseignements sur lesquels je me suis appuyé pour amorcer le processus menant à cette enquête.

Dans une déclaration publiée le 9 novembre 2020 sur le compte Facebook @MPYasminRatansi, qu'elle utilise dans le cadre de ses fonctions parlementaires, Mme Ratansi a annoncé qu'elle avait quitté le caucus libéral et qu'elle siégerait dorénavant comme députée indépendante. Elle a aussi dit qu'elle avait commis une erreur de jugement en employant sa sœur dans son bureau de circonscription et a offert ses excuses à ses électeurs pour cette erreur, tout en ajoutant qu'elle avait déjà corrigé la situation.

Mme Ratansi a publié une nouvelle déclaration sur son compte Facebook le 19 novembre 2020, dans laquelle elle a indiqué qu'elle avait « fait une erreur en donnant à sa sœur un emploi salarié qu'elle occupait depuis quelques années » et a de nouveau offert ses excuses pour son « manque de jugement » » [traduction] dans cette affaire.

Autres renseignements fournis par Mme Ratansi sur sa relation avec Mme Khatri

Au cours de l'enquête, Mme Ratansi a fourni des éléments de preuve établissant que Mme Khatri n'est ni sa sœur biologique ni sa sœur adoptive.

Mme Ratansi a dit dans son témoignage que son père avait accueilli Mme Khatri à un tout jeune âge dans sa famille, qui vivait alors au Tanganyika (maintenant Tanzanie) dans les années 1950. Le père de Mme Ratansi, décédé en 1972, n'avait pas officiellement adopté Mme Khatri; son nom figurait à titre de « personne responsable », et non de père, sur le certificat de naissance fourni par Mme Ratansi. Si l'adoption avait eu lieu, le certificat de naissance original aurait été annulé et un nouveau certificat, indiquant le nom des parents adoptifs en tant que père et mère, aurait été délivré.

Dans ses observations écrites et lors de son entrevue, Mme Ratansi a précisé qu'elle avait toujours présenté Mme Khatri comme sa sœur, conformément aux pratiques culturelles islamiques et aux souhaits de son père.

POSITION DE MME RATANSI

Mme Ratansi a fait valoir la position selon laquelle elle n'a pas contrevenu à l'article 8 du Code en embauchant Mme Khatri dans son bureau de circonscription.

Selon elle, la preuve documentaire présentée montre qu'il n'existe aucun lien juridique entre elle et Mme Khatri, notamment aux fins de l'application du Règlement administratif. Mme Khatri était la fille en famille d'accueil du père de Mme Ratansi, une relation qui échappe aux définitions applicables du Code et du Règlement administratif telles qu'elles sont formulées actuellement.

Mme Ratansi a affirmé qu'il n'est nulle part mention de sœur ou frère « adopté » ou « de famille d'accueil » dans le Code ou le Règlement administratif. Si le Parlement avait voulu que la définition de « proche famille » du Règlement administratif s'étende aux enfants en famille d'accueil, il l'aurait précisé en élargissant la définition, comme il l'a fait pour le terme « personne à charge[1] ».

En outre, le Parlement a récemment précisé et élargi la définition de « proche famille » dans le Règlement administratif afin d'inclure les neveux et nièces d'un député ou de son conjoint, ainsi que la parenté par alliance[2]. Mme Ratansi est d'avis q​ue cette nouvelle définition élargie ne s'applique pas à sa relation avec Mme Khatri. Par conséquent, elle ne pouvait pas interpréter le Règlement administratif de façon à inclure une définition élargie de « sœur » désignant des personnes autres que celles à qui elle était unie par les liens du sang.

Par ailleurs, étant donné que toute contravention pourrait s'accompagner de sanctions, Mme Ratansi a estimé que, compte tenu du principe de justice naturelle, les dispositions applicables devraient être interprétées selon leur sens restreint. Par conséquent, d'après elle, si les dispositions définissant « proche famille » sont imprécises et ambiguës, l'ambiguïté devrait être résolue en faveur de la personne visée par une enquête.

Enfin, Mme Ratansi a soutenu qu'en plus de ne pas contrevenir à l'article 8 du Code, le fait d'employer Mme Khatri avait été avantageux pour le public, étant donné que cette dernière était capable de composer avec le nombre élevé de dossiers d'immigration présentés à son bureau de circonscription.

ANALYSE ET CONCLUSION​

Analyse

J'ai entrepris une enquête dans ce dossier afin de déterminer si Mme Yasmin Ratansi, députée de Don Valley-Est, avait contrevenu à l'article 8 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) en favorisant d'une façon indue les intérêts personnels d'une autre personne, soit Mme Zeenat Khatri, qu'elle avait embauchée à son bureau de circonscription en 2017. L'article 8 est rédigé comme suit :

8. Le député ne peut, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.

Cette enquête ne concernait pas les propres intérêts personnels de Mme Ratansi ni ceux d'un membre de sa famille au sens où l'entend le Code, car Mme Khatri n'est pas visée par la définition de « membre de la famille » qu'on trouve au paragraphe 3(4) du Code, et qui s'applique à l'épouse ou à l'époux, à la conjointe de fait ou au conjoint de fait, et aux enfants mineurs ou à charge.

Fonctions parlementaires

Le Code ne définit pas les fonctions parlementaires des députées et députés pour les besoins de l'application de l'article 8. Le paragraphe 1(1) du Règlement administratif relatif aux députés (le Règlement administratif) définit toutefois les fonctions parlementaires de la manière suivante :

fonctions parlementaires À l'égard d'un député, les responsabilités et les activités qui se rattachent à la fonction de député, où qu'elles soient exercées et indépendamment de toute considération partisane, à savoir les activités liées aux délibérations et aux travaux de la Chambre des communes ainsi que celles liées à la représentation de sa circonscription ou des électeurs.

Le Règlement administratif prévoit également que les fonctions parlementaires comprennent les responsabilités du député en tant qu'employeur.

L'embauche d'employés de circonscription par le député fait donc partie des fonctions parlementaires visées par l'article 8 du Code.

Intérêts personnels

Le paragraphe 3(2) du Code précise les circonstances dans lesquelles les actes d'un député sont considérés comme étant de nature à favoriser les intérêts personnels d'une personne pour les besoins de l'application du Code. Au nombre des circonstances indiquées se trouve, à l'alinéa d), le fait d'augmenter son revenu à partir de l'une des sources précisées, y compris l'employeur.

Comme je l'ai établi dans le Rapport Vandenbeld, ce qui est pertinent en vertu de l'alinéa 3(2)d), c'est le droit actuel et potentiel de la personne à un revenu provenant uniquement de la source particulière en cause. Ainsi, un nouveau droit découlant du fait d'avoir été embauché à un poste entraîne une augmentation du revenu tiré de cette source.

En employant Mme Khatri dans son bureau de circonscription, Mme Ratansi a favorisé les intérêts personnels de Mme Khatri au sens du Code. Il reste à déterminer si ces intérêts personnels ont été favorisés d'une façon indue.

Détermination d'irrégularité

Le Code ne décrit pas les circonstances constituant une irrégularité lorsqu'il s'agit d'examiner des actes susceptibles de favoriser les intérêts personnels d'une autre personne.

 J'ai dû envisager ce qui constitue une irrégularité dans le contexte d'actes favorisant des intérêts personnels pour les besoins de l'application de la Loi sur les conflits d'intérêts. Dans le Rapport Trudeau II, j'ai conclu qu'il y a irrégularité lorsqu'un titulaire de charge publique dépasse les limites des pouvoirs que lui confère la loi, ou contrevient à une règle, à une convention ou à un processus établi.

À mon avis, les considérations de ce type sont aussi pertinentes lorsqu'il faut déterminer s'il y a eu irrégularité au sens du Code. Plus précisément, l'embauche de Mme Khatri par Mme Ratansi, qui a favorisé les intérêts personnels de la première, serait irrégulière si j'estimais qu'elle contrevenait à une règle qui ne figure pas au Code.

La règle qui ne figure pas au Code, mais qui est pertinente dans la présente affaire est le paragraphe 62(1) du Règlement administratif, qui interdit aux députés d'embaucher des membres de leur proche famille au sens du paragraphe 1(1) du Règlement administratif. La définition, encore élargie tout récemment, comprend depuis 2012 la sœur d'un député.

À l'époque visée par l'affaire faisant l'objet de la présente enquête, les dispositions pertinentes du Règlement administratif étaient donc les suivantes :

1. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent, sauf disposition contraire, au présent règlement administratif.

[...]

proche famille Le père, la mère, les frères et sœurs, le conjoint et les enfants du député ainsi que les conjoints et les enfants des enfants du député.

[...]

62. (1) Le député ne peut embaucher un membre de sa proche famille, son voyageur désigné ou un membre de l'exécutif d'un parti politique comme employé sous le régime du présent règlement administratif.

Au cours de la présente enquête, Mme Ratansi m'a indiqué qu'elle avait toujours considéré Mme Khatri comme sa sœur et la désignait comme telle dans ses interactions avec d'autres. Dans plusieurs de ses communications avec moi, elle a aussi réitéré l'importance, pour elle-même, que Mme Khatri soit désignée comme sa sœur.

Mme Ratansi semble avoir agi de manière cohérente avec l'idée que Mme Khatri est sa sœur. Selon son témoignage, lorsque Mme Ratansi a eu l'occasion d'embaucher Mme Khatri en 2006, elle a demandé la confirmation qu'aucune règle ne lui interdisait d'embaucher sa sœur. Elle m'a aussi dit que, en 2017, après avoir consulté le Code et lu que les frères et sœurs n'y sont pas considérés comme des membres de la famille d'un député, elle avait déterminé qu'elle pouvait embaucher de nouveau Mme Khatri, comme elle l'avait fait pendant son mandat précédent.

Ces affirmations de Mme Ratansi laissent entendre que si le Règlement administratif – dans son libellé de 2006 – ou le Code avaient inclus les sœurs dans leurs définitions respectives des membres de la famille, elle n'aurait pas embauché Mme Khatri en raison de leurs liens. En outre, lorsqu'elle a appris, le 4 novembre 2020, que le Règlement administratif avait été modifié, Mme Ratansi a immédiatement mis fin à l'emploi de Mme Khatri.

Lorsque cette affaire est devenue publique le 9 novembre 2020, Mme Ratansi a continué de désigner Mme Khatri comme sa sœur dans les déclarations qu'elle a diffusées sur son compte de médias sociaux et elle a dit regretter ce qu'elle a qualifié d'« erreur de jugement ».

Une personne raisonnable, au courant des règles applicables et n'ayant en main que les renseignements décrits ci-dessus, qui aurait pris connaissance de la situation aurait conclu que l'embauche de Mme Khatri contrevenait au paragraphe 62(1) du Règlement administratif. Dans ce contexte, cette personne aurait conclu naturellement qu'une irrégularité au sens du Code avait été commise.

Au fil de l'enquête, cependant, Mme Ratansi m'a soumis des faits considérablement différents. Après avoir tout d'abord décrit Mme Khatri comme sa sœur adoptive, elle a expliqué que Mme Khatri n'avait en réalité jamais été adoptée légalement; elle a soumis des documents à l'appui de cette dernière affirmation. J'accepte la dernière affirmation de Mme Ratansi, ainsi que son argument selon lequel Mme Khatri, en sa qualité de sœur de famille d'accueil, ne serait pas légalement considérée comme sa sœur et, par extension, comme membre de sa « proche famille » au sens du Règlement administratif. La présente enquête vise, cependant, à déterminer s'il y a eu contravention au Code, non pas au Règlement administratif.

Pour déterminer si une irrégularité a été commise et ainsi juger s'il y a eu contravention à l'article 8 du Code, je dois tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire. L'interdiction énoncée au paragraphe 62(1) du Règlement administratif est la source d'une irrégularité éventuelle dans le cas présent, mais ma conclusion ne dépend pas entièrement du fait que cette règle qui ne figure pas au Code a été, en fin de compte, contrevenue ou non. Les déclarations et gestes publics de Mme Ratansi et la perception du public qu'ils suscitent concernant ce qui est survenu sont aussi au nombre des circonstances que je dois évaluer.

L'article 3.1 du Code m'accorde la discrétion voulue pour tenir compte de l'objet et des principes du Code au moment de déterminer si des règles de conduite ont été contrevenues dans une affaire donnée. Voici le libellé de l'article :

3.1 Pour l'interprétation et l'application des obligations prévues dans le présent code, le commissaire peut tenir compte de l'objet et des principes énoncés aux articles 1 et 2.

Les principes du Code les plus pertinents pour la présente affaire sont les suivants :

2. Vu que les fonctions parlementaires constituent un mandat public, la Chambre des communes reconnaît et déclare qu'on s'attend à ce que les députés :

[...]

b) remplissent leurs fonctions avec honnêteté et selon les normes les plus élevées de façon à éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents et à préserver et accroître la confiance du public dans l'intégrité de chaque député et envers la Chambre des communes;

c) exercent leurs fonctions officielles et organisent leurs affaires personnelles d'une manière qui résistera à l'examen public le plus minutieux, allant au-delà d'une stricte observation de la loi;

[...]

L'article 3.1 a été ajouté au Code en 2007 par suite d'une recommandation contenue dans le 54e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à la Chambre des communes, recommandation selon laquelle il fallait préciser que cet objet et ces principes ne doivent pas être interprétés comme des règles et obligations en soi, mais plutôt servir à interpréter le reste du Code.

En ce qui a trait aux principes 2b) et c), qui disposent que les députés doivent éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents et exécuter leurs fonctions officielles d'une manière qui résistera à l'examen public le plus minutieux, une obligation qui va au-delà d'une stricte observation de la loi, j'estime que l'apparence qu'un député a contrevenu à une règle qui ne figure pas au Code peut, dans certaines circonstances, mener à une irrégularité au sens de l'article 8.

Dans la présente affaire, je dois tenir compte de la perception du public à l'égard de la relation familiale de Mme Ratansi avec Mme Khatri en me fondant sur les déclarations et gestes publics de Mme Ratansi elle-même, qui ont suscité une forte apparence d'un lien d'emploi contraire au paragraphe 62(1) du Règlement administratif. Les faits supplémentaires dévoilés pendant l'enquête ont peut-être révélé la vraie nature des liens familiaux qui unissent Mmes Khatri et Ratansi, mais le lien d'emploi conserve malgré tout son caractère irrégulier aux termes du Code.

Conclusion

Ayant déterminé que Mme Ratansi a favorisé les intérêts personnels de Mme Khatri en lui offrant un emploi dans son bureau de circonscription, et ce, d'une façon indue en raison de l'apparence d'un lien d'emploi contrevenant au Règlement administratif, je conclus que Mme Ratansi a contrevenu à l'article 8 du Code.

SANCTION

Ayant conclu que la députée ne s'est pas conformée à une obligation prévue au Code, je dois déterminer si la contravention est accompagnée de circonstances atténuantes, comme le prévoit le paragraphe 28(5) du Code :

28. (5) S'il conclut que le député ne s'est pas conformé à une obligation aux termes du présent code, mais qu'il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter de l'enfreindre, ou que l'infraction est sans gravité, est survenue par inadvertance ou est imputable à une erreur de jugement commise de bonne foi, le commissaire l'indique dans son rapport et peut recommander qu'aucune sanction ne soit imposée.

Lorsque Mme Ratansi a embauché Mme Khatri en 2017, elle s'est fiée aux conseils que lui avait prodigués sa gestionnaire de bureau en 2006, époque où aucune règle ne lui interdisait de le faire. Elle n'a pas vérifié à nouveau le Règlement administratif et n'a donc pas remarqué la modification apportée entretemps.

Le Manuel des allocations et des services aux députés du Bureau de régie interne, que Mme Ratansi a mentionné dans sa lettre du 5 novembre 2020, précise ce qui suit : « Les députés sont tenus de connaître, de comprendre et de respecter les politiques du Bureau de régie interne telles qu'elles sont décrites dans le Règlement administratif relatif aux députés et dans ce manuel. » Mme Ratansi a fait valoir qu'elle avait vérifié le Code avant d'embaucher Mme Khatri durant son second mandat, mais le Règlement administratif aurait dû être le premier document à vérifier pour toute question relative à une embauche, et Mme Ratansi aurait dû le savoir. Par conséquent, je ne peux pas conclure qu'elle a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter d'y contrevenir.

Les règles de bonne gestion des ressources publiques confiées aux députés pour qu'ils exercent leurs fonctions parlementaires visent à favoriser la confiance du public envers les institutions qui gouvernent le Canada. Il est donc essentiel que tous les députés respectent — et soient perçus comment respectant — ces règles. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la contravention de Mme Ratansi au Code, qui concernait une telle règle, soit sans gravité.

Il ne me reste donc plus qu'à déterminer si Mme Ratansi a contrevenu au Code par inadvertance ou en raison d'une erreur de jugement faite de bonne foi.

J'accepte l'argument de Mme Ratansi selon lequel de janvier 2017 à novembre 2020, elle croyait qu'aucune règle ne lui interdisait d'avoir Mme Khatri à son emploi, le nom de cette dernière, avec son titre d'adjointe de circonscription, étant d'ailleurs indiqué dans l'annuaire public des employés du gouvernement. En outre, dès qu'elle a su qu'elle contrevenait peut-être au Règlement administratif, Mme Ratansi a rapidement mis fin à l'emploi de Mme Khatri et a fait des excuses publiques. Elle a aussi communiqué avec le Commissariat pour divulguer ses gestes problématiques et obtenir des conseils à l'égard des répercussions possibles en ce qui concerne le Code. À mon avis, son comportement a démontré son désir sincère de rectifier la situation.

Par conséquent, je conclus que, bien que Mme Ratansi ne se soit pas acquittée de ses obligations aux termes de l'article 8 du Code dans l'affaire visée par la présente enquête, sa nonconformité est survenue par inadvertance ou est imputable à une erreur de jugement commise de bonne foi. Je recommande donc qu'aucune sanction ne lui soit imposée.





1 - La définition du terme « personne à charge » dans le Règlement administratif relatif aux députés est formulée comme suit :

personne à charge s'entend d'un enfant du député, y compris un beau-fils ou une belle-fille, un enfant adoptif, un enfant en famille d'accueil chez le député, un enfant dont le tuteur est le député, ainsi qu'un enfant de son conjoint qui dépend financièrement du député pour ce qui est des nécessités de la vie comme la nourriture, le logement, les soins médicaux, l'habillement et la scolarisation et qui, selon le cas :

a) est âgé de moins de 21 ans;

b) est âgé d'au moins 21 ans et d'au plus 25 ans et fréquente à temps plein un établissement d'enseignement reconnu;

c) sans égard à son âge, dépend entièrement du député en raison d'une incapacité physique ou mentale.

 

2 - La définition révisée du terme « proche famille », entrée en vigueur le 29 janvier 2021 dans le Règlement administratif relatif aux députés, est formulée comme suit :

proche famille

a) Le conjoint du député;

b) les enfants, les petits-enfants, les père ou mère, les grands-parents, les frères et les sœurs du député ou de son conjoint;

c) les neveux et les nièces du député ou de son conjoint;

d) le conjoint de toute personne mentionnée à l'alinéa b).​


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