PRéFACE
La Loi sur les conflits d'intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.
Une étude en vertu de la Loi peut être amorcée à la demande d'un parlementaire, conformément à l'article 44 de la Loi, ou par la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique (la commissaire) de son propre chef, conformément à l'article 45.
Cette étude a été amorcée en vertu de l'article 44 de la Loi. Par ailleurs, en vertu du paragraphe 44(7), la commissaire doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. Le paragraphe 44(8) exige que la commissaire doit en même temps remettre un double du rapport à l'auteur de la demande ainsi qu'au titulaire ou à l'ex-titulaire de charge publique visé, et que le rapport soit rendu accessible au public.
Le présent rapport énonce les conclusions de mon étude menée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à la conduite de l'honorable Jane Philpott, C.P., députée et ministre de la Santé, en ce qui concerne l'utilisation de services de transport de personnes offerts par un supporteur politique.
J'ai reçu une demande d'étude visant l'utilisation par Mme Philpott de services de transport de personnes offerts par l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc., dont le propriétaire est M. Reza Shirani. Il a été allégué que M. Shirani était un bénévole actif et un supporteur d'activités partisanes de la ministre. Les médias ont également rapporté que les tarifs demandés à Mme Philpott étaient beaucoup plus élevés que les tarifs demandés par d'autres services de transport de personnes.
J'ai étudié la question en vertu de l'article 7 et du paragraphe 6(1) de la Loi.
L'article 7 interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
Je devais déterminer si Mme Philpott, dans l'exercice de ses fonctions ministérielles, avait accordé un traitement de faveur à Executive Limousine & Livery Service Inc. en fonction du rôle de M. Shirani au sein de l'entreprise. J'ai conclu qu'aucun lien particulier n'existait entre Mme Philpott et M. Shirani pouvant suggérer un traitement de faveur. De plus, j'ai conclu que Mme Philpott n'avait pas choisi d'utiliser les services de transport de personnes de M. Shirani en raison de son adhésion au Parti libéral du Canada ou de sa participation à sa campagne électorale. Par conséquent, j'ai conclu que ni M. Shirani ni son entreprise n'ont bénéficié d'un traitement de faveur et que Mme Philpott n'a pas contrevenu à l'article 7 de la Loi.
Le paragraphe 6(1) interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts. La Loi prévoit qu'un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
J'ai d'abord vérifié si M. Shirani était un parent ou un ami de Mme Philpott et si elle exerçait un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournissait la possibilité de favoriser l'intérêt personnel de M. Shirani. J'ai déterminé que M. Shirani n'est pas un ami de Mme Philpott et qu'ils n'ont pas de liens familiaux.
Ensuite, j'ai vérifié si Mme Philpott, dans l'exercice de ses fonctions officielles, avait favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel de M. Shirani ou celui de son entreprise. Comme j'avais conclu à aucun traitement de faveur au sens de l'article 7, j'ai déterminé qu'aucune irrégularité n'existait à cet égard.
J'ai vérifié s'il existait des règles concernant les services de transport de personnes pour les ministres qui n'ont pas été suivies. J'ai conclu que, même si les ministres sont assujettis à certaines politiques régissant les déplacements, je n'ai trouvé aucune règle portant sur le type de services de transport de personnes visés dans cette affaire.
Enfin, j'ai examiné si les montants perçus par l'entreprise de M. Shirani étaient disproportionnés au point de constituer une irrégularité dans le choix d'un fournisseur. J'ai reconnu le besoin de Mme Philpott d'être assurée d'un transport fiable respectant son horaire chargé. De plus, Mme Philpott était très satisfaite de la qualité des services de transport de personnes de M. Shirani.
J'ai conclu que le tarif perçu pour le déplacement entre la résidence de Mme Philpott et l'aéroport se situait dans la moyenne pour des services comparables. Bien que les tarifs demandés par Executive Limousine & Livery Service Inc. pour les deux déplacements d'une journée entière aient été plus élevés que ceux d'autres entreprises, je ne les ai pas considérés comme étant disproportionnés au point de constituer une irrégularité, surtout à la lumière des efforts de Mme Philpott afin de s'assurer que les tarifs étaient appropriés. Par conséquent, la décision de Mme Philpott d'utiliser les services de M. Shirani n'a pas favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel de celui-ci ni de son entreprise au sens de l'article 4 de la Loi.
Par conséquent, j'ai conclu que Mme Philpott n'avait pas contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi en retenant les services de l'entreprise de M. Shirani.
Le 18 août 2016, j'ai reçu une lettre de M. Colin Carrie, député d'Oshawa, dans laquelle il me demandait d'examiner la conduite de l'honorable Jane Philpott, C.P., députée et ministre de la Santé.
Dans sa lettre, M. Carrie faisait référence à plusieurs articles médiatiques ayant rapporté que Mme Philpott avait utilisé à répétition les services de transport de personnes offerts par l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc. Il a été allégué que le propriétaire de cette entreprise, M. Reza Shirani, serait un bénévole actif et un supporteur d'activités partisanes de la ministre. La lettre indiquait aussi que Mme Philpott aurait admis être au courant que le service appartenait à son supporteur, M. Shirani.
Selon les articles médiatiques, les renseignements fournis faisaient suite à une demande d'accès à l'information au sujet des dépenses de transport par limousine de tous les ministres pour la période du 3 novembre 2015 au 22 avril 2016.
Monsieur Carrie a indiqué que les services d'Executive Limousine & Livery Service Inc. avaient coûté 1 708 $ pour la journée complète du 31 mars 2016, 1 994 $ pour une autre journée en juillet 2016, et 3 814 $ pour 20 trajets entre le domicile de Mme Philpott et l'Aéroport international Pearson de Toronto. Il a ajouté que le Toronto Star avait trouvé que ces tarifs étaient beaucoup plus élevés que ceux d'autres services de transport de personnes que ce journal avait consultés.
Monsieur Carrie a indiqué dans sa lettre qu'à son avis, la décision de la ministre d'utiliser les services de transport de personnes d'un supporteur aussi fervent semblait être une contravention possible aux articles 7 et 8 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
L'article 7 de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder un traitement de faveur à une personne ou à une organisation en fonction d'une autre personne ou organisation les représentant. Quant à l'article 8 de la Loi, il interdit à tout titulaire de charge publique d'utiliser des renseignements non accessibles au public afin de favoriser ses intérêts, les intérêts d'un ami, ou encore de favoriser de façon irrégulière l'intérêt de toute autre personne.
J'ai déterminé que M. Carrie a énoncé des motifs raisonnables de croire que Mme Philpott avait contrevenu à l'article 7 de la Loi et que sa lettre constituait une demande valide d'étude en vertu de l'article 44 de la Loi.
En ce qui concerne l'article 8, la lettre de M. Carrie ne fournissait aucun renseignement appuyant l'allégation selon laquelle Mme Philpott aurait pu avoir obtenu et utilisé des renseignements non accessibles au public. Je n'ai donc pas donné suite à cette demande.
Le 19 août 2016, j'ai écrit à l'honorable Jane Philpott, C.P., députée et ministre de la Santé, pour l'informer que j'entamais une étude en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à l'article 7 en fonction de la demande que j'avais reçue de M. Colin Carrie, député d'Oshawa.
Dans cette même lettre, j'ai aussi informé Mme Philpott que, en me basant sur la demande de M. Carrie ainsi que sur d'autres renseignements des médias et sources publiques, mon étude cherchait aussi à savoir si elle aurait contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi. Ce paragraphe de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir qu'en prenant cette décision, il pourrait se trouver en conflit d'intérêts.
J'ai aussi informé Mme Philpott que M. Carrie n'avait pas établi les motifs raisonnables de croire à une possible contravention à l'article 8 de la Loi et que je n'étudierais pas cette question.
J'ai demandé à Mme Philpott de répondre par écrit aux allégations et de me soumettre tout autre document pouvant servir à mon étude, et ce, au plus tard le 23 septembre 2016.
J'ai aussi écrit à M. Carrie le 19 août pour l'informer que sa demande satisfaisait aux exigences du paragraphe 44(2) de la Loi en ce qui concerne l'allégation selon laquelle Mme Philpott aurait contrevenu à l'article 7 de la Loi, mais pas à l'article 8. Je lui ai fait savoir que, conformément au paragraphe 44(3) de la Loi, j'avais commencé une étude en vertu de l'article 7.
Le 23 septembre 2016, j'ai reçu une réponse de Mme Philpott ainsi que les documents demandés. Le Commissariat a procédé à une première entrevue avec Mme Philpott le 19 octobre 2016. Les 27 octobre et 23 novembre 2016, j'ai reçu des documents additionnels de sa part.
Le 15 novembre 2016, j'ai procédé à une entrevue avec M. Reza Shirani, le propriétaire de l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc.
Conformément à la pratique que j'ai établie, nous avons donné à Mme Philpott la possibilité de commenter l'ébauche des sections factuelles du présent rapport avant de le finaliser, soit les sections intitulées La demande, Le processus, Les constatations de faits et La position de Mme Philpott.
Le contexte
Le 9 avril 2015, l'honorable Jane Philpott, C.P., députée, a été désignée candidate du Parti libéral du Canada dans la circonscription de Markham–Stouffville. Elle s'est dès lors mise en campagne en vue de l'élection du 19 octobre 2015.
Madame Philpott a été élue députée libérale de Markham–Stouffville le 19 octobre 2015. Dans la soirée du 21 octobre, elle a été convoquée par téléphone et par courriel par le personnel de la Chambre des Communes à une séance d'orientation pour les nouveaux députés à Ottawa le lendemain, 22 octobre 2015. Mme Philpott m'a dit que lors de son appel avec le personnel de la Chambre des communes, il n'avait pas été question du transport terrestre entre son domicile et l'aéroport, mais uniquement du transport aérien entre Toronto et Ottawa. Le Commissariat a pu confirmer ce fait auprès de la Chambre des communes.
Madame Philpott a indiqué avoir été prise de court par la demande de se présenter à Ottawa le 22 octobre 2015. Elle m'a dit qu'elle ne pouvait utiliser sa voiture pour se rendre à l'aéroport le 22 octobre 2015 et que son conjoint n'était pas disponible pour l'y conduire. Elle a écrit qu'elle n'avait jamais pris un taxi à Stouffville auparavant et elle m'a dit qu'elle ne se souvenait pas avoir vu des taxis circuler dans la ville. Elle m'a dit qu'elle s'était souvenue que l'un de ses bénévoles, M. Reza Sherani, avait un service de transport de personnes. Elle a consulté une liste des bénévoles pour joindre M. Shirani. Il était disponible.
Madame Philpott m'a dit qu'elle se souvenait de M. Shirani à la suite d'une activité de porte-à-porte durant sa campagne électorale. Elle avait remarqué qu'il portait un habit, ce qu'elle avait trouvé inhabituel pour une telle activité. Elle m'a dit qu'elle se demandait qui il était et que c'est ce qui l'a portée à se présenter à lui. Elle a appris qu'il était le propriétaire d'un service de transport de personnes.
Avant d'être nommée ministre, elle a utilisé le service de transport de personnes de M. Shirani entre son domicile et l'aéroport à quatre autres reprises.
Monsieur Reza Shirani
Monsieur Shirani est le propriétaire de l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc., incorporée en 2004. Il m'a dit qu'il demeure dans la circonscription de Mme Philpott, Markham–Stouffville. Il m'a dit qu'il est aussi un membre et supporteur de longue date du Parti libéral du Canada et membre de l'association de circonscription libérale de
Markham–Stouffville depuis 2002 ou 2003. Mme Philpott et M. Shirani m'ont tous deux dit qu'ils ne s'étaient pas rencontrés avant que Mme Philpott ne se lance en campagne électorale et Mme Philpott m'a dit qu'elle ignorait si M. Shirani faisait partie de l'association de circonscription.
Peu de temps après que Mme Philpott ait été désignée députée libérale pour la circonscription de Markham–Stouffville, l'équipe de campagne de Mme Philpott a contacté des supporteurs libéraux afin de les inciter à faire du porte-à-porte. C'est le 11 avril 2015 que M. Shirani a été contacté pour la première fois par l'équipe de campagne de Mme Philpott. Il s'est présenté le lendemain au bureau de campagne de Mme Philpott et a offert ses services comme bénévole.
Monsieur Shirani m'a dit qu'à la fin de la première journée où il avait fait du porte-à-porte, il a jasé avec les nombreux participants, dont Mme Philpott, et il avait probablement laissé sa carte professionnelle à l'équipe de campagne de Mme Philpott à ce moment.
Selon Mme Philpott, M. Shirani a fait du porte-à-porte comme bénévole pour sa campagne électorale à deux reprises : d'abord le 12 avril, puis le 17 octobre 2015, soit deux jours avant l'élection. La preuve documentaire confirme d'ailleurs que M. Shirani a peu participé à la campagne de Mme Philpott et que l'équipe de campagne de Mme Philpott avait inscrit M. Shirani sur la liste des bénévoles inactifs à deux reprises : à la fin juin 2015 et de nouveau à la fin août 2015.
Continuité d'utilisation des services de transport de personnes de M. Shirani par Mme Philpott après sa nomination comme ministre de la Santé
Madame Philpott a été nommée ministre de la Santé le 4 novembre 2015. À ce moment, son bureau ministériel lui a demandé quel service elle utilisait pour son transport terrestre à l'extérieur d'Ottawa. Elle a indiqué qu'elle n'utilisait qu'un service de transport de personnes et a donné le seul nom qu'elle connaissait, soit M. Shirani.
Madame Philpott m'a dit que suivant sa nomination à titre de ministre, elle avait continué d'utiliser le service de transport de personnes de M. Shirani parce qu'il était toujours très professionnel, fiable, n'était jamais en retard, et parce qu'elle se sentait toujours en sécurité dans le véhicule.
Madame Philpott m'a dit que lors de ses déplacements, elle ne discutait pas avec M. Shirani puisqu'elle avait habituellement son ordinateur portable ouvert et travaillait. M. Shirani m'a aussi dit qu'il ne jasait pas avec Mme Philpott lorsqu'elle était dans la voiture.
Madame Philpott m'a dit que M. Shirani était « une personne amicale », mais qu'ils n'étaient pas amis. Pour sa part, M. Shirani m'a dit que Mme Philpott n'était pas une amie, mais plutôt une cliente de son entreprise, et qu'elle était traitée comme une cliente.
La « limousine »
Monsieur Shirani a décrit une limousine comme étant un taxi moderne, plus propre, offrant un meilleur service et peut-être à un coût de 10 $ de plus. Il m'a expliqué que l'automobile dans laquelle Mme Philpott effectuait ses déplacements était une berline de marque Lexus, c'est-à-dire non allongée, avec chauffeur, et offrant un tarif fixe entre destinations prédéterminées. Il m'a dit que Mme Philpott n'avait jamais utilisé une limousine allongée.
Monsieur Shirani m'a dit qu'il opère essentiellement à partir de l'Aéroport international Pearson de Toronto (l'aéroport de Toronto) et que son service de transport de personnes est offert selon un tarif fixe plutôt qu'avec compteur.
En entrevue, Mme Philpott m'a dit avoir été et être mal à l'aise avec l'appellation « limousine » puisque pour elle, le véhicule de M. Shirani était une voiture. Elle m'a aussi dit qu'elle avait beaucoup de préoccupations à titre de ministre de la Santé autres que la façon de se déplacer entre son domicile à l'aéroport.
La question des tarifs
Selon la lettre de M. Carrie et les articles médiatiques sur le sujet, Mme Philpott a effectué deux types de déplacements. Le premier comprenait 20 déplacements (en fait, il y a eu 27 déplacements) entre la résidence de Mme Philpott et l'aéroport. Le deuxième comprenait deux déplacements distincts d'une journée entière.
Pour ce qui était de chacun des déplacements entre le domicile de Mme Philpott et l'aéroport, le tarif fixe d'Executive Limousine & Livery Service Inc. était de 115 $, plus péages, taxes et pourboires. À l'occasion, s'ajoutaient à ces montants des frais supplémentaires pour des arrivées après minuit et pour le temps d'attente lors de retards de vols, ainsi que des frais supplémentaires imposés par l'aéroport.
La première journée entière de déplacement a eu lieu le 31 mars 2016. Mme Philpott s'est rendue de son domicile à Stouffville jusqu'à l'Université McMaster à Hamilton, en Ontario, d'abord pour une rencontre, puis pour y faire une annonce au sujet des Instituts de recherche en santé du Canada. Plus tard en journée, elle s'est rendue à l'hôpital Mont Sinaï à Toronto pour une rencontre avec la Fondation canadienne pour l'amélioration des services de santé. Elle a fini sa journée à l'Assemblée législative de l'Ontario à Queen's Park pour une rencontre de trois heures et demie avec des chefs autochtones. La facture de 1708,84 $ comprenait des frais pour la distance parcourue et 12 heures de services de transport de personnes, y compris les périodes d'attente.
La deuxième journée entière de déplacement a eu lieu le 12 juillet 2016. Mme Philpott est partie de son domicile pour ramasser un membre de son cabinet à l'aéroport de Toronto pour se diriger ensuite à Niagara Falls, en Ontario, pour assister à l'assemblée générale annuelle de l'Assemblée des Premières Nations à laquelle d'autres ministres fédéraux participaient aussi. À la fin de cette rencontre, Mme Philpott est retournée chez elle en s'arrêtant à l'aéroport de Toronto pour y déposer le membre de son cabinet qui l'avait accompagnée. La facture de 1 994,73 $ pour ce déplacement comprenait des frais pour la distance parcourue et sept heures de services de transport de personnes, y compris les périodes d'attente.
La négociation des tarifs
Le Commissariat a vérifié s'il y avait des règles relatives aux services de transport de personnes qui s'appliqueraient à Mme Philpott. Les ministres ont un budget distinct pour leurs fonctions ministérielles et il y a des politiques régissant les déplacements dans l'exercice de ces fonctions. Ces politiques n'énoncent aucune règle relative à l'utilisation de services de transport de personnes pour les ministres, à l'exception des véhicules fournis par le ministère, ce qui n'était pas le cas pour l'un ou l'autre des déplacements. En outre, ces politiques excluent expressément les ministres de l'exigence de respecter la directive générale sur les voyages visant la fonction publique.
Les tarifs entre le domicile et l'aéroport
Comme il a été mentionné plus haut, le premier trajet entre la résidence de Mme Philpott et l'aéroport a eu lieu quand Mme Philpott a dû trouver une façon de s'y rendre à court préavis, tout juste après avoir été élue. Ce déplacement lui a coûté 162,44 $, soit un tarif fixe de 115 $ plus péages, taxes et pourboire.
Dès son entrée en fonction à titre de ministre, Mme Philpott a demandé à son personnel, par voie de courriel, de s'assurer de négocier le meilleur tarif fixe possible pour les services de transport de personnes offerts par M. Shirani. Elle n'était pas au courant du tarif habituel pour ce genre de service. En novembre 2015, le bureau ministériel de Mme Philpott a commencé ses démarches auprès de M. Shirani afin de vérifier son tarif. Mme Philpott m'a dit qu'elle ne voulait pas prendre part à ces discussions et qu'elle était peu impliquée dans les préparatifs de ces déplacements. Elle a dit qu'elle n'avait pas d'inquiétudes au sujet de ces montants puisqu'elle croyait que les tarifs avaient été vérifiés par son personnel.
Il y a eu de nombreuses communications initiées par le bureau ministériel de Mme Philpott afin de négocier un meilleur tarif pour les déplacements entre le domicile de Mme Philpott et l'aéroport.
Les contacts par courriel au sujet de ces tarifs se sont poursuivis jusqu'en août 2016. Le 11 août 2016, M. Shirani a écrit dans un courriel qu'il avait accordé un tarif d'entreprise au bureau de la ministre en décembre 2015, mais il m'a confirmé avoir réduit son tarif fixe habituel de 125 $ à 115 $ pour les services de transport de personnes entre la résidence de Mme Philpott et l'aéroport dès le mois d'octobre 2015.
Les tarifs pour les journées entières
Le 28 mars 2016, trois jours avant le déplacement d'une journée entière du 31 mars 2016, le bureau ministériel de Mme Philpott a contacté M. Shirani pour négocier un tarif pour la journée complète du 31 mars 2016. M. Shirani a répondu en indiquant que le bureau de la ministre recevait déjà un tarif d'entreprise et que celui-ci était beaucoup plus bas que son tarif habituel. Mme Philpott m'a dit que lorsqu'elle a pris connaissance de la facture du 31 mars 2016, elle était contrariée et considérait que la facture de cette journée était très élevée. Elle m'a dit avoir avisé son personnel qu'ils ne pouvaient plus faire ça (payer autant pour une journée de transport terrestre).
Le deuxième déplacement d'une journée entière, soit le 12 juillet 2016, était pour participer à l'assemblée générale annuelle de l'Assemblée des Premières Nations à laquelle participa également le ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario. Mme Philpott m'a dit qu'elle se demandait comment son bureau allait organiser le transport pour cette journée. Elle croyait que les services de transport de personnes de M. Shirani ne seraient pas sollicités puisque la facture pour la journée du 31 mars 2016 avait été excessive selon elle. Elle a dit que lorsqu'elle a vu la voiture de M. Shirani le matin du 12 juillet 2016, elle croyait qu'un meilleur tarif avait été négocié. Elle croyait que son personnel avait trouvé un moyen d'utiliser le service de transport de personnes de M. Shirani à un coût raisonnable puisqu'ils savaient qu'elle était contrariée par la facture du 31 mars 2016.
Le 31 juillet 2016, M. Shirani a soumis sa facture ayant trait au déplacement du 12 juillet 2016, pour approbation. Le 15 août 2016, le bureau ministériel de Mme Philpott a demandé des explications au sujet de certains frais figurant sur cette facture. M. Shirani a répondu à cette demande tout simplement en fournissant la description des frais et des services fournis tels qu'ils figurent sur la facture sans autres explications.
Peu de temps après, M. Shirani a répondu dans un courriel distinct qu'il n'a jamais facturé à la ministre des extras ni ses déplacements personnels. Interrogée sur ce à quoi cela avait trait, Mme Philpott a dit qu'elle avait demandé à M. Shirani à une ou deux occasions, sur le trajet de l'aéroport à son domicile, de passer par l'école de sa fille pour la ramasser. M. Shirani a confirmé que c'est ce qu'il avait qualifié de déplacements personnels. Il a dit que certains services de transport de personnes facturent les arrêts entre deux destinations prédéterminées, ce que M. Shirani n'a pas fait.
Cela semble être l'étendue de la discussion portant sur la facture de juillet 2016 même si la facture soulève des questions à savoir pourquoi le montant facturé pour le déplacement de sept heures à Niagara Falls, en Ontario, était plus élevé que le montant inférieur facturé pour le déplacement de 12 heures à Hamilton, en Ontario, le 31 mars 2016. Il semblerait que la facture de juillet aurait dû être moins élevée pour une journée considérablement plus courte. La principale cause des frais plus élevés semble découler des frais de 900 $ liés à la distance parcourue le 12 juillet, soit environ 370 kilomètres, comparativement aux frais de 255 $ pour la distance parcourue le 31 mars, soit environ 240 kilomètres. Le déplacement du 12 juillet était environ 130 kilomètres plus long que le déplacement du 31 mars.
Une comparaison des tarifs
Madame Philpott m'a fait parvenir les tarifs de plusieurs autres services de transport de personnes de la région de Toronto qui avaient été compilés par son ministère, et le Commissariat a aussi effectué des recherches sur Internet. Pour ce qui est des déplacements entre le domicile de Mme Philpott et l'aéroport, une comparaison des tarifs de M. Shirani et ceux de 14 autres entreprises démontre que les tarifs de M. Shirani ne sont ni les plus chers ni les moins chers. Les tarifs fixes, y compris les péages, les taxes et les pourboires, variaient entre 113,05 $ et 235,00 $. À 162,44 $, le tarif de M. Shirani, soit le cinquième plus haut des 15 tarifs, se situait dans la moyenne. Les deux tarifs les plus élevés étaient significativement supérieurs aux autres.
Il a été plus difficile de recueillir des renseignements concernant les tarifs exacts pour les déplacements d'une journée entière. Cependant, comme mentionné plus haut, Mme Philpott m'a fait parvenir plusieurs tarifs d'autres entreprises offrant des services de transport de personnes dans la région de Toronto qui avaient été compilés par son ministère. Ces tarifs variaient entre 900,11 $ et 1 422,37 $ et étaient considérablement moins élevés que ceux facturés par M. Shirani pour des journées de durée comparable.
Le remboursement
Le 17 août 2016, les médias ont fait état des montants payés par la ministre pour ses déplacements. Le lendemain, M. Carrie m'a fait parvenir une demande d'étude et M. Shirani a publié un communiqué de presse dans lequel il offrait de rembourser le plein montant payé par la ministre. La ministre a ultimement remboursé le gouvernement pour les deux déplacements d'une journée entière.
Monsieur Shirani m'a dit que Mme Philpott n'a plus fait appel à son service de transport de personnes depuis que les médias ont publié des reportages à cet égard.
Dans sa représentation écrite, Mme Philpott a indiqué qu'elle n'avait pas agi de mauvaise foi et qu'elle n'avait pas l'intention d'accorder un traitement de faveur à quiconque.
Madame Philpott m'a dit que, le 21 octobre 2015, lorsqu'elle a été invitée à la séance d'orientation pour les nouveaux députés, elle avait reçu des renseignements sur la façon de réserver un vol de Toronto à Ottawa, mais elle n'a reçu aucune instruction quant à son transport entre son domicile et l'aéroport. Elle a écrit qu'elle a téléphoné à la seule personne qui lui est venue à l'esprit : M. Shirani. Mme Philpott m'a indiqué qu'elle a pris une décision rapide puisqu'elle était confrontée à une situation exigeant qu'elle agisse dans un délai très court.
Madame Philpott m'a aussi dit qu'elle avait l'habitude de travailler dans un milieu où il y avait des procédures d'achats de biens et de services établies. Lorsqu'elle est entrée en fonction, il n'y avait aucun document sur les procédures d'achat de biens et de services de son prédécesseur.
Madame Philpott m'a dit qu'elle était peu impliquée dans les préparatifs de ses déplacements. Elle m'a dit que ses responsabilités ministérielles importantes la préoccupaient davantage que ses déplacements. Elle m'a dit qu'elle avait continué à utiliser le service de transport de personnes de M. Shirani parce que son service était bon et fiable, et que M. Shirani était discret et peu loquace. Elle a aussi dit qu'elle se sentait en toute sécurité dans son véhicule.
Analyse
Je dois déterminer si Mme Philpott a contrevenu à l'article 7 ou au paragraphe 6(1) de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) en utilisant les services de transport de personnes de l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc. appartenant à un supporteur libéral, M. Reza Shirani.
L'article 7 de la Loi : traitement de faveur
L'article 7 de la Loi se lit comme suit :
7. Il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
Pour établir s'il y a eu une contravention à l'article 7 de la Loi dans le présent cas, je dois déterminer si Mme Philpott, dans l'exercice de sa charge de ministre, a accordé un traitement de faveur à l'entreprise Executive Limousine & Livery Service Inc. en fonction du rôle de M. Shirani au sein de l'entreprise.
La preuve démontre que lorsque Mme Philpott a utilisé le service de transport de personnes de M. Shirani pour la première fois en octobre 2015, elle devait se rendre à l'aéroport avec peu de préavis et sans aucun conseil de la Chambre des communes quant au transport terrestre. Elle a par la suite appelé la seule personne qu'elle connaissait dans sa communauté ayant un service de transport de personnes.
À mon avis, bien que Mme Philpott ait rencontré M. Shirani lorsqu'il s'est engagé comme bénévole dans le cadre de sa campagne électorale, ce n'était ni son adhésion au Parti libéral ni ses activités de bénévolat qui l'ont mené à sa décision de retenir le service de transport de personnes de M. Shirani lorsqu'elle est devenue députée. Ce n'était qu'une simple question de faire appel au seul service de transport de personnes dont Mme Philpott pouvait se souvenir à ce moment.
Lorsqu'elle est devenue ministre de la Santé le 4 novembre 2015, Mme Philpott avait déjà utilisé les services de M. Shirani à titre de députée, et ce, à cinq reprises. Peu après sa nomination comme ministre, elle avait demandé à son personnel de vérifier les tarifs de M. Shirani et avait présumé que la vérification avait été faite. Selon Mme Philpott, les services de M. Shirani étaient professionnels, fiables et sécuritaires. Il semble qu'il n'y avait aucune raison pour elle d'interrompre ses services.
À mon avis, aucun lien particulier n'existait entre Mme Philpott et M. Shirani pouvant suggérer un traitement de faveur.
À la lumière de ce qui précède, je conclus qu'il n'y a pas eu de traitement de faveur à l'égard de M. Shirani ou de son entreprise.
Le paragraphe 6(1) de la Loi : prise de décision
Le paragraphe 6(1) de la Loi est libellé ainsi :
6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.
Le terme « conflit d'intérêts » est défini à l'article 4 de la Loi comme suit :
4. Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
Il est évident que Mme Philpott a pris la décision de retenir les services de M. Shirani à titre de ministre. Je dois donc déterminer si Mme Philpott savait, ou aurait dû savoir, qu'au moment de prendre sa décision, elle serait en conflit d'intérêts.
Pour déterminer s'il existe un conflit d'intérêts dans le présent cas, je dois d'abord déterminer si M. Shirani est un ami ou un membre de la famille de Mme Philpott et, le cas échéant, je dois déterminer si Mme Philpott a eu l'occasion de favoriser ses intérêts. Si je conclus que M. Shirani n'est pas un ami ni un membre de la famille de Mme Philpott, je dois alors déterminer si elle a favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels de M. Shirani ou ceux de son entreprise.
Dans Le rapport Watson, publié en juin 2009, j'ai établi que pour l'application de la Loi, le Commissariat considère qu'un ami est une personne avec laquelle on a des liens personnels depuis un certain temps au-delà de la simple association. J'ai écrit que les connaissances peuvent devenir des amis, mais ne le sont pas uniquement en raison d'une fréquentation continue.
Je n'ai pas de raison de douter de l'exactitude des témoignages de Mme Philpott et de M. Shirani lorsqu'ils me disent qu'ils ne sont pas des amis. La preuve démontre que Mme Philpott et M. Shirani ne se connaissant pas avant qu'elle devienne une candidate du Parti libéral. La preuve démontre aussi que M. Shirani n'a fait du bénévolat qu'à deux reprises pour la campagne de Mme Philpott, et que Mme Philpott ne pouvait se souvenir que d'une seule interaction avec M. Shirani durant cette période. Après son élection, tout échange entre Mme Philpott et M. Shirani traitait des services de transport de Mme Philpott.
Dans le présent cas, je ne crois pas que Mme Philpott et M. Shirani peuvent être qualifiés d'amis au sens de la Loi. De plus, ils n'ont pas de liens familiaux.
Puisque Mme Philpott et M. Shirani ne sont pas des amis ni des membres de la même famille, je dois déterminer si Mme Philpott a, dans l'exercice de sa charge, favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels de M. Shirani ou de son entreprise. Si oui, Mme Philpott se trouverait en situation de conflit d'intérêts tel que décrit à l'article 4 de la Loi.
J'ai déjà conclu qu'il n'y a pas eu de traitement de faveur et que, par conséquent, aucune irrégularité n'existe à cet égard.
J'ai étudié la question de savoir s'il existait des règles sur les services de transport de personnes pour les ministres qui n'ont pas été suivies. Bien que les ministres soient assujettis à certaines politiques régissant les déplacements, je n'ai pas trouvé de règles visant les ministres portant sur le type de services de transport de personnes visés dans cette affaire.
Il reste à déterminer si les montants perçus sont disproportionnés au point de constituer une irrégularité dans le choix d'un fournisseur.
Selon les renseignements que j'ai recueillis au cours de cette étude, le tarif perçu pour le déplacement entre le domicile de Mme Philpott et l'aéroport, à savoir 162,44 $ y compris les péages, les taxes et le pourboire, s'insèrent dans la moyenne pour des services semblables.
Les montants perçus pour les deux journées complètes, le 31 mars 2016 et le 12 juillet 2016, à savoir 1 708,84 $ et 1 994,73 $, étaient plus élevés que les tarifs comparables qui ont été compilés par le ministère de Mme Philpott et qu'elle m'a fournis, particulièrement en ce qui concerne le montant du deuxième déplacement. Cependant, je ne les considère pas comme étant disproportionnés au point de constituer une irrégularité, surtout à la lumière des efforts de Mme Philpott d'assurer que les tarifs étaient appropriés.
Il faut reconnaître le besoin de Mme Philpott d'être assurée d'un transport fiable et professionnel respectant son horaire chargé. De plus, Mme Philpott était très satisfaite de la qualité des services de transport de personnes de M. Shirani.
Pour ces raisons, j'ai conclu que la décision prise par Mme Philpott de retenir les services de l'entreprise de M. Shirani n'a pas favorisé son intérêt personnel ni celui de son entreprise au sens de l'article 4 de la Loi. Par conséquent, Mme Philpott n'était pas en situation de conflit d'intérêts en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi.
Conclusion
Pour les raisons énumérées ci-dessus, je conclus que Mme Philpott n'a pas contrevenu à l'article 7 ni au paragraphe 6(1) de la Loi.
Intrevue
Executive Limousine & Livery Service Inc.
- M. Reza Shirani, propriétaire