PRéFACE
La Loi sur les conflits d'intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007. Le Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code), qui forme l'annexe 1 du Règlement de la Chambre des communes, est entré en vigueur le 4 octobre 2004 et a depuis été modifié en 2007, 2008 et 2009.
Ce rapport est émis à la fois en vertu de la Loi et du Code.
La Loi
Une étude en vertu de la Loi peut être amorcée à la demande d'un parlementaire, conformément au paragraphe 44(1), ou par la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique elle-même, conformément au paragraphe 45(1) de la Loi.
En vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, la commissaire doit examiner la question, sauf si elle juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Par ailleurs, en vertu du paragraphe 44(7), elle doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. Le paragraphe 44(8) prévoit que la commissaire doit en même temps remettre un double du rapport à l'auteur de la demande ainsi qu'au titulaire ou à l'ex-titulaire de charge publique visé, et rendre le rapport accessible au public.
Le Code
En vertu de l'article 27 du Code, un député qui a des motifs raisonnables de croire qu'un autre député n'a pas respecté ses obligations aux termes du Code peut demander une enquête.
La commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique doit transmettre la demande d'enquête au député qui en fait l'objet et lui accorder la possibilité d'y répondre dans les 30 jours. Une fois que le député a fait connaître sa réponse, la commissaire dispose de 15 jours ouvrables pour faire un examen préliminaire de la demande et de la réponse afin de déterminer si une enquête s'impose et pour communiquer par écrit sa décision aux deux députés quant à la nécessité ou non de tenir une enquête. Les enquêtes doivent être menées à huis clos.
Une fois son enquête terminée, elle remet un rapport d'enquête au Président de la Chambre des communes, lequel présente le rapport à la Chambre à sa prochaine séance. Le rapport est accessible au public dès qu'il y est déposé ou, pendant une période d'ajournement, dès que le Président le reçoit.
Ce rapport présente les conclusions de mon étude menée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts et de mon enquête menée en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés, relativement à la conduite de l'honorable Christian Paradis, député de Mégantic–L'Érable, concernant ses interventions auprès de l'honorable Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, à l'époque où M. Paradis était ministre des Ressources naturelles et ministre régional pour le Québec.
J'ai reçu une demande d'enquête visant la conduite de M. Paradis à la lumière de la Loi. Cette demande faisait suite à un reportage diffusé en février 2012, selon lequel M. Paradis était intervenu auprès de Mme Finley pour qu'un centre d'assurance-emploi soit déménagé de Rimouski à Thetford Mines et qu'il soit installé dans un immeuble appartenant à une compagnie dont l'actionnaire principal, M. Ghislain Dionne, était un associé de la famille de M. Paradis. La demande alléguait que M. Dionne était aussi un ami de M. Paradis. J'ai décidé qu'il serait approprié d'enquêter sur sa conduite en vertu du Code ainsi qu'en vertu de la Loi.
La ville de Thetford Mines compte depuis longtemps un centre de Service Canada. Conformément à un bail de 10 ans conclu avec Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), le centre est installé depuis 2008 dans un immeuble appartenant à une compagnie, 9183‑0497 Québec Inc., dont M. Dionne est détenteur d'un tiers des actions ainsi que président.
En 2008, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences a établi un plan pour consolider les activités de traitement de demandes d'assurance-emploi dans un nombre de centres de Service Canada considérablement plus restreint. En 2010, des électeurs ont abordé M. Paradis pour lui exprimer leur crainte que cette réorganisation entraîne la fermeture du centre de Service Canada de Thetford Mines et la perte d'emplois dans la région. Ni M. Dionne, ni d'autres représentants de la compagnie 9183‑0497 Québec Inc. ne faisaient partie de ces électeurs.
Vers la fin de l'hiver ou le début du printemps de 2011, M. Paradis s'est adressé de manière informelle à Mme Finley, à la Chambre des communes, pour lui transmettre les préoccupations de ses électeurs. Il voulait l'informer que Thetford Mines comptait déjà un centre de Service Canada et que la ville était capable d'accueillir un centre de traitement consolidé. Il n'y avait aucune preuve démontrant que M. Paradis ait mentionné Rimouski à Mme Finley.
Rien ne démontrait que M. Paradis avait discuté du processus de consolidation avec M. Dionne ou parlé à Mme Finley de l'immeuble appartenant à la compagnie. Ce n'est pas le ministère de Mme Finley, mais les Travaux publics, qui était responsable de décider de l'emplacement des centres consolidés de traitement de demandes. M. Paradis n'est entré en contact avec personne aux Travaux publics concernant ce dossier et rien n'indiquait qu'il était autrement impliqué dans le processus de consolidation.
J'ai analysé la conduite de M. Paradis à la lumière des articles 8 et 9 du Code.
Conformément à l'article 8, le député ne peut, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser d'une façon indue les intérêts personnels d'une autre personne ou entité. L'article 9 interdit au député de se prévaloir de sa charge pour influencer la décision d'une autre personne aux mêmes fins.
En analysant la conduite de M. Paradis à la lumière de l'article 8 du Code, j'ai déterminé que MM. Paradis et Dionne entretiennent une relation étroite personnelle et professionnelle, et que M. Dionne avait un intérêt personnel dans le centre de Service Canada de Thetford Mines.
J'ai tenu compte de l'article 5, selon lequel le député ne manque pas à ses obligations aux termes du Code s'il exerce une activité à laquelle les députés se livrent habituellement et à bon droit pour le compte des électeurs. Je souligne toutefois que l'article 5 ne l'emporte pas automatiquement sur les règles de déontologie du Code.
J'ai déterminé que les préoccupations soulevées par les électeurs de M. Paradis constituaient une question légitime d'intérêt et d'importance considérables pour la population de Thetford Mines et, bien qu'il y avait possibilité que l'intervention de M. Paradis favorise les intérêts personnels de M. Dionne, l'intervention n'était pas indue dans les circonstances du présent cas. Pour les raisons susmentionnées, j'ai conclu que M. Paradis n'a pas contrevenu aux articles 8 ou 9 du Code.
J'ai aussi examiné la conduite de M. Paradis à la lumière du paragraphe 6(1) et de l'article 9 de la Loi.
Le paragraphe 6(1) interdit au titulaire de charge publique, dans l'exercice de sa charge, de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision susceptible de le placer en situation de conflit d'intérêts. Rien ne permet d'établir que M. Paradis, en sa qualité de ministre des Ressources naturelles ou de ministre régional pour le Québec, a pris une décision ou qu'il a participé à la prise d'une décision concernant la consolidation des activités de traitement effectuées par Service Canada. J'en ai donc conclu qu'il n'a pas contrevenu au paragraphe 6(1).
Conformément à l'article 9 de la Loi, il est interdit au titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser l'intérêt personnel d'un ami. J'ai déterminé que MM. Paradis et Dionne étaient amis au sens de la Loi.
Je devais alors déterminer si, dans ses interventions auprès de Mme Finley, M. Paradis avait utilisé sa charge de ministre pour tenter d'influencer la décision de Mme Finley afin de favoriser les intérêts personnels de son ami, M. Dionne. Dans le contexte de cette détermination, j'ai souligné le fait qu'un ministre soulevant une question de circonscription auprès d'une institution ou d'un représentant du gouvernement fédéral, particulièrement s'il s'agit d'un collègue du Cabinet, sera reconnu comme ministre, et son influence, le cas échéant, sera attribuable, en partie, à cette reconnaissance.
J'ai tenu compte du paragraphe 64(1) de la Loi, qui n'interdit pas les activités qu'exercent normalement les ministres en leur qualité de députés. Cette disposition est semblable à l'article 5 du Code, mentionné ci-dessus. À mon avis, les cas dans lesquels un député qui est aussi ministre peut bénéficier de l'application du paragraphe 64(1) sont de portée beaucoup plus limitée que les cas en vertu du Code. Cela s'explique par l'influence spéciale qu'un ministre peut avoir.
J'ai déterminé que, à la lumière des circonstances propres au cas présent, les exigences plus restrictives concernant les ministres ont été satisfaites. J'ai tenu compte également des facteurs suivants : il était raisonnable, de la part de M. Paradis, d'intervenir de manière à transmettre les préoccupations légitimes soulevées à propos d'une question d'intérêt général pour les électeurs de Thetford Mines; on ne pouvait pas savoir quelle serait l'ampleur de l'impact qu'aurait la décision de Mme Finley et de son ministère sur l'avenir du centre de Service Canada de Thetford Mines, si impact il y avait, et, par conséquent, quel impact il y aurait sur les intérêts personnels de M. Dionne; rien n'indiquait que MM. Paradis et Dionne avaient discuté de la consolidation ou que M. Paradis avait parlé de l'immeuble à Mme Finley; M. Paradis est intervenu de façon officieuse à la Chambre des communes, où les députés soulèvent régulièrement de telles questions auprès de ministres.
Même s'il y avait possibilité que l'intervention de M. Paradis auprès de Mme Finley favorise les intérêts personnels de M. Dionne, j'ai conclu, après avoir considéré les facteurs susmentionnés, que M. Paradis n'a pas contrevenu à l'article 9 de la Loi.
Le 24 février 2012, M. Guy Caron, député de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, m'a envoyé une lettre me demandant de mener une étude sur une présumée contravention à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) par l'honorable Christian Paradis, alors qu'il était ministre des Ressources naturelles. M. Caron faisait référence à un article de La Presse affirmant que M. Paradis était intervenu auprès de l'honorable Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, dans l'objectif de faire déménager le centre d'assurance-emploi de Rimouski à Thetford Mines, et ce, dans un immeuble appartenant à un associé de sa famille.
Monsieur Caron a écrit que l'article affirmait que le nouveau centre serait situé dans un immeuble appartenant à 9183-0497 Québec Inc., dont l'actionnaire principal était M. Ghislain Dionne, avocat et homme d'affaires, un associé du père de M. Paradis au sein du cabinet d'avocats Paradis Dionne. M. Caron a fait référence à M. Dionne comme étant un associé de la famille de M. Paradis et a laissé entendre que M. Dionne était un ami de M. Paradis.
Monsieur Caron a mentionné que selon l'article de La Presse, M. Paradis aurait dit : « J'ai fait mes représentations auprès de la ministre [Diane Finley]. Nous avons un beau centre qui est bien situé et nous avons eu des recommandations positives de la part du Ministère. Nous avons démontré qu'on a un centre de qualité, avec un personnel de qualité. C'est une excellente nouvelle pour la région. »
Monsieur Caron a déclaré qu'il croyait que M. Paradis avait contrevenu aux articles 4, 7 et 9, ainsi qu'au paragraphe 6(1) de la Loi.
L'article 4 décrit les circonstances dans lesquelles un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts. Le paragraphe 6(1) interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts. L'article 7 porte sur le traitement de faveur. L'article 9 interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami, ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
J'ai estimé que M. Caron avait énoncé ses motifs raisonnables de croire que M. Paradis avait contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 9 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi). J'ai donc considéré que sa lettre constituait une demande d'étude valide en vertu de l'article 44 de la Loi.
Bien que l'article 4 définisse les situations dans lesquelles un titulaire de charge publique se trouve en conflit d'intérêts, il n'énonce aucune règle précise de conduite. En ce qui concerne l'article 7, la demande de M. Caron ne donnait aucun élément de preuve appuyant l'allégation selon laquelle M. Paradis aurait accordé un traitement de faveur à M. Dionne.
J'avais aussi des préoccupations concernant les obligations de M. Paradis en vertu des articles 8 et 9 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code). L'article 8 interdit au député, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou, de façon indue, ceux de toute autre personne ou entité. L'article 9 précise qu'il est interdit au député de se prévaloir de sa charge pour influencer la décision d'une autre personne pour n'importe quels de ces mêmes objectifs.
Le 29 février 2012, j'ai écrit une lettre à M. Paradis l'informant de la demande de M. Caron et lui indiquant que j'allais procéder à une étude en vertu de la Loi. Je lui ai mentionné que les dispositions de la Loi qui s'appliquaient étaient le paragraphe 6(1) et l'article 9, comme les avait cités M. Caron dans sa lettre. J'ai demandé à M. Paradis de répondre aux allégations par écrit au plus tard le 30 mars 2012.
Dans la même lettre, j'ai indiqué à M. Paradis que j'avais également des préoccupations en lien avec sa conformité aux obligations que lui imposent les articles 8 et 9 du Code. Je lui ai demandé de répondre à ces préoccupations au plus tard à cette même date.
J'ai également écrit à M. Caron au même moment pour l'informer que sa demande d'étude en vertu de la Loi satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 44(2) en ce qui avait trait au paragraphe 6(1) et à l'article 9 de la Loi, que j'entamais une étude en vertu du paragraphe 44(3) et que j'avais transmis sa demande d'étude à M. Paradis.
Après avoir demandé et obtenu une prolongation de délai, M. Paradis m'a fait parvenir sa lettre de réponse le 13 avril 2012. Tout au long de mon enquête et de mon étude, j'ai reçu plusieurs soumissions écrites additionnelles de Me Paul Lepsoe, avocat de M. Paradis.
À la lumière des préoccupations que j'avais communiquées dans ma lettre du 29 février 2012, j'ai décidé d'enquêter aussi en vertu du Code.
Habituellement, je mène une première entrevue avec la personne faisant l'objet d'une étude ou d'une enquête dès le début du processus de recherche des faits, puis j'en mène une seconde vers la fin de ce processus. Toutefois, dans ce cas, M. Paradis et moi avons convenu qu'une seule entrevue effectuée vers la fin du processus de recherche des faits serait suffisante.
Le 2 octobre 2013, après avoir effectué des entrevues avec tous les autres témoins ou reçu leurs soumissions écrites, j'ai effectué une entrevue avec M. Paradis. Avant cette entrevue, M. Paradis a eu la possibilité d'examiner des extraits de transcriptions d'entrevues avec des témoins ainsi que d'autres documents pertinents.
Le Commissariat a interviewé en tout onze témoins, dont certains ont également fourni des preuves documentaires. La liste complète de témoins figure à l'annexe.
Conformément à ma pratique habituelle, j'ai donné la possibilité à M. Paradis de commenter une partie du brouillon du présent rapport avant qu'il ne soit finalisé, à savoir les sections intitulées La demande, Le processus, Les constatations de faits et La position de M. Paradis.
L'honorable Christian Paradis est député de Mégantic–L'Érable et a occupé divers postes au Cabinet depuis qu'il a été élu pour la première fois en 2006. En tant que député, il est assujetti au Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) et, en tant que ministre, il est assujetti à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
La circonscription de M. Paradis englobe la ville de Thetford Mines, où se trouve un centre de Service Canada ou l'un de ses prédécesseurs depuis plusieurs décennies. En février et mars 2012, les médias ont rapporté qu'en 2011, M. Paradis était intervenu auprès de l'honorable Diane Finley, qui était à l'époque ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, en vue de déménager un centre d'assurance-emploi de Rimouski à Thetford Mines dans un édifice appartenant à un associé de la famille de M. Paradis. On disait que l'édifice appartenait à 9183-0497 Québec Inc. (la compagnie), dont le principal actionnaire était M. Ghislain Dionne, associé du père de M. Paradis dans le cabinet d'avocats Paradis Dionne.
Monsieur Paradis était ministre des Ressources naturelles du 19 janvier 2010 au 18 mai 2011, après quoi il a été nommé ministre de l'Industrie. Il a été ministre régional pour le Québec tout au long de la période enquêtée.
Le but de cette étude et enquête était de déterminer si M. Paradis avait contrevenu au Code ou à la Loi en intervenant ainsi auprès de Mme Finley.
En ce qui concerne le Code, je devais déterminer si, en intervenant, M. Paradis exerçait ses fonctions parlementaires et, dans l'affirmative, s'il avait agi de manière à favoriser les intérêts personnels de la compagnie et, par conséquent, favoriser de façon indue les intérêts personnels de M. Dionne en contravention à l'article 8. Je devais aussi déterminer s'il s'était prévalu de sa charge de député pour influencer une décision de Mme Finley de manière à favoriser de façon indue les intérêts personnels de M. Dionne en contravention à l'article 9.
En ce qui concerne la Loi, je devais déterminer si M. Paradis avait pris une décision ou participé à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge qui l'aurait placé en situation de conflit d'intérêts, en contravention au paragraphe 6(1). Selon l'article 4, un conflit d'intérêts surviendrait si le pouvoir officiel ou la fonction officielle exercée en lien avec sa charge fournissait la possibilité de favoriser l'intérêt personnel d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne. Je devais aussi déterminer si M. Paradis s'était prévalu de ses fonctions officielles à titre de ministre pour tenter d'influencer une décision de Mme Finley pour favoriser l'intérêt personnel d'un ami ou favoriser de façon irrégulière l'intérêt personnel d'une autre personne, en contravention à l'article 9.
Pour parvenir à faire les déterminations susmentionnées, je devais d'abord comprendre la nature de la relation entre MM. Paradis et Dionne, ainsi que déterminer si M. Dionne et la compagnie avaient des intérêts personnels pertinents et déterminer si M. Paradis connaissait l'existence de ces intérêts personnels lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley. Je devais aussi déterminer la nature de son intervention auprès de Mme Finley ainsi que les circonstances de son intervention, et, enfin, déterminer si M. Paradis avait été impliqué dans cette affaire d'une autre manière.
Contexte
La consolidation du traitement des demandes d'assurance-emploi au sein des centres de Service Canada
Le 19 août 2011, dans le cadre d'un examen stratégique de l'ensemble du gouvernement, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (le Ministère), comme il s'appelait à l'époque, a annoncé que le nombre de centres de Service Canada traitant les demandes d'assurance-emploi passerait de 120 à 22 pour tout le Canada. Cette annonce indiquait qu'aucun centre Service Canada existant n'allait être fermé, mais que les activités de traitement des demandes allait être consolidé dans ces 22 centres.
Le Ministère essayait depuis quelque temps d'accroître son efficacité du traitement des demandes d'assurance-emploi, dont par la consolidation de cette activité dans un nombre de centres plus restreint. En 2008, il avait élaboré un plan pour consolider le traitement des demandes d'assurance-emploi en un nombre de bureaux considérablement plus restreint. Pour le Québec, l'objectif était de consolider ces activités en six centres : Boucherville, Jonquière, Laval, Québec, Rimouski et Shawinigan. Un fonctionnaire du Ministère a expliqué au Commissariat qu'à cette époque, le plan était de réduire le personnel de traitement des autres centres par attrition.
En 2010, on a demandé au Ministère d'évaluer d'autres options pouvant mener à des économies additionnelles. Mme Finley s'est vu confier ce mandat par le Cabinet. Parmi les options, il pouvait déménager, dans un délai écourté, les postes existants aux centres consolidés. Ce processus a culminé avec l'annonce du 19 août 2011 dont j'ai parlé précédemment.
Monsieur Paradis a été informé, par une lettre lui ayant été envoyée par Mme Finley le 17 août 2011, que le centre de Service Canada de Thetford Mines serait l'un des 22 centres consolidés. Selon la lettre, il était alors prévu que le nombre d'employés du centre de Thetford Mines traitant les demandes d'assurance-emploi passe de 17 à 75.
La relation entre M. Paradis et M. Dionne
Monsieur Dionne pratique le droit depuis 1983 et est l'associé du père de M. Paradis dans le cabinet d'avocats Paradis Dionne depuis 1997. M. Paradis lui-même y a pratiqué le droit pendant environ 10 ans, avant son élection à la Chambre des communes en janvier 2006. Dans l'année qui a précédé l'élection de 2006, M. Dionne et le père de M. Paradis ont constitué leur cabinet en personne morale en vue d'y inclure M. Paradis en tant que troisième associé. Toutefois, comme M. Paradis est devenu député, ce projet ne s'est jamais matérialisé.
Monsieur Dionne dit considérer M. Paradis et le père de M. Paradis comme étant tous deux ses amis. Il connaît Christian Paradis depuis plusieurs années et habite tout près de chez lui. M. Dionne a déclaré qu'ils jouaient parfois au golf ensemble dans des contextes liés au travail et qu'il avait soupé chez M. Paradis à quelques reprises. M. Dionne a dit que depuis l'élection de M. Paradis, il le voyait moins souvent et que c'était habituellement lors de grandes activités sociales ou politiques.
Monsieur Paradis a confirmé avoir travaillé au cabinet d'avocats Paradis Dionne à partir de 1997, jusqu'à son élection, en 2006, et a déclaré connaître M. Dionne depuis le début des années 1980. Il a fait savoir qu'avant 2006, il l'avait côtoyé occasionnellement lors d'activités sociales. Ils avaient joué au golf ensemble et s'étaient accueillis l'un l'autre à leurs domiciles respectifs. M. Paradis a ajouté que la plupart de ces activités sociales étaient liées à leur travail. Il a dit qu'il n'avait pas vu M. Dionne très souvent depuis qu'il est devenu député.
Monsieur Paradis a décrit sa relation avec M. Dionne comme étant amicale, mais il ne l'a pas décrit comme un ami personnel. Il a souligné que M. Dionne avait une quinzaine d'années de plus que lui et qu'il ne faisait pas partie de son cercle d'amis proches.
9183-0497 Québec Inc. et le bail avec Travaux publics et Services gouvernementaux Canada
Monsieur Dionne détient un tiers des actions de 9183-0497 Québec Inc. (la compagnie), dont il est aussi le président. Les deux autres actionnaires de la compagnie sont M. Hugo Gosselin et Les Placements A.A.A. Inc., propriété de M. André Gagnon. M. Gagnon est vice-président et M. Gosselin est secrétaire-trésorier. En me fondant sur les renseignements qui ont été communiqués au Commissariat, je suis convaincue qu'il n'y a pas de lien significatif entre M. Paradis et les deux autres actionnaires de la compagnie.
La compagnie est propriétaire de l'immeuble situé au 350, boulevard Frontenac Ouest à Thetford Mines, qui abrite actuellement le centre de Service Canada de la ville. Le centre, qui
était auparavant installé dans un autre édifice à Thetford Mines, a été déménagé dans cet immeuble en 2008, à la suite d'une demande d'information publique concernant la disponibilité de locaux à bureaux à louer dans cette ville, lancé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics) en 2007.
Un bail de 10 ans commençant le 1er septembre 2008 et allant se terminer le 31 août 2018 a été signé le 23 mai 2008. M. Paradis m'a dit que ce n'est qu'en 2008, une fois le processus d'établissement du bail terminé, qu'il avait appris que M. Dionne avait un intérêt par rapport à l'immeuble et que le centre de Service Canada de Thetford Mines allait y être installé. C'est à ce moment-là, a-t-il ajouté, que le titre de participation de M. Dionne dans l'immeuble est devenu bien connu à Thetford Mines. Cependant, M. Paradis m'a dit qu'il ne connaissait pas les conditions de la convention de bail de la compagnie avec les Travaux publics.
Monsieur Dionne a confié au Commissariat que ce n'est qu'en septembre 2011 qu'il avait appris que le gouvernement prévoyait consolider le traitement des demandes d'assurance-emploi dans les centres de Service Canada. Il a précisé avoir été mis au courant par un journaliste, qui lui avait téléphoné pour lui poser des questions sur sa relation avec M. Paradis. MM. Dionne et Paradis ont tous deux indiqué ne jamais avoir discuté ensemble du processus de consolidation ou de ses répercussions potentielles sur le centre de Service Canada de Thetford Mines.
Monsieur Dionne a fait savoir au Commissariat qu'il était ravi lorsqu'il a appris qu'il y aurait une consolidation, car il présumait que cela signifiait que le gouvernement fédéral louerait plus de locaux à bureaux au centre existant de Service Canada de Thetford Mines. Toutefois, il a expliqué au Commissariat qu'il avait par la suite découvert qu'il n'y aurait pas d'agrandissement des locaux loués pour Service Canada et qu'on accueillerait le personnel supplémentaire, le cas échéant, dans les mêmes locaux. Il a dit que le seul impact se manifesterait en tant qu'augmentation de coûts de la compagnie à cause d'une consommation accrue d'électricité.
Intervention de M. Paradis auprès de Mme Finley
Préoccupations des électeurs
Monsieur Paradis m'a dit qu'à l'été 2010, plusieurs électeurs l'avaient abordé puisqu'ils avaient entendu des rumeurs selon lesquelles le centre de Service Canada de Thetford Mines allait possiblement fermer.
Monsieur Paradis a ajouté qu'il pense que des représentants syndicaux et des employés du centre de Service Canada de Thetford Mines avaient aussi contacté son bureau de circonscription pour lui faire part des craintes des employés quant à l'effet escompté d'une réorganisation planifiée par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. Un courriel interne du Ministère, daté du 3 septembre 2010, indique également que le Ministère était au courant qu'un représentant syndical avait communiqué avec le bureau de M. Paradis et avait exprimé des préoccupations quant à l'éventuelle réorganisation.
Monsieur Paradis m'a dit que ses électeurs avaient souvent exprimé des inquiétudes en lien avec le fait que Thetford Mines était vu comme une ville de seconde classe par le gouvernement fédéral et qu'elle était souvent négligée au profit de centres plus grands. Il a mentionné que Thetford Mines était, aux yeux de plusieurs, dotée d'une main-d'œuvre non qualifiée et unilingue et n'offrait qu'une infrastructure limitée. Il a ajouté que ces suppositions étaient complètement fausses et que leur persistance était une source de frustration constante pour lui et ses électeurs.
Le chef de cabinet de M. Paradis, M. Marc Vallières, qui est aussi originaire de Thetford Mines et qui y avait travaillé par le passé au centre de Service Canada, a déclaré au Commissariat que certains électeurs de M. Paradis l'avaient aussi abordé en lien avec les rumeurs de fermeture du centre de Thetford Mines. M. Vallières a dit avoir discuté de ces rumeurs avec M. Paradis.
Monsieur Paradis m'a confié que les rumeurs s'étaient répandues dans sa circonscription à l'hiver 2010-2011. Il a déclaré que le maire actuel et l'ancien maire de Thetford Mines l'avaient abordé à ce moment-là à ce sujet. Il a dit qu'il se sentait obligé, en tant que député local, de répondre aux préoccupations de ses électeurs et que c'est pourquoi il a voulu soulever la question avec Mme Finley. Il voulait être en mesure de dire à ses électeurs qu'il avait fait son travail de député, même s'il savait que le dernier mot revenait au Ministère dans le cadre de délibérations internes. Il a dit que ses électeurs s'attendaient à ce qu'il agisse de la sorte.
L'intervention
Monsieur Paradis m'a dit qu'il avait abordé Mme Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, de manière officieuse à la fin de l'hiver ou au début du printemps 2011, à la Chambre des communes. Il a ajouté que les députés du parti au pouvoir et de l'opposition se parlent régulièrement, de manière informelle, à l'intérieur ou aux alentours de la Chambre des communes et qu'il lui est souvent arrivé que des députés de tous les partis l'abordent au sujet des diverses questions relatives à ses postes ministériels.
Monsieur Paradis a indiqué qu'il avait parlé très brièvement à Mme Finley avant ou après la période des questions. M. Paradis a déclaré que le but de son intervention auprès de Mme Finley était de l'informer du fait que la région de Thetford Mines avait déjà un centre de Service Canada et que Thetford Mines possédait les ressources nécessaires pour être considéré sur un pied d'égalité avec les autres centres du Québec dans le cadre du processus de consolidation.
Il l'a fait pour s'acquitter de son devoir de député en transmettant les préoccupations de ses électeurs et pour être en mesure de leur dire qu'il les avait représentés.
Monsieur Paradis m'a dit avoir indiqué à Mme Finley que son personnel et lui avaient vent de rumeurs invoquant la fermeture du centre de Service Canada de Thetford Mines. Il a dit vouloir que la ville soit considérée sur un pied d'égalité avec d'autres régions du Québec.
Monsieur Paradis m'a indiqué avoir parlé à Mme Finley en sa qualité de député local et ne pas avoir mentionné d'édifice en particulier. Son but était plutôt d'exprimer son appui à la municipalité dans laquelle le centre était situé. Il a dit que Mme Finley avait seulement répondu qu'elle examinerait la situation.
En entrevue avec moi, Mme Finley a confirmé que M. Paradis l'avait abordé au sujet de la question au début du printemps 2011, en sa qualité de député de Mégantic–L'Érable, pour défendre sa circonscription. À l'instar de M. Paradis, elle m'a dit qu'il n'avait jamais été question de l'édifice abritant le centre de Service Canada de Thetford Mines.
Elle a ajouté que M. Paradis n'avait rien demandé de particulier et qu'elle n'avait donné aucune suite à son intervention, à part peut-être mentionner leur discussion à son personnel ministériel.
Dans sa demande, M. Caron a allégué que M. Paradis était intervenu auprès de Mme Finley dans le but de déménager un centre de Service Canada de Rimouski à Thetford Mines, dans l'immeuble appartenant à 9183-0497 Québec Inc. Il n'y avait aucun élément de preuve indiquant que M. Paradis eu fait référence à Rimouski au cours de son intervention auprès de Mme Finley.
Monsieur Paradis et Mme Finley m'ont tous les deux déclaré que c'était la seule communication qu'ils avaient eue entre eux au sujet de la consolidation de Service Canada.
Monsieur Paradis m'a dit que le rôle qu'il a joué dans cette affaire n'allait pas plus loin que les événements décrits ci-dessous et je n'ai trouvé aucun élément de preuve contradictoire. Il a ajouté que, même si en fin de compte Thetford Mines a été choisie comme emplacement d'un centre consolidé de traitement de demandes, il n'était en aucun cas certain que le centre serait situé dans le même immeuble. Il a rappelé qu'il appartenait à un ministère différent, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, de décider si l'immeuble existant répondait aux besoins établis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. Il a indiqué qu'il n'avait, en aucun temps, contacté quiconque de Travaux publics et Services gouvernementaux en lien avec ce dossier.
Monsieur Paradis m'a expliqué qu'il avait toujours compris que la décision sélectionnant les communautés pour un centre consolidé était séparée du choix des édifices qui les abriteraient dans ces communautés. Pour étayer cette explication, il m'a présenté la copie imprimée d'un échange qu'il a eu sur Facebook avec un électeur à la fin du mois d'août 2011, peu après le moment où l'on a appris que Thetford Mines avait été choisie en tant que centre consolidé. Au cours de cet échange, l'électeur a demandé à M. Paradis s'il y aurait un processus d'appel d'offres, notant au passage qu'il faisait alors construire un superbe immeuble de bureaux. En guise de réponse, M. Paradis a écrit qu'il ne le savait toujours pas, car cela allait être déterminé par un processus administratif subséquent.
Monsieur Paradis a également fourni au Commissariat des extraits de déclarations qu'a faites Mme Finley à la Chambre des communes, le 1er mars 2012, relativement aux répercussions du processus de consolidation à Thetford Mines. Elle a déclaré : « aucune décision n'a été prise au sujet des nouveaux bureaux à Thetford Mines lorsqu'on consolidait les activités de l'assurance-emploi. Ces décisions sont prises par les fonctionnaires de Travaux publics dans un processus clair, transparent et équitable. »
Le processus de consolidation des centres de Service Canada
Comme il a été mentionné ci‑dessus, le Ministère travaillait déjà depuis quelque temps à la consolidation des activités de traitement des demandes d'assurance‑emploi. Le processus était basé au départ sur l'attrition, puis il s'est accéléré à partir de 2010. Les discussions entre le Ministère et le cabinet de la ministre à ce sujet se sont poursuivies tout au long de 2010 et, à mesure qu'avançait la planification, elles se sont intensifiées au début de 2011.
Le 16 juin 2011, le Ministère a fourni au cabinet de la ministre la liste des communautés que les différentes directions régionales du Canada recommandaient de choisir pour accueillir les centres consolidés de traitement des demandes d'assurance-emploi. Pour le Québec, cinq communautés étaient nommées : Boucherville, Jonquière, Laval, Québec et Shawinigan. À ce moment, ni Rimouski, ni Thetford Mines n'étaient présents sur la liste.
Après que le Ministère eut recommandé, le 16 juin 2011, une liste de communautés au sein desquelles les centres consolidés pouvaient être aménagés, le personnel du cabinet ministériel de Mme Finley a effectué sa propre évaluation et a produit une nouvelle liste d'emplacements proposés pour tout le Canada. Mme Finley m'a dit qu'elle n'était pas intervenue personnellement dans la production ou l'approbation de cette liste. Elle a ajouté cependant que son personnel tient compte habituellement de facteurs qui ne sont pas pris en considération par le Ministère. À titre d'exemple, Mme Finley a invoqué l'importance d'assurer l'équilibre entre les régions urbaines et les régions rurales, qui, selon elle, représente un facteur auquel le Ministère est moins sensibilisé.
La nouvelle liste produite par le personnel de Mme Finley ne comprenait que trois communautés pour le Québec : Boucherville, Québec et Thetford Mines. Les centres de Boucherville et Québec sont deux des plus grands de la province. Selon le membre du personnel du cabinet de Mme Finley qui a dressé la liste, Thetford Mines a été ajoutée pour deux raisons bien précises. D'abord, la ville est située en région rurale, mais elle n'est pas très éloignée des grands centres de Montréal et Québec. Ensuite, son choix cadre avec l'initiative générale du gouvernement de diversifier l'économie de cette région; Mme Finley m'a confirmé cette information lors de son entrevue. Le cabinet de la ministre a suggéré d'ajouter 50 postes au centre de Thetford Mines dans le cadre du processus de consolidation.
La liste produite à cette époque par le cabinet de la ministre a également apporté des changements aux recommandations du Ministère pour les autres provinces. Chacun des changements proposés était accompagné d'un certain nombre de raisons. Je remarque que les neuf centres retirés de la liste pancanadienne qui avait été présentée par le Ministère le 16 juin 2011 étaient situés dans des circonscriptions représentées par des députés de l'opposition, mais cela n'est mentionné nulle part dans les raisons justificatives pour les changements. Les sept communautés ajoutées à cette liste étaient toutes situées dans des circonscriptions représentées par des députés du parti au pouvoir. Cette constatation laisse penser que la révision des recommandations du Ministère et la production d'une nouvelle liste de solutions de rechange proposées par le cabinet de Mme Finley pour réexamen du Ministère n'étaient pas exemptes de considérations partisanes.
Dans les jours qui ont suivi, la nouvelle liste pancanadienne préparée par le cabinet de la ministre a été envoyée au Ministère. En ce qui a trait au Québec, les fonctionnaires ministériels ont effectué une étude de faisabilité du scénario de trois centres qui fut proposé. Parmi les scénarios envisagés par le Ministère, l'un prévoyait de faire passer le nombre de postes au centre de Thetford Mines de 17 (chiffre actuel) à 225. L'analyse du Ministère a cerné certains problèmes présentés par cette option, plus particulièrement la difficulté de recruter dans une population de petite taille et le temps nécessaire pour construire un nouvel immeuble, compte tenu du manque de locaux commerciaux à louer dans la région. Comme solution de rechange pour le scénario de trois centres proposé par le cabinet de la ministre, le Ministère a suggéré l'ajout de seulement 50 à 75 postes à Thetford Mines et l'établissement de centres consolidés à Jonquière, Laval et Shawinigan, comme il l'avait proposé à l'origine.
Monsieur Paradis m'a dit qu'il n'avait aucune connaissance de ce processus.
Les échanges entre les cabinets de M. Paradis et de Mme Finley
J'ai constaté que les chefs de cabinet de M. Paradis et de Mme Finley avaient maintenu un certain niveau de communication pendant que le cabinet de Mme Finley et le Ministère finalisaient la liste des centres consolidés.
Monsieur Phil Harwood, alors chef de cabinet par intérim de Mme Finley, a indiqué que M. Marc Vallières, le chef de cabinet de M. Paradis, avait pris contact avec lui en 2010 concernant des rumeurs selon lesquelles le centre de Thetford Mines allait fermer. M. Harwood a confirmé que ces rumeurs étaient carrément fausses et qu'aucune décision n'avait encore été prise à ce moment. M. Harwood a dit qu'il a avisé M. Vallières qu'il le tiendrait au courant de tout développement futur. M. Harwood a également affirmé qu'il avait communiqué avec M. Vallières à ce sujet de façon occasionnelle au cours de l'année suivante parce qu'il savait que M. Paradis, en sa qualité de député de la région de Thetford Mines et de ministre régional pour le Québec, s'intéresserait au dossier.
Monsieur Harwood a dit avoir eu des discussions en personne en 2011 avec un certain nombre de chefs de cabinet de ministres régionaux à propos de l'impact régional de l'examen stratégique. Il a indiqué qu'il avait rencontré M. Vallières à cet égard dans la semaine du 27 juin 2011. M. Harwood a fait valoir au Commissariat qu'à ce moment, il avait demandé à M. Vallières des précisions sur la capacité de la ville de Thetford Mines d'accueillir un centre consolidé, notamment en ce qui a trait à l'infrastructure existante, à l'accès Internet à large bande et à la disponibilité de la main‑d'œuvre.
Monsieur Vallières a indiqué au Commissariat qu'il ne considérait pas ses discussions avec M. Harwood comme faisant partie d'une consultation officielle et qu'il avait su comprendre que les discussions concernaient M. Paradis dans son rôle de député. Il a dit avoir agi de sa propre initiative, sans avoir obtenu de directives de M. Paradis, afin de mieux faire comprendre à M. Harwood la réalité de Thetford Mines.
Monsieur Vallières a envoyé un courriel à M. Harwood le 5 juillet 2011. Faisant référence à leur conversation de la semaine précédente, il y a indiqué que M. Paradis était en désaccord sur l'évaluation ministérielle de l'infrastructure de Thetford Mines et qu'il était d'avis que la ville pouvait accueillir un centre consolidé. Il a ajouté que des locaux à bureaux intéressants étaient devenus disponibles au cours des dernières années. M. Vallières a précisé au Commissariat qu'il faisait alors référence à de nouveaux immeubles de bureaux.
Monsieur Harwood a répondu qu'il avait de bonnes nouvelles pour M. Paradis et a proposé une conversation téléphonique. Ni M. Harwood, ni M. Vallières n'ont pu se rappeler avec
précision les détails de leur conversation téléphonique, mais M. Harwood a dit au Commissariat que la bonne nouvelle en question, c'était que, au cours de la semaine précédente, le Ministère avait conclu que Thetford Mines disposait en fait de l'infrastructure nécessaire à un centre consolidé de traitement d'assurance‑emploi.
Selon M. Vallières, M. Paradis ne lui avait en aucun cas demandé de communiquer avec M. Harwood à propos de l'infrastructure disponible à Thetford Mines, mais il a dit qu'il était possible qu'il ait abordé le sujet avec lui. Il a soutenu que M. Harwood ne l'avait jamais mis au courant des détails de l'évaluation de Thetford Mines effectuée par Service Canada; M. Harwood lui avait seulement posé des questions sur la disponibilité des locaux à bureaux.
Monsieur Paradis m'a confirmé qu'il a discuté avec M. Vallières des rumeurs de fermeture du centre de Service Canada de Thetford Mines. M. Paradis a ajouté que M. Vallières est bien conscient du désaccord de M. Paradis avec les arguments ayant déjà été exprimés par le passé, à plusieurs occasions, et selon lesquels Thetford Mines ne possède pas une infrastructure adéquate ou une main-d'œuvre qualifiée. M. Paradis a précisé qu'avant cette enquête, il n'était pas au courant des discussions entre MM. Vallières et Harwood. M. Paradis a dit n'avoir jamais donné d'instructions à M. Vallières concernant la consolidation des activités de traitement d'assurance-emploi des centres de Service Canada. M. Paradis a exprimé qu'il n'avait aucune préoccupation relativement au fait que M. Vallières avait communiqué à M. Harwood la position de M. Paradis.
La mise au point de la liste
Le 6 juillet 2011, des fonctionnaires ministériels ont rencontré des membres du cabinet de Mme Finley afin de discuter de la liste définitive des communautés où le traitement des demandes d'assurance‑emploi serait consolidé. Six emplacements étaient prévus pour le Québec : les cinq emplacements initialement proposés le 16 juin 2011 par le Ministère, c'est-à-dire Boucherville, Jonquière, Laval, Québec et Shawinigan, auxquels s'ajoutait Thetford Mines. On proposait d'ajouter 58 emplois à Thetford Mines, qui en compterait donc au total 75.
Dans une lettre datée du 17 août 2011 envoyée à son bureau de circonscription, Mme Finley a informé M. Paradis que le centre de Service Canada de Thetford Mines serait l'un des 22 centres du pays où les activités de traitement des demandes d'assurance‑emploi seraient consolidées. Mme Finley m'a expliqué qu'elle avait envoyé des lettres semblables à d'autres députés conservateurs représentant des circonscriptions où un centre de Service Canada serait touché d'une manière ou d'une autre par la consolidation.
Monsieur Paradis a fait remarquer au Commissariat que plus d'une semaine après que la lettre fut envoyée a-t-il appris que le centre de Thetford Mines faisait partie de la liste de communautés destinées à accueillir les centres consolidés. Il a dit qu'il voyageait à l'époque où la lettre aurait été envoyée, et que la question n'avait pas été portée à son attention. Il a indiqué qu'il avait pris connaissance de l'affaire lorsque des articles de journaux ont paru le 25 août 2011, dans lesquels on citait M. Caron, le député qui a soumis la demande d'étude, et son affirmation que la décision avait été prise sans consultation ni annonce officielle du gouvernement conservateur.
Monsieur Paradis juge qu'il n'a contrevenu ni aux articles 8 ou 9 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code), ni au paragraphe 6(1) ou à l'article 9 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) en intervenant auprès de Mme Finley au sujet de Thetford Mines et du processus de consolidation des centres de Service Canada.
Monsieur Paradis a soutenu qu'il est intervenu en sa qualité de député de la région et qu'il a parlé à Mme Finley à la Chambre des communes, mais non dans le cadre du processus officiel. Il a ajouté que les députés du parti au pouvoir et de l'opposition se parlent régulièrement, de manière informelle, à l'intérieur ou aux alentours de la Chambre des communes.
Monsieur Paradis a indiqué que ses interventions auprès de Mme Finley avaient pour objet de lui faire savoir que la région de Thetford Mines comptait déjà un centre de Service Canada et de s'assurer que la région de Thetford Mines soit dûment prise en considération sur un pied d'égalité avec les autres régions du Québec dans le cadre du processus de centralisation des centres de Service Canada.
Monsieur Paradis a ajouté qu'en aucun temps, au cours de ses interventions visant à faire sélectionner Thetford Mines comme emplacement d'un centre de traitement consolidé de Service Canada, il n'a mentionné l'édifice dans lequel était aménagé l'actuel centre de Service Canada, édifice qui appartenait à une compagnie dont l'un des trois actionnaires est l'associé de son père en exercice du droit. Le propriétaire de l'édifice en question n'a jamais été un facteur à considérer pour lui. Selon M. Paradis, à l'époque de ses interventions auprès de Mme Finley, il ne pouvait pas connaître l'ampleur de la réorganisation prévue ni son impact sur les locaux dans lesquels le centre de Service Canada de Thetford Mines était aménagé.
De plus, il a expliqué que la décision concernant les locaux appartenait à un autre ministère, Travaux publics et Services gouvernementaux, conformément à un processus transparent et concurrentiel : le choix des villes pour les centres consolidés relevait du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, tandis que Travaux publics et Services gouvernementaux était responsable du choix des locaux dans les villes sélectionnées, ce qui est une décision complètement distincte. M. Paradis a déclaré qu'en aucun temps n'avait-il pris contact avec quiconque à Travaux publics et Services gouvernementaux ou dans d'autres ministères relativement à l'affectation de nouveaux effectifs au centre de Service Canada existant de Thetford Mines.
Monsieur Paradis a dit qu'il n'a exercé aucun pouvoir ni aucune fonction officielle en tant que ministre, car il était simplement intervenu pour sa circonscription en sa qualité de député, et ce, concernant une décision relevant d'un autre ministre ou ministère. Il a indiqué que le choix de Thetford Mines n'avait pas été décidé par le Cabinet, mais plutôt par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, et qu'il n'avait pas pris cette décision, ni participé à la prise de cette décision.
Monsieur Paradis a soutenu qu'il ne s'est pas prévalu de ses fonctions officielles à titre de ministre pour tenter d'influencer une décision. Il a ajouté que ses interventions avaient pour but de faire connaître à Mme Finley les avantages de Thetford Mines, et non de favoriser, que ce soit d'une façon irrégulière ou non, l'intérêt personnel d'une personne en particulier.
Monsieur Paradis a également invoqué le paragraphe 64(1) de la Loi, selon lequel la Loi n'interdit pas les activités qu'exercent les titulaires de charge publique qui sont membres de la Chambre des communes. Il a déclaré qu'en intervenant ainsi auprès de Mme Finley, il exerçait précisément ce type d'activités.
Évaluation des faits
Dans cette enquête et cette étude, je dois déterminer si M. Paradis a contrevenu à l'article 8 ou 9 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) ou au paragraphe 6(1) ou à l'article 9 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), relativement à des interventions qu'il a faites à la fin de l'hiver ou au début du printemps 2011 auprès de l'honorable Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences. M. Paradis est député de Mégantic–L'Érable. À l'époque où il a fait ces interventions, il était ministre des Ressources naturelles et ministre régional pour le Québec.
Dans mon analyse, je tiens compte des dispositions se rapportant à la capacité des députés et des ministres de représenter leurs électeurs dans des situations où cela pourrait aussi influer sur les obligations que leur imposent le Code et la Loi.
Comme je l'ai énoncé dans la section intitulée Les constatations de faits, pour parvenir à faire les déterminations susmentionnées, j'estimais nécessaire de comprendre la nature de la relation entre M. Paradis et M. Ghislain Dionne, déterminer si M. Dionne et 9183‑0497 Québec Inc. (la compagnie) avaient des intérêts personnels pertinents et si M. Paradis était au courant de ces intérêts personnels lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley. Je devais aussi comprendre la nature des interventions que M. Paradis a faites auprès de Mme Finley ainsi que les circonstances dans lesquelles il les a faites, et comprendre si M. Paradis était autrement impliqué dans cette affaire.
Monsieur Dionne est un ami de la famille Paradis, par l'intermédiaire du père de M. Paradis. Avant son élection, M. Paradis a travaillé pendant une dizaine d'années en tant qu'avocat avec son père et M. Dionne et devait devenir associé dans leur cabinet d'avocats avant son élection à la Chambre des communes, en 2006. De plus, M. Paradis lui‑même voyait M. Dionne de façon sociale à l'occasion, et le voit encore aujourd'hui.
Aux fins de la Loi, je considère que MM. Dionne et Paradis sont amis. Comme le note Le rapport Watson, j'interprète ce terme, dans le contexte de la Loi, comme se rapportant à des relations où il y a un lien étroit, un sentiment d'affection ou un lien spécial. J'estime que cela correspond à la relation qu'entretiennent MM. Paradis et Dionne.
De toute évidence, la compagnie et M. Dionne avaient un intérêt personnel à l'égard du centre de Service Canada de Thetford Mines. En tant que propriétaire de l'édifice situé au 350, boulevard Frontenac Ouest abritant le centre de Service Canada de Thetford Mines, l'intérêt personnel de la compagnie repose en ce qu'elle recevait des revenus de location découlant de son bail avec le gouvernement fédéral. Quant à M. Dionne, son intérêt personnel repose en ce qu'il détient un tiers des actions de cette compagnie. Ainsi, toute décision qui affecterait l'avenir du centre de Service Canada de Thetford Mines pourrait avoir le potentiel de favoriser l'intérêt personnel de la compagnie et, par conséquent, celui de M. Dionne.
Dans son entrevue avec moi, M. Paradis a reconnu qu'il savait, lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, que M. Dionne était un actionnaire de la compagnie; il a admis le savoir depuis 2008, bien avant qu'il fasse ses interventions.
En ce qui concerne les interventions de M. Paradis auprès de Mme Finley, la preuve recueillie démontre qu'elles faisaient suite à des préoccupations soulevées par ses électeurs, qui redoutaient les impacts potentiels du processus de consolidation des centres d'assurance-emploi du ministère de Mme Finley sur le centre de Service Canada de Thetford Mines et, en particulier, qui redoutaient la possibilité que la circonscription perde des emplois si les activités de traitement exécutées par Service Canada étaient consolidées ailleurs.
Dans la réponse écrite qu'il m'a fait parvenir et dans son entrevue, M. Paradis m'a dit qu'il avait abordé Mme Finley à la Chambre des communes et lui avait parlé de façon officieuse. Il a dit qu'il voulait s'assurer qu'elle sache que Thetford Mines possédait déjà un centre de Service Canada et que Thetford Mines possédait les ressources nécessaires pour être considéré sur un pied d'égalité avec d'autres régions du Québec dans le processus de consolidation. Il m'a dit que de telles conversations étaient courantes à la Chambre des communes et que lui-même se faisait souvent aborder par des députés de tous les partis relativement à ses divers postes ministériels.
Monsieur Paradis a précisé n'avoir jamais mentionné, lors de sa discussion avec Mme Finley, l'édifice du 350, boulevard Frontenac Ouest de Thetford Mines qui abrite actuellement le centre de Service Canada de cette ville. Mme Finley a confirmé cette déclaration. J'accepte le compte rendu qu'a fait M. Paradis de sa discussion avec Mme Finley à cet égard.
Monsieur Paradis a déclaré que les événements susmentionnés composaient l'étendue complète de sa participation dans cette affaire, et je n'ai rien trouvé prouvant le contraire. Il m'a dit qu'il n'avait jamais donné à son chef de cabinet, M. Vallières, d'instructions concernant la consolidation des activités de traitement de l'assurance-emploi dans les centres de Service Canada et qu'il n'avait jamais été mis au courant de discussions entre M. Vallières et M. Harwood, le chef de cabinet de Mme Finley. Pour sa part, M. Vallières a confirmé qu'il avait agi de sa propre initiative, et non à la demande de M. Paradis relativement à ces discussions.
Analyse en vertu du Code
Les articles 8 et 9 interdisent tous deux aux députés d'agir de façon à favoriser leurs intérêts personnels ou ceux d'un membre de leur famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.
Le Code ne définit pas les types de circonstances dans lesquelles on pourrait considérer qu'un député favorise de façon indue les intérêts personnels d'une autre personne. Il faut donc le déterminer au cas par cas. Il peut y avoir favoritisme indu en raison de divers facteurs, notamment la nature ou l'intimité de la relation du député avec une personne en particulier.
Article 8 du Code
Aux fins de mon analyse de l'article 8 du Code, je dois déterminer si, lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, M. Paradis exerçait ses fonctions parlementaires et, dans l'affirmative, s'il a agi de manière à favoriser de façon indue les intérêts personnels de M. Dionne.
Voici le libellé de l'article 8 du Code :
8. Le député ne peut, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.
J'ai aussi tenu compte de l'article 5 du Code, dont voici le libellé :
5. Le député ne manque pas à ses obligations aux termes du présent code s'il exerce une activité à laquelle les députés se livrent habituellement et à bon droit pour le compte des électeurs.
Dans mon interprétation des articles 5 et 8, j'ai aussi tenu compte de l'alinéa 2a) du Code, sous la rubrique intitulée Principes. Voici le libellé de la section pertinente de l'article 2 :
2. Vu que les fonctions parlementaires constituent un mandat public, la Chambre des communes reconnaît et déclare qu'on s'attend à ce que les députés :
a) soient au service de l'intérêt public et représentent au mieux les électeurs;
[…]
Les éléments de preuve indiquent que les interventions de M. Paradis auprès de Mme Finley faisaient suite à des préoccupations soulevées par plusieurs électeurs quant à l'impact possible du processus de consolidation. J'accepte que M. Paradis soit intervenu auprès de Mme Finley au nom de sa circonscription et, par conséquent, qu'il exerçait ce faisant ses fonctions parlementaires de député.
Pour déterminer si, lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, M. Paradis a favorisé de façon indue les intérêts personnels de M. Dionne, ce qui contrevient à l'article 8, j'ai tenu compte de la relation entre MM. Paradis et Dionne et de l'impact potentiel des interventions de M. Paradis sur les intérêts personnels de la compagnie et, par conséquent, de M. Dionne. J'ai aussi tenu compte de l'article 5 du Code et des principes énoncés à l'alinéa 2a) du Code.
J'ai conclu qu'il y a une relation étroite personnelle et professionnelle entre MM. Paradis et Dionne et que M. Dionne avait des intérêts personnels en ce qui concerne le centre de Service Canada de Thetford Mines.
Bien que M. Paradis savait, au moment de ses interventions, que M. Dionne détenait un tiers des actions de la compagnie et en était le président, M. Paradis a clairement fait savoir que lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, il n'a jamais mentionné l'édifice abritant le centre de Service Canada de Thetford Mines. Ce fut confirmé par Mme Finley.
Au moment où M. Paradis a fait ses interventions, la compagnie détenait un bail de 10 ans avec le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (Travaux publics) qui ne viendrait pas à échéance avant 2018. Le bail ne faisait donc pas l'objet de négociations; il n'était pas non plus l'objet de décisions que Mme Finley ou son ministère devait prendre. Quoi qu'il en soit, M. Paradis n'était pas au courant des conditions de la convention de bail de la compagnie avec le gouvernement.
Bien que Mme Finley et son ministère devaient sélectionner les communautés dans lesquelles les activités de traitement de demandes d'assurance-emploi seraient consolidés, ils n'étaient pas chargés de sélectionner les édifices mêmes où les centres seraient localisés. Cela revenait aux Travaux publics, qui en déciderait une fois qu'ils auraient la liste finalisée des communautés où les centres consolidés seraient localisés. Dans son témoignage, M. Dionne a déclaré qu'il n'était même pas au courant, avant septembre 2011, du processus de consolidation ou qu'il pourrait y avoir un impact sur le bail.
Bien qu'une décision quelconque aurait pu avoir un impact sur l'avenir du centre de Service Canada de Thetford Mines et, par conséquent, avoir le potentiel de favoriser les intérêts personnels de la compagnie et de M. Dionne, on ne pouvait savoir, au moment où M. Paradis est intervenu, qu'une décision aurait bel et bien eu un tel impact et quelle aurait été l'ampleur de cet impact.
Bien que ma décision dans cette affaire ne porte pas sur ce fait, il vaut la peine de souligner à cet égard que même si Thetford Mines n'avait pas été choisie pour être l'hôte d'un centre consolidé de traitement de l'assurance-emploi, il semble que la ville aurait continué d'avoir un centre de Service Canada. Selon l'annonce faite en date du 19 août 2011 par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, aucun centre de Service Canada ne fermerait en raison de la consolidation.
J'ai cité plus haut l'article 5. Selon cet article, le député ne contrevient pas au Code lorsqu'il exerce une activité à laquelle il se livre habituellement et à bon droit pour le compte de ses électeurs.
J'aimerais préciser que l'article 5 ne peut pas automatiquement l'emporter sur les règles de déontologie du Code, y compris l'article 8. D'un autre côté, on doit quand même l'appliquer.
J'ai aussi cité ci-dessus l'alinéa 2a). L'alinéa 2a) énonce comme principes qu'on s'attend à ce que les députés soient au service de l'intérêt public et qu'ils représentent leurs électeurs. À mon avis, et compte tenu de l'alinéa 2a), parmi les situations dans lesquelles on pourrait considérer qu'une intervention est faite à bon droit, il pourrait y avoir les situations impliquant un intérêt public considérable ou une question d'importance particulière pour les électeurs du député.
Comme je l'ai souligné plus haut, les éléments de preuve indiquent que les interventions de M. Paradis auprès de Mme Finley faisaient suite à des préoccupations soulevées par plusieurs électeurs quant à l'impact possible du processus de consolidation. Parmi ces électeurs se trouvait un représentant syndical du centre de Service Canada de Thetford Mines, ainsi que le maire actuel et l'ancien maire de cette ville, mais non M. Dionne ou d'autres représentants de la compagnie.
Lors de son entrevue, M. Paradis m'a confié que son objectif, en abordant Mme Finley, était de s'assurer qu'elle soit informée de la capacité de Thetford Mines d'accueillir un centre de traitement consolidé. Il l'a fait pour s'acquitter de son devoir de député en soulevant les préoccupations de ses électeurs et pour être en mesure de leur dire qu'il les avait représentés.
Les éléments de preuve indiquent que M. Paradis est intervenu auprès de Mme Finley dans le but de faire ressortir les forces de Thetford Mines et ainsi prévenir des pertes d'emploi dans sa circonscription. Il a déclaré que le but de son intervention auprès de Mme Finley était de l'informer du fait que la région de Thetford Mines possédait déjà un centre de Service Canada et de s'assurer que la région soit considérée sur un pied d'égalité avec d'autres régions du Québec dans le cadre du processus de consolidation.
À mon avis, les préoccupations soulevées par les électeurs de M. Paradis constituaient une question de circonscription authentique et légitime d'importance considérable pour la population de Thetford Mines. Il était raisonnable que M. Paradis, à titre de député local, tente d'aborder cette question.
J'ai déterminé que, parce que la question était d'un intérêt public considérable et d'importance pour les électeurs de M. Paradis et, nonobstant le fait qu'il y avait une possibilité que son intervention ait pour résultat de favoriser les intérêts personnels de M. Dionne, son intervention, dans les circonstances de ce cas, n'était pas indue et que rien n'interdisait à M. Paradis d'intervenir dans cette affaire.
Par conséquent, M. Paradis n'a pas contrevenu à l'article 8 du Code. À mon avis, compte tenu des circonstances particulières du présent cas, d'arriver à la conclusion contraire ne refléterait pas le juste équilibre entre la règle de déontologie qu'énonce l'article 8 du Code et l'article 5, qui autorise les députés à exercer des activités auxquelles ils se livrent habituellement et à bon droit pour le compte de leurs électeurs, ainsi que les principes énoncés à l'alinéa 2a), qui reconnaissent l'obligation qu'ont les députés d'être au service de l'intérêt public et de représenter leurs électeurs.
Article 9 du Code
Aux fins de mon analyse de l'article 9 du Code, je dois déterminer si M. Paradis, en intervenant auprès de Mme Finley, s'est prévalu de sa charge de député pour influencer la décision de cette dernière de manière à favoriser d'une façon indue les intérêts personnels de M. Dionne.
Voici le libellé de l'article 9 du Code :
9. Le député ne peut se prévaloir de sa charge pour influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne ou entité.
En intervenant auprès de Mme Finley dans le but de s'assurer qu'elle connaisse les forces de Thetford Mines alors qu'elle considérait où consolider les activités de traitement exécutées par Service Canada, M. Paradis s'est prévalu de sa charge de député pour influencer la décision de
Mme Finley. Toutefois, pour les mêmes raisons que celles que j'ai exposées plus haut relativement à mon analyse de l'article 8, compte tenu de l'article 5 et des principes énoncés à l'alinéa 2a), je conclus que, dans les circonstances particulières du présent cas, M. Paradis n'a pas contrevenu à l'article 9 du Code.
Analyse en vertu de la Loi
Aux fins de mon analyse en vertu du paragraphe 6(1) et de l'article 9 de la Loi, je dois déterminer s'il était interdit à M. Paradis, en vertu de la Loi et en raison de ses obligations de ministre ou de ministre régional pour le Québec, d'intervenir auprès de Mme Finley pour qu'elle choisisse le centre de Service Canada de sa circonscription comme centre consolidé de traitement de demandes d'assurance-emploi.
Paragraphe 6(1) de la Loi
Le paragraphe 6(1) interdit au titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge si cela pouvait le placer en situation de conflit d'intérêts :
6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.
L'article 4 définit les circonstances dans lesquelles on peut considérer qu'un titulaire de charge publique se trouve en situation de « conflit d'intérêts » au sens de la Loi. En voici le libellé :
4. Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
À part les interventions qu'il a faites auprès de Mme Finley, il n'y a aucune preuve démontrant que M. Paradis ait participé d'une façon quelconque au choix des communautés qui seraient sélectionnées pour consolider les activités de traitement exécutées par Service Canada.
J'accepte que M. Paradis soit intervenu auprès de Mme Finley au nom de ses électeurs et j'ai conclu précédemment dans le présent rapport, relativement au Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code), qu'il exerçait ses fonctions parlementaires de député lorsqu'il est intervenu. En ce qui concerne la consolidation des activités de traitement exécutées par Service Canada, rien n'indique que M. Paradis ait pris une décision ou participé à la prise d'une décision dans l'exercice de sa propre charge, que ce soit à titre de ministre ou de ministre régional pour le Québec.
Bien que M. Harwood, le chef de cabinet de Mme Finley, ait indiqué au Commissariat qu'il avait consulté M. Vallières, le chef de cabinet de M. Paradis, M. Vallières a déclaré qu'il avait cru comprendre que les discussions se rapportaient au rôle de député de M. Paradis. Quoi qu'il en soit, j'accepte que M. Paradis n'était pas au courant de ces discussions.
Dans ses interventions auprès de Mme Finley, M. Paradis a soulevé une question de circonscription auprès d'un autre ministre de façon officieuse à la Chambre des communes. On ne peut considérer qu'en faisant ces interventions, M. Paradis ait pris une décision ou participé à la prise d'une décision relativement à l'exercice de l'une de ses charges de ministre. Par conséquent, je conclus que M. Paradis n'a pas contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi.
Article 9 de la Loi
Aux fins de mon analyse de l'article 9 de la Loi, je dois déterminer si, lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, M. Paradis s'est prévalu de sa charge de ministre pour influencer la décision de cette dernière afin de favoriser les intérêts personnels de M. Dionne.
Voici le libellé de l'article 9 de la Loi :
9. Il est interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
J'ai aussi tenu compte du paragraphe 64(1) de la Loi, dont voici le libellé :
64. (1) Sous réserve du paragraphe 6(2) et des articles 21 et 30, la présente loi n'interdit pas les activités qu'exercent les titulaires de charge publique et les ex-titulaires de charge publique qui sont membres du Sénat ou de la Chambre des communes.
Comme je l'ai énoncé dans la section intitulée Évaluation des faits, j'ai déterminé que MM. Paradis et Dionne sont des amis. Je fais remarquer que, contrairement aux articles 8 et 9 du Code, l'article 9 de la Loi comprend expressément une disposition interdisant de favoriser les intérêts personnels d'un ami. Cette disposition s'ajoute à l'interdiction de favoriser de façon irrégulière ou indue les intérêts personnels d'une autre personne, qui se trouve à la fois dans la Loi et dans le Code.
Pour déterminer si M. Paradis a contrevenu à l'article 9 de la Loi, il n'est pas nécessaire de considérer si M. Paradis a favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels de M. Dionne puisque j'ai déterminé que MM. Paradis et Dionne sont des amis. La seconde conclusion découlerait automatiquement de la première.
Comme je l'ai expliqué plus haut dans mon analyse en vertu du Code, j'ai déterminé que M. Paradis s'est prévalu de sa charge de député pour influencer la décision de Mme Finley dans le choix des endroits pour consolider les activités de traitement exécutées par Service Canada. En ce qui concerne l'article 9 de la Loi, je dois considérer si M. Paradis s'est aussi prévalu de sa charge de ministre des Ressources naturelles ou de ministre régional pour le Québec pour tenter d'influencer la décision de Mme Finley.
Un député qui est aussi ministre ne peut jamais faire abstraction de son rôle de ministre. Lorsqu'un ministre soulève une question de circonscription auprès d'une institution ou d'un représentant du gouvernement fédéral, particulièrement s'il s'agit d'un collègue du Cabinet, il sera reconnu comme ministre, et son influence, le cas échéant, sera attribuable, en partie, à cette reconnaissance. Dans le cas présent, l'influence qu'aurait pu avoir M. Paradis sur la décision de Mme Finley aurait été attribuable à la fois à sa charge de député et de ministre.
Il me reste donc à considérer si M. Paradis a agi de façon à favoriser les intérêts personnels de son ami, M. Dionne.
Dans mon analyse en vertu de l'article 8 du Code, j'ai conclu qu'il y avait possibilité que les intérêts personnels de M. Dionne soient favorisés par les interventions de M. Paradis. Pour déterminer si M. Paradis a contrevenu à l'article 8 du Code, j'ai tenu compte de l'article 5 et de l'alinéa 2a) du Code. L'article 5 autorise les députés à exercer une activité à laquelle ils se livrent habituellement et à bon droit pour le compte de leurs électeurs. Quant à l'alinéa 2a), il reconnaît l'obligation qu'ont les députés de servir l'intérêt public et de représenter leurs électeurs. J'ai conclu, à la lumière de ces dispositions et des faits, que M. Paradis n'a pas, en l'occurrence, contrevenu à l'article 8 du Code.
Le paragraphe 64(1) de la Loi, cité précédemment, incorpore effectivement ces mêmes principes dans la Loi en précisant qu'un ministre, aussi titulaire de charge publique, peut se livrer aux activités qu'exercent normalement les titulaires de charge publique « qui sont membres du Sénat ou de la Chambre des communes ». Toutefois, les cas dans lesquels un député qui est aussi ministre peut bénéficier de l'application du paragraphe 64(1) sont plus limités que pour un député assujetti au Code, en raison de l'influence spéciale qu'un ministre peut avoir.
Pour déterminer si les exigences plus restrictives concernant les ministres sont satisfaites, j'ai tenu compte, en particulier, des facteurs énumérés dans les prochains paragraphes.
Comme je l'ai noté dans mon analyse en vertu du Code, la preuve recueillie démontre que les interventions de M. Paradis faisaient suite à des préoccupations soulevées par un certain nombre d'électeurs. Ces préoccupations étaient légitimes et il était raisonnable que M. Paradis cherche à y répondre. J'ai accepté le fait que M. Paradis, lorsqu'il a soulevé cette question auprès de Mme Finley, soulevait une question d'intérêt général pour ses électeurs de Thetford Mines.
On ne pouvait pas savoir, au moment où M. Paradis est intervenu, l'ampleur de l'impact qu'aurait la décision de Mme Finley et de son ministère sur l'avenir du centre de Service Canada de Thetford Mines, si impact il y avait, et, par conséquent, quel impact il y aurait sur les intérêts personnels de M. Dionne.
Messieurs Paradis et Dionne n'ont pas discuté de la question de la consolidation des centres de Service Canada, et rien n'indique que M. Paradis ait mentionné l'édifice lors de ses interventions auprès de Mme Finley.
Monsieur Paradis est intervenu auprès de Mme Finley de façon officieuse à la Chambre des communes, où les députés soulèvent régulièrement de telles questions auprès des ministres.
À la lumière de ces facteurs, et nonobstant le fait qu'il y avait possibilité que l'intervention de M. Paradis favorise les intérêts personnels de M. Dionne, je conclus que M. Paradis, lorsqu'il est intervenu auprès de Mme Finley, n'a pas, dans les circonstances particulières du présent cas, contrevenu à l'article 9 de la Loi.Conclusions
En ce qui concerne le Code régissant les conflits d'intérêts des députés, je conclus, pour les raisons énoncées précédemment, que M. Paradis, en tant que député, n'a pas contrevenu aux articles 8 ou 9 du Code.
En ce qui concerne la Loi sur les conflits d'intérêts, j'ai souligné que l'application du paragraphe 64(1) de la Loi aux ministres est limitée dans sa portée. Toutefois, dans les circonstances particulières du présent cas, j'ai conclu, pour les raisons énoncées précédemment, que M. Paradis, à titre de ministre, n'a pas contrevenu au paragraphe 6(1) ou à l'article 9 de la Loi.
Sauf avis contraire, les noms des témoins sont énumérés en fonction des organisations dont ils relevaient au moment des faits qui font l’objet de la présente étude et enquête.
Entrevues
Cabinet du ministre des Ressources naturelles et Cabinet du ministre de l’Industrie
L’honorable Christian Paradis, ministre
M. Marc Vallières, chef de cabinet
Mme Pascale Boulay, attachée de presse
Cabinet de la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences
L’honorable Diane Finley, ministre
M. Phil Harwood, chef de cabinet par intérim
M. Matthew Senft, directeur des affaires parlementaires
Ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences
Mme Carolina Giliberti, sous-ministre adjointe principale, gestion des services, Service Canada
Mme Mary O’Neill, directrice, gestion des services, Service Canada
M. Denis Boulianne, cadre dirigeant - région du Québec, gestion des services, Service Canada
M. Garth Byrne, Analyste principal, gestions des services, Service Canada
Autres
Me Ghislain Dionne, associé dans le cabinet d’avocats Paradis Dionne
M. Guy Caron, député de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques