(i) Contexte législatif
Cette enquête est la première entreprise en vertu du Code régissant les conflits d’intérêts des députés (le Code) depuis l’adoption du Code qui constitue l’annexe 1 du Règlement de la Chambre des communes. En vertu de l’article 27 du Code, le député qui a des motifs raisonnables de croire qu’un autre député n’a pas respecté ses obligations aux termes du Code peut demander une enquête. De plus, conformément à l’article 28, le rapport est remis à la Chambre par le Président et il est ensuite rendu public.
(ii) L’enquête Grewal
L’enquête a été lancée à la demande de l’honorable Joseph Volpe, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Dans la lettre du 5 avril 2005 qu’il m’a adressée, M. Volpe m’a demandé de déterminer si la pratique présumée à laquelle se livrait le député de Newton–Delta-Nord, M. Gurmant Grewal, soit de demander des garanties personnelles de la part des personnes qui lui demandaient de l’aide sur des questions d’immigration, était contraire aux obligations du député en vertu du Code. D’après M. Volpe, la demande de garantie pourrait d’ailleurs entraîner d’autres questions : est ce que M. Grewal vend son soutien? Est ce que M. Grewal a demandé que la garantie lui soit adressée personnellement? Est ce que la pratique laisse supposer que M. Grewal voulait tirer un profit financier de sa charge de député? La copie de la lettre de M. Volpe figure à l’annexe I du présent rapport.
L’enquête devait donc servir à déterminer si le député s’était livré à cette présumée pratique et, le cas échéant, dans quelle mesure, et s’il était ainsi placé en réelle ou apparente position de conflit d’intérêts en vertu au Code.
La collecte d’information pour cette enquête s’est déroulée en quatre étapes. En premier lieu, MM. Grewal et Volpe ont été interrogés séparément afin de préciser davantage les enjeux et les préoccupations de la demande d’enquête. En deuxième lieu, j’ai demandé un avis juridique afin de bien comprendre le contexte législatif dans lequel s’inscrivent les visas de résidents temporaires et les permis de séjour temporaires, ainsi que (i) le rôle des députés dans ce processus et (ii) la portée de leur pouvoir, s’il y a lieu. En troisième lieu, MM. Grewal et Volpe ont subi des interrogatoires officiels de suivi, lesquels ne se sont pas déroulés sous serment, mais ont été enregistrés et transcrits. En quatrième lieu, nous avons interrogé douze citoyens de la circonscription de M. Grewal qui ont, de fait, signé des formulaires de garantie personnelle concernant le départ du Canada de personnes qu’ils parrainaient.
M. Volpe a aussi soumis la question à la Gendarmerie royale du Canada, mais celle ci n’a pas encore décidé si elle mènera une enquête officielle.
Outre les coûts liés au temps et au travail investis par le personnel du Bureau du commissaire à l’éthique, d’autres frais ont été engagés, principalement pour les déplacements et les services professionnels nécessaires à la tenue de l’enquête. Tous ces coûts ont été ou seront imputés au budget du Bureau du commissaire à l’éthique, mais sont présentés en détail à l’annexe II à titre d’information.
L’enquête a révélé qu’il n’y a guère ou pas de divergence d’opinions concernant les faits.
Les faits sont les suivants :
Il est vrai que M. Grewal a bien demandé aux personnes, venues lui solliciter de l’aide sur des questions d’immigration touchant des visas ou des permis de séjour temporaire, de signer des documents. Il y avait en fait deux types de documents – tous deux présentés à l’annexe III du rapport –, soit le Formulaire d’information pour assistance à l’obtention d’un visa de visiteur et un formulaire de Garantie personnelle, lequel exigeait un cautionnement. Ces documents étaient utilisés depuis la fin de 2002, et un total de 232 formulaires de garantie personnelle ont été reçus du bureau de M. Grewal, soit 43 en 2002, 61 en 2003, 119 en 2004 et 9 en 2005.
M. Grewal utilisait les formulaires pour l’aider à faire le tri des demandeurs en matière d’immigration. M. Grewal et son personnel ne connaissaient ni le parrain ni le visiteur personnellement. Dans certains cas, les personnes qui s’adressaient à M. Grewal habitaient d’autres circonscriptions, mais leur député – pour une raison ou une autre – avait refusé son aide.
Les formulaires étaient censés servir de registre des assurances fournies par le parrain et de mesure incitative pour encourager ce dernier à faire en sorte que son visiteur quitte le Canada avant l’expiration du visa. Généralement, le cautionnement s’élevait à 50 000 $, mais les montants pouvaient varier entre 1 000 $ et 250 000 $.
Aucun cautionnement officiel n’a été versé.
Le bureau de M. Grewal n’imposait pas de frais pour le service, et aucune garantie personnelle n’a été « encaissée ».
La pratique a maintenant cessé.
M. Grewal a parrainé un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-283, qui propose de modifier la législation actuelle en matière d’immigration en y ajoutant un système de garanties versées par les parrains qui demandent des visas de résident temporaire. Si un visiteur ne quitte pas le Canada avant l’expiration de son visa, le montant offert en garantie sera confisqué et versé au gouvernement du Canada. Le projet de loi a été lu pour la première fois le 15 novembre 2004 et pour la deuxième fois le 9 mars 2005, auquel moment il a été envoyé au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (le Comité) pour étude.
Le 24 mars 2005, lors d’une audience du Comité qui se penchait sur le bien-fondé du projet de loi C-283, M. Grewal a déclaré qu’il avait préparé un formulaire de garantie qu’il demandait déjà aux répondants de signer avant de leur rédiger des lettres d’appui.
Même si l’intention était innocente, la pratique en question n’est pas une activité reconnue ou s’inscrivant dans les paramètres du cadre législatif fédéral. L’actuelle politique en matière d’immigration ne prévoit pas que des députés demandent des cautionnements ou des garanties de la part du public. L’administration de la politique en matière d’immigration relève du ministre, et non des députés.
Cependant, la majorité des parrains interrogés ne s’opposaient pas à ce qu’on leur demande une « garantie personnelle », mais il est clair que beaucoup considéraient la promesse comme un fardeau. Selon un des interlocuteurs, la pratique a causé un conflit familial quand le visiteur a voulu prolonger son séjour, mais que le parrain a insisté pour qu’il/elle quitte le Canada avant l’expiration du visa. Toutefois, personne ne s’est senti obligé d’offrir une garantie personnelle, et la plupart ont dit qu’ils le feraient de nouveau s’il le fallait.
Il convient toutefois d’ajouter que cette pratique a causé une certaine confusion chez ceux qui étaient invités à promettre une caution. Certains y ont vu une exigence du gouvernement, d’autres ont cru qu’il s’agissait d’une entente locale. Certains, comme nous l’expliquons ci dessus, trouvaient lourd le fardeau de la promesse (croyant par exemple qu’ils risquaient de perdre leur maison), d’autres non. Certains considéraient qu’il s’agissait d’une promesse ayant force exécutoire, tandis que d’autres n’y ont vu que de la paperasserie qu’il était inutile de prendre au sérieux, ne serait ce que parce que le document qu’ils signaient n’était manifestement pas un document officiel du gouvernement.
Enfin, les personnes interrogées ont donné des avis contradictoires concernant le destinataire d’un montant confisqué. Certains ont cru que ces sommes allaient grossir les recettes du gouvernement, tandis que d’autres pensaient que M. Grewal toucherait l’argent. Comme le montre l’annexe III, le formulaire de garantie personnelle ne donne aucune précision à cet égard.
En ce qui concerne la question soulevée dans cette enquête, c’est à-dire si les actions de M. Grewal le placent en situation réelle ou apparente de conflit d’intérêts, je conclus ce qui suit :
Il n’y avait pas de réel conflit d’intérêts. M. Grewal n’a pas profité personnellement de cette pratique et telle n’était pas son intention, c’est à-dire que rien ne laisse supposer que cette pratique ait pu d’une quelconque façon servir les intérêts financiers personnels de M. Grewal.
Cependant, la conduite de M. Grewal l’a effectivement placé en apparente situation de conflit d’intérêts. Le fait de demander, dans le cadre de services fournis aux électeurs, des garanties personnelles qui reposent prétendument sur une sorte de cautionnement, crée une ambiguïté qui peut raisonnablement porter à se demander si la pratique entraînera certains avantages personnels. La pratique a peut-être permis d’aider de nombreuses personnes qui autrement n’auraient pas reçu ce soutien, mais elle a aussi embrouillé pour certains le processus réel d’immigration. Les députés doivent veiller à ne pas mettre en place des exigences supplémentaires non approuvées qui s’ajoutent au régime législatif en place.
Je suis toutefois convaincu que M. Grewal n’avait pas l’intention de tirer profit de cette pratique, mais voulait seulement offrir des mesures de diligence raisonnables dans un contexte où il n’est pas possible de connaître personnellement toutes les personnes qui méritent réellement une aide spéciale.
Il semble donc que cette affaire soit assimilable à l’« infraction sans gravité » prévue par le Code. En vertu du paragraphe 28(5), si le commissaire à l’éthique conclut que le député ne s’est pas conformé à une obligation aux termes du Code, mais que l’infraction est survenue par inadvertance ou est imputable à une erreur de jugement commise de bonne foi, il peut recommander qu’aucune sanction ne soit imposée.
M. Grewal ne s’est pas entièrement conformé à ses obligations en vertu du Code, mais je crois que sa conduite est attribuable à une erreur de jugement commise de bonne foi. Comme ses intentions, même si elles étaient mal avisées, étaient raisonnables, et que la pratique a cessé, je recommande qu’aucune sanction ne soit imposée. Je recommande aussi que M. Grewal trouve un moyen d’informer les habitants de sa circonscription que cette pratique a changé.
(TRADUCTION) Lettre de l’honorable Joseph Volpe, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en date du 5 avril 2005
Le 5 avril 2005
Monsieur Bernard Shapiro
Commissaire à l’éthique
Bureau du commissaire à l’éthique
66, rue Slater, 22e étage
Ottawa (Ontario)
K1P 5H1
Téléc. : (613) 995-7308
Monsieur,
Je vous écris aujourd’hui pour vous demander de faire enquête sur une pratique à laquelle se livre un collègue député et qui risque, j’ai bien peur, d’avoir des répercussions importantes et préjudiciables sur notre système d’immigration.
Vous trouverez sous pli, à titre d’information, un article et une transcription d’audience de comité permanent dans lesquels le député de Newton–Delta-Nord, M. Gurmant Grewal, explique qu’il demande aux électeurs qui veulent de l’aide sur des questions d’immigration d’offrir des garanties personnelles pouvant atteindre 100 000 $.
M. Grewal déclare, et je n’ai aucune raison de douter de la véracité de ses propos, qu’il n’a jamais exigé le versement de ces garanties, mais je crains que de telles exigences ne puissent donner à penser à certains qu’il est leur possible d’acheter le soutien de M. Grewal.
Je trouve particulièrement inquiétant que M. Grewal ait demandé que les garanties lui soient adressées personnellement. Cette pratique, qui a peut-être semblé prudente à l’époque, pourrait faire croire que M. Grewal représentait ses électeurs afin d’en tirer profit à titre personnel. Encore une fois, je suis convaincu que telle n’était pas son intention, mais il importe d’éviter autant l’apparence de partialité que la partialité.
Vous savez que les allégations non fondées, quand elles sont répétées, peuvent être très préjudiciables au Parlement, et j’ai à coeur que tous les députés affichent une conduite irréprochable. D’ailleurs, la députée de Calgary–Nose-Hill a invoqué récemment le privilège parlementaire afin de répéter des allégations qui ont fait l’objet d’une enquête et ont été trouvées non fondées. Je ne voudrais pas que le député de Newton–Delta-Nord subisse le même sort et que sa réputation soit inutilement compromise.
Je vous saurais gré de faire enquête en la matière et suis convaincu que vous ferez rapport de vos résultats à tous les parlementaires afin qu’ils sachent comment ils doivent se conduire relativement à des dossiers comme les garanties personnelles.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration,
L’honorable Joseph Volpe
c.c. M. Gurmant Grewal, député
Annexe II
État des frais liés à l’enquête
Annexe III
(TRADUCTION) Formulaires d’information et de garantie

