Le 9 février 2006, le député d’Ottawa—Vanier, Mauril Bélanger, a demandé que je mène une enquête sur des allégations concernant la députée de Renfrew—Nipissing—Pembroke, Cheryl Gallant. M. Bélanger a allégué que Mme Gallant avait inopportunément conservé et utilisé des renseignements personnels que lui ont fournis deux de ses électeurs.
M. Bélanger a allégué que le bureau de circonscription avait stocké dans une banque de données des renseignements provenant de la demande de passeport des deux électeurs, qu’on a ensuite utilisés pour leur envoyer des cartes d’anniversaire et de Noël au nom de Mme Gallant. M. Bélanger a invoqué les alinéas 2 a) et b), l’article 8 et le paragraphe 10 (1) du Code régissant les conflits d’intérêts des députés (« le Code ») à l’appui de sa demande d’enquête. D’après les renseignements fournis par M. Bélanger, j’ai jugé qu’il avait des motifs raisonnables de croire que Mme Gallant avait enfreint le Code et j’ai donc procédé à une enquête préliminaire.
Sur la base d’une objection préliminaire de Mme Gallant, j’ai examiné le terme « intérêts personnels » tel qu’il est utilisé à l’article 8 et au paragraphe 10 (1) à la lumière de la définition fournie au paragraphe 3 (2). Après examen de la définition du terme « intérêts personnels » au paragraphe 3 (2), j’en suis arrivé à la conclusion qu’aucun des actes énumérés dans ce paragraphe ne s’applique à la mauvaise conduite alléguée. Par conséquent, j’en ai conclu que je n’ai aucun motif de mener une enquête.
INTRODUCTION
Le contexte Législatif
En vertu du paragraphe 27(1) du Code régissant les conflits d’intérêts des députés (« le Code »), qui constitue l’annexe 1 du Règlement de la Chambre des communes, un député qui a des motifs raisonnables de croire qu’un autre député n’a pas respecté ses obligations aux termes du Code peut demander une enquête.
En outre, le paragraphe 27(4) du Code autorise le commissaire, de sa propre initiative, après avoir donné par écrit au député un préavis raisonnable, à faire enquête pour déterminer si celui-ci s’est conformé à ses obligations aux termes du Code. Une fois l’enquête terminée, le commissaire doit présenter au Président de la Chambre des communes un rapport que ce dernier déposera à la Chambre. Le rapport est accessible au public dès son dépôt. Si le Parlement est dissous, le paragraphe 28(3) du Code prévoit que le commissaire à l’éthique peut rendre le rapport public après en avoir envoyé une copie au Président.
L’enquête Cheryl Gallant – Demande d’enquête
Cette enquête a été entreprise à la demande de l’honorable Mauril Bélanger.
Dans une lettre datée du 9 février 2006 (annexe 1 ci-jointe), M. Bélanger a demandé que je mène une enquête sur la conduite de Cheryl Gallant, députée de Renfrew—Nipissing—Pembroke. Se fondant sur l’information que lui ont communiquée deux des électeurs de Mme Gallant, M. Bélanger a allégué que cette dernière avait inopportunément conservé et utilisé les renseignements personnels fournis par ces deux électeurs dans des demandes de passeport traitées par son bureau de circonscription.
Les ALLéGATIONS
Conformément au paragraphe 27(2) du Code, toute demande d’enquête provenant d’un député doit (1) être présentée par écrit et (2) énoncer les motifs pour lesquels il est raisonnable de croire que le Code n’a pas été respecté.
Compte tenu de ce qui précède, M. Bélanger a allégué dans la demande qu’il a présentée que Mme Gallant avait conservé des renseignements personnels, soit des dates de naissance, qui lui avaient été fournis dans des demandes de passeport traitées par l’entremise de son bureau de circonscription, lesquels ont apparemment été versés dans une base de données utilisée pour l’envoi de cartes d’anniversaire. M. Bélanger a indiqué qu’à son avis, si l’allégation était exacte, il ne semblerait pas y avoir eu respect du principe énoncé à l’alinéa 2b) du Code, qui stipule que :
« 2. Vu que les fonctions parlementaires constituent un mandat public, la Chambre des communes reconnaît et déclare qu’on s’attend à ce que les députés :
(b) remplissent leurs fonctions avec honnêteté et selon les normes les plus élevées de façon à éviter les conflits d’intérêts réels ou apparents et à préserver et accroître la confiance du public dans l’intégrité de chaque député et envers la Chambre des communes; »
Et peut-être de l’article 8 et du paragraphe 10(1), qui disposent que :
« 8. Le député ne peut, dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon indue, ceux de toute autre personne.
et
« 10.(1) Le député ne peut utiliser les renseignements qu’il obtient dans le cadre de sa charge et qui ne sont généralement pas à la disposition du public pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon indue, ceux de toute autre personne. »
Après avoir soigneusement examiné l’information fournie par M. Bélanger, j’étais convaincu que les allégations présentées par écrit identifiaient clairement les dispositions du Code qui n’auraient pas été respectées et, qu’il avait énoncé les motifs pour lesquels il était raisonnable de croire que le Code n’avait pas été respecté. Par conséquent, j’ai décidé de procéder à une enquête préliminaire.
Le ProCESsuS
Le processus suivi pour cette enquête préliminaire s’est déroulé en six étapes.
Première étape : Après avoir reçu la demande de M. Bélanger le 16 février 2006, le registraire aux enquêtes en a accusé réception par écrit le 17 février 2006 et il a indiqué que la question serait prise en délibéré.
Deuxième étape : Le 24 février 2006, j’ai écrit au Président de la Chambre des communes, à M. Bélanger et à Mme Gallant pour les informer de ma décision de procéder à une enquête préliminaire. J’ai indiqué dans ma lettre à Mme Gallant que mon bureau communiquerait avec elle pour convenir de la date d’une entrevue officielle.
Troisième étape : Étant donné que mon bureau n’a pu communiquer directement avec Mme Gallant pour la convoquer à l’entrevue, je lui ai écrit de nouveau le 27 mars 2006 pour obtenir sa collaboration dans l’enquête, conformément au paragraphe 27(8) du Code.
Quatrième étape : Le 31 mars 2006, M. Malcolm Montgomery, adjoint exécutif de Mme Gallant, a répondu à ma lettre du 27 mars pour m’indiquer que puisque la Chambre était dissoute au moment des incidents en question, Mme Gallant n’était pas assujettie au Code et que, par conséquent, je n’avais pas le pouvoir de procéder à une enquête.
Cinquième étape : J’ai écrit à Mme Gallant le 18 avril 2006 pour répondre aux points soulevés dans la lettre de Malcolm Montgomery, dont je traite dans la section suivante du présent rapport, et pour réitérer ma demande de collaboration à l’enquête.
Sixième étape : Le 1er mai 2006, Mme Gallant a répondu à ma lettre du 18 avril 2006 et demandé des précisions au sujet des « intérêts personnels » tels qu’ils sont définis à l’article 8 et au paragraphe 10(1) du Code qu’elle aurait favorisés, selon les allégations, dans l’exercice de ses fonctions parlementaires.
Questions préliminaires
Mme Gallant et M. Montgomery ont soulevé deux questions qu’il fallait examiner et régler avant qu’une décision puisse être prise au sujet d’une enquête sur la teneur des allégations de M. Bélanger.
Application du Code régissant les conflits d’intérêts des députés en période de dissolution
M. Montgomery soutenait dans sa lettre que puisque la Chambre avait été dissoute au moment des événements au coeur des allégations, Mme Gallant et tous les autres députés de la 38e législature n’étaient plus assujettis au Code.
J’ai traité de cette question dans mon rapport d’enquête sur l’affaire Harper-Emerson, dans lequel je disais :
« En premier lieu, je voudrais aborder la question de l’ouverture d’une enquête lorsque le Parlement est dissous. Il s’agit plus précisément de savoir s’il y a un moment, au cours de cette période de temps, où l’on peut entreprendre une enquête, ou si l’application du Code des députés est complètement suspendue pendant la dissolution du Parlement. »1
Citant des constitutionnalistes, j’ai ensuite fait observer que
« À la dissolution de la 38e législature, la Chambre a cessé d’exister en tant qu’assemblée. Toutes les affaires en cours ont donc été abandonnées, de même que celles des comités parlementaires, et le mandat des députés a cessé d’un point de vue constitutionnel. Toutefois, aux termes de la Loi sur le Parlement du Canada, ils sont « réputés » conserver leur qualité de député afin de continuer à recevoir leur salaire et leurs avantages. »
En ce qui concerne la question relative à la présente enquête, j’ai également dit que :
« […] comme le Règlement de la Chambre des communes ne s’applique pas durant la dissolution du Parlement, le Code des députés ne s’applique pas également. Compte tenu des circonstances du cas présent, je considère maintenant que tel n’est pas le cas. De toute évidence, le Code des députés ne cesse pas de s’appliquer durant la dissolution. En effet, le Code des députés précise lui-même, à l’article 20, que dans les soixante jours qui suivent l’annonce de son élection dans la Gazette du Canada, le député dépose auprès du commissaire une Déclaration confidentielle. De plus, le paragraphe 28(3) prévoit que si le Parlement est dissous, le commissaire rend son rapport public après l’avoir remis au Président de la Chambre des communes. »
Le Parlement a accepté cette version révisée de l’application du Code lorsqu’il a adopté mon rapport sur l’enquête Harper-Emerson le 28 avril 2006.
« Conformément à l’article 28(10) du Code régissant les conflits d'intérêts des députés — Annexe au Règlement, le rapport du commissaire à l'éthique intitulé « L’enquête Harper-Emerson », présenté le mardi 4 avril 2006, est réputé agréé. » 2
Les « intérêts personnels » au sens des articles 8 et 10 du Code
Dans sa lettre du 1er mai 2006, Mme Gallant a demandé des précisions au sujet des intérêts personnels que les actes allégués auraient favorisés.
Le paragraphe 3(2) du Code donne la définition suivante du concept des intérêts personnels :
« (2) Sont de nature à favoriser les intérêts personnels d’une personne, y compris ceux du député, les actes de celui-ci qui ont pour effet, même indirectement
a) d’augmenter ou de préserver la valeur de son actif;
b) de réduire la valeur de son passif ou d’éliminer celui-ci;
c) de lui procurer un intérêt financier;
d) d’augmenter son revenu à partir d’une source visée au paragraphe 21(2);
e) d’en faire un dirigeant ou un administrateur au sein d’une personne morale, d’une association ou d’un syndicat;
f) d’en faire un associé au sein d’une société de personnes. »
Les constatations
Dans ma réponse à Mme Gallant en date du 29 mai 2006, j’ai indiqué que j’avais examiné soigneusement le libellé du paragraphe 3(2) du Code qui définit l’expression « favoriser les intérêts personnels » aux fins de l’application du Code. J’ai constaté qu’aucun des six actes mentionnés ne s’appliquait dans ce cas.
Tout d’abord, permettez-moi de répéter que j’étais convaincu qu’une enquête préliminaire se justifiait d’après la demande, telle qu’elle a été présentée par M. Bélanger. Toutefois, dans le cadre de cette enquête, la députée de Renfrew—Nipissing—Pembroke a décidé de soulever deux questions préliminaires, définies ci-dessus.
Pour ce qui est de la première question, soulevée par M. Montgomery, je constate que la Chambre a accepté le fait que le Code demeure en vigueur lorsqu’un Parlement a été dissous quoiqu’il y a des limites précises à la capacité des députés de demander que le commissaire à l’éthique entame une enquête entre la date de la dissolution et la date de la publication de la liste des députés de la législature suivante dans la Gazette du Canada.
Dans ce cas particulier, étant donné que :
le Code s’applique en période de dissolution;
les parlementaires continuent à fournir des services aux électeurs lorsque le Parlement a été dissous;
les députés reçoivent des fonds à cette fin, il s’ensuit que l’on devrait s’attendre à ce que les députés agissent d’une manière conforme aux exigences du Code. Autrement, on admettrait que les députés sont libres de favoriser leurs intérêts personnels lorsque le Parlement a été dissous.
Pour ce qui est de la deuxième question, soulevée par Mme Gallant au sujet des intérêts personnels, j’en suis venu à la conclusion que les actes allégués n’étaient pas de nature à « favoriser les intérêts personnels », selon la définition du paragraphe 3(2) du Code, surtout en ce qui concerne les articles 8 et 10 du Code. Par conséquent, je n’ai aucun motif de poursuivre cette enquête. Je juge que les allégations ne se rapportent pas à des actes qui auraient pu favoriser les intérêts personnels de Mme Gallant, selon la définition qu’en donne le Code.
COMMENTaireS
La principale question soulevée dans les allégations portait sur le caractère privé des renseignements personnels que transmet un électeur à son député. Il convient de signaler que tous les députés ont le devoir de maintenir la confiance du public dans la Chambre des communes et d’agir en tout temps dans l’intérêt public. C’est là l’essence des principes énoncés aux alinéas 2a) et b) du Code dont a fait mention le député d’Ottawa—Vanier dans sa demande d’enquête.
Les électeurs peuvent faire appel aux députés pour les aider dans bien des cas.
Les députés, dans l’exercice de leurs fonctions, et leurs employés ont accès à un large éventail de renseignements personnels.
La question est de savoir à quoi sert cette information. Le gouvernement a répondu à cette question pour les ministères, organismes et autres entités du gouvernement fédéral lorsqu’il a adopté la Loi sur la protection des renseignements personnels en 1985. L’article 2 de cette loi en définit l’objet :
« La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent. »
Le Parlement a aussi répondu à cette question dans le secteur privé lorsqu’il a adopté la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques en 2000. L’article 3 de cette loi en définit l’objet :
« La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. »
Selon le paragraphe 5(3), « L’organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. »
Ces lois témoignent des préoccupations grandissantes des Canadiens à l’égard de l’usage pouvant être fait de leurs renseignements personnels.
À titre de législateurs, les députés devraient se laisser guider par les principes qu’ils ont eux-mêmes définis dans les divers textes législatifs portant sur la protection des renseignements personnels. Je tiens simplement à attirer l’attention sur l’un des principes absolus, à savoir que les renseignements personnels ne devraient servir qu’aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis, ou pour une raison en accord avec ces fins.
Annexe I
Le 9 février 2006
Monsieur Bernard Shapiro
Commissaire à l’éthique
Bureau du commissaire à l’éthique
66, rue Slater, 22e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6
Monsieur,
La présente fait suite à la lettre que je vous ai envoyée le 11 janvier 2006, aux pièces qui y étaient jointes et à votre réponse du 23 janvier 2006.
Après avoir reçu votre réponse, j’ai écrit à M. et Mme White pour leur offrir de m’occuper de cette question en leur nom s’ils le souhaitaient. Ils m’ont demandé de le faire.
Par conséquent, conformément au Code régissant les conflits d’intérêts des députés, je vous demanderais de bien vouloir mener une enquête sur la question soulevée par Leslie et Andrew White, résidents de Deep River (Ontario), dans la circonscription de Renfrew—Nipissing—Pembroke, représentés à la Chambre des communes par Mme Cheryl Gallant.
Tout d’abord, M. et Mme White allèguent que Mme Gallant a conservé et utilisé inopportunément des renseignements personnels qu’ils lui avaient fournis dans une demande de passeport. Si elle est fondée, cette allégation semblerait aller à l’encontre du principe énoncé à l’alinéa 2b), voire de l’article 8 et du paragraphe 10(1).
De plus, M. et Mme White allèguent que Mme Gallant pourrait ne pas avoir respecté le principe énoncé à l’alinéa 2a) en refusant de répondre à leur demande d’explications qu’elle a banalisée. Je joins pour votre information, en plus de la correspondance que je vous ai déjà envoyée, une copie de la lettre que j’ai reçue par télécopieur à mon bureau le 7 février 2006.
Je vous remercie à l’avance de l’attention que vous voudrez bien porter à cette question.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Mauril Bélanger, C.P., député
Ottawa—Vanier
c.c. : Mme Leslie White et M. Andrew White
1 - Bureau du commissaire à l’éthique, L’enquête Harper-Emerson, 2006, p. 9.
2 - Journaux de la Chambre des communes, No. 12, le vendredi 28 avril 2006, p.108.