PRéFACE
La Loi sur les conflits d'intérêts (Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007 et a remplacé le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat (Code de 2006).
Aux termes des dispositions transitoires de la Loi fédérale sur la responsabilité (paragraphes 3(6) et (8)) et du paragraphe 44(1) de la Loi, tout parlementaire qui a des motifs raisonnables de croire qu'un titulaire de charge publique qui était assujetti au Code de 2006 a manqué aux obligations que lui imposait ce code dans le cadre d'événements qui se sont produits au moment où le Code était en vigueur, peut demander au commissaire d'étudier la question.
Aux termes du paragraphe 44(3) de la Loi, le commissaire est tenu d'examiner la question à moins qu'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Le paragraphe 44(7) prévoit que le commissaire doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions. En vertu du paragraphe 44(8), le commissaire, en même temps qu'il remet le rapport au premier ministre, en fournit une copie à l'auteur de la demande et au titulaire de charge publique visé par la demande. Le rapport est aussi rendu public.
Le 7 février 2008, M. Thomas Mulcair, député d'Outremont, m'a écrit pour me demander de faire enquête sur la conduite de l'honorable James Flaherty, ministre des Finances, en rapport avec un contrat que le cabinet de M. Flaherty avait octroyé à la société MacPhie & Company Inc., sans procéder à un appel d'offres. Monsieur Mulcair alléguait que M. Hugh MacPhie, qui administre la société, avait déjà travaillé avec M. Flaherty, et que les deux hommes se connaissent bien.
Dans sa lettre, M. Mulcair citait un article paru dans l'édition du National Post du 27 mars 2002. L'article décrivait M. MacPhie comme étant « un fidèle partisan de M. Flaherty » et « un important agent électoral », ce qui laisserait entendre que M. MacPhie a travaillé en étroite collaboration avec M. Flaherty quand celui-ci était ministre en Ontario et quand il a brigué la direction du Parti progressiste conservateur de l'Ontario. Monsieur Mulcair citait aussi un article paru dans l'édition du Toronto Star du 2 février 2008, lequel alléguait que M. Flaherty avait enfreint les règles d'octroi des contrats fédéraux en engageant M. MacPhie.
Le 15 février 2008, j'ai écrit à M. Mulcair lui disant que les événements qu'il décrivait semblaient s'être produits avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les conflits d'intérêts (Loi), alors que le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat (Code de 2006) était encore en vigueur. J'ai souligné à M. Mulcair que pour que je puisse entamer la procédure, il devait préciser les motifs raisonnables qu'il avait de croire que M. Flaherty avait contrevenu aux dispositions du Code de 2006, comme l'exige le paragraphe 44(2) de la Loi.
Le 3 avril 2008, j'ai reçu la réponse de M. Mulcair à ma lettre. Il citait des dispositions de la Loi plutôt que du Code de 2006. J'ai néanmoins déterminé que les renseignements qu'il m'avait fournis étaient suffisants pour me permettre de cerner les dispositions applicables du Code de 2006. Sur la foi de ces renseignements, j'ai donc procédé à l'étude de la question en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, eu égard aux dispositions applicables du Code de 2006.
Le 22 avril 2008, j'ai écrit à M. Flaherty pour l'informer que je procédais à un examen et je lui ai fourni des copies des lettres de M. Mulcair et des réponses à ce dernier. J'ai informé M. Flaherty des dispositions du Code de 2006 qui pourraient être applicables.
Dans la même lettre, j'ai demandé à M. Flaherty de me fournir une copie du contrat accordé à MacPhie & Company et de tous les documents se rapportant à ce marché, ainsi qu'une liste de tous les représentants de son ministère qui avaient participé à l'établissement du contrat, avec leurs postes à l'époque. Je l'ai aussi invité à me faire part de ses commentaires concernant ses obligations en vertu du Code de 2006 et à me dire si, à son avis, ses présumées activités contrevenaient à ce Code.
Le 1er mai 2008, mon Bureau a été informé que M. Flaherty cherchait à retenir les services d'un avocat. Le 4 juin 2008, Glenn A. Smith, de Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP, a informé mon Bureau qu'il agissait comme avocat de M. Flaherty. Il a été prié de fournir à mon Bureau les documents demandés dans ma lettre du 22 avril.
Le 10 juin 2008, mon Bureau a reçu de M. Smith une série de documents. À plusieurs endroits dans ces documents, des renseignements avaient été masqués, donnant à penser que les documents avaient été préparés en réponse à une demande d'accès à l'information. Le 18 juin 2008, mon Bureau a demandé une copie non modifiée de tous les documents liés au contrat. Une deuxième série de documents est arrivée le 3 juillet 2008. Les marques noires avaient été supprimées, mais les sections visées restaient difficiles à lire. Une troisième copie a été fournie le 10 juillet 2008, bien qu'encore difficile à lire, elle était plus lisible cette fois. Une liste des représentants ayant joué un rôle relativement au contrat a aussi été fournie. Le 23 juillet 2008, M. Smith a signalé que M. Flaherty ne présenterait pas de déclaration écrite de ses commentaires, mais répondrait plus tard.
Entre le 25 juillet et le 24 octobre 2008, mon Bureau a interrogé neuf témoins.
Monsieur Flaherty, le dernier témoin, a eu l'occasion de me faire part de renseignements et de commentaires lors d'une rencontre avec moi le 17 novembre 2008. Une liste complète des témoins est annexée au présent rapport. Des documents supplémentaires ont aussi été obtenus auprès du ministère des Finances. Monsieur Flaherty a eu la possibilité de commenter une ébauche partielle du présent rapport qui ne contenait pas l'évaluation et les conclusions.
Les dispositions pertinentes du Code de 2006 sont les suivantes :
3. (7) Il […] est interdit [au titulaire de charge publique] de se prévaloir de sa charge pour venir en aide à une personne physique ou morale, lorsque cela peut donner lieu à un traitement de faveur.
22. (3) Il est interdit au titulaire d'une charge publique d'accorder, relativement à des questions officielles, un traitement de faveur à des membres de la parenté, à des amis, ou encore à des organismes dans lesquels lui-même, des membres de sa parenté ou ses amis ont des intérêts.
22. (4) Le titulaire d'une charge publique ne peut se prévaloir de sa charge pour influencer ou tenter d'influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa parenté ou d'un ami, ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne.
22. (8) Le titulaire d'une charge publique ne peut tenter de se livrer à aucune des activités interdites aux termes des paragraphes (1) à (7).
Les témoins n'ont pas fourni le même degré de détails, et il semble que les souvenirs de chacun ne concordent pas toujours quant à certains faits. Cependant, ces divergences ne sont pas d'une grande importance relativement aux questions examinées. Mes constatations quant aux faits sont présentées ci-après.
Le rapport entre M. MacPhie et M. Flaherty
Monsieur MacPhie est président de la société MacPhie & Company, une société d'experts-conseils en marketing et communication stratégique qui a œuvré auprès d'entreprises, d'associations industrielles et d'entités gouvernementales tant provinciales que fédérales. La société a été enregistrée par M. MacPhie, unique propriétaire, en 2004 et constituée en société en Ontario en 2005. Monsieur MacPhie et sa femme sont propriétaires des actions de la société. Monsieur MacPhie a travaillé comme conseiller en communication au cabinet de l'honorable Mike Harris, ancien premier ministre de l'Ontario, de 1996 à 2000. C'est à cette époque qu'il a rencontré M. Flaherty qui a occupé divers postes de ministres dans le gouvernement de M. Harris. En 2001, M. Flaherty s'est porté candidat à la direction du Parti progressiste conservateur de l'Ontario, et M. MacPhie a travaillé à sa campagne comme bénévole.
En entrevue, M. MacPhie a expliqué à mon Bureau qu'il n'avait que peu transigé avec M. Flaherty, que ce soit à Queen's Park ou au cours de la campagne à la direction. Il affirme qu'il a aidé à rédiger des discours et à réaliser d'autres activités de communication, mais qu'il a peu interagi avec M. Flaherty. Il a déclaré à mon Bureau qu'il n'était pas un important agent électoral, comme l'avait décrit le National Post dans son numéro du 27 mars 2002. Monsieur Flaherty m'a informé que M. MacPhie était un membre dirigeant de l'équipe de communication mais qu'il ne figurait pas parmi les principaux organisateurs de la campagne.
Messieurs MacPhie et Flaherty ont tous les deux confirmé qu'ils ne se sont jamais rencontrés dans un contexte mondain. Monsieur MacPhie a déclaré à mon Bureau qu'après la campagne à la direction, il n'a revu M. Flaherty qu'à quelques rencontres politiques. Aucun des employés du cabinet de M. Flaherty interrogés par mon Bureau n'était au courant de liens sociaux entre MM. MacPhie et Flaherty. Les deux hommes ont tous les deux affirmé que M. Flaherty n'a pas d'intérêts financiers dans la société MacPhie & Company et qu'il ne compte ni amis ni membres de sa parenté au sein de l'entreprise.
Contrats antérieurs de MacPhie & Company auprès du ministère des Finances
La société MacPhie & Company avait terminé deux contrats qui lui avaient été accordés par le ministère des Finances, avant que le contrat du Budget de 2007 ne lui soit octroyé. Le premier contrat avait été accordé en septembre 2006, à la demande du Groupe d'experts sur le Crédit d'impôt pour la condition physique des enfants. Le Groupe d'experts était indépendant du ministre des Finances et, selon les témoins interrogés par mon Bureau, avait engagé directement MacPhie & Company. Ni M. Flaherty ni son personnel n'avaient joué un rôle dans ce processus.
Le deuxième contrat, octroyé en octobre 2006, concernait un plan économique préparé par le ministère des Finances. Après avoir examiné une ébauche du plan préparé par le ministère, M. Flaherty et son personnel avaient consulté M. MacPhie et engagé par la suite son entreprise pour les aider à effectuer des révisions. D'après les rencontres avec M. Flaherty et son personnel, le nom de M. MacPhie a été proposé par des membres du cabinet de M. Flaherty qui avaient travaillé avec M. MacPhie à Queens Park, et non par M. Flaherty lui-même. Ce sont Dan Miles, directeur des Communications auprès de M. Flaherty à l'époque, et David McLaughlin, chef de cabinet de M. Flaherty au même moment, qui ont recommandé de retenir les services de MacPhie & Company.
Contrat avec le cabinet du ministre pour le Budget de 2007
Les préparatifs en vue du dépôt du budget fédéral de 2007 ont commencé à l'automne 2006. Monsieur Flaherty avait décidé de créer une équipe spéciale chargée du budget. Bill Hourigan, qui avait été chef de cabinet de M. Flaherty lors de son passage au gouvernement de l'Ontario, a été engagé pour diriger le processus budgétaire et mettre sur pied l'équipe. Monsieur McLaughlin, auquel le Ministre avait délégué le pouvoir de passation des marchés, a été prié d'aider à mettre sur pied l'équipe, mais il ne faisait pas partie de cette dernière.
Monsieur Hourigan est entré en fonction comme directeur du Budget en décembre 2006. Il se rappelle cependant avoir assisté à une réunion avec MM. MacPhie et Flaherty avant d'occuper son poste, réunion à laquelle ils ont discuté du budget.
Messieurs Hourigan et McLaughlin ont tous les deux déclaré à mon Bureau que la participation de M. MacPhie à l'équipe budgétaire découlait de ses travaux précédents sur le plan économique. Selon M. Hourigan, le budget devait reposer sur ce plan.
Monsieur Flaherty était d'accord avec son personnel pour dire qu'il était logique que M. MacPhie s'occupe des activités de communication touchant le budget.
Messieurs Hourigan et MacPhie ont tenu plusieurs réunions de suivi en décembre 2006 et janvier 2007. Monsieur McLaughlin a déclaré pour sa part être responsable uniquement des détails administratifs du contrat. Monsieur MacPhie a déclaré à mon Bureau que M. McLaughlin était absent des réunions clés au cours desquelles ont été réglés les détails de la participation de MacPhie & Company à l'équipe budgétaire 2007. Monsieur Flaherty a confirmé que M. Hourigan a engagé M. MacPhie, alors que M. McLaughlin était chargé d'établir le contrat écrit.
Il est incertain quand exactement M. MacPhie a été engagé par entente verbale avec M. Hourigan et quand il a commencé les travaux de communication liés au Budget de 2007. Monsieur MacPhie se souvient d'une rencontre avec M. Hourigan le 10 janvier 2007. Il a quitté cette rencontre en comprenant que les services de sa compagnie étaient requis pour faire partie de l'équipe budgétaire 2007 et commença à travailler sur l'élaboration des tâches et de la structure globale des communications. Des détails additionnels sur son travail ont été confirmés à une réunion du 18 janvier 2007.
Bien que le contrat relevait du pouvoir et du budget du cabinet du Ministre, M. McLaughlin s'est adressé, le 19 janvier 2007, aux fonctionnaires du ministère des Finances responsables des contrats pour obtenir de l'aide afin de préparer le contrat. Ces agents, pour leur part, disent avoir compris que le cabinet du Ministre souhaitait octroyer un contrat de communication d'une valeur de 25 000 à 100 000 $.
Le 22 janvier 2007, un agent des contrats a envoyé à M. McLaughlin des renseignements généraux sur les contrats d'une valeur de 25 000 à 100 000 $ et l'a informé qu'étant donné le grand nombre de fournisseurs de services de communication, il serait difficile de justifier de procéder par fournisseur unique et que ce contrat ferait l'objet d'un examen attentif.
Le 25 janvier 2007, M. McLaughlin a fourni aux agents des contrats une ébauche de justification pour le recours à un fournisseur unique afin d'expliquer la décision d'engager MacPhie & Company. Le 27 janvier 2007, les représentants du ministère ont répondu que la justification de fournisseur unique ne qualifiait pas uniquement MacPhie & Company. Le 6 février 2007, ils ont avisé que le contrat devait faire l'objet d'un processus concurrentiel traditionnel.
De son côté, M. McLaughlin a informé mon bureau qu'il ne comprenait pas pourquoi les agents de contrats du ministère recommandaient au processus concurrentiel pour un contrat qui, dans les faits, avait déjà été accordé. Les représentants du ministère nous ont affirmé que ce n'est qu'à la mi-février qu'ils ont su que le travail avait déjà commencé; après quoi un contrat a été préparé pour MacPhie & Company.
Le sous-ministre du ministère des Finances, M. Rob Wright, m'a affirmé que selon lui, les agents de contrats du ministère ont fourni les conseils appropriés à la lumière de l'information qu'ils avaient à ce moment. Monsieur Wright m'a dit que la décision de procéder par fournisseur unique relevait ultimement du Bureau du ministre et nécessitait un jugement. Il a remarqué qu'un contrat pour le service des communications dans un bureau de ministre engagerait des considérations différentes que dans un ministère.
Monsieur Wright m'a dit que selon lui, la décision du Bureau du ministre était conforme au régime contractuel mais a remarqué que la passation du marché aurait pu être gérée avec plus de transparence. Il n'a pas jugé nécessaire d'en informer le ministre.
Le 2 mars 2007, MM. McLaughlin et MacPhie ont signé le contrat afin « de confirmer l'entente verbale conclue le 25e jour de janvier 2007 ».
Monsieur MacPhie devait fournir des services de communication. Les tâches spécifiées dans le contrat prévoyaient la collaboration dans la planification des communications concernant le budget, la rédaction et la vérification des documents de communication ainsi que liaison et la coordination des communications du budget entre le bureau du ministre et le ministère des Finances. Les travaux devaient se terminer le 20 mars 2007, au coût maximal de 98 580 $, y compris la TPS. En cours de contrat, la société MacPhie & Company a été priée d'effectuer des travaux supplémentaires. Le 29 mars 2007, elle a présenté une facture de 122 430 $ (115 500 $, plus la TPS). Aucune modification écrite n'a été apportée au contrat, mais le travail supplémentaire a fait l'objet de justifications écrites. La facture a été approuvée par M. McLaughlin et les représentants du ministère.
Au cours d'une entrevue, M. Flaherty m'a affirmé que M. Hourigan, en sa qualité de directeur du Budget, était chargé de créer l'équipe spéciale responsable du Budget de 2007. Monsieur Hourigan a recommandé que la société MacPhie & Company soit engagée, et M. Flaherty a approuvé la recommandation. Monsieur Flaherty souligne qu'il avait reçu des commentaires favorables au sujet du rendement de M. MacPhie dans le cadre de contrats antérieurs conclus avec le Groupe d'experts sur le Crédit d'impôt pour la condition physique des enfants ainsi qu'Avantage Canada. Il souligne que M. MacPhie faisait du très bon travail et avait les connaissances et la compréhension nécessaires dans le domaine des communications politiques. Monsieur Flaherty signale qu'après avoir approuvé la recommandation de retenir les services de MacPhie & Company, il n'a joué aucun rôle dans les détails administratifs du contrat.
Monsieur Flaherty m'a dit qu'il n'a pris connaissance des détails du processus de passation des marchés qu'en juillet 2007. Il a exprimé des préoccupations concernant la façon dont le contrat avait été octroyé. À l'époque, il a entrepris un examen des processus d'attribution des contrats dans son cabinet, et plusieurs changements ont été apportés.
Observations générales
Le contrat relatif au budget de 2007 passé entre MacPhie & Company et le cabinet de M. Flaherty a fait l'objet de nombreux commentaires publics, dont une bonne partie portait sur la question de savoir si les procédures fédérales de passation des marchés concernant les contrats par fournisseur unique avaient été respectées. Le comité permanent des Compte publics de la Chambre des communes a tenu des audiences sur ce sujet le 13 mai 2008 mais n'a présenté aucun rapport.
Dès le départ, je tiens à préciser que je n'ai pas le mandat de déterminer si les procédures de passation des marchés du gouvernement fédéral ont été respectées. Bien qu'il y ait un lien entre les objectifs du régime de passation des marchés du gouvernement fédéral et certaines dispositions du Code de 2006, les deux régimes sont, en revanche, tout à fait distincts. En s'en tenant strictement aux procédures de passation des marchés du gouvernement fédéral, le titulaire de charge publique peut éviter de contrevenir au Code de 2006, mais le régime de passation des marchés ne constitue pas une sauvegarde absolue à cet égard. À l'inverse, le simple fait de ne pas se conformer aux exigences du régime de passation des marchés n'implique pas nécessairement qu'il y a eu contravention au Code.
Le régime de passation des marchés est axé sur les processus gouvernementaux dans leur ensemble tandis que le Code de 2006 traite plus particulièrement des interdictions faites aux titulaires de charge publique à titre individuel. De façon générale, les contraventions au Code de 2006 comportent une intention qui n'existe peut-être pas dans le cas du non-respect des procédures de passation des marchés.
Mon rôle consiste à déterminer si M. Flaherty a contrevenu aux dispositions pertinentes du Code de 2006.
En faisant cet examen, je dois analyser la question à savoir si M. Flaherty a contrevenu aux paragraphes 3(7), 22(3), 22(4) ou 22(8) du Code de 2006. Je souligne que ni le paragraphe 3(7) ni le paragraphe 22(3) n'ont été reproduits dans la nouvelle Loi sur les conflits d'intérêts. Je suis donc consciente que mon analyse portant sur ces deux paragraphes n'établira pas de précédent pour l'application future de la Loi.
Évaluation des faits
Pour examiner ces allégations, j'ai dû considérer la nature exacte des relations entre MM. MacPhie et Flaherty. J'ai dû me pencher également sur le processus par lequel le contrat du budget de 2007 a été accordé à MacPhie & Company ainsi que sur le contexte dans lequel il a été accordé, ce qui comprend les circonstances des contrats précédents passés entre M. MacPhie et le ministère des Finances.
Monsieur MacPhie avait déjà effectué du travail pour le ministère des Finances et il était connu du personnel politique de M. Flaherty pour ce travail ainsi que pour du travail politique réalisé avant. Monsieur Flaherty et son personnel estimaient que M. MacPhie avait la compétence voulue et qu'il saisissait bien le caractère délicat et la complexité du travail relatif au budget, qui est très médiatisé. Le personnel de M. Flaherty croyait qu'il en aurait pour son argent. Ces éléments furent l'objet de la justification d'un fournisseur unique pour ce contrat. Bien que les médias ont rapporté que les règles n'avaient pas été suivies, le sous-ministre m'a avisé que selon lui, la décision de procéder par fournisseur unique nécessitait un jugement eu égard à tous les faits pertinents et que dans ce cas particulier la décision était selon les règles.
Monsieur Flaherty a déclaré qu'il savait que cette entreprise avait été proposée pour fournir les services de communications relatifs au budget de 2007 et qu'il avait approuvé cette recommandation et cette évaluation de son personnel. L'entreprise a donc été embauchée avec son consentement. Il n'existe aucune preuve montrant que M. Flaherty ou son personnel ont accordé le contrat à M. MacPhie à titre de traitement de faveur. Bien au contraire, j'estime que la préoccupation première de M. Flaherty et de son personnel était l'avancement efficace du budget de 2007.
Monsieur Hourigan et d'autres membres du personnel du cabinet de M. Flaherty qui ont été interrogés ont dit n'avoir senti aucune pression de la part de M. Flaherty pour retenir les services de MacPhie & Company et qu'ils ne connaissaient personne sur qui pareilles pressions auraient été exercées. Les fonctionnaires du ministère qui ont été consultés concernant le contrat n'avaient eu conscience d'aucune participation de M. Flaherty dans la décision de retenir les services MacPhie & Company ni dans la gestion de ce contrat.
Monsieur Flaherty avait délégué son pouvoir de passation des marchés à son chef de cabinet, M. David McLaughlin. Toutefois, il semble que M. Hourigan, qui venait d'entrer au gouvernement fédéral, a joué un rôle plus important dans les décisions liées au processus du budget de 2007, dont celle d'inviter M. MacPhie à faire partie de l'équipe chargée du budget. Monsieur McLaughlin n'était que chargé du travail administratif.
Il semble que les axes de responsabilité administrative au cabinet de M. Flaherty n'étaient pas clairs au moment de la préparation du budget de 2007, résultant en un manque de rigueur dans la passation du marché pour obtenir les services de M. MacPhie. La possibilité d'erreurs était considérable. Ceci fit en sorte que M. MacPhie a commencé le travail avant qu'un contrat écrit soit en place, contrairement aux procédures de la passation des marchés.
Tous les membres du personnel ministériel qui ont été interrogés ont dit à mon Bureau que les détails administratifs du contrat, dont sa valeur et sa nature de marché à fournisseur unique, n'avaient pas fait l'objet de discussions avec M. Flaherty.
Monsieur MacPhie a également confirmé qu'il n'avait pas parlé des détails du contrat avec M. Flaherty. Les fonctionnaires du ministère qui ont été consultés sur la rédaction du contrat ont dit qu'ils n'avaient pas informé M. Flaherty relativement aux détails du contrat ni au processus contractuel et qu'ils ne connaissaient personne qui l'ait fait.
Monsieur Flaherty m'a dit qu'il n'avait pas participé aux aspects administratifs du contrat. Il a laissé ces détails aux soins de son personnel. Je n'ai trouvé aucune preuve quant au contraire durant mon examen. Monsieur Flaherty a depuis exprimé une préoccupation quant à la façon dont le contrat a été accordé. Il m'a informé que la procédure de passation des marchés par son cabinet avait été examinée et que des changements y avaient été apportés pour éviter que des erreurs se produisent à l'avenir.
Analyse
Traitement de faveur accordé à quiconque : paragraphe 3(7)
Le paragraphe 3(7) du Code de 2006 se lit comme suit :
3. (7) Il [...] est interdit [au titulaire de charge publique] de se prévaloir de sa charge pour venir en aide à une personne physique ou morale, lorsque cela peut donner lieu à un traitement de faveur.
En regard du paragraphe 3(7), il y a deux composantes que l'on doit adresser : celle de savoir si M. Flaherty s'est servi de sa charge pour aider MacPhie & Company et si oui, déterminer si cette aide pouvait donner lieu à un traitement de faveur.
Tel qu'indiqué auparavant dans mon évaluation des faits, je n'ai trouvé aucune preuve que M. Flaherty s'est prévalu de sa charge pour aider M. MacPhie ou son entreprise en lui accordant le contrat du budget de 2007. Bien au contraire, je suis d'avis, après avoir parlé avec M. Flaherty, des membres de son personnel et d'autres témoins, que M. MacPhie a été embauché pour son expérience, ses compétences et, surtout, pour sa compréhension des questions politiques délicates et complexes, lesquelles étaient toutes jugées nécessaires pour mener à bien les activités de communications liées au budget de 2007.
Monsieur Flaherty a donné son accord à l'embauche de cette entreprise, compte tenu notamment du travail qu'elle avait récemment effectué sur l'énoncé économique de l'automne. Je suis consciente que les communications liées au travail budgétaire sont hautement politiques, et encore plus en situation de gouvernement minoritaire. Il serait donc raisonnable de s'attendre à ce que la personne embauchée pour faire ce travail soit quelqu'un qui soit connu pour sa capacité de refléter la démarche politique de M. Flaherty et en qui celui-ci ait pleinement confiance pour le seconder dans les communications relatives au budget. Je suis d'avis que la gestion efficace du budget de 2007 était la raison pour laquelle MacPhie & Company a été retenu et que M. Flaherty n'avait, dans les circonstances, aucunement l'intention d'aider M. MacPhie.
Étant donné que j'ai conclu que M. Flaherty ne s'est pas prévalu de sa charge pour aider M. MacPhie ou son entreprise en accordant le contrat à MacPhie & Company, il n'est pas nécessaire que je détermine si cela à donner lieu à un traitement de faveur dans cette affaire. Déterminer ce que constituerait un traitement de faveur ne serait pas une question à laquelle il serait facile de répondre. Une préférence est toujours le fondement d'un choix pour octroyer à quiconque un contrat. Une préférence en soi n'implique pas toujours une irrégularité. Je note à cet égard que le régime de passation des marchés du gouvernement fédéral envisage lui-même la possibilité de passation de marchés à fournisseur unique dans certaines circonstances.
Bien que je n'aie pas eu à définir le sens de l'expression « traitement de faveur » aux fins du présent rapport, les observations suivantes pourraient être utiles. L'expression n'est pas définie dans le Code de 2006 et le paragraphe 3(7) n'énonce pas non plus les circonstances pouvant constituer un traitement de faveur aux fins dudit paragraphe.
Le paragraphe 3(7) du Code de 2006, dans sa généralité, n'a pas été reproduit dans la Loi sur les conflits d'intérêts en vigueur. Une démarche différente a été adoptée dans la Loi. Seules les interdictions spécifiques touchant le traitement de faveur énoncées à l'article 22 du Code ont été reportées dans la Loi. Au nombre de ces interdictions, on compte l'utilisation de renseignements d'initiés, le fait de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou l'octroi d'un marché à certains membres de sa parenté. L'article 7 de la Loi, le seul article de la Loi où l'on trouve l'expression « traitement de faveur », à l'instar du paragraphe 22(2) du Code, ne traite que de la situation du traitement de faveur accordé à autrui selon l'identité de la personne qui le représente.
L'expression « traitement de faveur » n'est pas employée dans la plupart des régimes provinciaux ou territoriaux. De plus, à l'instar de la Loi sur les conflits d'intérêts fédérale, les régimes de conflits d'intérêts provinciaux et territoriaux ont, pour la plupart, établi des règles particulières plutôt qu'une interdiction générale comme celle énoncée au paragraphe 3(7) du Code de 2006. D'autre part, la loi de l'Ontario, comme c'est le cas pour le Code de 2006, emploie l'expression « traitement de faveur » dans le contexte d'une interdiction générale sans la définir. À ma connaissance, cependant, cela n'a jamais fait l'objet d'une interprétation.
Quoi qu'il en soit, comme il est expliqué plus haut, je suis d'avis que M. Flaherty n'a pas contrevenu au paragraphe 3(7) du Code de 2006 relativement au contrat de MacPhie & Company.
Traitement de faveur accordé à un ami ou à un parent : paragraphes 22(3) et 22(8)
Les paragraphes 22(3) et 22(8) se lisent comme suit :
22. (3) Il est interdit au titulaire d'une charge publique d'accorder, relativement à des questions officielles, un traitement de faveur à des membres de la parenté, à des amis, ou encore à des organismes dans lesquels lui-même, des membres de sa parenté ou ses amis ont des intérêts.
22. (8) Le titulaire d'une charge publique ne peut tenter de se livrer à aucune des activités interdites aux termes des paragraphes (1) à (7).
Le paragraphe 22(3) interdit aux titulaires de charge publique d'accorder, relativement à des questions officielles, un traitement de faveur à des membres de la parenté, à des amis, ou encore à des organismes dans lesquels eux-mêmes, des membres de leur parenté ou leurs amis ont des intérêts. Le paragraphe 22(8) interdit les tentatives d'accorder un traitement de faveur comme il est énoncé au paragraphe 22(3).
Le paragraphe 22(3), comme le paragraphe 3(7), n'a pas été reporté dans la Loi et emploie l'expression non définie « traitement de faveur ». Le paragraphe 22(3) est limité au traitement accordé à des parents ou à des amis, ou à des organismes dans lesquels le titulaire de charge publique, des membres de sa parenté ou des amis ont des intérêts.
Messieurs Flaherty et MacPhie ne sont pas apparentés et je suis d'avis qu'ils ne sont pas des amis au sens du paragraphe 22(3) du Code. Les preuves montrent qu'ils entretiennent des relations de travail politique, mais qu'ils n'ont pas de relations personnelles étroites qui feraient d'eux des amis. Il n'y a pas de preuve non plus qui montre que M. Flaherty ou un des membres de sa parenté ou de ses amis détenaient des intérêts dans MacPhie & Company.
C'est pourquoi je suis d'avis que M. Flaherty n'a pas contrevenu au paragraphe 22(3). En ce qui concerne le paragraphe 22(8) du Code de 2006, je suis aussi d'avis que M. Flaherty n'a pas tenté de se livrer à des activités interdites par le paragraphe 22(3).
Influence : paragraphes 22(4) et 22(8)
Les paragraphes 22(4) et 22(8) du Code prévoient ce qui suit :
22. (4) Le titulaire d'une charge publique ne peut se prévaloir de sa charge pour influencer ou tenter d'influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa parenté ou d'un ami, ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne.
22. (8) Le titulaire d'une charge publique ne peut tenter de se livrer à aucune des activités interdites aux termes des paragraphes (1) à (7).
Le paragraphe 22(4) interdit aux titulaires de charge publique de se prévaloir de leur charge pour influencer ou tenter d'influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser leurs intérêts personnels ou ceux d'un membre de leur parenté ou d'un ami, ou encore, d'une façon indue, ceux de toute autre personne. Le paragraphe 22(8) interdit aux titulaires de charge publique de tenter de se livrer aux activités prohibées au paragraphe 22(4). Comme le paragraphe 22(4) comprend les termes « tenter d'influencer », le paragraphe 22(8) devient en fait redondant.
Je crois que M. Flaherty a accepté la recommandation de son personnel que le contrat du budget de 2007 soit accordé à MacPhie & Company. Les témoins interrogés, tant le personnel ministériel que les fonctionnaires du ministère, ont tous confirmé que M. Flaherty n'avait pas exercé de pression sur eux pour l'embauche de cette entreprise et que, de plus, il n'avait pas demandé que cette entreprise en particulier soit embauchée.
Je suis d'avis que M. Flaherty ne s'est livré à aucune des activités interdites au paragraphe 22(4) et qu'il n'a rien tenté de faire qui soit interdit au paragraphe 22(8) du Code de 2006.
Conclusion
Le présent examen requérait que je me penche sur le processus par lequel MacPhie & Company a obtenu le contrat du budget de 2007, mais non que je détermine si la procédure de passation des marchés a été respectée. Mon mandat consiste à établir s'il y a eu contravention au Code de 2006. J'ai constaté que M. Flaherty n'a pas contrevenu au Code dans cette affaire.
Plusieurs témoins, dont M. Flaherty, ont exprimé une préoccupation au sujet de la façon dont son cabinet applique le processus de passation des marchés. Un manque de rigueur à cet effet a laissé M. Flaherty vulnérable à des allégations selon lesquelles un traitement de faveur aurait été accordé indûment à M. MacPhie. Monsieur Flaherty m'a donné l'assurance que des mesures ont été prises pour que pareille chose ne se produise plus.
Quant à l'application du Code de 2006, pour les raisons énoncées plus haut, j'ai déterminé que M. Flaherty n'a pas contrevenu aux paragraphes 3(7), 22(3), 22(4) ou 22(8) du Code de 2006.
L'honorable James Flaherty, ministre des Finances
M. Mike Giles, chef, Gestion du matériel, ministère des Finances
Mme Kelly Gillis, directrice exécutive, Directorat de la gestion financière, ministère des Finances
M. Bill Hourigan, ancien conseiller principal en politiques du ministre des Finances
Dr Kellie Leitch, présidente du Groupe d'experts sur le crédit d'impôt pour la condition physique des enfants
M. Hugh MacPhie, président de MacPhie & Company Inc.
M. David McLaughlin, ancien chef de cabinet du ministre des Finances
M. Dan Miles, ancien directeur des Communications du ministre des Finances
Mme Colleen Volk, ancienne sous-ministre adjointe de la Direction des services ministériels, ministère des Finances
M. Rob Wright, sous-ministre, ministère des Finances