PRéFACE
La Loi sur les conflits d'intérêts, L.C. 2006, ch.9, art.2 (Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.
Une étude en vertu de la Loi peut être amorcée à la demande d'un parlementaire, conformément à l'article 44 ou par la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, conformément à l'article 45.
Aux termes du paragraphe 44(3) de la Loi, la commissaire doit étudier la question sauf si elle juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La commissaire peut, compte tenu des circonstances, mettre fin à l'étude.
Aux termes du paragraphe 44(7), la commissaire doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions même si elle a mis fin à l'étude. Aux termes du paragraphe 44(8), elle doit en même temps remettre une copie du rapport à l'auteur de la demande ainsi qu'au titulaire ou à l'ex-titulaire de charge public visé par la demande et le rendre accessible au public.
Le 27 octobre 2009, mon bureau a reçu de Mme Martha Hall Findlay, députée de Willowdale, une lettre me demandant d'enquêter sur de présumées contraventions à la Loi sur les conflits d'intérêts (Loi) et au Code régissant les conflits d'intérêts des députés (Code) par le premier ministre, divers ministres ainsi que leurs secrétaires parlementaires et leur personnel ministériel en rapport avec la stratégie de publicité et de communication visant à faire la promotion du Plan d'action économique du gouvernement du Canada.
Mme Hall Findlay alléguait que le premier ministre, le président du Conseil du Trésor, le ministre des Finances, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, le ministre de l'Industrie, le ministre des Ressources naturelles et le ministre du Revenu national ainsi que leurs secrétaires parlementaires avaient dressé une stratégie qui, selon elle, appareillait le Parti conservateur du Canada au gouvernement du Canada. À son avis, comme les intérêts personnels du parti s'en trouvaient favorisés de façon irrégulière, les titulaires de charge publique visés étaient en situation de conflit d'intérêts. Mme Hall Findlay soutenait notamment qu'ils avaient contrevenu à l'article 5, au paragraphe 6(1) et aux articles 7 et 9 de la Loi.
Plus particulièrement, Mme Hall Findlay avançait que ces titulaires de charge publique s'étaient prévalus de leurs fonctions officielles pour dresser une stratégie de publicité et de communication visant la promotion du Plan d'action économique qui adoptait les couleurs, les images, les slogans et des aspects de l'allure générale du Parti conservateur du Canada pour rehausser les perspectives électorales du parti. À l'appui de cette allégation, elle maintenait que la stratégie faisait référence au « gouvernement Harper » et qu'il y avait d'autres éléments de valorisation de la marque du parti dans les publicités radiophoniques et télévisuelles, les communications imprimées et en ligne, les sites et les liens Internet, les lettres officielles ainsi que les annonces de subventions faites avec des chèques surdimensionnés.
Comme Mme Hall Findlay, dans sa demande, identifiait par leur poste seulement ceux qui auraient selon elle contrevenu à la Loi, mon bureau lui a demandé de fournir leurs noms. Dans un courriel envoyé par un membre du personnel de son bureau, elle a nommé les titulaires des postes visés par sa demande. Par ailleurs, ce courriel mentionnait par erreur le nom d'un ministre d'État dont le poste ne figurait pas dans la demande originale de Mme Hall Findlay. Une étude à l'égard de ce ministre d'État n'a pas été poursuivie.
Le 3 novembre 2009, j'ai informé Mme Hall Findlay que sa demande en vertu du Code ne répondait pas aux critères du paragraphe 27(2) du Code. Je l'ai informée par la même occasion que je ne procéderais pas à l'étude prévue par la Loi à l'égard du personnel ministériel non nommé. Mme Hall Findlay n'a pas relancé sa demande aux termes du Code ni sa demande à l'encontre des membres du personnel ministériel aux termes de la Loi.
L'article 44 de la Loi régit les études lancées à la demande d'un parlementaire. Les éléments pertinents de l'article 44 sont les suivants :
44. (1) Tout parlementaire qui a des motifs raisonnables de croire qu'un titulaire ou ex-titulaire de charge publique a contrevenu à la présente loi peut demander par écrit au commissaire d'étudier la question.
(2) La demande énonce les dispositions de la présente loi qui auraient été enfreintes et les motifs raisonnables sur lesquels elle est fondée.
(3) S'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, le commissaire peut refuser d'examiner la question. Sinon, il est tenu de procéder à l'étude de la question qu'elle soulève et peut, compte tenu des circonstances, mettre fin à l'étude.
[...]
(7) Le commissaire remet au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions, même s'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou s'il a mis fin à l'étude en vertu du paragraphe (3).
[...]
Aux termes du paragraphe 44(1), un parlementaire qui a des motifs raisonnables de croire qu'un titulaire ou ex-titulaire de charge publique a contrevenu à la Loi peut demander par écrit à mon bureau d'étudier la question. Aux termes du paragraphe 44(2), la demande doit énoncer non seulement les dispositions qui auraient été contrevenues, mais aussi les motifs raisonnables du parlementaire sur lesquels la demande est fondée.
Aux termes du paragraphe 44(3), la commissaire doit étudier la question soulevée dans une demande conforme présentée par un parlementaire. Elle peut seulement refuser de le faire si elle juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Elle peut cependant, compte tenu des circonstances, mettre fin à l'étude si elle le juge à propos.
Aux termes du paragraphe 44(7), la commissaire doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits ainsi que son analyse de la question et ses conclusions par rapport à une demande d'étude et ce, même si elle juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ou si elle a mis fin à l'étude.
Par lettres envoyées le 30 octobre 2009, j'ai fourni copie de la demande de Mme Hall Findlay au premier ministre ainsi qu'aux ministres et aux secrétaires parlementaires visés. Je leur ai alors demandé de me faire connaître, dans un délai de 30 jours, leurs vues sur les présumées contraventions à la Loi et de décrire leur contribution à l'élaboration de la stratégie de publicité et de communication visant à faire la promotion du Plan d'action économique du gouvernement du Canada.
Le 30 novembre 2009, j'ai reçu une lettre de M. Arthur Hamilton, avocat du Parti conservateur du Canada, qui me fournissait une réponse conjointe au nom du premier ministre, des ministres ainsi que de leurs secrétaires parlementaires nommés dans la demande de Mme Hall Findlay. J'ai aussi reçu directement des lettres supplémentaires de deux titulaires de charge publique visés par la demande.
Vu ma décision de mettre fin à cette étude, aucune autre information fut demandée de la part des individus impliqués dans cette affaire et aucune entrevue ne fut tenue.
On m'a demandé de déterminer si les titulaires de charge publique nommés par Mme Hall Findlay se sont prévalus de leurs fonctions officielles pour dresser une stratégie de publicité et de communication visant à faire la promotion du Plan d'action économique de manière à rehausser les perspectives électorales du Parti conservateur du Canada et par conséquent étaient en situation de conflit d'intérêts. On m'a demandé plus particulièrement de déterminer si ces titulaires de charge publique ont contrevenu à l'article 5, au paragraphe 6(1), à l'article 7 ou à l'article 9 de la Loi. Voici le texte de ces dispositions :
5. Le titulaire de charge publique est tenu de gérer ses affaires personnelles de manière à éviter de se trouver en situation de conflit d'intérêts.
6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.
[...]
7. Il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
9. Il est interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d'influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
[je souligne]
L'existence réelle ou potentielle d'un conflit d'intérêts compte parmi les critères fondamentaux des règles de conduite de l'article 5 et du paragraphe 6(1). Voici comment l'article 4 de la Loi définit le « conflit d'intérêts » :
4. Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
[je souligne]
L'article 9 ne parle pas expressément de « conflit d'intérêts », mais il utilise les termes employés à l'article 4 pour définir le « conflit d'intérêts » lorsqu'il interdit aux titulaires de charge publique de se prévaloir de leurs fonctions officielles pour tenter d'influencer une décision.
Article 5, paragraphe 6(1) et article 9
Dans le contexte de la demande de Mme Hall Findlay, la question relative à l'article 5, au paragraphe 6(1) et à l'article 9 est de savoir si les titulaires de charge publique nommés ont agi de façon qui leur ont fournit la possibilité de « favoriser de façon irrégulière » l'intérêt personnel d'une autre personne, en l'occurrence celui du Parti conservateur du Canada.
Le sens du terme « personne »
La question préjudicielle se pose de savoir si le Parti conservateur du Canada est une « personne » aux fins de ces dispositions.
Le terme « personne » n'est pas défini dans la Loi. En droit, il est conventionnellement admis que le terme « personne » s'entend à la fois d'un particulier (personne physique) et d'une société (personne morale). La Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21 prévoit que, dans tous les textes, le terme « personne » s'entend d'une « personne physique ou morale […] » et que le terme « personne morale » s'entend d'une « entité dotée de la personnalité morale […] » à moins d'intention contraire (paragraphes 35(1) et 3(1)). Je considère qu'il n'y a aucune intention contraire à l'égard des dispositions pertinentes à cette étude. En l'absence d'une autre définition dans la Loi sur les conflits d'intérêts, c'est la définition de la Loi d'interprétation qui s'applique.
Notre recherche révèle que le Parti conservateur du Canada n'est pas une personne morale, mais bien une association non dotée de personnalité morale.
Je note que les partis politiques enregistrés, dont le Parti conservateur du Canada, sont réputés être des « personnes » aux fins de procédures judiciaires et de transactions aux termes de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, art. 504. Il n'y a pas de présomption de ce genre dans la Loi sur les conflits d'intérêts. Je note également qu'il y a des dispositions de la Loi sur les conflits d'intérêts qui s'appliquent à un large éventail d'entités. Elles parlent expressément « d'une personne ou d'un organisme » ou « d'une personne ou entité » (par exemple, les articles 7 et 16 et le paragraphe 35(2)). De façon similaire, la règle de conflit d'intérêts de l'article 8 du Code régissant les conflits d'intérêts des députés, qui est analogue à l'article 4 de la Loi sur les conflits d'intérêts, est de portée plus générale que celle de la Loi pour inclure les « personnes » ou « entités ».
Quoique les raisons de ces différences de portée ne soient pas toujours évidentes, le fait demeure que les organisations ou entités qui ne sont pas des personnes morales ne sont pas visées par l'article 5, le paragraphe 6(1) ou l'article 9 de la Loi.
Parce que le Parti conservateur du Canada n'est pas une personne morale, je conclus donc que le Parti conservateur du Canada n'est pas une « personne » au sens de l'article 4 et que, par conséquent, il échappe à l'application de l'article 5 et du paragraphe 6(1). Il échappe aussi à la portée de l'article 9.
« Intérêt personnel »
Étant donnée ma conclusion, il ne m'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir si le Parti conservateur avait un « intérêt personnel » au sens de la Loi dans le contexte de cette demande. L'intérêt allégué en l'instance est l'amélioration des perspectives électorales du Parti conservateur du Canada. À mon avis, on peut se poser la question à savoir si ces intérêts politiques sont inclus dans la portée du terme « intérêt personnel » au sens de la Loi, mais il ne m'est pas nécessaire de décider de cette question dans le contexte de cette demande. Toutefois, c'est une question importante et je prévois avoir l'occasion d'examiner plus à fond la portée de l'expression « intérêt personnel » dans un avenir rapproché.
Article 7
Mme Hall Findlay allègue aussi dans sa demande que les titulaires de charge publique qu'elle nomme ont contrevenu à l'article 7 de la Loi. Par souci de commodité, voici le texte de cet article :
7. Il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
[je souligne]
L'article 7 n'est pas clair, tant dans sa présentation que dans son intention. Bien que l'article 7 soit le seul article de la Loi qui fait référence du terme « traitement de faveur », sa portée semble être très restreinte. Il interdit d'accorder un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'un représentant, tout probablement un lobbyiste ou conseiller juridique. Cette interprétation est soutenue par le texte de la version française qui utilise les termes « retenu pour représenter». La version anglaise de l'article 7 se lit comme suit :
7. No public office holder shall, in the exercise of an official power, duty or function, give preferential treatment to any person or organization based on the identity of the person or organization that represents the first- mentioned person or organization.
[je souligne]
La version française suggère que le représentant serait une tierce partie retenue ou engagée par une personne ou un organisme spécifiquement pour représenter l'un ou l'autre. La version anglaise ne comprend pas l'équivalent du terme « retenu ». La version française, qui est cohérente avec la disposition de l'ancien Code de 2006, le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat (paragraphe 22(2)), semblerait être l'interprétation appropriée à accorder à cet article.
Contrairement aux dispositions de la Loi examinées auparavant, l'article 7 inclut les « organismes » ainsi que les « personnes ». Bien que le Parti conservateur du Canada semblerait répondre à la définition générale d'un organisme, il n'y a aucune indication qu'un représentant ait été retenu pour le représenter. À mon avis, l'article 7 n'a aucune application dans le contexte de cette demande.
Vu mon analyse, j'interromps cette étude parce que le Parti conservateur du Canada ne constitue pas une « personne » au sens de l'article 4 et que, par conséquent, les titulaires de charge publique nommés n'ont pas pu contrevenir aux règles de conduite substantielles de l'article 5 ou du paragraphe 6(1). Pour des raisons semblables, ils n'auraient pas pu contrevenir à l'article 9. En outre, je constate que l'article 7 ne s'applique pas dans le contexte de cette demande.
Pour ces raisons, cette étude faite aux termes de la Loi sur les conflits d'intérêts est interrompue.