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Rapport Chapman

​​​​​​​​PRéFACE

La Loi sur les conflits d'intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.

Le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique peut entreprendre une étude en vertu de la Loi à la demande d'un parlementaire, ou de son propre chef.

Lorsqu'il est saisi d'une question renvoyée par le commissaire à l'intégrité du secteur public en vertu du paragraphe 24(2.1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, le commissaire peut, s'il a des motifs de croire qu'un titulaire ou ex‑titulaire de charge publique a contrevenu à la Loi, décider d'étudier la question de son propre chef conformément à l'article 45 de la Loi.

Que le commissaire amorce ou non une étude en vertu de l'article 45 de la Loi, si la question a été renvoyée par le commissaire à l'intégrité du secteur public, il doit, conformément à l'article 68 de la Loi, remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions. Il remet également une copie du rapport au titulaire ou à l'ex‑titulaire de charge publique faisant l'objet du rapport ainsi qu'au commissaire à l'intégrité du secteur public. Le rapport est également rendu public, conformément à l'article 68.


SoMMAire

Le présent rapport présente les conclusions de mon étude en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts de la conduite de Mme Marie Chapman, chef de la direction du Musée canadien de l'immigration du Quai 21, une société d'État fédérale.

À la suite du renvoi en octobre 2017 par le Commissariat à l'intégrité du secteur public d'une divulgation, ma prédécesseure a entrepris une étude de son propre chef visant à déterminer si Mme Chapman avait contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi lorsqu'elle a offert un contrat pour un poste à durée déterminée en 2014 à Mme Jennifer Sutherland, une personne qu'on alléguait être son amie, puis l'a nommée à un poste permanent en 2015.

J'ai décidé de poursuivre l'étude lorsque j'ai assumé les fonctions de commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique en janvier 2018.

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.

L'article 21 de la Loi exige que le titulaire de charge publique se récuse concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.

L'article 4 de la Loi précise qu'un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Mme Chapman, à titre de chef de la direction du Musée, exerçait un pouvoir officiel ou une fonction officielle lorsqu'elle a décidé d'offrir à Mme Sutherland le poste à durée déterminée et le poste permanent. Il est également clair que ces décisions favorisaient l'intérêt personnel de Mme Sutherland.

J'ai déterminé que, malgré que Mmes Chapman et Sutherland entretiennent une relation de travail amicale, elles ne sont pas « amies » au sens de l'article 4 de la Loi. Ainsi, Mme Chapman ne s'est pas placée en situation de conflit d'intérêts en favorisant l'intérêt personnel d'une amie. Par ailleurs, elle n'a pas non plus favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel de Mme Sutherland du fait qu'il n'y a rien eu d'irrégulier ni d'inhabituel dans la manière dont ces postes ont été créés, annoncés et pourvus. 

Puisque Mme Chapman ne s'est pas trouvée en situation de conflit d'intérêts, j'ai déterminé qu'elle n'avait aucune obligation de se récuser des décisions liées à l'emploi de Mme Sutherland au Musée.

Par conséquent, j'ai conclu que Mme Chapman n'a contrevenu ni au paragraphe 6(1) ni à l'article 21 de la Loi.

Les préoccupations

Le 19 octobre 2017, le Commissariat à l'intégrité du secteur public du Canada a renvoyé à mon bureau, conformément au paragraphe 24(2.1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, une divulgation qu'il avait reçue. On y soulevait des préoccupations relatives à un conflit d'intérêts impliquant Mme Marie Chapman, chef de la direction du Musée canadien de l'immigration du Quai 21, qui aurait manipulé un processus de dotation afin de nommer une amie, Mme Jennifer Sutherland, au poste de chef, Communications et partenariats. 

le processus

Le 7 novembre 2017, ma prédécesseure, Mme Mary Dawson, a écrit à Mme Chapman à propos du renvoi du Commissariat à l'intégrité du secteur public du Canada pour lui demander des renseignements supplémentaires. Dans une lettre datée du 14 décembre 2017, Mme Chapman a soumis les renseignements demandés et la documentation connexe, et a déclaré qu'en 2014, elle avait aussi offert un contrat pour un poste à durée déterminée à Mme Sutherland, la personne qu'on alléguait être son amie.

Le 5 janvier 2018, Mme Dawson a écrit à Mme Chapman pour l'aviser qu'elle entreprenait une étude conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur les conflits d'intérêts. L'objectif de cette étude était de déterminer si Mme Chapman avait contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi en offrant à Mme Sutherland un contrat pour un poste à durée déterminée en 2014 et en nommant Mme Sutherland de façon permanente au poste de chef, Communications et partenariats, en 2015.

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.

L'article 21 de la Loi exige que le titulaire de charge publique se récuse concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.

L'article 4 de la Loi précise qu'un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

Le 9 janvier 2018, j'ai assumé les fonctions de commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Après avoir pris connaissance du présent cas, j'ai décidé de poursuivre l'étude, ce dont le Commissariat a avisé Mme Chapman le 16 janvier 2018.

Une entrevue a été menée avec Mme Chapman le 16 février 2018. Le Commissariat a interrogé deux autres témoins qui avaient envoyé des documents. Mme Chapman a pu lire la transcription de son entrevue, des extraits de la transcription des deux autres entrevues et d'autres documents pertinents.

Mme Chapman a également eu la possibilité de formuler ses observations à l'égard des sections factuelles du présent rapport (Les préoccupations, Le processus, Les constatations de faits et La position de Mme Chapman) avant que n'en soit établie la version définitive. 

les constatations de faits​

Le Musée canadien de l'immigration du Quai 21

Le Musée canadien de l'immigration du Quai 21 relate dans ses rapports annuels et organisationnels que le Quai 21 à Halifax a été le point d'entrée au Canada de près d'un million d'immigrants entre 1928 et 1971. En 1988, on a établi la Société du Quai 21 comme organisme de bienfaisance sans but lucratif appuyé par un fonds de dotation. L'objectif de la Société du Quai 21 était de transformer le hangar d'immigration en musée. Le Musée de la Société du Quai 21 a ouvert ses portes en 1999. 

Le 7 juin 2010, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-34, Loi constituant un nouveau musée canadien de l'immigration au Quai 21, qui modifiait la Loi sur les musées. Le Musée de la Société du Quai 21 est alors devenu le Musée canadien de l'immigration du Quai 21, premier musée national au Canada atlantique. Les modifications à la Loi sur les musées, entrées en vigueur le 25 novembre 2010, énonçaient les pouvoirs que le Musée canadien de l'immigration du Quai 21 (le Musée) pouvait exercer dans la réalisation de sa mission.

Conformément à la Loi sur les musées, le Musée est une société d'État fédérale. Il est une entité indépendante du gouvernement dans ses activités quotidiennes. Il est dirigé par un conseil d'administration nommé par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre du Patrimoine canadien, et il rend compte de ses activités au Parlement par l'entremise du ministre du Patrimoine canadien. La Loi sur les musées prévoit aussi la nomination d'un directeur qui, à titre de premier dirigeant du musée, assure la direction du Musée et contrôle la gestion de son personnel.

Le Musée est également régi par la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui établit le régime de gouvernance et de responsabilité des sociétés d'État. Bien que le Musée doive se conformer à d'autres lois fédérales, ses employés et ses mesures de dotation ne sont pas régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Le Musée n'est pas non plus visé par les politiques du Conseil du Trésor concernant les employés et la dotation.

Le 4 février 2011, le Musée ouvrait officiellement ses portes. Le 20 octobre 2011, sur recommandation du ministre du Patrimoine canadien et conformément à la Loi sur les musées, Mme Chapman, jusque-là chef de la direction intérimaire, était nommée première titulaire du poste de directeur du Musée canadien de l'immigration du Quai 21 par le gouverneur en conseil, avec le titre de chef de la direction. À sa nomination, Mme Chapman est devenue une titulaire de charge publique principale visée par la Loi sur les conflits d'intérêts.

Les interactions entre Marie Chapman et Jennifer Sutherland

Dans leur témoignage, Mmes Chapman et Sutherland ont dit qu'elles se connaissaient de vue depuis les années 1990, puisqu'elles avaient étudié à la même université et travaillé toutes les deux à des activités de financement à Halifax. Toutefois, elles ne se connaissaient pas vraiment et ne se fréquentaient pas.  

Toutes deux ont dit qu'elles ont réellement fait connaissance en 2003, lorsqu'elles travaillaient au Musée de la Société du Quai 21. À l'époque, Mmes Chapman et Sutherland collaboraient étroitement puisque les campagnes de financement étaient au cœur des responsabilités qui incombaient à chacune.

Les deux ont expliqué que, à cette époque, les membres du personnel du Musée de la Société du Quai 21 travaillaient souvent de longues heures. Mme Chapman a dit qu'elle et Mme Sutherland, avec d'autres employés, se fréquentaient souvent en groupe après le travail en soirée. Mme Sutherland a expliqué que le personnel organisait parfois des dîners-partage les uns chez les autres.

En 2006, Mme Sutherland a quitté le Musée de la Société du Quai 21. Mmes Chapman et Sutherland ont dit que leurs interactions sociales après le départ de Mme Sutherland ont été très limitées. Elles se rappellent s'être vues seulement trois fois entre 2006 et 2008. Mme Sutherland faisait partie des 80 personnes, pour la plupart des collègues, présentes à la pendaison de crémaillère de Mme Chapman. Cette dernière a aussi visité brièvement la nouvelle maison de Mme Sutherland, qui était en cours de rénovations. Enfin, Mme Sutherland a vu Mme Chapman et d'autres anciens collègues à l'occasion d'une fête estivale du personnel, organisée par le premier dirigeant du Musée de la Société du Quai 21 de l'époque.

En 2009, Mme Sutherland était de nouveau à l'emploi du Musée de la Société du Quai 21 après avoir accepté un contrat pour un poste d'une durée d'environ six mois. Mmes Chapman et Sutherland ont toutes deux précisé que leurs interactions sociales pendant les heures de travail étaient minimes à cette époque puisqu'elles travaillent dans des parties différentes de l'immeuble. Les deux ont déclaré que lorsqu'elles se voyaient, c'était à midi, habituellement en compagnie d'un groupe d'employés qui mangeaient régulièrement ensemble et discutaient de projets de vacances, de livres à connaître et de films à voir.

Toujours en 2009, à la fin de son contrat, Mme Sutherland a quitté le Musée de la Société du Quai 21. Elle et Mme Chapman ont dit qu'elles ne s'étaient pas tellement vues après le départ de Mme Sutherland puisqu'elles n'habitaient pas dans le même quartier et toutes deux étaient prises par leur carrière et leur vie privée.

Elles se rappellent s'être vues trois ou quatre fois entre 2010 et 2013. Par exemple, en 2011, elles ont assisté à une activité de financement organisée par une connaissance commune. Toutes deux ont dit qu'elles n'avaient pas manifesté à l'autre leur intention d'y assister. Toutefois, elles ont profité de l'occasion pour prendre des nouvelles l'une de l'autre. En 2013, elles ont dîné ensemble au restaurant et assisté à une conférence en compagnie d'une connaissance commune.

De plus, Mme Sutherland s'est souvenu d'une troisième fois, sans parvenir à se rappeler en quelle année c'était, où Mme Chapman et elle avaient toutes deux été invitées à célébrer l'anniversaire d'une connaissance commune.

Par ailleurs, Mme Sutherland a affirmé qu'elle se faisait un devoir de rester en contact avec plusieurs anciens collègues et non pas seulement Mme Chapman.

Le contrat de Mme Sutherland pour un poste à durée déterminée : avril 2014

À sa création, le Musée canadien de l'immigration du Quai 21 (le Musée) a reçu l'approbation du gouvernement du Canada pour consacrer jusqu'à 24,9 millions de dollars en immobilisations de manière à consolider et agrandir le Musée. Par conséquent, il a été prévu de fermer temporairement le Musée d'octobre 2014 à mai 2015 pendant les travaux. La réouverture était prévue pour mai 2015.

Dans son témoignage, Mme Chapman a dit qu'en mars 2014, elle et la directrice, Marketing, communications et développement, s'inquiétaient du manque d'attention accordée à la planification de la réouverture officielle. Mme Chapman a expliqué qu'elle avait en tête les critiques hautement médiatisées à propos des préparatifs pour l'ouverture officielle du Musée canadien des droits de la personne à Winnipeg.

Par conséquent, Mme Chapman et la directrice, Marketing, communications et développement, ont convenu qu'il fallait créer un poste à durée déterminée pour la planification de la réouverture du Musée. Mme Chapman a décidé que le titulaire du poste s'occuperait aussi d'entretenir les partenariats et les relations avec les intervenants, ce qui, selon le témoignage de Mme Chapman, constituait une priorité pour le conseil d'administration du Musée.

De plus, Mme Chapman a expliqué que la plupart des contrats offerts dans les années suivant la constitution en société d'État du Musée visaient des postes à durée déterminée puisque le Musée n'avait pas encore déterminé quelles divisions nécessiteraient du personnel permanent à long terme.

Elle a ajouté qu'elle et la directrice, Marketing, communications et développement, avaient toutes deux identifié Mme Sutherland comme candidate possible compte tenu de son expérience au Musée de la Société du Quai 21 et dans l'organisation d'activités. En 1999, Mme Sutherland avait planifié l'ouverture officielle du Musée de la Société du Quai 21, de même qu'une grande activité pour la Fondation du Quai 21, en 2009.

De son côté, Mme Sutherland a expliqué qu'en mars 2014, la directrice, Marketing, communications et développement, l'a appelée pour l'informer de l'intention de créer un poste à durée déterminée pour gérer la réouverture du Musée et lui a demandé si elle était disponible et intéressée par le poste. Mme Sutherland a répondu qu'elle serait peut-être intéressée et attendrait que le poste soit affiché. Mme Chapman a témoigné qu'elle n'avait pas parlé à Mme Sutherland de la possibilité de créer d'un poste pour gérer la réouverture du Musée, ce que Mme Sutherland a confirmé.

Au début d'avril 2014, Mme Chapman a envoyé un courriel à Mme Ramya Rangalle, gestionnaire des ressources humaines du Musée, pour lui demander une copie de la description de tâches du poste de directeur, Marketing, communications et développement. Mme Chapman indiquait qu'elle partirait de cette description de tâches pour en créer une nouvelle pour le poste chargé de gérer la réouverture officielle du Musée et toutes les tâches connexes.

Dans son témoignage, Mme Chapman a expliqué que, à titre de chef de la direction, elle est responsable de l'évaluation des descriptions de tâches et de la classification des nouveaux postes au moyen d'un guide interne d'évaluation des postes (le « Canadian Museum of Immigration at Pier 21's Position Evaluation Guide »), habituellement avec l'aide de Mme Rangalle. Ce guide a été rédigé en 2011, quand le Musée est devenu une société d'État. Les postes à durée déterminée et à durée indéterminée sont évalués et classifiés au moyen de ce guide. Tout nouveau poste est comparé à d'autres postes dans l'organigramme et, après évaluation, un niveau de classification lui est attribué en fonction de celui de ces autres postes.

Par ailleurs, Mme Chapman a expliqué qu'étant donné l'urgence d'avoir quelqu'un pour travailler à la réouverture du Musée, elle s'est chargée seule de cet exercice. Le poste de conseiller principal au chef de la direction a été classifié au niveau 8, avec une échelle salariale de 72 650 $ à 98 596 $.

L'évaluation et la classification ont ensuite été envoyées à Mme Rangalle, qui a déclaré que, même si elle n'avait pas participé à l'exercice de classification, le niveau attribué au poste ne lui posait aucun problème puisqu'il y avait des similitudes entre la nouvelle description de tâches et celle du poste de directeur, Marketing, communications et développement. Mme Rangalle a donné plusieurs exemples de cas où Mme Chapman avait évalué et classifié des postes sans son aide.

Du 3 au 14 avril 2014, le poste de conseiller principal au chef de la direction a été affiché sur le site Web du Musée.

Mme Sutherland se rappelle avoir été contactée par Mme Chapman ou la directrice, Marketing, communications et développement, et informée que le poste était affiché sur le site Web du Musée. Mme Rangalle a dit qu'il n'est pas rare qu'un gestionnaire d'embauche contacte des candidats potentiels pour les informer qu'une offre d'emploi est affichée en ligne.

De plus, Mme Rangalle a expliqué que le Musée n'avait aucune directive ou politique écrite sur la dotation. Elle a aussi confirmé que le Musée n'est pas visé par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ni par les directives du Conseil du Trésor à ce sujet.

Mme Chapman et Mme Rangalle ont déclaré toutes deux que certaines offres d'emploi sont seulement affichées à l'interne lorsque le gestionnaire d'embauche estime que le personnel compte des candidats ayant les compétences nécessaires. Si le gestionnaire estime que ce n'est pas le cas, ou si le Musée compte embaucher des employés pour une période déterminée, l'offre est affichée à l'interne et à l'externe sur le site Web du Musée, ou annoncée sur certains sites de recherche d'emplois.   

Le 9 avril 2014, Mme Sutherland a soumis son curriculum vitae à Mme Chapman; elle a été la seule à postuler. Mme Rangalle a expliqué que, puisque le Musée offrait uniquement un contrat pour un poste à durée déterminée et exigeait un ensemble de compétences bien précises, elle n'était pas surprise qu'une seule candidature ait été reçue.

Peu après, Mme Sutherland a rencontré Mme Chapman pour discuter du poste, des tâches et des attentes. Mme Chapman a expliqué que, puisqu'il n'y avait pas eu d'autres candidats, il n'avait donc pas été nécessaire de faire passer une entrevue à Mme Sutherland, surtout compte tenu de son expérience au Musée et du fait qu'elles avaient déjà travaillé étroitement ensemble.

Le 29 avril 2014, Mme Sutherland a reçu une lettre d'offre exposant les conditions du contrat. Elle a accepté l'offre et a commencé à travailler au Musée peu après.

Par ailleurs, Mme Sutherland et Mme Chapman ont affirmé que, depuis le retour de Mme Sutherland au Musée en 2014, elles ne se sont pas fréquentées en dehors des heures de travail. Toutes deux ont également précisé que, même si elles ont les coordonnées personnelles l'une de l'autre, elles ne se contactent pas pour parler de choses privées. Mme Chapman a déclaré qu'en 2014, elle avait vécu des difficultés personnelles et avait choisi de ne pas en parler à ses collègues, y compris Mme Sutherland. Aucun élément de preuve recueilli ne laisse croire que Mme Chapman aurait fait appel à Mme Sutherland à cette époque. 

Le plan de réaménagement de l'effectif du Musée : été 2015

Dans son témoignage, Mme Chapman a expliqué qu'à la mi-2015, les besoins du Musée en matière de personnel étaient plus clairs.

Selon Mme Chapman, on avait relevé des besoins dans la division chargée des communications. En tant qu'entité fédérale, le Musée devait dorénavant s'occuper de questions délicates liées à l'immigration qui exigeaient un niveau d'expertise en communications supérieur à celui dont disposait alors la division. De plus, comme l'a expliqué Mme Chapman, compte tenu de l'importance des partenariats et des relations avec les intervenants, le conseil d'administration avait demandé qu'un poste permanent de cadre supérieur soit créé pour superviser ce travail.

Par conséquent, Mme Chapman, avec l'aide des cadres supérieurs du Musée, a préparé, au cours de l'été 2015, un nouvel organigramme qui a entraîné la restructuration de plusieurs divisions, l'élimination de trois postes et la création de deux postes : chef, Communications et partenariats, poste de cadre supérieur, et coordonnateur, Marketing et marque, poste de niveau intermédiaire.

Selon Mme Chapman, peu avant la mise en œuvre du plan de restructuration de l'effectif, le premier ministre de l'époque, Stephen Harper, a déclenché les élections fédérales qui allaient se tenir en octobre 2015. Mme Chapman a expliqué que, conformément à la convention de transition qui existe au Canada, les projets de restructuration ont été suspendus pour la durée de la campagne électorale.

La nomination de Mme Sutherland au poste de chef, Communications et partenariats : novembre 2015

Au début de novembre, une fois achevée la description de tâches pour le poste de chef, Communications et partenariats, Mme Chapman a évalué le poste au moyen du guide d'évaluation et l'a classifié au niveau 9, avec une échelle salariale de 106 900 $ à 125 700 $.

Dans son témoignage, Mme Chapman a expliqué qu'étant donné la lourde charge de travail de Mme Rangalle à la suite de la restructuration de l'effectif, elle ne lui avait pas demandé de l'aider dans l'évaluation et la classification du poste. Mme Rangalle a déclaré que le niveau attribué au poste ne lui posait aucun problème.

Le 6 novembre 2015, l'annonce du poste de chef, Communications et partenariats, a été affichée à l'interne et envoyée par voie électronique à tout le personnel, conformément aux pratiques du Musée. Le poste a été affiché jusqu'au 20 novembre 2015.

Dans son témoignage, Mme Chapman a dit qu'elle considérait Mme Sutherland comme une candidate potentielle, mais qu'elle ne savait pas ce que cette dernière comptait faire à la fin de son contrat ni si elle voudrait un poste permanent.

Le 17 novembre 2015, Mme Sutherland a remis son curriculum vitae à Mme Chapman. Mme Chapman a expliqué qu'il n'avait pas été nécessaire de faire passer une entrevue à Mme Sutherland puisqu'elle était la seule candidate et, étant d'anciennes collègues, elle savait que Mme Sutherland répondait à toutes les exigences du poste. Le 23 novembre 2015, Mme Sutherland a reçu la lettre d'offre pour le poste de chef, Communications et partenariats, et accepté l'offre.

Dans son témoignage, Mme Rangalle a expliqué qu'à titre de gestionnaire des ressources humaines, elle n'avait reçu aucune plainte de la part du personnel à propos de la nomination de Mme Sutherland au poste de chef, Communications et partenariats. ​

la position de mme CHAPMAN

Dans son témoignage, Mme Chapman a affirmé que, même si elle aime travailler et passer du temps avec Mme Sutherland, elle décrirait leur relation comme celle de collègues amicales. Mme Chapman ne considère pas qu'elle et Mme Sutherland sont des amies proches puisqu'elles ne prennent aucune part dans la vie privée l'une de l'autre, et puisque leurs interactions ont coïncidé principalement avec les périodes où elles ont travaillé ensemble.

Selon Mme Chapman, sa relat​ion avec Mme Sutherland n'est pas différente de celle qu'elle entretient avec plusieurs autres employés du Musée avec qui elle travaille depuis longtemps.

De plus, Mme Chapman a expliqué qu'elle se fait un devoir de garder le contact avec d'anciens collègues avec qui elle avait aimé travailler au fil des années et qui l'avaient impressionnée par leur dévouement et leurs contributions au milieu de travail. Selon Mme Chapman, Mme Sutherland en fait partie. 

ANALYSe et CONCLUSION

Analyse

Dans le cadre de cette étude, je dois déterminer si Mme Chapman, à titre de chef de la direction du Musée canadien de l'immigration du Quai 21 (le Musée), a contrevenu au paragraphe 6(1) ou à l'article 21 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) en prenant les décisions d'offrir à Mme Sutherland, qu'on a allégué être son amie, un poste à durée déterminée en avril 2014 puis un poste permanent en novembre 2015.

Prise de décision : paragraphe 6(1)

Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision qui le placerait en situation de conflit d'intérêts. En voici le libellé :

6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.

L'article 4 de la Loi décrit les circonstances dans lesquelles un titulaire de charge publique serait en situation de conflit d'intérêts au sens du paragraphe 6(1) de la Loi. En voici le libellé :

4. Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

La preuve recueillie dans le cadre de la présente étude démontre clairement que Mme Chapman, à titre de chef de la direction du Musée, exerçait un pouvoir officiel ou une fonction officielle lorsqu'elle a décidé d'offrir à Mme Sutherland un poste à durée déterminée en 2014 puis un poste permanent en 2015.

Étant donné que ces décisions favorisaient clairement l'intérêt personnel de Mme Sutherland, il reste à déterminer si Mme Chapman s'est trouvée en situation de conflit d'intérêts au sens de l'article 4 de la Loi en favorisant l'intérêt personnel d'une amie, ou, si elles ne sont pas amies, en favorisant de façon irrégulière celui d'une autre personne.

Dans Le rapport Watson, ma prédécesseure, Mme Dawson, a interprété le terme « ami » pour les besoins de la Loi comme désignant « une personne avec laquelle on a des liens personnels depuis un certain temps au-delà de la simple association ». Selon elle, l'interdiction énoncée au paragraphe 6(1) de la Loi vise les personnes qui ont un étroit lien d'amitié, un sentiment d'affection ou un lien spécial avec le titulaire de charge publique. Elle ne vise pas, à son avis, les connaissances d'un large cercle social ni les partenaires d'affaires.

Mme Chapman et Mme Sutherland m'ont semblé crédibles et cohérentes dans la description que chacune a donnée de leurs interactions. Leur témoignage quant aux processus de dotation est également corroboré par la preuve documentaire recueillie et le témoignage de Mme Rangalle.

Selon les éléments de preuve recueillis, en tant que collègues, Mmes Chapman et Sutherland se fréquentaient principalement à l'heure du midi au Musée avec d'autres collègues. Elles avaient certes des intérêts communs, notamment la littérature et les arts, mais la preuve a démontré qu'elles ne se voyaient que très rarement en dehors des heures de travail. Par ailleurs, lors de ces quelques occasions où elles se sont vues, c'était principalement en groupe et à des activités organisées par des connaissances communes. Même si elles se connaissaient depuis des années, Mme Sutherland ne s'était rendue qu'une seule fois au domicile de Mme Chapman, là encore dans le contexte d'une rencontre sociale en groupe avec d'autres collègues de ce qui était à l'époque le Musée de la Société du Quai 21.

La preuve démontre également que Mmes Chapman et Sutherland ne se sont jamais téléphoné pour des raisons personnelles et qu'elles n'ont eu aucun contact sur les réseaux sociaux. Toutes deux ont témoigné qu'elles ne discutaient pas de sujets intimes et ne faisaient pas appel à l'autre en cas de difficultés personnelles. La relation personnelle entre Mme Chapman et Mme Sutherland découlait de leurs interactions professionnelles et ne s'étendait que bien peu au‑delà de ce contexte.

Pour ces raisons, je suis d'avis que, malgré que Mmes Chapman et Sutherland entretiennent une relation de travail amicale, elles ne sont pas « amies ». Je dois donc poursuivre mon analyse de l'article 4 de la Loi afin de déterminer si Mme Chapman a favorisé « de façon irrégulière » l'intérêt personnel d'une autre personne, en l'occurrence Mme Sutherland. 

Dans son témoignage, Mme Rangalle a expliqué que, à l'époque où les postes ont été offerts à Mme Sutherland, le Musée n'avait aucune directive ou politique écrite concernant la dotation. Mme Rangalle a également confirmé que le Musée n'est ni visé par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ni par les politiques du Conseil du Trésor sur la dotation.

La preuve démontre que diverses pressions internes et externes, provenant notamment du conseil d'administration, justifiaient amplement la création de chacun des deux postes faisant l'objet de mon étude.

Le Musée n'avait pas de directive ni de politique écrite sur la dotation, mais Mmes Chapman et Rangalle ont décrit dans leur témoignage le processus suivi par le Musée pour créer et pourvoir un poste.​

À titre de chef de la direction, Mme Chapman était responsable d'évaluer les descriptions de tâches et de déterminer la classification de tous les postes au moyen du guide interne d'évaluation des postes (le « Canadian Museum of Immigration at Pier 21's Position Evaluation Guide »), y compris les postes attribués en 2014 et en 2015 à Mme Sutherland.

Il est vrai que Mme Chapman a procédé seule à cet exercice en 2014 et en 2015, mais Mme Rangalle a précisé que ce n'était pas inhabituel. Mme Rangalle a donné d'autres exemples où Mme Chapman avait évalué et classifié seule de nouveaux postes au Musée. De plus, Mme Rangalle a ajouté que lorsqu'elle avait reçu les évaluations et les classifications de Mme Chapman, celles-ci ne lui avaient causé aucune préoccupation.

Le poste à durée déterminée de 2014 a été affiché à l'externe pendant une dizaine de jours. Mme Sutherland se souvient d'avoir été contactée par la directrice, Marketing, communications et développement, à propos de l'affichage externe, mais Mme Rangalle a expliqué qu'il n'était pas inhabituel qu'un gestionnaire d'embauche contacte des candidats potentiels à propos d'une offre d'emploi au Musée. 

Le poste permanent en 2015 a été annoncé à l'interne, auprès du personnel du Musée, pendant une quinzaine de jours. Mmes Chapman et Rangalle ont toutes deux expliqué que les offres d'emploi sont affichées à l'interne lorsque le gestionnaire d'embauche estime que le personnel compte des candidats répondant aux exigences.

À mon avis, il n'y a rien eu d'irrégulier ni d'inhabituel dans la manière dont ces postes ont été créés, annoncés et pourvus.

Par conséquent, Mme Chapman n'a pas favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel de Mme Sutherland en décidant de lui offrir le poste à durée déterminée en 2014, puis le poste permanent en 2015.

Je conclus, pour ces motifs, que Mme Chapman n'a pas favorisé l'intérêt personnel d'une amie ni favorisé de façon irrégulière l'intérêt personnel de toute autre personne et par conséquent, elle ne se trouvait pas en situation de conflit d'intérêts à l'égard des décisions ayant mené à l'embauche de Mme Sutherland.

Devoir de récusation : article 21

L'article 21 de la Loi impose au titulaire de charge publique l'obligation de se récuser dans certaines situations. En voici le libellé :

21. Le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.

La preuve recueillie dans le cadre de la présente étude démontre clairement que Mme Chapman, à titre de chef de la direction du Musée, exerçait un pouvoir officiel ou une fonction officielle lorsqu'elle a participé aux discussions et pris les décisions ayant mené à l'embauche de Mme Sutherland en 2014 et en 2015.

J'ai déjà conclu dans mon analyse en fonction du paragraphe 6(1) de la Loi que Mme Chapman n'était pas en situation de conflit d'intérêts en ce qui concerne ses décisions d'offrir les postes à Mme Sutherland.

Ainsi, pour les mêmes raisons que celles exprimées dans mon analyse en fonction du paragraphe 6(1), c'est-à-dire l'absence de conflit d'intérêts, je conclus que Mme Chapman n'était pas tenue de se récuser conformément à l'article 21 concernant les discussions ou décisions sur l'embauche de Mme Sutherland par le Musée.

Conclusion

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que Mme Chapman n'a contrevenu ni au paragraphe 6(1) ni à l'article 21 de la Loi. ​

annexe : LISTe des témoins

Les noms de tous les témoins sont énumérés ci-dessous en fonction des organisations dont ils relevaient au moment des faits qui font l'objet du présent​​ rapport.

Entrevues / renseignements et documents d​​​emandés

Musée canadien de l'immigration du Quai 21

  • Ramya Rangalle, Gestionnaire des ressources humaines
  • Jennifer Sutherland, Chef, Communications et partenariats​​


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