Préface
La Loi sur les conflits d'intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.
Une étude en vertu de la Loi peut être amorcée à la demande d'un parlementaire, ou par le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique de son propre chef.
Lorsqu'une étude a été amorcée à la demande d'un parlementaire, aux termes de l'article 44 de la Loi, le commissaire doit étudier la question dont il est saisi sauf s'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Le commissaire peut, compte tenu des circonstances, mettre fin à l'étude.
Le commissaire doit remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions même s'il a mis fin à l'étude. Il doit en même temps remettre une copie du rapport à l'auteur de la demande ainsi qu'au titulaire de charge publique ou à l'ex‑titulaire de charge publique visé par la demande et le rendre accessible au public.
Je signale par le présent rapport l'interruption de l'étude, commencée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts, de la conduite de M. Bruce Carson, ancien conseiller principal au Cabinet du premier ministre.
Il avait été allégué que M. Carson aurait contrevenu à l'article 33 de la Loi en tentant d'exercer son influence pour faire approuver le financement fédéral de l'achat de systèmes de filtration d'eau dans les réserves autochtones, afin que sa petite amie de l'époque puisse obtenir des commissions avantageuses sur leur vente. L'article 33 interdit à tout ex-titulaire de charge publique d'agir de manière à tirer un avantage indu de sa charge antérieure.
L'étude avait été lancée par ma prédécesseure en avril 2011. En novembre de la même année, elle a été suspendue, comme l'exige la Loi, après que la GRC ait ouvert une enquête criminelle sur la conduite de M. Carson à l'égard du même objet. Cette enquête a mené à une accusation de trafic d'influence en vertu du Code criminel. Comme l'exige la Loi, l'étude est demeurée suspendue jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise quant à l'accusation, dans ce cas par la Cour suprême du Canada le 23 mars 2018.
À la suite des procédures judiciaires, tous les faits pertinents liés aux activités d'après-mandat de M. Carson ont été rendus publics, et la Cour suprême du Canada a traité la question de façon définitive. Il n'est donc plus nécessaire de consacrer davantage de fonds publics à la poursuite de cette étude.
Le 12 mars 2011, le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique (Commissariat) a reçu une lettre de M. Ray Novak, secrétaire principal à l'époque au Cabinet du premier ministre, le très honorable Stephen Harper, demandant qu'une étude soit menée sur la conduite de M. Bruce Carson, ancien conseiller principal au Cabinet du premier ministre. La lettre de M. Novak précisait que la demande d'étude au sujet de M. Carson était envoyée au nom et à la demande du premier ministre.
Selon cette lettre, M. Carson avait tenté d'agir de manière à tirer un avantage de son poste antérieur, en contravention à l'article 33 de la Loi sur les conflits d'intérêts. Les renseignements étant incomplets, le Commissariat a demandé des renseignements supplémentaires au Cabinet du premier ministre tout en notant que, selon des articles médiatiques, M. Harper avait aussi déposé une demande d'enquête à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à l'égard du même objet.
Le 22 mars 2011, le Commissariat a reçu une nouvelle demande, plus précise, de la part de M. Dimitri Soudas, alors directeur des communications au Cabinet du premier ministre. M. Soudas rapportait avoir été mis au courant d'échanges de courriels à l'initiative de M. Carson auprès d'autorités ministérielles à Affaires indiennes et du Nord Canada, comme le ministère s'appelait à l'époque. Selon M. Soudas, ces courriels et d'autres documents tendaient à démontrer que M. Carson tentait d'utiliser son influence pour faire approuver des fonds gouvernementaux fédéraux afin de faire acheter des systèmes de filtration d'eau sur les réserves autochtones, permettant ainsi à sa petite amie de toucher une commission avantageuse sur la vente de ces appareils. La lettre de M. Soudas précisait que M. Carson avait contacté deux ministres au sujet de la vente de ces appareils de traitement de l'eau.
L'article 33 de la Loi interdit à tout ex-titulaire de charge publique d'agir de manière à tirer un avantage indu de sa charge antérieure.
Le Commissariat a conclu que la demande satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 44(2) de la Loi, ce qui a déclenché l'étude de la question qu'elle soulevait.
Le 1er avril 2011, le Commissariat a entrepris une étude conformément à l'article 44 de la Loi. Le Commissariat a écrit à M. Carson pour l'en informer et lui faire savoir que le motif de l'étude était de déterminer s'il avait contrevenu à l'article 33 de la Loi. Le Commissariat lui a demandé de fournir, par écrit, tout document en sa possession ayant trait à la question et ses commentaires.
Le Commissariat a reçu une première réponse de M. Carson le 18 avril 2011, et a mené une entrevue avec lui le 3 mai 2011. À la suite de l'entrevue, M. Carson a fourni des renseignements et documents supplémentaires au cours des mois de mai et juin 2011.
Le Commissariat a demandé et obtenu des documents de diverses sources entre avril et novembre 2011 et, durant cette période, a mené huit entrevues avec d'autres témoins.
Le 14 novembre 2011, le Commissariat a reçu un avis de la GRC indiquant qu'elle faisait enquête en vertu du Code criminel sur la conduite de M. Carson faisant l'objet de la présente étude.
En vertu de l'alinéa 49(1)b) de la Loi, le Commissariat doit suspendre sans délai son étude lorsqu'il découvre qu'une enquête est menée à l'égard de l'objet de l'étude. L'article 49 énonce ce qui suit :
49 (1) Le commissaire suspend sans délai l'étude visée aux articles 43, 44 ou 45 si, selon le cas :
a) il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire ou l'ex-titulaire de charge publique en cause a commis, relativement à l'objet de l'étude, une infraction à une loi fédérale, auquel cas il en avise l'autorité compétente;
b) l'on découvre que l'objet de l'étude est le même que celui d'une enquête menée dans le but de décider si une infraction visée à l'alinéa a) a été commise, ou qu'une accusation a été portée à l'égard du même objet.
(2) Il ne peut poursuivre l'étude avant qu'une décision définitive n'ait été prise relativement à toute enquête ou à toute accusation portant sur le même objet.
Le Commissariat a donc suspendu l'étude en cours et, le 17 novembre 2011, en a avisé M. Carson.
L'enquête de la GRC traitait aussi de la question à savoir si M. Carson tentait d'utiliser son influence pour faire approuver des fonds gouvernementaux fédéraux afin de faire acheter des systèmes de filtration d'eau sur les réserves autochtones, permettant ainsi à sa petite amie de toucher une commission avantageuse sur la vente de ces appareils. Cette enquête de la GRC a mené à des accusations criminelles de trafic d'influence en vertu de l'alinéa 121(1)d) du Code criminel, qui énonce ce qui suit :
121 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :
[…]
d) ayant ou prétendant avoir de l'influence auprès du gouvernement ou d'un ministre du gouvernement, ou d'un fonctionnaire, exige, accepte ou offre, ou convient d'accepter, directement ou indirectement, pour lui-même ou pour une autre personne, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie d'une collaboration, d'une aide, d'un exercice d'influence ou d'un acte ou d'une omission concernant :
(i) soit une chose mentionnée aux sous-alinéas a)(iii) ou (iv),
(ii) soit la nomination d'une personne, y compris lui-même, à une charge;
Le dossier a été entendu à la Cour supérieure de l'Ontario les 14 et 15 mars 2015. Dans un jugement rendu le 17 novembre 2015, M. Carson a été acquitté (R. c. Carson, 2015 ONSC 7127).
À la suite de l'acquittement de M. Carson, la Couronne a interjeté appel de la décision de la Cour supérieure de l'Ontario. La cause en appel a été entendue le 12 octobre 2016 et la Cour d'appel de l'Ontario a rendu sa décision le 17 février 2017 (R. c. Carson, 2017 ONCA 142), annulant l'acquittement de M. Carson et le déclarant coupable de trafic d'influence.
Dans son jugement, la Cour d'appel de l'Ontario a écrit qu'au cours de son procès, M. Carson avait admis avoir de l'influence et avoir exigé un bénéfice pour sa petite amie, qui travaillait pour le vendeur de systèmes de filtration d'eau H2O Professionals Inc., en échange de l'influence qu'il exercerait en faveur de la compagnie.
M. Carson a porté la décision en appel à la Cour suprême du Canada. La cause a été entendue le 3 novembre 2017. Dans son arrêt du 23 mars 2018, la Cour suprême du Canada a maintenu le verdict de culpabilité de M. Carson (R. c. Carson, 2018 CSC 12).
Le 13 avril 2018, le Commissariat a avisé M. Carson de la reprise de l'étude que le Commissariat avait entreprise le 1er avril 2011 et suspendue le 14 novembre 2011.
Le paragraphe 44(3) de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), reproduit ci‑dessous, permet au commissaire, compte tenu des circonstances, de mettre fin à une étude entreprise à la demande d'un parlementaire :
44 (3) S'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, le commissaire peut refuser d'examiner la question. Sinon, il est tenu de procéder à l'étude de la question qu'elle soulève et peut, compte tenu des circonstances, mettre fin à l'étude.
Le paragraphe 44(7) de la Loi précise que le commissaire, lorsqu'il décide qu'une étude sera interrompue conformément au paragraphe 44(3), doit publier un rapport :
44 (7) Le commissaire remet au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions, même s'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou s'il a mis fin à l'étude en vertu du paragraphe (3).
Je dois donc déterminer, compte tenu des circonstances, s'il y a lieu d'interrompre l'étude relative à l'après-mandat de M. Carson.
La notion des « circonstances » d'une affaire a été interprétée de manière large et, dans le domaine du droit administratif, comprend des considérations qui relèvent de l'intérêt public, comme le fait de savoir si une autre juridiction a déjà déterminé l'issue de l'affaire, la finalité de cette décision et l'opportunité d'utiliser des ressources publiques pour poursuivre une enquête à l'égard d'une plainte qui est essentiellement la même.
La présente étude a été suspendue, puisque son objet était le même que celui d'une enquête ayant mené à une accusation criminelle. Conformément au paragraphe 49(2) de la Loi, la question est demeurée suspendue jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue quant à l'accusation, dans ce cas par la Cour suprême du Canada le 23 mars 2018.
Par suite de la procédure judiciaire, au cours de laquelle on a étudié la même question que celle de l'étude entreprise en vertu de la Loi, tous les faits pertinents liés aux activités d'après-mandat de M. Carson, qui avaient au départ donné lieu à la demande d'étude par le parlementaire en vertu de la Loi il y a plus de sept ans, ont été rendus publics. En outre, la Cour suprême du Canada a statué sur le même objet dans l'affaire susmentionnée, ayant maintenu le verdict de culpabilité de trafic d'influence à l'égard de M. Carson, une infraction à l'alinéa 121(1)d) du Code criminel.
Je suis d'avis que, compte tenu des circonstances, il est dans l'intérêt public de mettre fin à la présente étude, la Cour suprême du Canada ayant traité de façon définitive le même objet que celui de l'étude. Il n'est donc plus nécessaire d'y consacrer davantage de ressources publiques, en particulier compte tenu du verdict de culpabilité rendu contre M. Carson.
Conclusion
Pour ces raisons, cette étude en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts est interrompue au titre du paragraphe 44(3) de la Loi.