PRéFACE
La Loi sur les conflits
d’intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi) est entrée en
vigueur le 9 juillet 2007.
Une étude en vertu de la Loi peut
être amorcée à la demande d’un parlementaire, conformément au paragraphe 44(1)
de la Loi, ou par la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique (la
commissaire) de son propre chef, conformément au paragraphe 45(1) de la
Loi.
Quand une étude est amorcée par la
commissaire, de son propre chef, en vertu de l’article 45, à moins que
l’étude ne soit interrompue, la commissaire doit, conformément au paragraphe 45(3),
remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la
question et ses conclusions à la suite de l’étude. Le paragraphe 45(4)
prévoit que la commissaire doit en même temps remettre un double du rapport au
titulaire ou à l’ex-titulaire de charge publique visé, et rendre le rapport
accessible au public.
Lorsque la commissaire est saisie
d’une question renvoyée par le commissaire à l’intégrité du secteur public en
vertu du paragraphe 24(2.1) de la Loi sur la protection des
fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, elle peut, si elle a
des raisons de croire qu’un titulaire ou extitulaire de charge publique a
contrevenu à la Loi, décider d’étudier la question de son propre chef en vertu
de l’article 45 de la Loi.
Que la commissaire amorce ou non une
étude en vertu de l’article 45 de la Loi, elle doit, conformément à
l’article 68 de la Loi, remettre au premier ministre un rapport énonçant
les faits, son analyse de la question et ses conclusions si elle est saisie
d’un renvoi du commissaire à l’intégrité du secteur public. Elle remet
également une copie du rapport au titulaire ou à l’ex-titulaire de charge publique
faisant l’objet du rapport ainsi qu’au commissaire à l’intégrité du secteur
public. Enfin, le rapport est rendu public.
Le présent rapport énonce les conclusions de mon étude menée en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à la conduite de M. Ian Bennett, au moment où il était directeur général et premier dirigeant de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie), concernant des cadeaux qu'il a reçus de la part de Brinks Canada. La question a été soulevée dans une divulgation qui m'a été renvoyée par le commissaire à l'intégrité du secteur public.
En février 2014, Brinks Canada a organisé un dîner pour souligner la retraite de M. Bennett de la Monnaie et lui a remis un modèle réduit d'un navire ressemblant au Bluenose, navire figurant sur la pièce de 10 cents canadienne. Selon les allégations, M. Bennett aurait contrevenu à l'article 11 de la Loi en acceptant les cadeaux, soit le dîner et le modèle réduit du navire. Cet article interdit aux titulaires de charge publique d'accepter un cadeau qui pourrait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer le titulaire dans l'exercice de ses fonctions officielles.
Brinks Canada, qui offre des services de transport par véhicules blindés, ainsi que des services de traitement du numéraire et de la monnaie, est un intervenant et un fournisseur de longue date de la Monnaie. En novembre 2013, au moment de l'invitation, plusieurs contrats en vigueur étaient en cours de négociation entre les deux organisations, dont un que M. Bennett a signé quelques jours après le dîner de retraite.
Même s'il se peut que le dîner et le modèle réduit du navire aient réellement été donnés en reconnaissance de la carrière de M. Bennett et pour souligner sa retraite après une bonne relation d'affaires de longue date, M. Bennett a accepté ces cadeaux dans le contexte de cette relation d'affaires continue. Je remarque qu'aucun autre fournisseur n'a pris part à quelconque célébration de la retraite de M. Bennett.
Il se peut très bien que M. Bennett ait considéré que ces cadeaux étaient uniquement liés à sa retraite, même si sa retraite n'a eu lieu que quatre mois plus tard, et qu'il n'ait pas fait le lien avec les obligations que lui impose la Loi. Cependant, un titulaire de charge publique a l'obligation générale d'éviter d'accepter des cadeaux de la part d'intervenants, et cette obligation comprend l'interdiction relative aux cadeaux. Cette obligation demeure valide et doit être prise en considération.
La position de M. Bennett est que ces cadeaux n'auraient pu influencer sa décision de signer le contrat ou de faire affaire avec Brinks Canada. Toutefois, le critère d'acceptabilité ne repose pas sur les perceptions du titulaire de charge publique qui reçoit le cadeau ou de la personne offrant le cadeau. Il faut plutôt déterminer si, dans les circonstances entourant le cadeau, il pourrait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer le titulaire de charge publique.
Étant donné que M. Bennett a accepté les cadeaux du modèle réduit du navire et du dîner de la part de Brinks Canada dans le contexte d'une relation d'affaires continue où des contrats existent entre la Monnaie et Brinks Canada, j'ai conclu que ces cadeaux pouvaient raisonnablement donner à penser qu'ils ont été donnés pour l'influencer dans l'exercice de ses fonctions officielles.
J'ai tenu compte des exceptions prévues au paragraphe 11(2) de la Loi afin de déterminer si elles pourraient s'appliquer et j'ai conclu que cela n'était pas le cas. En particulier, je n'ai trouvé aucun élément de preuve me portant à croire que M. Bennett entretenait des liens d'amitié avec l'une ou l'autre des personnes participant au dîner.
Par conséquent, j'ai conclu qu'en acceptant les cadeaux de la part de Brinks Canada, M. Bennett a contrevenu à l'article 11 de la Loi.
Le 15 octobre 2015, le commissaire à l'intégrité du secteur public m'a renvoyé, conformément au paragraphe 24(2.1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, une divulgation protégée que son bureau avait reçue. La divulgation soulevait des préoccupations relativement à la participation de M. Ian Bennett, ex‑directeur général et premier dirigeant de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie), à un dîner organisé par Brinks Canada en son honneur, afin de souligner son départ prochain à la retraite et de le remercier pour les affaires et les relations des dernières années. Selon l'allégation, ce dîner aurait été organisé dans le but d'influencer la prise de décision de M. Bennett relativement à un contrat que la Monnaie négociait avec Brinks Canada.
Selon l'article 68 de la Loi sur les conflits d'intérêts, je suis tenue de préparer un rapport et de le rendre public lorsque je suis saisie d'une question renvoyée par le commissaire à l'intégrité du secteur public.
Le 21 octobre 2015, j'ai écrit à M. Ian Bennett pour lui faire part de mes préoccupations quant à l'information reçue du commissaire à l'intégrité du secteur public et lui demander d'autres renseignements. J'ai reçu une réponse ainsi que des documents de la part de M. Bennett le 18 novembre 2015. Après avoir pris connaissance de ces documents et des renseignements additionnels recueillis par le Commissariat, j'ai décidé de procéder à une étude conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
J'ai écrit à M. Bennett le 11 janvier 2016 pour l'en informer et je lui ai fait part des motifs qui me portaient à croire qu'il pourrait avoir contrevenu au paragraphe 11(1) de la Loi parce qu'il avait accepté une invitation à dîner et un cadeau de la part de Brinks Canada.
Aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi, il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accepter un cadeau ou autre avantage qui pourrait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer le titulaire dans l'exercice de ses fonctions officielles. J'ai demandé à M. Bennett de me fournir d'autres documents et renseignements factuels pour mon étude et j'ai reçu des documents complémentaires de la part de l'avocat de M. Bennett le 10 février 2016.
Une première entrevue avec M. Bennett a eu lieu le 11 février 2016. Le 4 octobre 2016, après avoir interviewé trois témoins et reçu de la documentation additionnelle, le Commissariat a procédé à une deuxième entrevue. L'avocat de M. Bennett était présent aux deux entrevues. Avant de procéder à la deuxième entrevue, M. Bennett et son avocat ont eu l'occasion de lire la transcription de la première entrevue, des extraits des transcriptions de trois entrevues de témoins et d'autres documents pertinents.
Conformément à la pratique que j'ai établie, nous avons donné à M. Bennett et à son avocat la possibilité de commenter l'ébauche des sections factuelles du présent rapport avant de le finaliser, soit les sections intitulées Les préoccupations, Le processus, Les constatations de faits et La position de M. Bennett.
Contexte
Monsieur Ian Bennett a été nommé directeur général, premier dirigeant et président de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie) conformément à la Loi sur la Monnaie royale canadienne pour un mandat de cinq ans le 12 juin 2006. Le 24 mars 2011, on a annoncé qu'il avait été reconduit pour trois autres années, jusqu'au 12 juin 2014. En tant que président et premier dirigeant de la Monnaie, M. Bennett était assujetti à la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) à titre de titulaire de charge publique principal.
Selon les allégations, M. Bennett aurait contrevenu à l'article 11 de la Loi en acceptant une invitation à dîner et un modèle réduit d'un navire ressemblant au Bluenose de la part de Brinks Canada, chacun constituant des cadeaux pouvant raisonnablement donner à penser qu'ils ont été donnés pour l'influencer dans l'exercice de ses fonctions officielles. Le dîner a eu lieu le 12 février 2014.
Pour déterminer si M. Bennett a contrevenu à l'article 11, il fallait tenir compte des fonctions officielles de M. Bennett ainsi que de la relation entre Brinks Canada et la Monnaie et des interactions entre ces deux organismes.
Le mandat et la structure de la Monnaie royale canadienne
La Monnaie est une société d'État du gouvernement du Canada qui fournit des services de raffinage de métaux précieux et de frappe de monnaie, ainsi que des pièces de monnaie, des flans et des pièces de monnaie à collectionner au gouvernement du Canada, à la Banque du Canada et à des clients internationaux, comme des banques centrales étrangères et d'autres monnaies.
Selon le site Web de la Monnaie, son principal mandat est de produire et de gérer la distribution de la monnaie de circulation du Canada et de conseiller le gouvernement du Canada sur toute question liée à la monnaie. La Monnaie est l'une des trois seules institutions gouvernementales à être autosuffisante et à ne recevoir aucun financement public pour ses activités. En 2014, la Monnaie a généré un revenu de 2,4 milliards de dollars et a servi 15 clients internationaux en plus du marché canadien. La Monnaie a versé 10 millions de dollars en dividendes à son unique actionnaire, le gouvernement du Canada.
Étant donné que l'un des objectifs de la Monnaie comprend la frappe de la monnaie dans le but de faire un profit, j'ai découvert, au cours de mon étude, que les relations de la Monnaie avec ses intervenants ainsi que sa structure de gouvernance s'apparentent à celles de sociétés du secteur privé. La Monnaie compte un Conseil d'administration qui assume la responsabilité globale de superviser les affaires de la Monnaie et de prendre des décisions en fonction des intérêts de la Monnaie. Trois comités relèvent du Conseil d'administration, dont le Comité de vérification, qui supervise les rapports financiers, les contrats et les indicateurs de rendement.
Monsieur Bennett était président du Comité exécutif, membre non votant du Comité de vérification et membre votant du Conseil d'administration. Le Conseil est chargé d'approuver les contrats supérieurs à un seuil déterminé qui, selon M. Bennett, serait de 2 millions de dollars.
Le rôle de M. Bennett dans l'attribution des contrats
Six personnes relevaient directement de M. Bennett, dont Mme Beverley Lepine, ex‑administratrice en chef des opérations, et M. Alain Raquepas, ex-chef de la direction financière. M. Bennett m'a expliqué qu'il accordait une assez grande marge de manœuvre à son équipe de gestion et à ses employés, tant pour les contrats qu'en général. Il a témoigné qu'il n'était mis au courant qu'en cas de problèmes que ses employés et son équipe de direction n'étaient pas en mesure de régler, comme des problèmes qui sont à la base d'un contrat et qui ont eu des conséquences financières importantes. M. Bennett ne tenait pas de réunions régulières pour discuter de l'état des contrats et il ne recevait pas régulièrement des notes d'information par rapport aux contrats qui suivaient le processus habituel d'attribution des contrats. Selon lui, cette façon de faire correspondait à son style de gestion pendant ses années à la Monnaie.
La relation entre la Monnaie royale canadienne et Brinks Canada
Établie en 1927, Brinks Canada offre du transport par véhicules blindés et des services de traitement du numéraire et de la monnaie. Brinks Canada offre ses services à la Monnaie et aux grandes banques canadiennes depuis des décennies.
Monsieur Peter Panaritis, président de Brinks Canada pendant la période visée par l'étude, a été nommé à ce poste en avril 2009 et a quitté Brinks Canada en janvier 2015.
Monsieur Bennett a qualifié d'importante la relation de la Monnaie avec Brinks Canada. Mme Lepine l'a qualifiée de partenariat, à l'instar de la relation avec d'autres fournisseurs. M. Panaritis, quant à lui, a qualifié la relation de partenariat solide.
Monsieur Panaritis a mentionné qu'il avait rencontré M. Bennett à quelques reprises seulement, à des dîners et événements pendant le mandat de M. Bennett à la Monnaie. Il s'agissait de grands événements avec d'autres membres du personnel ou d'événements spéciaux organisés par la Monnaie, comme l'inauguration officielle des installations de Winnipeg. Selon M. Bennett, il n'avait jamais rencontré de représentants de Brinks Canada avant le dîner du 12 février 2014.
Selon les éléments de preuve présentés, la relation entre la Monnaie et Brinks Canada était une relation d'affaires, et aucun élément de preuve ne m'a portée à croire que M. Bennett entretenait des liens d'amitié avec l'un ou l'autre des personnes participant au dîner organisé par Brinks Canada.
Les contrats entre la Monnaie royale canadienne et Brinks Canada
Dans le cadre de mon étude, j'ai demandé à la Monnaie un résumé des contrats en vigueur ou envisagés entre elle et Brinks Canada qui étaient à l'étude par la Monnaie au cours de la dernière année du mandat de M. Bennett.
Les documents fournis montrent qu'au cours de cette année, en plus de deux contrats déjà en vigueur, des négociations étaient en cours entre les deux organisations au sujet de cinq autres contrats : deux portant sur la négociation de « contrats principaux » et trois sur la prolongation ou la modification de contrats en vigueur. Ces contrats couvraient divers types de services fournis par Brinks Canada, à savoir les services de traitement de la monnaie, l'entreposage et le transport de produits en argent métallique dans diverses villes, les services d'entreposage et de transport blindé de la monnaie, ainsi que la fourniture d'équipement de mise en rouleau et d'emballage.
Trois de ces contrats ont été signés par M. Bennett en sa qualité de directeur général et premier dirigeant de la Monnaie. Les autres ont été signés par un cadre de niveau inférieur à la Monnaie. Pour ce qui est de Brinks Canada, les contrats ont tous été signés par le président, M. Panaritis. M. Bennett m'a dit qu'il n'avait pas été personnellement informé de l'état de ces contrats pendant les négociations. Il ne se rappelle pas non plus précisément les avoir signés.
Au début 2014, le personnel de la Monnaie s'affairait aussi à préparer une demande de propositions concernant des services de traitement de la monnaie. À l'époque, Brinks Canada avait déjà un contrat de traitement de monnaie avec la Monnaie royale canadienne. La demande de propositions a été publiée le 30 juin 2014. Un contrat entre Brinks Canada et la Monnaie est entré en vigueur le 1er janvier 2015, six mois après la retraite de M. Bennett.
Certains services de véhicules blindés, d'entreposage et de transport étaient aussi assurés par trois autres fournisseurs. M. Bennett considérait les contrats relatifs à ces types de services comme étant standards; par contre, pour le contrat à l'égard de l'équipement de mise en rouleau et d'emballage, la Monnaie avait déterminé, selon M. Bennett, que seule Brinks Canada pouvait les fournir.
Brinks Canada fournit l'équipement de mise en rouleau et d'emballage et des services connexes à la Monnaie depuis 2007. Le premier contrat était d'une durée de cinq ans et a par la suite été prolongé jusqu'au 31 décembre 2013. Compte tenu de l'importance et de la grande valeur du nouveau contrat d'équipement de mise en rouleau et d'emballage avec Brinks Canada, M. Bennett m'a dit qu'il fallait l'approbation du Conseil d'administration et que l'attribution des fonds avait été accordée le 23 août 2013. Selon M. Panaritis, le contrat était aussi jugé important pour les activités de Brinks Canada à Toronto.
Après l'approbation des fonds par le Conseil d'administration, des négociations détaillées à l'égard du contrat ont commencé entre Brinks Canada et la Monnaie. Elles se sont poursuivies à l'automne 2013 et à l'hiver 2014.
Dans les négociations, Brinks Canada était représenté par Mme Manon Laplante, à l'époque, directrice, Solutions monnaie, Institutions financières québécoises et Relations gouvernementales. Même si le contrat n'était toujours pas signé en janvier et au début de février 2014, Brinks Canada et la Monnaie ont convenu que la date d'entrée en vigueur du contrat serait le 1er janvier 2014, telle qu'elle figure dans les modalités du contrat.
L'équipe juridique de la Monnaie a donné son approbation finale du contrat le 30 janvier 2014, et le contrat a été préparé en vue d'être signé par M. Alain Raquepas, chef de la direction financière, et M. Bennett à la Monnaie. Il semble que M. Raquepas ait signé le contrat le 14 février 2014, soit deux jours après le dîner. Le contrat a été envoyé la même journée à M. Bennett pour qu'il le signe.
Aucun élément de preuve n'indique que M. Bennett ait participé aux négociations du contrat, ait été informé ou ait été au courant de l'état des négociations s'y rapportant, ou qu'il ait rencontré Brinks Canada, entre août 2013 et le début de février 2014, y compris dans les jours précédant sa signature du contrat. M. Bennett m'a dit qu'il aurait signé le contrat, étant donné qu'une fois que le Conseil d'administration avait accepté l'offre de services de Brinks Canada, M. Bennett considérait sa signature comme une formalité et que Brinks Canada était déjà en train de mettre l'équipement en place. Il a ajouté qu'il y aurait eu des répercussions juridiques s'il n'avait pas signé le contrat sans raison.
Monsieur Bennett a déclaré qu'aucune date n'avait été prévue pour la signature du contrat et il semble qu'il l'ait signé le 14 février 2014. Après la signature du contrat par M. Bennett, le contrat a été envoyé à Brinks Canada. Mme Laplante a signé le contrat le 19 février 2014, et M. Panaritis l'a signé le 20 février 2014.
Le dîner du 12 février 2014
L'invitation
En novembre 2013, Mme Laplante a contacté l'adjointe exécutive de Mme Lepine pour inviter M. Bennett et Mme Lepine à dîner de la part de M. Panaritis. Mme Laplante était une ancienne employée de la Monnaie et relevait de Mme Lepine lorsqu'elle y travaillait. Elles avaient une relation amicale qui s'est poursuivie après le départ de Mme Laplante de la Monnaie.
Monsieur Panaritis a dit qu'il avait demandé à Mme Laplante de contacter M. Bennett en novembre 2013 parce qu'il pensait que M. Bennett prenait sa retraite à la fin de cette année, ce que Mme Laplante a confirmé. Mme Laplante m'a dit que c'était elle qui avait décidé d'acheter le modèle réduit du navire et qu'elle avait été remboursée par Brinks Canada. M. Panaritis savait que Mme Lepine prenait aussi sa retraite et que la Monnaie était en restructuration en prévision de son départ, mais il ignorait si la date de son départ avait été fixée.
Madame Laplante a dit que l'invitation à dîner visait à souligner la bonne relation de travail entre la Monnaie et Brinks Canada ainsi que les décennies de partenariat entre Brinks Canada et la Monnaie, et à célébrer l'apport de M. Bennett au gouvernement du Canada pendant sa carrière à la Monnaie.
Monsieur Bennett a confirmé que le 8 juillet 2013, il a informé ses employés par courriel qu'il avait avisé le Conseil d'administration et l'unique actionnaire de la Monnaie, le gouvernement du Canada, qu'ils devraient amorcer le processus pour trouver son successeur. Il n'a donné aucune date ferme de départ dans le courriel, mais il a mentionné qu'il espérait que la transition serait faite au début de 2014, approximativement six mois après son annonce.
Le 25 novembre 2013, Mme Laplante a été informée par l'adjointe exécutive de Mme Lepine que Mme Lepine et M. Bennet ne seraient pas libres pour un dîner avant la fin janvier. À aucun moment M. Panaritis ou Mme Laplante n'ont discuté de l'invitation à dîner avec M. Bennett. En janvier, il a été décidé que le dîner avec Brinks Canada aurait lieu le 12 février 2014 au Juniper Kitchen & Wine Bar.
L'invitation écrite originale avait été envoyée le 20 novembre 2013 par Mme Laplante à l'adjointe exécutive de Mme Lepine. Mme Laplante y écrivait que M. Panaritis aimerait dîner avec Mme Lepine et M. Bennett dès qu'ils le pourraient, mais n'y faisait pas mention de retraite ni de quelconque autre raison d'être du dîner. D'autres courriels ont été échangés au sujet de la date, de l'heure et de l'endroit du dîner entre le 21 novembre 2013 et le 25 janvier 2014; aucun de ces courriels ne mentionnait non plus la retraite de M. Bennett ou de Mme Lepine.
Communications immédiatement avant le dîner
Madame Laplante a mentionné que, dans les jours précédant le dîner, elle avait très hâte que le contrat pour les services et l'équipement de mise en rouleau et d'emballage se règle cette semaine-là et a affirmé qu'elle avait probablement appelé des employés de la Monnaie à cet égard. Elle m'a dit qu'elle voulait clore les négociations du contrat avec la Monnaie avant son départ en avril. Le jour du dîner, Mme Lepine a été informée du statut du contrat par deux employés. Dans une note d'information qu'elle a reçue, un des employés a indiqué que Brinks Canada espérait « décrocher le contrat » [traduction] ce soir même.
Monsieur Panaritis a aussi indiqué qu'il aurait été informé avant le dîner de l'état de divers contrats de Brinks Canada avec la Monnaie. M. Bennett ne se rappelle pas avoir été informé du contrat avant le dîner, et Mme Lepine a confirmé qu'elle ne se rappelle pas que M. Bennett aurait été informé précisément à ce sujet. Dans un courriel adressé à M. Bennett daté du 11 février 2014, Mme Lepine a indiqué : « Ce dîner est une célébration sociale et une sorte de dîner d'adieu pour vous – pas une rencontre d'affaires comme telle » [traduction].
Le dîner lui-même
Tous les témoins ont confirmé que le dîner a eu lieu le 12 février 2014 au soir. Étaient présents M. Panaritis, M. Bennett, Mme Laplante, Mme Lepine et M. Victor Goodman, vice‑président des ventes de Brinks Canada.
Madame Laplante et M. Panaritis ont tous deux estimé le coût du dîner à 100 $ par personne. Un modèle réduit ressemblant au Bluenose, navire figurant sur la pièce de 10 cents canadienne, a été remis en cadeau à M. Bennett. Mme Laplante l'a évalué à environ 150 $. Le dîner et le modèle réduit du navire ont été payés par Brinks Canada. M. Bennett a déclaré qu'il croyait à l'époque que le coût des cadeaux était beaucoup moins que cela. Mme Lepine s'est souvenue avoir reçu une statuette d'un oiseau en cadeau de Brinks Canada.
Monsieur Bennett ne se souvenait pas avoir discuté d'affaires pendant le dîner. M. Panaritis a indiqué qu'il y a peut-être eu une récapitulation au sujet de l'état des choses entre les deux organisations, mais il ne pouvait pas se souvenir exactement de ce qui avait été dit. Mme Laplante ne se souvenait pas s'il avait été question d'affaires au dîner, mais elle a indiqué que de toute façon, elle n'aurait pas prêté attention aux discussions d'affaires. Mme Lepine a indiqué qu'il aurait été logique de discuter de certaines questions d'affaires, mais elle ne pouvait se souvenir précisément de ce dont ils avaient discuté. Selon M. Panaritis, M. Bennett ne semblait pas vouloir discuter d'affaires au dîner. Ils ont parlé de leurs familles, de leurs projets pour la retraite, de politique et de la situation économique en général. Je n'ai trouvé aucune preuve de communications entre M. Bennett et le personnel de la Monnaie ou de Brinks Canada concernant le contrat pendant le dîner ou par la suite.
Célébrations de la retraite de M. Bennett
Monsieur Bennett est demeuré premier dirigeant jusqu'à la fin de son mandat de trois ans, soit le 12 juin 2014. M. Bennett m'a dit qu'il y avait eu deux célébrations générales pour sa retraite, l'une organisée par le Conseil d'administration de la Monnaie et l'autre au cours d'une conférence internationale à laquelle assistaient ses collègues d'autres pays. Il a dit n'avoir reçu aucun autre cadeau de la part de fournisseurs ou de clients de la Monnaie pour sa retraite, et n'avoir assisté à aucun autre dîner avec des fournisseurs ou des clients pour fêter sa retraite. Pendant son entrevue, il m'a dit ne pas se souvenir d'avoir dîné avec un autre fournisseur pendant son mandat à la Monnaie.
La position de M. Bennett est qu'il n'a pas contrevenu à l'article 11 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi).
Dans sa lettre de réponse du 18 novembre 2015, M. Bennett a écrit que, selon lui, il n'avait pas contrevenu à l'article 11 parce que le dîner et le cadeau offerts par Brinks Canada n'auraient pu influencer sa décision de signer le contrat ou de faire affaire avec Brinks Canada.
Monsieur Bennett a écrit que sa participation à l'établissement du contrat se limitait à la décision du Conseil d'administration de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie), le 23 août 2013, d'approuver le contrat avec Brinks Canada, et qu'il considérait que cette approbation était une décision définitive, difficilement réversible par lui ou le chef de la direction financière. La copie du contrat qu'il a signée en février 2014 était identique à la version approuvée par les services juridiques de la Monnaie le 30 janvier 2014. Il a ajouté qu'entre le 23 août 2013 et février 2014, il n'avait reçu aucun renseignement, aucune mise à jour, ni aucune demande d'aide pendant la rédaction du contrat qui devait donner suite à la décision du Conseil d'administration.
Monsieur Bennett a aussi écrit que malgré le fait qu'il ait été signé à la mi‑février, le contrat avait été mis en œuvre le 1er janvier 2014 et le contrat précisait que le 1er janvier 2014 était la date d'entrée en vigueur de la période contractuelle de cinq ans. Au cours de son entrevue, M. Bennett m'a expliqué que, selon lui, le contrat était déjà conclu et en vigueur, avant sa signature. Sa signature était requise, mais il n'aurait pas, en pratique, refusé de signer le contrat. Il m'a expliqué qu'une fois que le Conseil d'administration avait approuvé le contrat, il n'aurait pas exercé quelconque pouvoir pour modifier ou rejeter le contrat.
Monsieur Bennett a ajouté que le dîner visait davantage Mme Lepine que lui‑même. Mme Lepine travaillait à la Monnaie depuis de nombreuses années et entretenait de bonnes relations avec les principaux fournisseurs. Il a aussi précisé que l'étroite relation de travail entre Mme Lepine et Mme Laplante, à la Monnaie et après le départ de Mme Laplante, faisait peut-être aussi partie des raisons pour lesquelles ce dîner avait été organisé. Par conséquent, il n'était pas surpris que Brinks Canada organise un événement pour souligner la relation d'affaires importante qui avait existé entre les deux entreprises ainsi que le départ prochain à la retraite de deux personnalités importantes, le premier dirigeant et l'administratrice en chef des opérations de la Monnaie. Ce dîner, selon M. Bennett, n'avait d'autre but que de saluer deux personnes sur le point de partir à la retraite.
Monsieur Bennett a écrit dans sa lettre du 18 novembre 2015 que, à son avis, une « personne raisonnable » ne pourrait conclure que le dîner du 12 février 2014 visait à obtenir une décision en faveur de Brinks Canada, puisque la décision avait déjà été prise en août 2013 et que le contrat était en vigueur depuis le 1er janvier 2014. Il a réitéré ces mêmes propos pendant son entrevue avec moi le 4 octobre 2016.
Dans un document soumis le 21 octobre 2016, l'avocat de M. Bennett a souligné divers points concernant les éléments de preuve :
La participation de M. Bennett au contrat de mise en rouleau et d'emballage se limitait à examiner le matériel en prévision de la discussion qu'aurait le Conseil d'administration au sujet du contrat à sa réunion du 23 août 2013.
À aucun moment M. Bennett n'a pris part aux négociations du contrat final avec Brinks Canada. De même, aucune question n'est survenue, lors de ces négociations, exigeant la participation de M. Bennett. Et surtout, il n'y a pas la moindre preuve indiquant que M. Bennett ait participé au processus de négociation entre le mois de novembre, au moment où l'on a évoqué pour la première fois la possibilité d'organiser un dîner, et la date où le dîner a effectivement eu lieu.
Le dîner du 14 février 2014 avec Brinks Canada était entièrement de nature sociale. Il n'a pas du tout été question du contrat ni d'autres questions d'affaires en particulier entre Brinks Canada et la Monnaie. Aucun des cadres ne savait, au moment du dîner, que le contrat n'avait pas été signé.
Toutes les décisions portant sur le contrat avaient été prises avant le dîner d'adieu. Ni la Monnaie ni Brinks Canada ne s'attendait ou souhaitait modifier ce qui avait déjà été convenu entre les deux parties.
La note d'information préparée à l'intention de Mme Lepine, que M. Bennett a vue pour la première fois au cours de l'étude, indique que l'auteur estimait que « Brinks Canada espérait obtenir le contrat ce soir » [traduction], mais M. Bennett n'a pas été informé de ce fait, et il n'y a aucune raison logique pour laquelle il aurait dû ou aurait pu en être informé. Dans son témoignage, Mme Lepine a déclaré qu'elle ne se souvenait pas avoir vu cette note d'information.
Le dîner d'adieu était tellement sans rapport avec le processus contractuel que personne au dîner n'a mentionné qu'il fallait la signature de M. Bennett pour régler les formalités administratives. Au bout du compte, les signatures étaient des formalités : les modalités du contrat étaient entrées en vigueur le 1er janvier 2014.
Mme Laplante a expliqué, en ce qui concerne le cadeau, qu'elle avait spontanément décidé d'en faire l'achat peu avant le dîner. Dans un centre commercial, elle avait aperçu un modèle réduit d'un navire ressemblant au Bluenose, qui figure sur la pièce de 10 cents canadienne.
Analyse
Il est allégué que M. Bennett a contrevenu à l'article 11 de la Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) en acceptant une invitation à dîner, payé par Brinks Canada, et un modèle réduit d'un navire en cadeau.
Les sections pertinentes de l'article 11 sont ainsi libellées :
11. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique et à tout membre de sa famille d'accepter un cadeau ou autre avantage, y compris celui provenant d'une fiducie, qui pourrait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer le titulaire dans l'exercice de ses fonctions officielles.
(2) Le titulaire de charge publique ou un membre de sa famille peut toutefois accepter :
a) un cadeau ou autre avantage qui est permis au titre de la Loi électorale du Canada;
b) un cadeau ou autre avantage qui provient d'un parent ou d'un ami;
c) un cadeau ou autre avantage qui est une marque normale ou habituelle de courtoisie ou de protocole ou qui est habituellement offert dans le cadre de la charge du titulaire.
Je dois déterminer si le dîner et le modèle réduit du navire offerts à M. Bennett, alors premier dirigeant et directeur général de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie), pour souligner son départ à la retraite par Brinks Canada, entreprise ayant depuis longtemps une relation contractuelle avec la Monnaie, pourraient raisonnablement donner à penser qu'ils ont été offerts pour influencer M. Bennett dans l'exercice de ses fonctions officielles.
La préoccupation initiale portée à l'attention du Commissariat était que le dîner du 12 février 2014 était lié aux négociations d'un contrat de services et d'équipement de mise en rouleau et d'emballage entre la Monnaie et Brinks Canada. En fait, au moment de l'invitation en novembre 2013, en plus du contrat d'équipement de mise en rouleau et d'emballage et des prolongations s'y rapportant, il y avait plusieurs contrats en cours de négociation entre Brinks Canada et la Monnaie. Parmi ceux-ci se trouvaient un autre contrat majeur en cours de négociation entre novembre 2013 et janvier 2014, signé par M. Bennett en sa qualité de premier dirigeant et directeur général de la Monnaie, ainsi que la prolongation d'un contrat entré en vigueur le 1er janvier 2014.
Monsieur Panaritis a reconnu que la Monnaie est un client important de Brinks Canada. Bien que M. Bennett semblait croire que le dîner était une idée de Mme Laplante et que ce dîner visait plutôt à célébrer la carrière de Mme Lepine à la Monnaie que sa propre carrière, il semblerait, selon les témoignages de M. Panaritis et de Mme Laplante, que ce soit M. Panaritis qui ait demandé à Mme Laplante d'inviter M. Bennett à dîner en novembre 2013. Mme Laplante a indiqué lors de son témoignage que c'était elle qui avait eu l'idée d'acheter un cadeau à M. Bennett.
Au moment de l'invitation, Brinks Canada était non seulement un intervenant et fournisseur de longue date, mais avait aussi divers dossiers en cours qui devaient être réglés avec la Monnaie dans les mois suivants, surtout compte tenu du départ prévu de Mme Laplante au printemps 2014.
Je précise que MM. Bennett et Panaritis ne se connaissaient pas du tout, même sur le plan professionnel. L'invitation à dîner n'a pas été lancée dans le contexte de liens d'amitié entre les deux premiers dirigeants. Bien que, pour leur part, Mmes Laplante et Lepine aient entretenu des liens d'amitié, la nature de leurs liens ne change rien à l'acceptabilité du cadeau reçu par M. Bennett.
Il convient de souligner que dans l'invitation écrite à dîner envoyée par Brinks Canada en novembre 2013 ainsi que dans divers courriels subséquents échangés entre novembre 2013 et janvier 2014 entre le personnel de Brinks Canada et celui de la Monnaie pour organiser le dîner, il n'était aucunement question de retraite. Selon les éléments de preuve, l'invitation à dîner et le cadeau visaient à souligner non seulement la carrière et le départ à la retraite de M. Bennett, mais aussi à le remercier de la bonne relation d'affaires.
Monsieur Bennett m'a expliqué que par rapport au contrat de services et d'équipement de mise en rouleau et d'emballage, il considérait sa participation comme étant très limitée après l'approbation du contrat par le Conseil d'administration de la Monnaie en août 2013, et que, pour lui, cette approbation était une décision définitive, et que le contrat n'aurait pu être modifié, à moins de le renvoyer au Conseil d'administration pour des motifs raisonnables. Il a aussi souligné que le contrat était entré en vigueur le 1er janvier 2014.
Bien que je reconnaisse que M. Bennett n'a pas participé aux négociations des détails du contrat après son approbation par le Conseil d'administration, il était néanmoins l'un des signataires finaux du contrat de mise en rouleau et d'emballage. La signature de M. Bennett, en sa qualité de premier dirigeant de la Monnaie, était requise. Comme nous l'avons mentionné plus haut, Brinks Canada avait plusieurs autres contrats en vigueur avec la Monnaie, et d'autres transactions étaient prévues entre les deux organismes dans un avenir rapproché, ce qui illustre l'importance de leur relation d'affaires.
La veille du dîner, Mme Lepine a envoyé un courriel à M. Bennett pour lui expliquer que le dîner était une célébration sociale et une sorte de dîner d'adieu pour lui, plutôt qu'une rencontre d'affaires comme telle. Toutefois, le jour du dîner, Mme Lepine a été informée par deux employés de l'état du contrat de services et d'équipement de mise en rouleau et d'emballage avec Brinks Canada, en plus d'autres initiatives entre Brinks Canada et la Monnaie. M. Panaritis m'a dit qu'il aurait été informé, avant le dîner, des divers contrats entre la Monnaie et Brinks Canada.
Bien qu'aucun témoin ne se soit souvenu précisément d'avoir discuté d'affaires pendant le dîner, M. Panaritis a indiqué, dans son témoignage, qu'il y a peut-être eu une récapitulation au sujet de l'état des choses entre les deux organisations. Selon les dires de Mme Lepine, il aurait été logique de discuter de certaines questions d'affaires. Bien qu'il n'ait peut-être pas été question d'affaires lors du dîner, les deux parties avaient prévu qu'il serait possible de discuter de diverses autres questions entre la Monnaie et Brinks Canada.
Étant donné que les relations que la Monnaie entretient avec ses intervenants, de même que sa structure de gouvernance, ont beaucoup en commun avec les sociétés du secteur privé, je peux comprendre que M. Bennett n'ait pas vraiment réfléchi à l'acceptabilité d'une invitation ou d'un cadeau de la part d'un des intervenants de la Monnaie. Néanmoins, dans le secteur public, il faut faire attention de ne pas semer le doute quant à l'intégrité du processus décisionnel public. C'est la raison pour laquelle les règles sont plus strictes à l'endroit des titulaires de charge publique.
La relation actuelle ou future du donateur avec le titulaire de charge publique revêt une importance dont il faut tenir compte pour déterminer si le cadeau pouvait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer la prise de décision du titulaire de charge publique. M. Bennett, en tant que premier dirigeant, était un titulaire de charge publique principal assujetti aux obligations énoncées dans la Loi. L'acceptation par M. Bennett de l'invitation à dîner et du modèle réduit du navire s'est produite dans le contexte d'une relation d'affaires de longue date et continue où des contrats existent entre la Monnaie et Brinks Canada.
Le critère d'acceptabilité à savoir si l'invitation à dîner et le modèle réduit du navire pourraient raisonnablement donner à penser qu'ils ont été donnés pour influencer M. Bennett dans l'exercice de ses fonctions officielles ne dépend des perceptions ni de M. Bennett ni de M. Panaritis. Il faut plutôt déterminer si, dans les circonstances entourant ces cadeaux, ils pourraient raisonnablement donner à penser qu'ils ont été donnés pour influencer M. Bennett. La valeur d'un cadeau n'est pas un critère d'acceptabilité; elle équivaut à un seuil à des fins de divulgation au Commissariat et au public.
En juillet 2011, j'ai publié à l'intention des titulaires de charge publique une directive sur les cadeaux, intitulée Les cadeaux (y compris invitations, levées de fonds, déjeuners d'affaires). Dans cette directive, je fournis des exemples de situations qui pourraient raisonnablement donner à penser qu'un cadeau vise à influencer une décision d'un titulaire de charge publique, notamment :
4. La personne qui offre, son client ou son entreprise, est lié ou pourrait être ultérieurement lié par un contrat avec l'entité du secteur public à laquelle appartient le titulaire de charge publique.
5. La personne qui offre, son client ou son entreprise, pourrait présenter une soumission relativement à une demande de propositions que l'entité du secteur public à laquelle appartient le titulaire de charge publique a publiée ou pourrait ultérieurement publier.
Dans ces circonstances, je conclus que les cadeaux de Brinks Canada acceptés par M. Bennett pourraient raisonnablement donner à penser qu'ils ont été offerts pour l'influencer dans l'exercice de ses fonctions officielles et qu'il n'aurait pas dû les accepter.
Même s'il se peut que le dîner et le modèle réduit du navire aient réellement été donnés en reconnaissance de la carrière de M. Bennett et pour souligner sa retraite après une longue et fructueuse relation d'affaires, M. Bennett a accepté ces cadeaux dans le contexte de cette relation d'affaires continue. Il se peut très bien que M. Bennett ait considéré que ces cadeaux étaient uniquement liés à sa retraite, même si sa retraite n'a eu que lieu quatre mois plus tard, et qu'il n'ait pas fait le lien avec les obligations que lui impose la Loi. Un titulaire de charge publique a l'obligation générale d'éviter d'accepter des cadeaux de la part d'intervenants, et cette obligation comprend l'interdiction relative aux cadeaux. Cette obligation demeure valide et doit être prise en considération. M. Bennett aurait pu assister au dîner à ses propres frais et possiblement demander un remboursement auprès de la Monnaie. Il aurait pu refuser le cadeau du modèle réduit du navire en raison des obligations que lui impose la Loi, ou prendre des dispositions pour que les frais soient remboursés par la suite.
Aucun autre fournisseur n'a invité M. Bennett à une sortie pour souligner sa retraite. Et aucun autre fournisseur n'a participé à une quelconque célébration de la retraite de M. Bennett.
J'ai tenu compte des exceptions prévues au paragraphe 11(2) de la Loi énoncées plus tôt afin de déterminer si elles pourraient s'appliquer au cas présent et j'ai conclu qu'elles ne s'appliquent pas. L'alinéa 11(2)a) portant sur la Loi électorale du Canada ne s'applique évidemment pas. Quant à l'alinéa 11(2)b), rien ne laissait croire qu'une relation d'amitié existait entre MM. Bennett et Panaritis. Pour ce qui est de l'alinéa 11(2)c), comme je l'ai précisé dans ma directive sur les cadeaux, je considère que les « marques normales ou habituelles de courtoisie ou de protocole » sont l'expression symbolique d'une appréciation dans le contexte d'une interaction officielle, comme une participation, un discours ou une présentation. Quant à ce qui est considéré comme étant un cadeau « habituellement offert » dans le cadre d'une charge, il est généralement question d'un cadeau offert dans le cadre d'une fonction officielle, souvent de la part d'une organisation internationale ou étrangère. De toute évidence, ni l'une ni l'autre de ces exceptions ne s'applique à la situation de M. Bennett.
Conclusion
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que M. Bennett a contrevenu à l'article 11 de la Loi en acceptant les cadeaux de Brinks Canada.
Les noms des témoins sont énumérés en fonction des organismes dont ils relevaient au moment des faits qui font l'objet de la présente étude.
Entrevues
Brinks Canada
Mme Manon Laplante, directrice, Solutions monnaie, Institutions financières québécoises et Relations gouvernementales
- M. Peter Panaritis, président
Monnaie royale canadienne
- Mme Beverley Lepine, administratrice en chef des opérations
- M. Ian Bennett, premier dirigeant, directeur général et président de la Monnaie
Représentations écrites
Monnaie royale canadienne
- M. Simon Kamel, vice-président, Affaires générales et juridiques