PRéFACE
Une enquête en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code) peut être entreprise à la demande d'un député, par résolution de la Chambre des communes ou à l'initiative du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.
Si le commissaire craint qu'un député ne se soit pas conformé à ses obligations en vertu du Code, il doit lui donner un avis écrit de ses préoccupations et lui accorder 30 jours pour y répondre. Si, après avoir accordé ce délai de 30 jours pour répondre, le commissaire a des motifs raisonnables de croire que le député ne s'est pas conformé à ses obligations aux termes du Code, le commissaire peut, de sa propre initiative, faire une enquête pour déterminer si celui-ci s'est conformé à ses obligations aux termes du Code.
Une fois son enquête terminée, le commissaire remet un rapport d'enquête au président de la Chambre des communes, lequel présente le rapport à la Chambre à sa prochaine séance. Le rapport est rendu public dès qu'il est déposé ou, pendant une période d'ajournement, dès que le président de la Chambre le reçoit.
Le présent rapport énonce les conclusions de mon enquête menée en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des députés relativement à la conduite de M. Charlie Angus, député de Timmins–Baie James, en lien avec des commentaires publics formulés à l'égard d'une demande d'enquête qu'il avait faite au Commissariat concernant un autre député.
Le 28 mars 2018, j'ai reçu une lettre de M. Angus demandant que je fasse enquête sur la conduite de M. Raj Grewal, député de Brampton-Est. Plus tard ce jour-là, j'ai appris que M. Angus avait parlé de sa demande d'enquête à un journaliste. L'article de presse rédigé par la suite a été publié en ligne le même jour et le lien menant à l'article a été affiché sur la page Facebook de M. Angus.
Le paragraphe 27(2.1) du Code interdit au député qui a présenté une demande d'enquête de formuler des commentaires publics sur cette dernière avant que le commissaire confirme que le député visé par l'enquête a obtenu copie de la plainte, ou qu'un délai de 14 jours s'est écoulé suivant la réception de la demande par le commissaire, selon la première des deux éventualités.
Selon la preuve, M. Angus a parlé à un journaliste de sa lettre concernant sa demande puis publié un lien vers l'article avant que je n'aie confirmé que le député visé par la plainte en avait reçu une copie ou que se soit écoulé le délai de 14 jours suivant ma réception de la plainte.
J'ai donc conclu que M. Angus a contrevenu au paragraphe 27(2.1) du Code.
J'ai déterminé qu'aucune circonstance atténuante ne s'applique dans ce cas. Cependant, puisque M. Angus a présenté des excuses, je n'ai pas recommandé l'application de sanctions.
Le 28 mars 2018, j'ai reçu une lettre de M. Charlie Angus, député de Timmins–Baie James, demandant que je fasse enquête sur la conduite de M. Raj Grewal, député de Brampton-Est.
Mon bureau m'a informé ce jour-là qu'un article qui citait des propos de M. Angus à l'égard de sa demande d'enquête concernant M. Grewal avait été publié dans le site Web du National Post. Plus tard le même jour, un lien vers l'article a aussi été publié sur la page Facebook de M. Angus.
Le 5 avril 2018, j'ai écrit à M. Angus pour l'informer que je craignais qu'il ait contrevenu au paragraphe 27(2.1) du Code régissant les conflits d'intérêts des députés (le Code), en raison des commentaires publiés dans le National Post et sur son compte Facebook au sujet de sa demande d'enquête à l'égard d'une contravention alléguée au Code par M. Grewal.
Le paragraphe 27(2.1) du Code interdit au député qui présente une demande d'enquête de formuler des commentaires publics sur cette dernière avant que le commissaire ne confirme que le député visé par l'enquête a obtenu copie de la plainte, ou qu'un délai de 14 jours se soit écoulé suivant la réception de la demande par le commissaire.
Dans ma lettre du 5 avril 2018, j'ai expliqué à M. Angus que le Code lui accordait 30 jours pour répondre à mes préoccupations, après quoi je déciderais s'il y avait lieu de mener une enquête. J'ai reçu le jour même de la part de M. Angus sa réponse au sujet des préoccupations soulevées.
Le 12 avril 2018, j'ai écrit à M. Angus pour l'informer qu'après un examen attentif de ses observations écrites, j'avais déterminé avoir des motifs raisonnables de croire qu'il n'avait pas respecté ses obligations prévues par le Code et qu'en vertu du paragraphe 27(4), j'entreprenais une enquête.
Le 24 avril 2018, j'ai tenu une première entrevue avec M. Angus. Comme je n'ai pas interrogé d'autres témoins dans cette affaire ni reçu d'éléments de preuve documentaire supplémentaires de la part de M. Angus, il n'était pas nécessaire de mener une deuxième entrevue avec lui.
Conformément à la pratique établie du Commissariat, avant que ne soit établie la version définitive du présent rapport, M. Angus a eu la possibilité d'en consulter et commenter les sections factuelles, soit celles intitulées Les préoccupations et le processus, Les constatations de faits et La position de M. Angus.
La présente enquête visait à déterminer si M. Angus avait omis de se conformer à ses obligations prévues par le Code en formulant des commentaires publics au sujet d'une enquête relative à une possible contravention au Code par un autre député, et ce, avant que j'aie confirmé que le député en question avait reçu une copie de la plainte.
Le 28 mars 2018, j'ai reçu une lettre de M. Angus me demandant de mener une enquête sur la conduite de M. Raj Grewal, envoyée par courriel par un membre du personnel de son bureau.
Toujours le 28 mars 2018, le Commissariat a pris connaissance de commentaires publics concernant la demande d'enquête de M. Angus sur la conduite de M. Grewal, faits au National Post ce jour-là. Un article intitulé « NDP Asks Ethics Commissioner to Open an Investigation into Liberal MP over India Trip » (le NPD demande au commissaire à l'éthique d'ouvrir une enquête sur un député Libéral concernant le voyage en Inde), publié le même jour sur le site Web du National Post, a aussi été publié plus tard sous forme de lien sur la page Facebook de « Charlie Angus NDP-NPD ». La partie pertinente de cet article est rédigée comme suit :
Le député néo-démocrate chevronné Charlie Angus a envoyé mercredi une lettre à ce sujet à Mario Dion, commissaire à l'éthique, dans laquelle il soutient que la conduite de M. Grewal « a dérogé aux principes » énoncés dans le Code régissant les conflits d'intérêts, qui s'applique à tous les députés. « Pour moi, cela représente un abus flagrant du Code régissant les conflits d'intérêts », a déclaré M. Angus dans une entrevue. « Je pense que c'est une question qui doit faire l'objet d'une enquête. » [Traduction]
M. Angus a indiqué que sa procédure habituelle consiste à poser une question à la Chambre des communes sur un sujet relevant de la compétence du Commissariat, et que si la réponse est insatisfaisante, il écrit une lettre demandant une enquête. À la suite de sa question à la Chambre des communes, les médias ont l'habitude de communiquer avec lui pour savoir s'il a présenté une demande d'enquête ou s'il prévoit le faire.
Lors de son entrevue, M. Angus a déclaré que dans ce cas, un journaliste du National Post au courant des questions relatives à M. Grewal lui a téléphoné pour savoir s'il écrirait une lettre au commissaire. M. Angus lui a alors confirmé avoir envoyé une lettre au Commissariat.
Il a également confirmé que « Charlie Angus NDP-NPD » est son compte Facebook qu'il utilise à titre de député à la Chambre des communes. Il a déclaré qu'il avait personnellement publié le lien vers l'article du National Post sur sa page Facebook le 28 mars 2018, peu après l'envoi de la lettre au Commissariat.
Pendant son entrevue, M. Angus reconnu sa responsabilité en ce qui a trait aux commentaires publics qu'il avait formulé et s'est excusé d'avoir mal interprété le Code.
M. Angus a souligné dans sa lettre du 5 avril 2018 que selon son interprétation du paragraphe 27(2.1) du Code, le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique doit être libre de choisir d'enquêter ou non sur une plainte sans avoir à se préoccuper constamment des déclarations des parlementaires. À son avis, les commentaires publics qu'il avait formulés revenaient à dire qu'il croyait qu'une demande d'enquête était justifiée étant donné la nature des manquements à l'éthique.
M. Angus a également écrit, dans sa lettre du 5 avril 2018, qu'il n'avait encore jamais eu connaissance d'une réaction semblable de ma part ou de celle de ma prédécesseure dans des circonstances semblables. Dans son témoignage, M. Angus a reconnu que, dans les communications antérieures avec ma prédécesseure, la question de ne pas commenter publiquement une demande d'enquête avant que le commissaire ne reçoive la demande et ne confirme que le député visé en a reçu une copie avait été soulevée. Il a ajouté que cela n'avait jamais fait l'objet d'une lettre du Commissariat. Il a également déclaré qu'à sa connaissance, ma prédécesseure n'appliquait pas le paragraphe 27(2.1). Il avait cru comprendre que l'ancienne commissaire décourageait cette pratique, mais qu'elle n'avait pas adopté une position stricte sur ce que M. Angus considérait comme une pratique courante.
Analyse
Dans le cadre de cette enquête, il me fallait déterminer si M. Angus, à titre de député, a contrevenu au paragraphe 27(2.1) du Code en formulant des commentaires publics au National Post, puis en publiant un lien sur Facebook vers l'article en question, concernant une demande d'enquête à l'égard d'une contravention alléguée au Code par M. Grewal, et ce, avant que je ne confirme que ce dernier avait reçu la plainte.
Le paragraphe 27(2.1) interdit aux députés de commenter publiquement une demande d'enquête avant d'avoir reçu confirmation de la part du Commissariat que le député visé par la plainte l'a reçue, ou avant qu'un délai de 14 jours ne s'est écoulé. En voici le libellé :
27. (2.1) Le député qui présente une demande d'enquête ne formule aucun commentaire public sur cette dernière avant que le commissaire confirme que le député visé par l'enquête a obtenu copie de la plainte, ou qu'un délai de 14 jours s'est écoulé suivant la réception de la demande par le commissaire, selon la première des deux éventualités.
Le paragraphe 27(2.1) est une disposition relativement nouvelle, en vigueur depuis le 20 octobre 2015. En juin 2015, la Chambre des communes a approuvé le Trente-neuvième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (Comité de la procédure), acceptant ainsi les modifications recommandées par le Comité. Parmi ces recommandations figurait l'ajout du paragraphe 27(2.1) au Code.
À mon avis, le libellé et l'intention du paragraphe 27(2.1) du Code sont sans ambiguïté et interdisent clairement à tout député de faire des commentaires publics à moins que certaines conditions n'aient été remplies. Dans son Trente-neuvième rapport, le Comité de la procédure expliquait l'origine de la modification et son objet :
Mme Dawson [l'ancienne commissaire] a signalé au Comité une autre question concernant l'équité du processus de demande d'enquête. Plus particulièrement, lorsqu'une demande d'enquête est faite, le député visé par la demande pourrait entendre parler de la demande dans les médias ou par d'autres sources avant d'en être informé par le commissariat. Mme Dawson a demandé que les députés s'abstiennent de commenter publiquement les demandes qu'ils présentent jusqu'à ce que le député visé en ait été informé.
De l'avis du Comité, cette interdiction serait juste pour tous les députés et ne limiterait pas indûment la liberté de parole des députés, à condition que le commissariat entreprenne d'informer les députés touchés en temps voulu.
Le Comité recommande que le Code soit modifié pour interdire aux députés qui demandent une enquête de commenter publiquement la demande jusqu'à ce que le commissaire confirme que le député visé a reçu une copie de la plainte. Le commissaire doit confirmer que le député en cause a été informé au plus tard 14 jours après la réception de la demande par le commissaire, à défaut de quoi le député en cause peut faire des observations publiques.
[En gras dans l'original]
Les témoignages recueillis dans cette enquête indiquent clairement que M. Angus était responsable d'avoir parlé de sa lettre au sujet de M. Grewal au National Post, puis d'avoir publié un lien vers l'article, avant que je n'aie confirmé que le député visé par la plainte en avait reçu une copie ou que se soit écoulé le délai de 14 jours suivant ma réception de la plainte le 28 mars 2018.
À mon avis, le député qui émet un avis public ou une confirmation qu'une demande d'enquête a été faite formule un commentaire public. Cette interprétation est appuyée par d'autres dispositions du Code, notamment les alinéas 27(5.1)(i) et (ii), qui désignent par l'expression « commenter publiquement » le simple fait de confirmer qu'une demande d'enquête a été reçue ou qu'un examen préliminaire ou une enquête a commencé ou pris fin. En voici le libellé :
27. (5.1) Le commissaire ne peut commenter publiquement un examen préliminaire ou une enquête, sauf pour :
(i) confirmer qu'une demande a été reçue à cet effet;
(ii) confirmer qu'un examen préliminaire ou une enquête a commencé ou a pris fin;
Le fait que les commentaires publics aient été faits le jour même où j'ai reçu la demande n'a pas permis que s'écoule le délai raisonnable de 14 jours accordé au commissaire par le Comité de la procédure pour informer de la plainte le député qui en fait l'objet.
À mon avis, les propos de M. Angus tenus au National Post et le lien vers l'article sur sa page Facebook allaient à l'encontre de l'intention du paragraphe 27(2.1), car le député faisant l'objet de la plainte risquait d'en entendre parler par d'autres sources avant d'en être avisé par le Commissariat.
Conclusion
Pour les motifs susmentionnés, j'ai conclu que M. Angus a contrevenu au paragraphe 27(2.1) du Code.
Lorsque le commissaire conclut qu'un député ne s'est pas conformé à une obligation prévue par le Code, il prend en considération les circonstances atténuantes prévues par le paragraphe 28(5), qui énonce ce qui suit :
28. (5) S'il conclut que le député ne s'est pas conformé à une obligation aux termes du présent code, mais qu'il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter de l'enfreindre, ou que l'infraction est sans gravité, est survenue par inadvertance ou est imputable à une erreur de jugement commise de bonne foi, le commissaire l'indique dans son rapport et peut recommander qu'aucune sanction ne soit imposée.
J'ai conclu qu'aucune des circonstances énoncées au paragraphe 28(5) ne s'applique en raison du fait que M. Angus connaissait l'existence du paragraphe 27(2.1) mais a choisi de ne pas en tenir compte puisque, selon lui, ma prédécesseure ne l'avait jamais appliqué.
Conformément au paragraphe 28(6) du Code, lorsqu'un député ne s'est pas conformé au Code et qu'aucune des circonstances énoncées au paragraphe 28(5) ne s'applique, le commissaire peut recommander des sanctions. Ce paragraphe était ainsi libellé :
28. (6) S'il conclut que le député n'a pas respecté une obligation aux termes du présent code et qu'aucune des circonstances énoncées au paragraphe (5) ne s'applique, ou s'il est d'avis qu'une demande d'enquête est frivole ou vexatoire ou n'a pas été présentée de bonne foi, le commissaire l'indique dans son rapport et peut recommander l'application des sanctions appropriées.
Bien que j'aie conclu que M. Angus n'a pas respecté ses obligations aux termes du paragraphe 27(2.1) du Code, je prends note du fait que M. Angus a présenté des excuses. Par conséquent, je ne recommande pas l'application de sanctions.