PRÉFACE
Le présent rapport est produit conformément à la
Loi sur les conflits d'intérêts L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi).
Le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique peut entreprendre une étude en vertu de la Loi à la demande d'une ou d'un parlementaire, comme c'est le cas de cette étude, ou de son propre chef.
Lorsque le commissaire amorce une étude à la demande d'une ou d'un parlementaire, il est tenu de remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions à la suite de l'étude. Le commissaire doit en même temps remettre un double du rapport à la ou au titulaire ou à l'ex‑titulaire de charge publique visé, et le rendre accessible au public.
Le présent rapport énonce les conclusions de mon étude menée en vertu de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi) relativement à la conduite de l'honorable Bill Morneau, dans le cadre de ses fonctions antérieures de ministre des Finances, concernant sa participation dans deux affaires impliquant les intérêts personnels d'UNIS (WE, en anglais). La première porte sur la décision de confier à UNIS la gestion de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE), programme gouvernemental visant à encourager les jeunes à faire du bénévolat. La seconde porte sur le programme proposé d'Entrepreneuriat social d'UNIS, programme numérique offrant de l'expertise en entrepreneuriat et des occasions de mentorat.
Plusieurs parlementaires m'ont demandé d'enquêter à cause des liens étroits présumés entre M. Morneau et ses proches et UNIS, organisme caritatif international de développement et d'autonomisation des jeunes fondé par MM. Marc Kielburger et Craig Kielburger. UNIS, dont le siège social est situé dans la circonscription de M. Morneau, est composé de l'Organisme UNIS, l'entreprise sociale ME to WE, et de plusieurs autres filiales.
Mon étude portait initialement sur le paragraphe 6(1) et l'article 21 de la Loi. J'en ai étendu la portée au paragraphe 11(1) et l'article 12 lorsqu'on m'a informé que M. Morneau et sa famille avaient accepté deux voyages offerts par UNIS en 2017. En octobre 2020, j'ai mis fin à l'étude sur une possible contravention à ces deux dispositions. Selon la preuve documentaire, M. Morneau n'avait pas accepté sciemment un cadeau ou un autre avantage d'UNIS. En mars 2021, le Commissariat a reçu de l'information qui m'a incité à examiner à nouveau la preuve documentaire. Ce second examen m'a donné des motifs de croire que M. Morneau avait peut‑être contrevenu également à l'article 7.
Mon étude a donc porté sur le paragraphe 6(1) et les articles 7 et 21 de la Loi.
Au début d'avril 2020, M. Morneau a jugé qu'il fallait trouver un moyen d'aider les étudiantes et étudiants de niveau postsecondaire qui allaient perdre leur emploi d'été en raison de la pandémie de COVID‑19. M. Amitpal Singh, un de ses conseillers en politiques, a alors proposé de leur faire faire du bénévolat par l'entremise du mouvement national Service jeunesse Canada. À la demande de M. Morneau, des fonctionnaires du ministère des Finances ont entamé des discussions avec des fonctionnaires d'Emploi et Développement social Canada (EDSC) à propos d'options pour un nouveau programme national de bénévolat pour les jeunes.
M. Craig Kielburger a présenté le programme proposé d'Entrepreneuriat social d'UNIS, déjà en préparation avant la pandémie, à la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international le 7 avril. Ce projet a été mentionné à M. Singh par un représentant d'UNIS au cours d'un appel téléphonique du 8 avril. Convaincu que le gouvernement pourrait profiter de la capacité d'UNIS à faire le suivi des heures de bénévolat pour combler une lacune dans la prestation de services, M. Singh a fait part de sa conversation à un responsable au ministère des Finances. Le 10 avril, M. Craig Kielburger a envoyé une copie de sa proposition à M. Morneau.
Le 18 avril, des fonctionnaires du ministère des Finances ont présenté un compte rendu à M. Morneau sur l'élaboration d'un nouveau programme national de bénévolat et ceux‑ci ont soulevé la possibilité d'un partenariat avec le secteur privé ou le secteur caritatif pour le versement des fonds. Le 21 avril, ils ont présenté à M. Morneau une ébauche de note concernant des projets de mesures d'aide aux étudiants, qui comprenait quatre annexes de financement pour approbation ainsi que des documents fournis à titre d'information seulement.
Une de ces annexes portait sur la bonification du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et la création d'un portail de jumelage des bénévoles. Une autre annexe était une demande de financement pour la création de la BCBE. Selon le ministère des Finances, il était préférable que la BCBE soit gérée par un tiers en partenariat avec un organisme comme UNIS; il recommandait de prévoir des fonds pour le programme en attendant que l'annexe soit peaufinée. La proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS faisait partie de la documentation fournie à titre d'information, même si elle n'avait été ni analysée ni évaluée. Selon la preuve, il s'agissait de la première fois qu'UNIS était nommé dans les documents d'information de M. Morneau portant sur les mesures d'appui aux étudiants, et aucun détail n'a été donné à M. Morneau à ce sujet pendant le compte rendu.
M. Morneau a approuvé le financement pour Service jeunesse Canada et la BCBE, mais n'a rien décidé au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. M. Singh a demandé aux fonctionnaires du ministère des Finances d'inclure le financement pour la proposition d'Entrepreneuriat social.
Le 22 avril, M. Trudeau a annoncé la création de la BCBE et du portail de jumelage des bénévoles parmi d'autres mesures pour aider les étudiants de niveau postsecondaire et les récents diplômés.
À la demande de M. Singh, UNIS a retravaillé un élément de sa proposition d'Entrepreneuriat social pour en faire une proposition de programme de bénévolat d'été pour les jeunes qui permettrait à 20 000 jeunes de participer à des projets de trois mois et de toucher une bourse.
Le 23 avril, le ministère des Finances a demandé à EDSC de proposer un plan de conception et de mise en œuvre de la BCBE pour un lancement à la mi‑mai 2020. EDSC a déterminé qu'il fallait confier la gestion du programme à un tiers et l'organisme UNIS a été mentionné en soulignant que la proposition de programme de bénévolat d'été pour les jeunes pourrait servir de base pour le programme. Le 24 avril, EDSC a demandé à UNIS de présenter une proposition en bonne et due forme pour gérer la BCBE.
Le 28 avril, EDSC a soumis un projet de plan de conception et de mise en œuvre pour la BCBE. Les fonctionnaires recommandaient UNIS comme administrateur du programme. Approuvée en principe par le Comité spécial du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie à coronavirus (COVID‑19) le 5 mai, la proposition devait être soumise au reste du Cabinet pour ratification le 8 mai. Compte tenu des liens d'UNIS et des membres de sa famille, M. Trudeau et sa cheffe de cabinet ont décidé de retirer la présentation de la proposition de la BCBE de l'ordre du jour de la réunion du 8 mai du Cabinet et ont demandé une analyse plus poussée par la fonction publique.
Le 15 mai, M. Trudeau a approuvé les décisions de M. Morneau concernant le financement des mesures d'appui aux étudiants, mais il a rejeté la recommandation de financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Le 21 mai, M. Trudeau a autorisé la présentation de la proposition concernant la BCBE au Cabinet. Le 22 mai, le Cabinet a ratifié la proposition en question. Dans son témoignage, M. Morneau a dit qu'il avait appuyé la proposition finale pour la BCBE et qu'il l'avait approuvée par écrit le 3 juin.
Le 22 juin, M. Trudeau a approuvé l'entente de contribution conclue avec UNIS.
Je devais déterminer si M. Morneau avait contrevenu au paragraphe 6(1) et aux articles 7 et 21 de la Loi en participant à deux décisions : celle de recommander le financement du programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS et celle de confier la gestion de la BCBE à UNIS.
Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision s'il sait que, ce faisant, il pourrait se retrouver en situation de conflit d'intérêts. L'article 4 prévoit qu'un titulaire de charge publique est en conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami, ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
Selon l'article 21 de la Loi, le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.
Je suis convaincu que M. Morneau n'a pas eu l'occasion de favoriser ses intérêts personnels ni ceux de sa famille à l'égard des questions étudiées. La nature des relations entre M. Morneau et M. Craig Kielburger, cofondateur d'UNIS, ainsi que leurs interactions personnelles et professionnelles me permettent de conclure qu'ils sont des amis au sens de la Loi. J'ai aussi conclu que M. Morneau avait eu l'occasion de favoriser de façon irrégulière les intérêts d'UNIS.
Le Commissariat a toujours préconisé une interprétation étroite du terme « ami » qui ne comprend que les amis personnels les plus proches du titulaire de charge publique. Les collègues, associés ou membres d'un large cercle social étaient généralement exclus de son application. Je crois qu'il est nécessaire d'élargir la portée du terme pour englober les relations où les interactions personnelles et professionnelles s'entremêlent à un point tel qu'il devient difficile de les distinguer les unes des autres. Dans de tels cas, il est raisonnable de croire que le jugement dont fait preuve le titulaire de charge publique dans l'exercice de ses fonctions officielles puisse être brouillé.
L'amitié entre M. Morneau et M. Kielburger, cofondateur d'UNIS, a créé un conflit
potentiel pour M. Morneau lorsqu'il a été appelé à prendre toute décision qui favoriserait les intérêts personnels d'UNIS. Autrement dit, toute décision prise par M. Morneau qui donnait la possibilité de favoriser les intérêts personnels d'UNIS a été prise de façon irrégulière.
M. Morneau aurait raisonnablement dû savoir qu'il était en conflit d'intérêts potentiel en raison de sa relation avec M. Craig Kielburger lorsqu'il a reçu la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS le 10 avril 2020. Lors des comptes rendus qui ont suivi sur les mesures d'aide aux étudiants, la proposition a de nouveau été soulevée et UNIS a été mentionné comme partenaire possible pour le programme de bénévolat national. Le 19 avril, lorsque M. Morneau a été avisé qu'UNIS jouerait probablement un rôle important dans l'initiative d'aide aux étudiants, il aurait dû se récuser de toute discussion, conformément à l'article 21 de la Loi.
M. Morneau savait qu'UNIS allait être « intégré » dans l'initiative de soutien pour les étudiants. Par conséquent, la recommandation par M. Morneau de mettre en réserve les 900 millions de dollars pour la BCBE le 21 avril et sa participation aux discussions du Cabinet le 22 mai, lorsqu'il a voté pour la création de la BCBE et la sélection d'UNIS comme administrateur, avait fourni la possibilité de favoriser de façon irrégulière les intérêts d'UNIS du fait de son amitié avec M. Craig Kielburger. Ce faisant, M. Morneau s'est placé en situation de conflit d'intérêts à plusieurs reprises.
Je devais également déterminer si M. Morneau avait contrevenu à l'article 7 de la Loi, qui interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder un traitement de faveur à une personne ou à un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre. Pour qu'il y ait contravention à l'article 7, il faut que le traitement qu'accorde le titulaire de charge publique à une personne ou à un organisme soit plus favorable que le traitement qui aurait été accordé à une personne ou à un organisme dans une situation semblable, et il faut qu'il y ait une relation préalable entre le titulaire de charge publique et le représentant.
Je n'ai trouvé aucune preuve que M. Morneau ait été directement impliqué dans la décision d'EDSC de proposer UNIS comme administrateur de la BCBE. Il ne semble pas non plus avoir donné de directives à quiconque relativement à la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS.
Toutefois, le degré de mobilisation de son cabinet ministériel quant aux dossiers relatifs à UNIS semble avoir été exceptionnellement élevé par le passé, ce qui s'est également produit dans les affaires à l'étude. Les communications ont été fréquentes entre le personnel ministériel de M. Morneau et les représentants d'UNIS. M. Singh a demandé à UNIS de bonifier sa proposition d'Entrepreneuriat social et a envoyé la proposition restructurée au cabinet du premier ministre et au ministère des Finances sans l'examiner, l'analyser ou la communiquer à M. Morneau. Il a aussi continué de faire la promotion de la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Une fois la proposition restructurée disponible, les fonctionnaires d'EDSC, confrontés à un échéancier de mise en œuvre serré, n'ont eu d'autre choix que de faire appel à UNIS.
Il est depuis longtemps admis qu'un ministre ou un secrétaire parlementaire doit clairement distinguer ses fonctions ministérielles de ses fonctions parlementaires. Bien qu'UNIS soit une œuvre de bienfaisance établie, l'organisme et ses représentants doivent être traités comme tout autre intervenant de la circonscription de M. Morneau. L'organisme doit demander du soutien en utilisant les voies habituelles et être aiguillé vers les autorités compétentes sans influence indue, notamment lorsque, comme dans le cas présent, les relations personnelles et professionnelles se confondent.
Je suis d'avis que M. Morneau a accordé un traitement de faveur à UNIS en permettant aux membres de son personnel ministériel de fournir une assistance disproportionnée à un électeur. Selon moi, ce libre accès au cabinet du ministre des Finances est en raison de la relation entre M. Morneau et M. Kielburger, qui sont à mon avis des amis au sens où l'entend la Loi. Ce traitement de faveur est également une irrégularité au sens du paragraphe 6(1).
Par conséquent, j'ai conclu que M. Morneau a contrevenu au paragraphe 6(1) ainsi qu'aux articles 7 et 21 de la Loi.
Le 10 juillet 2020, j'ai reçu trois lettres distinctes me demandant d'entreprendre une étude sur la conduite de l'honorable Bill Morneau, ministre des Finances, concernant la création de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE) et le choix de l'organisme UNIS[1] pour administrer le programme. La première venait de M. Michael Barrett, député de Leeds–Grenville–Thousand Islands et Rideau Lakes; la deuxième, de M. Charlie Angus, député de Timmins–Baie James; et la troisième était une lettre envoyée conjointement par l'honorable Pierre Poilievre, député de Carleton, et M. Michael Cooper, député de St. Albert–Edmonton.
Les plaignants ont tous allégué que M. Morneau avait contrevenu au paragraphe 6(1) de la
Loi sur les conflits d'intérêts (la Loi), qui interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge afin de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami, ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne. Les plaignants ont allégué que deux des enfants de M. Morneau avaient des liens étroits avec UNIS. De façon plus précise, sa fille aînée a donné une allocution lors de la Journée UNIS tenue à Ottawa en 2016 et elle a reçu le soutien du cofondateur d'UNIS, M. Marc Kielburger, à la publication de son premier livre, tandis que sa fille cadette a été à l'emploi d'UNIS à partir d'août 2019.
M. Barrett a indiqué que, même si sa famille entretenait des liens étroits avec UNIS, M. Morneau continuait de prendre part à des relations officielles avec l'organisme. M. Barrett a écrit que, en août 2019, M. Morneau s'était joint à M. Craig Kielburger, cofondateur d'UNIS, pour annoncer un investissement de 3 millions de dollars dans l'initiative des entrepreneurs sociaux d'UNIS[2].
Trois des plaignants ont également allégué que M. Morneau avait aussi contrevenu à l'article 21 de la Loi en omettant de se récuser concernant les discussions ayant trait à UNIS en raison des liens étroits de sa famille avec l'organisme.
MM. Barrett, Poilievre et Cooper m'ont demandé d'entreprendre une étude sur une contravention possible de l'article 7 de la Loi, car, selon leurs allégations, UNIS aurait bénéficié d'un traitement de faveur en raison de ses liens étroits avec M. Morneau et les membres de sa famille. M. Barrett a aussi allégué que M. Morneau s'était servi de sa charge pour tenter d'influencer une décision portant sur la BCBE, contrevenant ainsi à l'article 9 de la Loi. Les plaignants n'ont cependant pas fourni de renseignements suffisants pour me permettre de conclure que leurs allégations reposaient sur des motifs raisonnables. Par conséquent, j'ai décidé de ne pas entreprendre, pour l'heure, d'étude à la lumière des articles en question.
Ayant pris en considération les trois demandes d'étude, j'ai déterminé qu'elles satisfaisaient aux exigences énoncées au paragraphe 44(2) de la Loi. J'ai donc écrit à M. Morneau, le 16 juillet 2020, pour l'informer que j'avais entrepris une étude en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. J'en ai également avisé les plaignants.
J'ai expliqué à M. Morneau que mon étude avait pour objet d'évaluer sa participation à la décision, prise par le gouvernement du Canada (le gouvernement), de confier l'administration de la BCBE à UNIS, ce qui devait m'amener à déterminer s'il avait contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi.
Le 22 juillet 2020, quelques minutes avant sa comparution devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes (le comité FINA), M. Morneau m'a écrit pour me dire qu'il avait pris connaissance d'un fait important à la suite de ma lettre du 16 juillet. Après avoir examiné ses dossiers financiers concernant deux voyages de bénévolat auxquels sa famille et lui avaient participé en juillet et décembre 2017, il n'était pas en mesure de confirmer que sa famille et lui avaient payé certaines dépenses relatives aux programmes et à l'hébergement offerts par UNIS. M. Morneau a ajouté que, dès qu'il s'en était rendu compte, il avait remboursé immédiatement à UNIS tous les coûts que l'organisme avait absorbés lors des deux voyages.
Dans la même lettre, M. Morneau a également noté que sa conjointe, Mme Nancy McCain, avait précédemment versé à UNIS deux dons de 50 000 $ chacun, l'un en avril 2018 et l'autre en juin 2020.
À la suite du témoignage de M. Morneau devant le comité FINA, j'ai reçu deux autres demandes des quatre plaignants désignés plus haut concernant le fait que M. Morneau et sa famille ont accepté les deux voyages en question offerts par UNIS en 2017.
Dans les deux demandes, les plaignants ont allégué que M. Morneau et des membres de sa famille avaient accepté un avantage financier important sous la forme d'un voyage payé par une organisation ayant des relations d'affaires avec le gouvernement, ce qui contrevenait au paragraphe 11(1) de la Loi. Cette disposition interdit à tout titulaire de charge publique et à tout membre de sa famille d'accepter un cadeau qui pourrait raisonnablement donner à penser qu'il a été donné pour influencer le titulaire dans l'exercice de ses fonctions officielles.
MM. Poilievre, Barrett et Cooper ont aussi allégué que M. Morneau avait contrevenu à l'article 12 de la Loi en acceptant de voyager à bord d'un avion non commercial nolisé ou privé. Même s'ils n'ont fourni dans leur lettre aucun renseignement étayant leur allégation, des informations circulant dans la sphère publique ont soulevé la possibilité que la famille de M. Morneau avait accepté de voyager à bord d'un avion non commercial nolisé ou privé durant leur voyage de juillet 2017 au Kenya.
Les plaignants ont allégué par ailleurs que M. Morneau avait contrevenu à l'article 23 et au paragraphe 25(1) de la Loi en omettant de déclarer dans les délais impartis l'acceptation d'un cadeau d'une valeur supérieure à 200 $ et en omettant de déclarer publiquement une récusation, respectivement. Le défaut de signaler ou de déclarer publiquement un intérêt privé, comme un cadeau, ou les circonstances entourant une récusation, peut entraîner l'imposition d'une pénalité administrative en vertu de la Loi.
Le 24 juillet 2020, j'ai dressé deux procès‑verbaux à l'intention de M. Morneau concernant le fait qu'il avait omis de déclarer un cadeau ou un autre avantage accepté dans le cadre des deux voyages de 2017. Les pénalités proposées ont été fixées à 500 $ chacune, soit le maximum permis par la Loi. J'ai indiqué à M. Morneau que la Loi lui offrait deux options : il pouvait soit payer les pénalités, soit présenter des observations relativement aux contraventions alléguées ou aux pénalités, et ce dans les 30 jours suivant la signification des procès‑verbaux.
J'ai ensuite écrit à M. Morneau, le 29 juillet 2020, pour l'informer que j'avais entrepris une étude sur de possibles contraventions au paragraphe 11(1) et à l'article 12. Je l'ai également avisé qu'aucun motif raisonnable ne justifiait de lancer une étude afin de déterminer s'il y avait eu contravention au paragraphe 25(1).
Le 10 août 2020, l'avocat de M. Morneau m'a fourni une copie des documents soumis au comité FINA. Tout comme dans les documents présentés au comité, certains passages étaient caviardés. Cependant, comme j'étais d'avis que j'avais déjà obtenu d'autres sources des copies non caviardées de tous les documents pertinents, je n'ai pas jugé nécessaire de faire un suivi auprès de M. Morneau ou du ministère des Finances à ce sujet.
Par ailleurs, je crois comprendre qu'aucun des passages caviardés ne renfermait de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine concernant le programme de la BCBE. M. Morneau et d'autres témoins m'ont confirmé par écrit que, dans la logique de la communication publique de renseignements sur la BCBE faite par des membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada, une somme considérable de renseignements portant sur le programme – qui consisteraient autrement en renseignements confidentiels du Cabinet – a été publiée.
Le 31 août 2020, M. Morneau m'a fourni une deuxième tranche de preuves documentaires et une réponse préliminaire à ma demande de production de documents. Cette tranche se composait de toutes les communications échangées par M. Morneau ou un membre de son personnel ministériel avec un représentant d'UNIS depuis que M. Morneau a assumé sa charge publique en 2015, et de toute autre documentation pertinente concernant UNIS en sa possession et dont il avait la garde ou le contrôle. Ces documents n'étaient pas caviardés.
Le 15 septembre 2020, M. Morneau, à qui j'avais accordé un court délai supplémentaire, m'a fourni des observations écrites en réponse aux procès‑verbaux. Dans ces observations, il a affirmé qu'il n'aurait pas pu déclarer l'acceptation d'un cadeau au Commissariat parce qu'il n'avait pas accepté sciemment de cadeau ou d'autre avantage d'UNIS. Il a aussi indiqué qu'il ne savait pas qu'UNIS avait pris la liberté de payer les dépenses relatives aux programmes et à l'hébergement offerts à sa famille lors de ses voyages en 2017. M. Morneau a expliqué que les préparatifs de voyage de sa famille sont gérés par du personnel responsable de cette tâche. Il fait valoir que, puisque sa famille paie toujours ses voyages personnels, il s'attendait à ce qu'il en soit de même pour les deux voyages en question.
M. Morneau maintient dans ses observations qu'il n'a pris connaissance du paiement des dépenses par UNIS qu'après avoir reçu ma lettre du 16 juillet 2020, dans laquelle je l'informais du déclenchement d'une étude sur sa conduite relative à la BCBE. M. Morneau a alors pris des mesures pour calculer le coût total des deux voyages, qui s'élevait à 41 366 $.
Dans ses premières observations préliminaires, M. Morneau avait expliqué qu'il n'avait pas participé au premier voyage de 2017 et qu'il n'y avait pas été invité. C'est plutôt sa fille aînée qui y avait été invitée et qui avait demandé si sa mère souhaitait aussi y participer.
M. Morneau a ajouté que, après le voyage fait au Kenya en juillet, Mme McCain avait pris contact avec M. Marc Kielburger, qui avait proposé d'organiser une visite servant à prendre connaissance des activités d'UNIS en Équateur. Comme pour le premier voyage, M. Morneau a affirmé qu'il n'avait pas pris part à la coordination ou à la planification de la visite, et qu'il n'avait eu aucune communication avec des représentants d'UNIS au sujet du voyage. M. Morneau a écrit que Mme McCain s'était occupée des préparatifs du voyage avec l'aide d'un agent de voyage et d'un aide de bureau de la famille.
M. Morneau a aussi expliqué qu'il n'était pas intervenu dans la décision de verser deux dons de 50 000 $ à UNIS. Il a indiqué que Mme McCain, qui se consacre depuis longtemps à des activités de philanthropie, avait décidé elle‑même de faire ces dons.
J'ai demandé et obtenu un dossier documentaire supplémentaire de M. Morneau le 23 octobre 2020. Ce dossier comprenait les documents suivants : des reçus montrant que M. Morneau et sa famille avaient organisé et payé leurs voyages avec l'aide d'un agent de voyage; une copie de l'invitation envoyée par UNIS au compte de courriel personnel de la fille de M. Morneau, et d'autres messages courriel personnels jugés pertinents; une preuve de paiement au montant de 41 366 $, versé par M. Morneau à UNIS le 22 juillet 2020; et une lettre de la direction de la Toronto Foundation confirmant que Mme McCain avait demandé que les dons soient versés à UNIS.
Compte tenu de la preuve documentaire, qui corrobore les déclarations de M. Morneau, j'ai écrit à M. Morneau le 28 octobre 2020 pour lui dire que j'avais déterminé que l'imposition d'une pénalité n'était pas justifiée dans les circonstances. Je l'ai également informé que j'avais mis fin à mon étude des allégations portant sur une possible contravention au paragraphe 11(1) et à l'article 12 de la Loi. J'ai toutefois confirmé que mon étude sur une possible contravention au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi se poursuivait.
Le 5 mars 2021, j'ai reçu, d'une source anonyme, des renseignements additionnels ayant trait indirectement à la question à l'étude. Ces renseignements m'ont amené à réexaminer la preuve documentaire déjà à ma disposition. Ce nouvel examen m'a permis de constater que M. Morneau et son cabinet ministériel étaient intervenus dans deux demandes de financement d'UNIS. La première était une demande de fonds de 10 millions de dollars pour l'« Accelerator Hub » de l'organisme, qui avait reçu du financement fédéral et provincial en 2018. La deuxième, faite en 2019, était une demande de fonds de 25 millions de dollars concernant l'initiative des entrepreneurs sociaux d'UNIS, mentionnée plus haut. À la suite de ma réévaluation de ces événements, j'avais des motifs de croire que M. Morneau pouvait avoir contrevenu à l'article 7 de la Loi, qui interdit d'accorder un traitement de faveur à une personne ou à un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
Au lieu d'une entrevue, j'ai demandé à M. Morneau de me présenter des observations écrites exposant sa position et sa participation concernant les trois allégations restantes. J'ai aussi demandé à M. Morneau de donner plus de détails sur sa participation à la recommandation d'accorder un financement de 12 millions de dollars au programme proposé d'Entrepreneuriat social, que M. Craig Kielburger avait présenté personnellement à M. Morneau le 10 avril 2020. J'ai reçu la réponse de M. Morneau relativement à l'allégation d'une contravention possible à l'article 7 le 30 mars 2021, et j'ai reçu un affidavit signé relativement au paragraphe 6(1) et à l'article 21 le 5 avril 2021.
Conformément à la pratique du Commissariat, j'ai fourni à M. Morneau une copie de la preuve documentaire pertinente recueillie pendant l'étude, ainsi que l'ébauche de la portion factuelle du rapport (Préoccupations et processus, Faits et Position de M. Morneau) avant qu'il ne soit achevé.
Le 3 juillet 2020, j'ai entrepris, à la demande de plusieurs parlementaires, une étude concernant la même affaire, mais portant sur la conduite du premier ministre du Canada, le très honorable Justin Trudeau. La preuve documentaire reçue a été utilisée pour les deux rapports d'étude.
Le Commissariat a reçu plus de 40 000 pages de documents de M. Morneau, de M. Trudeau et de 13 témoins, dont une copie de la documentation qui avait été fournie au comité FINA. Étant donné que toutes les procédures parlementaires sont protégées par le privilège parlementaire, je n'ai pu me servir des témoignages devant le comité pour me renseigner en vue du présent rapport, même si j'en ai fait une demande formelle au comité FINA. Par conséquent, j'ai dû interroger certains témoins qui avaient déjà comparu devant le comité FINA afin d'obtenir leur témoignage à nouveau.
Je suis au fait des études entreprises par le comité FINA et deux autres comités parlementaires sur les différents aspects des dépenses publiques pendant la pandémie de COVID‑19, dont la BCBE. Leur travail n'a aucunement entravé le mien. Il est important de souligner que la présente étude portait uniquement sur la conduite de M. Morneau concernant ses obligations légales en vertu de la Loi.
Contexte
L'organisme UNIS
UNIS est un mouvement international de bienfaisance pour le développement et l'autonomisation des jeunes, fondé en 1995 par MM. Marc et Craig Kielburger. UNIS est composé de l'Organisme UNIS, de l'entreprise sociale ME to WE[3], et de plusieurs autres filiales. Anciennement connue sous le nom d'Enfants Entraide (Free the Children), l'organisme met en œuvre des programmes de développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, en misant sur l'éducation, l'accès à l'eau potable, les soins de santé, la sécurité alimentaire et les débouchés économiques.
UNIS gère également des programmes nationaux pour les jeunes au Canada, aux États‑Unis et au Royaume‑Uni et fait la promotion de l'apprentissage par le bénévolat et la citoyenneté active. Depuis 2007, UNIS a organisé une série d'événements à grande échelle, connus sous le nom de « Journées UNIS », qui se tiennent dans différentes villes tout au long de l'année scolaire. Les éditions des Journées UNIS ont accueilli des dizaines de milliers d'étudiantes et étudiants et ont célébré leur influence sur les débats locaux et mondiaux. Les étudiants gagnent leurs billets en participant au programme UNIS à l'école, programme d'apprentissage par le bénévolat d'une durée d'un an géré par UNIS. Chaque événement compte une série de conférencières et conférenciers, comme des activistes sociaux, des élues et élus de différents ordres de gouvernement et des spectacles musicaux.
La plus récente édition de la Journée UNIS a eu lieu le 4 mars 2020 à Londres, en Angleterre. UNIS a annoncé en juillet 2020 qu'elle annulait ses activités de la Journée WE jusqu'à nouvel ordre afin de se consacrer à son volet international.
Interactions d'UNIS avec le gouvernement
Selon des documents publics, entre 2006 et 2015, UNIS a reçu environ 1,1 million de dollars du gouvernement Harper. Entre 2015 et 2019, UNIS a reçu au moins 5,5 millions de dollars de financement de différents ministères, dont Emploi et Développement social Canada (EDSC) et Patrimoine canadien. Dans une note interne produite par le personnel du cabinet du ministre des Finances, UNIS était décrit comme un intervenant clé et un « partenaire externe de même sensibilité » [traduction].
Interactions de la famille Morneau avec UNIS
M. Morneau a dit que c'était après avoir été élu député, en novembre 2015, qu'il avait pris connaissance d'UNIS pour la première fois, car le siège social de l'organisme était situé dans sa circonscription. MM. Marc et Craig Kielburger ont écrit que, de mémoire, ils avaient rencontré M. Morneau et Mme McCain, pour la première fois en 2016.
M. Morneau a indiqué que deux de ses enfants avaient eu des liens avec UNIS. En 2016, après avoir écrit un livre sur des filles réfugiées au Kenya, ouvrage orné d'un commentaire élogieux de M. Marc Kielburger en couverture, la fille aînée de M. Morneau a donné des allocutions à trois activités de la Journée UNIS tenues dans le cadre de la campagne de promotion de son livre. Selon M. Morneau, sa fille n'a pas été rémunérée pour ces allocutions ou pour toute autre raison.
En avril 2017, M. Craig Kielburger a écrit à M. Morneau et à Mme McCain pour leur annoncer que lui et sa conjointe attendaient un enfant. Dans son courriel, M. Kielburger a dit que M. Morneau et Mme McCain étaient « parmi les premiers » à apprendre la nouvelle, et il a exprimé sa gratitude pour les « nombreux amis merveilleux et les membres de la famille » qui avaient offert des conseils aux futurs parents. M. Morneau ne se rappelle pas si sa conjointe ou lui ont donné un cadeau à M. Kielburger pour souligner la naissance de son enfant, mais il a fait remarquer qu'il avait pour pratique d'offrir ses félicitations en donnant un petit cadeau, à ses propres frais, ce qu'il faisait régulièrement avec son personnel, les membres de son équipe, ses électrices et électeurs et ses associées et associés.
Plus tard ce même mois, M. Kielburger a envoyé un courriel à Mme McCain pour lui dire qu'il était heureux de les avoir vus la fin de semaine précédente. Dans son message, M. Kielburger a fait l'éloge du discours donné par la fille de Mme McCain à la Journée UNIS tenue à Montréal en février, et il a invité la famille à l'inauguration du Learning Centre d'UNIS, en septembre. En mai 2017, M. Kielburger a relancé l'invitation à la famille Morneau dans un courriel envoyé au compte personnel de M. Morneau. M. Kielburger y a aussi remercié M. Morneau de ses « années de soutien incroyable à la cause ».
Plus tard cet été‑là, M. Marc Kielburger a invité Mme McCain et l'une de ses filles à assister à une visite des installations d'UNIS au Kenya, ce qu'elles ont fait en juillet 2017. Au Kenya, M. Craig Kielburger a soupé en privé avec Mme McCain et sa fille.
M. Marc Kielburger a plus tard invité Mme McCain à prendre connaissance des activités d'UNIS en Équateur. M. Morneau a visité le pays en compagnie de sa famille en décembre 2017. Il se rappelle que M. Craig Kielburger, en sa qualité générale d'hôte, était également présent. Les deux hommes ont eu des interactions cordiales, mais limitées au cours du voyage. M. Kielburger a écrit que, lors des deux voyages, la famille Morneau faisait partie d'un groupe formé d'autres personnes et familles, et qu'elle avait pris part aux mêmes activités que les autres membres du groupe.
Dans un courriel de juillet 2018, M. Craig Kielburger a invité M. Morneau et Mme McCain à assister à une Journée UNIS à Toronto et à une Journée UNIS ONU à New York, car leur fille devait y prendre la parole. M. Kielburger a conclu son courriel en remerciant la famille Morneau de son amitié.
En février et mars 2019, la fille cadette de M. Morneau a entrepris un stage non rémunéré à UNIS. Ce stage était exigé par son programme d'études postsecondaires, qui comprenait un volet pratique. En juillet 2019, elle a commencé à travailler pour UNIS, d'abord dans un poste de courte durée, puis dans un poste contractuel à ME to WE, qui a pris fin en août 2020.
M. Morneau a déclaré que, en avril 2018 et en juin 2020, Mme McCain a fait deux dons à UNIS au nom de leur fondation familiale. M. Morneau a indiqué que Mme McCain et lui sont tous deux signataires de la fondation, mais qu'il n'avait pas pris part à la décision de verser des dons et qu'il n'avait pas apposé sa signature. La preuve documentaire soutient cette affirmation.
M. Morneau a signalé par ailleurs que Mme McCain et lui avaient reçu M. Craig Kielburger et sa famille chez eux en 2018 et au début de 2019. À une occasion, un dimanche de mai 2018, Mme McCain avait donné un brunch du dimanche. M. Kielburger a affirmé que la famille Morneau voulait ainsi offrir ses remerciements pour les voyages faits dans le cadre des activités de l'organisme. M. Kielburger a participé au brunch en compagnie de sa conjointe (qui travaille aussi pour UNIS) et de leur fils. M. Kielburger a noté que sa conjointe et lui avaient accepté l'invitation dans le cadre de leurs fonctions professionnelles. M. Morneau a indiqué qu'il lui restait peu de souvenirs de ce repas, mais qu'il aurait sans doute discuté des activités caritatives d'UNIS et de questions familiales; il n'a discuté d'aucun dossier gouvernemental.
MM. Marc et Craig Kielburger ont précisé qu'ils n'avaient jamais entretenu de rapports avec M. Morneau ou Mme McCain en dehors de leurs fonctions professionnelles, et qu'ils ne les considèrent pas comme des amis.
Interactions de M. Morneau avec UNIS dans le cadre de ses fonctions d'élu
M. Morneau a indiqué que, dans le cadre de ses fonctions d'élu, il avait assisté à plusieurs activités étudiantes organisées par UNIS, y compris une Journée UNIS, à Ottawa, en novembre 2016.
En décembre 2016, M. Marc Kielburger a écrit par courriel à M. Morneau pour le remercier d'avoir participé à la Journée UNIS à Ottawa et d'avoir si gracieusement et généreusement offert son temps et son soutien. Dans son message, M. Kielburger est également revenu sur une discussion que les deux hommes avaient eue lors d'une rencontre non liée à UNIS; M. Kielburger avait alors décrit une demande de financement qu'UNIS avait faite concernant une proposition de bénévolat national pour les jeunes. Rien ne démontre que M. Morneau ou son cabinet a fait quoi que ce soit à ce moment.
Selon la preuve documentaire qui m'a été fournie par M. Morneau, c'est à la suite d'une rencontre tenue avec M. Craig Kielburger le 28 juin 2017 que M. Morneau et son cabinet ministériel ont commencé à épauler l'organisme dans ses efforts visant à obtenir des fonds publics pour son projet d'« Accelerator Hub ». La preuve documentaire démontre également que M. Morneau et son personnel ministériel ont porté assistance à UNIS en examinant ses propositions de financement, en mettant en contact des représentantes et représentants d'UNIS avec du personnel des ministères pertinents et en intervenant en leur nom auprès de diverses autorités fédérales, provinciales et municipales.
Dans trois courriels distincts envoyés en décembre 2017 à différents chefs de cabinet de ministres du gouvernement de l'Ontario, un membre du personnel ministériel de M. Morneau a présenté M. Craig Kielburger comme un « bon ami » du cabinet du ministre et UNIS comme un « excellent partenaire local », et il a demandé à ses homologues provinciaux de prévoir du temps pour rencontrer M. Kielburger et d'autres représentants de l'organisme et pour leur donner l'occasion de discuter d'une proposition de financement provincial. Après que les homologues provinciaux ont fait savoir au cabinet de M. Morneau que le financement avait été approuvé, M. Morneau a appelé M. Kielburger pour lui annoncer personnellement la nouvelle.
La preuve documentaire démontre par ailleurs que le cabinet ministériel de M. Morneau a reçu le soutien de M. Kielburger et d'UNIS pour au moins deux activités qu'il avait organisées, y compris les consultations prébudgétaires du ministre des Finances menées auprès des jeunes à Toronto, en novembre 2017 et en décembre 2017. Ces consultations, qui ont eu lieu dans les bureaux d'UNIS, ont aussi fait l'objet d'efforts promotionnels de l'organisme.
En septembre 2018, M. Kielburger a envoyé une proposition de financement d'UNIS concernant le Social Enterprise Centre à des membres du cabinet ministériel de M. Morneau. M. Kielburger voulait savoir à quels ministres le cabinet lui conseillait de soumettre sa proposition. Plus tard ce même mois, le personnel ministériel de M. Morneau a organisé une réunion entre M. Kielburger et Mme Jennifer O'Connell, qui était alors secrétaire parlementaire du ministère des Finances. Mme O'Connell avait d'abord demandé la raison pour laquelle sa présence à cette réunion était nécessaire. Le cabinet de M. Morneau a répondu que « c'était un dossier important pour Bill, et Craig n'est pas souvent en ville. Il suffit de se mettre en mode écoute, juste pour lui faire plaisir » [traduction]. À propos de M. Kielburger, le personnel ministériel de M. Morneau a dit qu'il « avait été très bon pour nous, alors nous voulons lui faire plaisir […] » [traduction].
La documentation révèle au total des dizaines d'échanges entre le personnel du cabinet de M. Morneau et des représentants d'UNIS. Le ton était informel et amical. Les interlocuteurs avaient coutume de s'appeler par leur prénom ou par des formules comme « Hey girl » ou « Hey friend ». Dans ses courriels à M. Morneau, y compris dans les messages concernant la question à l'étude, M. Kielburger appelait le ministre « Bill » et envoyait parfois ses salutations à « Nancy » et aux enfants de M. Morneau.
M. Morneau a déclaré que, comme bien d'autres organisations de sa circonscription l'avaient fait au fil des ans, UNIS s'est adressé à son personnel pour obtenir des conseils et du soutien dans la recherche de financement auprès de différents ordres de gouvernement. Et comme pour bien d'autres projets, son cabinet devait prendre connaissance des demandes et s'engager si possible à fournir du soutien, sans que M. Morneau donne de directives. Il a confirmé que M. Craig Kielburger connaissait son adresse de courriel personnelle, laquelle était souvent donnée aux électeurs, aux partenaires d'affaires ou à d'autres personnes avec qui il communiquait dans l'exercice de ses fonctions officielles. Pour M. Morneau, être accessible était une question de professionnalisme.
M. Morneau a ajouté que sa relation avec M. Craig Kielburger était cordiale et de nature professionnelle, à l'instar de celle qu'il entretenait avec de nombreux autres leaders communautaires de sa circonscription. Il a dit de M. Kielburger qu'il était « une connaissance amicale ».
Réponse du gouvernement à la pandémie de COVID‑19
Le 11 mars 2020, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que la COVID‑19 était une pandémie. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les provinces et les territoires ont déclaré l'état d'urgence pour répondre à la crise de santé publique. Le 13 mars 2020, le gouvernement a commencé à annoncer une série de mesures pour aider les provinces et les territoires, les différents secteurs de l'industrie, les familles et les travailleuses et travailleurs.
Début avril : M. Morneau cerne le besoin de mettre en place des mesures d'appui aux étudiants
Selon M. Morneau, c'est au début du mois d'avril qu'il a reconnu la nécessité d'une politique d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire qui allaient perdre leur emploi d'été ou dont la recherche d'emploi a été interrompue en raison de la pandémie de COVID‑19, et qui ne seraient pas admissibles à d'autres mesures d'aide d'urgence du gouvernement. M. Morneau a ajouté que les initiatives en matière d'appui aux étudiants représentaient une petite portion de l'ensemble des programmes d'appui du gouvernement et a fait remarquer qu'il avait reçu plus de 100 notes décisionnelles portant sur un large éventail d'enjeux politiques pour sa considération au cours de cette période. Chaque note devait faire l'objet d'une analyse officielle par le ministère des Finances et de multiples décisions devaient être prises à l'égard de chacune.
M. Amitpal Singh, conseiller en politiques auprès du ministre des Finances, a témoigné qu'il avait conçu un programme visant à encourager des projets nationaux par le biais de microsubventions, projets qui permettraient en même temps aux jeunes d'acquérir de l'expérience. Il pensait que ce programme pourrait être mis en œuvre et peut‑être même offert par le biais de Service jeunesse Canada. Il a discuté des premières étapes de son idée avec ses collègues du cabinet du ministre, du ministère des Finances et du cabinet du premier ministre. Selon M. Singh, M. Morneau comptait présenter l'idée générale de M. Singh à M. Trudeau lors de leur discussion du 5 avril.
Service jeunesse Canada est une initiative gouvernementale qui offre des possibilités de bénévolat aux jeunes de 15 à 30 ans. Ce programme relève du portefeuille de l'honorable Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse, avec le soutien de l'honorable Carla Qualtrough, ministre de l'Emploi, du Développement de la main‑d'œuvre et de l'Intégration des personnes handicapées.
Les placements de bénévolat, au sein de l'une des 12 organisations partenaires de Service jeunesse Canada, varient en intensité et en durée pour tenir compte de la participation des jeunes. Les placements à temps plein comportent au moins 30 heures de bénévolat par semaine pendant un minimum de trois mois, tandis que les placements flexibles comportent un minimum de 120 heures de bénévolat sur une période d'un an.
Les jeunes peuvent également demander des microsubventions de Service jeunesse Canada pour financer des projets à petite échelle, dirigés par des jeunes, et des idées de bénévolat innovant pour répondre aux besoins communautaires. Elles permettent aux jeunes de concevoir, d'élaborer et de mettre en œuvre un projet de bénévolat en s'appropriant un problème, en proposant une solution, en recrutant leurs pairs et en l'exécutant au niveau local. Les projets bénéficiant de microsubventions durent généralement trois mois.
5 avril : MM. Morneau et Trudeau se rencontrent pour discuter
MM. Trudeau et Morneau ont brièvement discuté de possibles mesures d'aide aux étudiants dans le cadre d'un appel téléphonique le 5 avril.
Selon M. Trudeau, on lui a dit que le ministère des Finances examinait des options pour aider les étudiants qui perdraient probablement leur emploi d'été. L'une des options était d'avoir recours à Service jeunesse Canada pour mettre les jeunes à contribution dans la prestation de services essentiels.
M. Trudeau a ajouté que le cabinet du ministre des Finances et la fonction publique avaient pris les devants en élaborant les détails d'un programme d'aide aux étudiants. Le personnel du cabinet du premier ministre a certes participé à l'élaboration du programme, mais il ne dirigeait pas les travaux. La documentation soumise au Commissariat est venue corroborer ce fait.
M. Morneau a déclaré que le 6 avril, il avait demandé à son équipe ministérielle et au sous‑ministre des Finances, M. Paul Rochon, de communiquer avec des fonctionnaires de tout le gouvernement et de préparer différentes options pour aider les étudiants. La preuve documentaire démontre que le personnel ministériel de M. Morneau a communiqué avec le cabinet du premier ministre et avec le cabinet de Mme Chagger. Les fonctionnaires du ministère des Finances ont communiqué avec des fonctionnaires d'EDSC dans le but de bonifier le mandat de Service jeunesse Canada.
Selon Mme Michelle Kovacevic, sous‑ministre adjointe au ministère des Finances, son ministère devait élaborer les paramètres politiques pour une décision sur le financement des mesures d'aide aux étudiants. Mme Kovacevic a témoigné que, même si le cabinet du ministre ne rédige pas les décisions, il aide le ministère à bien saisir ce que le ministre veut inclure dans une politique.
Du 7 au 10 avril : Proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS
Selon la documentation fournie, UNIS préparait déjà une proposition visant un programme d'Entrepreneuriat social avant la pandémie de COVID‑19. Le 7 avril, M. Craig Kielburger a parlé avec l'honorable Mary Ng, ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, pour présenter la proposition de programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS. À la suite de cet appel, M. Kielburger a soumis la proposition au cabinet de Mme Ng le 9 avril.
La proposition, retravaillée pour répondre à la nouvelle réalité de la pandémie de COVID‑19, visait à servir 8 000 jeunes Canadiennes et Canadiens sur une période de 12 mois. Elle comportait trois volets : un programme en ligne de 10 semaines offrant une expertise et un soutien en matière d'entrepreneuriat dans le contexte de la COVID‑19; un programme de mentorat mettant en relation les entrepreneuses et entrepreneurs et plusieurs centaines d'expertes et experts d'entreprises établies; et un paiement de base à tous les participantes et participants, qui comprenait également l'accès à des fonds d'encouragement supplémentaires et à des possibilités de mentorat à long terme. La proposition prévoyait trois niveaux de coûts : 6 millions, 11 millions et 14 millions de dollars.
Dans un courriel destiné à M. Kielburger, le personnel de Mme Ng lui a répondu qu'ils examineraient la proposition et qu'ils lui donneraient des nouvelles.
La proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS a également été communiquée au cabinet du ministre des Finances. Dans le but d'élargir son champ d'action à des organisations privées, M. Singh s'est entretenu avec Mme Sofia Marquez, alors directrice des Relations avec le gouvernement et les intervenants d'UNIS, le 8 avril. Au cours de l'appel, Mme Marquez a indiqué qu'UNIS avait transposé en ligne une grande partie de son travail et a parlé d'un programme d'été d'entrepreneuriat social que l'organisme était en train de développer. Mme Marquez a expliqué qu'UNIS avait la capacité de suivre les heures, de gérer les différents participants et d'effectuer les paiements, et qu'elle utiliserait ces outils pour la mise en œuvre de la proposition.
M. Singh a parlé à Mme Kovacevic de sa conversation avec Mme Marquez et de la capacité d'UNIS de faire le suivi des heures de bénévolat. M. Singh a témoigné qu'à ce moment‑là, il pensait que le gouvernement pourrait utiliser la capacité d'UNIS à faire le suivi des heures pour combler une lacune dans la prestation de services.
Le 9 avril, Mme Marquez a envoyé la proposition d'Entrepreneuriat social par courriel à M. Singh, qui a informé Mme Marquez qu'ils devraient continuer à dialoguer avec le cabinet de Mme Ng et le tenir informé de tout développement dans le dossier.
Le 10 avril, M. Kielburger a envoyé un courriel à M. Morneau et à Mme Chagger, séparément, pour les informer de sa discussion avec Mme Ng et a joint à ce courriel une copie de la proposition qu'il avait soumise à Mme Ng.
Selon M. Morneau, il a lu le courriel de M. Kielburger, mais n'a pas lu la proposition jointe puisque ce n'était pas dans ses habitudes de lire des documents envoyés par des organisations de l'extérieur. Aucun élément de preuve n'indique que M. Morneau a répondu au courriel de M. Kielburger ou a pris quelque mesure que ce soit à ce moment‑là. Selon Mme Chagger, elle n'a pas discuté de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avec M. Morneau ni avec quelconque autre collègue du Cabinet. Je n'ai pu trouver d'éléments de preuve contraires.
14 et 15 avril : M. Morneau et M. Trudeau sont informés des derniers développements
Le 14 avril, M. Morneau a été informé des derniers développements concernant les mesures d'aide aux étudiants par des fonctionnaires du ministère des Finances. Le 15 avril, M. Trudeau a été informé, à sa demande, des mêmes développements par le personnel de M. Morneau et des fonctionnaires du ministère des Finances.
M. Trudeau a reçu des précisions sur l'idée du ministère des Finances d'inciter le plus grand nombre possible de jeunes à faire du bénévolat à l'échelle nationale. On lui a dit que cette nouvelle mesure s'inscrirait dans le cadre de Service jeunesse Canada.
Mme Kovacevic a témoigné que, pendant la séance d'information du 15 avril, elle se rappelait que M. Trudeau était généralement satisfait de la façon dont le ministère des Finances avait positionné la politique de bénévolat pour les jeunes.
Mi‑avril : Des fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances commencent à discuter d'une initiative de bénévolat et d'un portail de jumelage des bénévoles
À la suite de la séance d'information avec M. Trudeau, les fonctionnaires du ministère des Finances et d'EDSC ont commencé à discuter des options de mise en œuvre d'un nouveau programme national de bénévolat pour les jeunes, puisque l'élaboration d'un modèle pour un tel programme relevait de la responsabilité de ces derniers. Le cabinet de Mme Chagger a également été mis à contribution, selon les besoins.
En mi‑mars, à la demande du cabinet de Mme Chagger, des fonctionnaires d'EDSC ont rédigé une proposition visant à bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada. La proposition a été transmise à Mme Kovacevic le 15 avril.
Dans un courriel du 15 avril envoyé par Mme Kovacevic à deux fonctionnaires d'EDSC, dont Mme Rachel Wernick, sous‑ministre adjointe principale, Mme Kovacevic a écrit que le ministère des Finances avait déjà mis de côté des fonds pour la bonification du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et que les fonctionnaires d'EDSC devaient penser à quelque chose de plus gros pour mobiliser le plus de jeunes possible. Mme Kovacevic a suggéré de tirer parti du volet bénévolat de Service jeunesse Canada et du portail de Bénévoles Canada pour recevoir davantage d'offres pour le jumelage des bénévoles, ajoutant que M. Trudeau avait appuyé l'idée. Mme Kovacevic a également évoqué la possibilité d'offrir aux jeunes des bourses en reconnaissance de leur bénévolat. Mme Kovacevic a également informé Mme Wernick que, d'ici quelques jours, M. Trudeau allait probablement faire une annonce concernant des mesures d'appui aux étudiants et qu'il fallait définir les options possibles.
Mme Wernick a répondu qu'elle avait compris qu'en parlant du portail de Bénévoles Canada, Mme Kovacevic sous‑entendait que l'intérêt était de proposer aux jeunes des activités de bénévolat courtes et ponctuelles pour faire leur part dans le cadre de la pandémie de COVID‑19. Mme Wernick a expliqué à Mme Kovacevic que Service jeunesse Canada offrait des microsubventions à des projets entrepris par des jeunes avec d'autres jeunes, et que les activités de bénévolat dans le cadre de Service jeunesse Canada étaient plus intenses que des occasions ponctuelles d'aider à court terme.
Mme Wernick a également informé Mme Kovacevic qu'il fallait être réalistes quant à la possibilité de bonifier les microsubventions de Service jeunesse Canada, compte tenu des limites de la tierce partie chargée de verser les microsubventions aux bénéficiaires et du fait que de nombreuses organisations sans but lucratif avaient fermé leurs portes en raison de la pandémie de COVID‑19. Selon la preuve documentaire, les fonctionnaires d'EDSC ont communiqué avec le tiers au début du mois d'avril pour s'enquérir de sa capacité d'expansion et ont appris que l'organisation pouvait fournir un total de 7 200 microsubventions et qu'il faudrait trois mois pour mettre le tout en place.
Dans la même conversation par courriel, Mme Wernick a conseillé à Mme Kovacevic de ne pas nécessairement compter sur le portail de Bénévoles Canada puisqu'il était limité. Mme Wernick proposait plutôt un service de jumelage en ligne au moyen du portail Guichet‑Emplois du gouvernement avec l'aide promotionnelle d'une organisation, comme UNIS, qui pourrait exploiter sa popularité sur les médias sociaux pour diriger les jeunes vers le site du gouvernement où ils pourraient s'inscrire pour faire du bénévolat. Mme Wernick a écrit que des fonctionnaires communiqueraient avec UNIS.
Dans son témoignage, Mme Wernick a expliqué que c'était son expérience passée avec UNIS qui l'avait amenée à proposer l'organisme. Dans le cadre de la phase de conception de Service jeunesse Canada en 2018, la Direction générale des compétences et de l'emploi d'EDSC avait conclu une entente de contribution avec UNIS, à qui on avait été demandé d'explorer des modèles visant à encourager les jeunes à faire du bénévolat, en mettant particulièrement l'accent sur les supports numériques et les moyens novateurs de mobiliser les jeunes.
Toujours dans son témoignage, Mme Wernick a expliqué que les fonctionnaires d'EDSC avaient également appris, grâce à leur expérience avec la Plateforme pancanadienne d'occasions de bénévolat de Bénévoles Canada, que même si on développe un programme axé sur les jeunes ce n'est pas garanti que les jeunes vont y souscrire. Selon Mme Wernick, de 2017 à 2019, Bénévoles Canada a reçu du financement du gouvernement pour développer un portail qui devait servir de guichet unique aux jeunes pour accéder à des offres de bénévolat de partout au Canada. L'organisation a créé une base de données de 80 000 offres, mais la participation des jeunes a été très limitée, en partie parce qu'on n'avait pas intégré les médias sociaux. C'est la raison pour laquelle elle a suggéré de faire appel à un organisme comme UNIS qui, selon Mme Wernick, avait fait ses preuves en matière de mobilisation des jeunes.
Mme Kovacevic a répondu à Mme Wernick que si quelque chose pouvait être fait avec UNIS, les fonctionnaires d'EDSC devraient le proposer. Mme Kovacevic a témoigné qu'elle avait compris que l'objectif de communiquer avec UNIS à ce moment‑là était de voir s'il était possible d'exploiter leur réseau de jeunes pour les amener à consulter le portail de jumelage des bénévoles du gouvernement. Mme Kovacevic a également déclaré qu'étant donné les délais très serrés et le travail à accomplir, si la participation d'UNIS ou de toute autre organisation pouvait aider le gouvernement à réaliser son ambitieux programme, elle voulait que les fonctionnaires le proposent.
À la suite de ses discussions du 15 et 16 avril avec Mme Kovacevic, Mme Wernick et les fonctionnaires d'EDSC ont commencé à étudier diverses options et à évaluer l'infrastructure du gouvernement pour le portail de jumelage. Ils voulaient déterminer la capacité du gouvernement de créer rapidement une fonction pour faire le suivi des heures de bénévolat, la capacité de la tierce partie responsable de la gestion du programme de microsubventions de Service jeunesse Canada à prendre de l'expansion, et la capacité de divers groupes sans but lucratif à suivre les heures de bénévolat et à verser les bourses.
Dans son témoignage, Mme Wernick a témoigné que les fonctionnaires d'EDSC ont tenté de répondre très rapidement aux options souhaitées par le gouvernement telles qu'elles leur avaient été présentées par les fonctionnaires du ministère des Finances.
17 avril : Mme Chagger parle à UNIS
Selon la preuve documentaire, après avoir rencontré Mme Chagger lors de l'édition de la Journée UNIS de décembre 2019 à Ottawa, M. Kielburger a communiqué avec elle en février 2020 et a demandé une réunion afin de discuter du travail d'UNIS et leur souhait de collaborer davantage avec le gouvernement. À la suite de cette demande, une réunion a été organisée pour le 17 avril.
En vue de cette réunion, les fonctionnaires d'EDSC ont remis une note d'information à Mme Chagger. Cette note indiquait qu'EDSC avait récemment reçu la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui proposait de créer un portail de formation en ligne sur le bénévolat. La preuve documentaire démontre que la directrice générale de Service jeunesse Canada a communiqué avec Mme Marquez afin d'obtenir de plus amples renseignements sur la proposition d'UNIS. Selon la note d'information, la proposition d'UNIS offrait plusieurs domaines de collaboration future, dont certains pourraient être adaptés pour répondre aux besoins immédiats des jeunes en raison de la pandémie de COVID‑19. Il a été suggéré que Mme Chagger indique à M. Kielburger qu'elle demanderait à ses fonctionnaires de communiquer avec lui pour en savoir plus sur cette proposition, qui pourrait répondre aux besoins immédiats des jeunes en raison de la pandémie.
Mme Chagger et M. Kielburger se sont parlé le 17 avril. C'est à ce moment que M. Kielburger et Mme Marquez ont présenté la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. À la suite de leur réunion, Mme Chagger a demandé à son personnel si la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS était à l'étude. Son personnel a communiqué avec le personnel du cabinet de Mme Ng pour s'enquérir de l'opinion de Mme Ng sur la proposition. Le personnel de Mme Ng a fait savoir que la proposition d'UNIS faisait l'objet d'un examen et que ni Mme Ng ni son personnel n'avait encore parlé à M. Kielburger à ce sujet.
18 avril : M. Morneau reçoit un compte rendu sur le programme d'aide aux étudiants
Le 18 avril, les fonctionnaires du ministère des Finances ont fait le point avec M. Morneau sur l'élaboration du nouveau programme national de bénévolat. Selon M. Morneau, les fonctionnaires ont soulevé la possibilité d'un partenariat avec le secteur privé ou le secteur sans but lucratif pour le versement des bourses et ont mentionné UNIS, entre autres organismes, à titre d'exemple d'un groupe faisant déjà le même genre de travail. Dans l'ébauche d'une note de service du 17 avril, rédigée par le ministère des Finances à l'intention de M. Morneau, aucun partenariat avec un tiers n'avait été proposé.
Mme Kovacevic a dit dans son témoignage que pendant la séance d'information, M. Morneau a demandé que les jeunes reçoivent une subvention plutôt qu'une bourse pour le bénévolat et a proposé d'avoir recours à une société privée pour verser les subventions.
À la suite de sa séance d'information avec M. Morneau, Mme Kovacevic a dit que les fonctionnaires d'EDSC l'avaient avisée que le fait de verser une subvention plutôt qu'une bourse nécessiterait le recours à un organisme pour verser la subvention en question parce que le gouvernement avait atteint sa capacité avec le versement de la Prestation canadienne d'urgence et de l'assurance‑emploi. Mme Wernick a témoigné que la participation d'une société privée était loin d'être idéale. Il aurait été préférable de faire plutôt appel à un organisme ayant de l'expérience avec les jeunes pour assurer la réussite du programme. Selon la preuve documentaire, à l'époque, les fonctionnaires d'EDSC étudiaient la possibilité de faire verser la bourse ou la subvention par des groupes universitaires, étant donné que le but du nouveau programme national de bénévolat était d'aider les jeunes à payer leurs études postsecondaires.
19 avril : Une fonctionnaire d'EDSC communique avec UNIS
Pendant que les fonctionnaires d'EDSC continuaient d'évaluer l'infrastructure du gouvernement et sa capacité à exploiter un portail de jumelage des bénévoles, Mme Wernick a envoyé un courriel à M. Kielburger pour lui dire que le gouvernement travaillait sur un projet qui pourrait intéresser UNIS. Mme Wernick a écrit qu'il y avait une mince possibilité d'influencer la réflexion et qu'elle bénéficierait grandement des idées de M. Kielburger. Ils se sont parlé peu après.
Mme Wernick a expliqué qu'elle avait appelé M. Kielburger pour lui communiquer de façon générale l'objectif du gouvernement concernant un programme de bénévolat d'été pour les jeunes et obtenir sa réaction en tant qu'expert dans le domaine. Ils ont également discuté des défis actuels auxquels étaient confrontées les organisations sans but lucratif en raison de la pandémie de COVID‑19. Selon Mme Wernick, M. Kielburger a dit qu'à cause de la pandémie, les offres de bénévolat, qui sont généralement faites en personne, devraient maintenant se faire en ligne. Les petits organismes sans but lucratif n'ayant pas beaucoup de capacité numérique allaient avoir besoin d'aide.
C'est à ce moment, selon le témoignage de Mme Wernick, que M. Kielburger a mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Selon les notes de la fonctionnaire concernant l'appel, M. Kielburger a expliqué que la proposition d'Entrepreneuriat social pourrait être jumelée à une initiative nationale de bénévolat et être bonifiée.
Dans une vidéoconférence enregistrée le 12 juin entre M. Marc Kielburger et plusieurs autres participants de diverses organisations canadiennes de jeunes, M. Kielburger a dit aux participants que le cabinet du premier ministre avait communiqué avec UNIS le lendemain de l'annonce par M. Trudeau des mesures d'aide aux étudiants. Selon la déclaration de M. Kielburger dans la vidéo, on lui avait demandé si son organisme voulait participer à la mise en œuvre de la nouvelle BCBE. M. Kielburger a par la suite affirmé qu'il s'était trompé en disant que le cabinet du premier ministre avait communiqué avec lui et que c'était plutôt des fonctionnaires d'EDSC qui l'avaient appelé. Dans sa déclaration officielle, M. Kielburger a confirmé qu'il s'était trompé en disant que l'appel avait eu lieu dans la semaine du 26 avril. L'appel en question était celui du 19 avril entre M. Craig Kielburger et Mme Wernick. La preuve documentaire et le témoignage de Mme Wernick le confirment.
M. Rick Theis, directeur, Politiques et affaires du cabinet du premier ministre, a confirmé qu'il n'avait pas communiqué avec les représentants d'UNIS, et qu'il n'avait pas connaissance que quelqu'un d'autre au sein du cabinet du premier ministre ait eu des contacts avec l'organisme à ce moment‑là. Aucune preuve documentaire ne permet d'affirmer le contraire.
Après son appel à M. Kielburger, Mme Wernick a informé ses fonctionnaires et Mme Kovacevic de son appel avec M. Kielburger. Dans un courriel destiné au personnel du cabinet de M. Morneau, Mme Kovacevic a indiqué que les fonctionnaires d'EDSC croyaient que le gouvernement pourrait être en mesure de faire appel à UNIS comme tierce partie pour le portail de jumelage et d'utiliser l'infrastructure en ligne du gouvernement comme mécanisme de paiement.
Après avoir été informé par Mme Kovacevic, M. Singh a envoyé un courriel à M. Morneau pour l'informer que des fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances avaient décidé d'« intégrer » [traduction] UNIS à titre de tierce partie chargée du versement des bourses et de la gestion du portail de jumelage des bénévoles. Il a écrit qu'il l'appuyait fortement et qu'il était en communication avec UNIS. Toutefois, Mme Kovacevic a précisé dans son témoignage qu'aucune décision n'avait été prise à ce moment concernant UNIS.
19 avril : Communication de la proposition initiale d'EDSC pour un programme national de bénévolat
À la suite de l'appel du 19 avril de Mme Wernick à M. Kielburger, et après avoir terminé l'analyse de l'infrastructure et de la capacité du gouvernement à exploiter et alimenter un portail de jumelage des bénévoles, les fonctionnaires d'EDSC ont rédigé une proposition visant une modeste bonification de Service jeunesse Canada, comptant jusqu'à 15 000 microsubventions. Elle comprenait le développement du site Web
Je veux aider, un portail de jumelage des bénévoles et d'un programme de récompense pour les heures de bénévolat accomplies.
Il a été noté dans la proposition d'EDSC que pour mobiliser davantage de jeunes, EDSC étudierait la possibilité d'aider les organisations de jeunesse à orienter davantage de jeunes vers le portail, notamment par l'intermédiaire des médias sociaux. UNIS a été cité comme exemple d'un organisme qui avait un grand nombre d'abonnés sur les médias sociaux.
La proposition laissait entendre qu'un grand nombre d'organisations sans but lucratif avaient fermé leurs portes ou que beaucoup fonctionnaient avec des ressources limitées. Par conséquent, soutenir l'intégration des bénévoles nécessiterait du temps et des ressources qui étaient déjà très sollicitées. En outre, les jeunes de niveau postsecondaire seraient probablement plus intéressés par des offres de bénévolat structuré, et acquerraient une expérience plus significative, que par des offres de travail manuel non qualifié. Toutefois, ces types de possibilités nécessiteraient un soutien plus important de la part de l'organisation bénévole.
Par conséquent, les fonctionnaires d'EDSC ont suggéré d'utiliser la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui prévoyait 8 000 stages, pour alimenter le portail de jumelage des bénévoles, car elle offrirait des expériences d'apprentissage plus significatives aux étudiants et s'appuierait sur les moyennes et grandes entreprises plutôt que de taxer les organisations sans but lucratif.
Mme Wernick a affirmé qu'étant donné l'urgence de développer un programme approprié, les fonctionnaires d'EDSC pensaient qu'une partie de la structure de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS pourrait être adaptée et utilisée pour bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada. Mme Wernick a également déclaré que les fonctionnaires d'EDSC pensaient qu'UNIS pouvait aider les jeunes et les organisations sans but lucratif à offrir des services numériques.
Le 19 avril, Mme Wernick a communiqué la proposition d'EDSC, ainsi que la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, à un autre fonctionnaire d'EDSC et à Mme Kovacevic, qui a ensuite transmis le courriel de Mme Wernick à M. Singh.
20 avril : UNIS communique avec la fonction publique à la suite d'un appel avec Mme Chagger
Le 20 avril, Mme Marquez a envoyé un courriel à la directrice générale de Service jeunesse Canada, qui avait communiqué avec elle en prévision de l'appel du 17 avril avec UNIS pour faire le point sur l'appel.
Dans son courriel, Mme Marquez a écrit que M. Kielburger avait donné un aperçu à Mme Chagger de la programmation numérique actuelle en matière d'apprentissage de bénévolat et du bien‑être mental dans le cadre de la pandémie de COVID‑19. Selon Mme Marquez, Mme Chagger a exprimé un intérêt à examiner les façons dont la proposition d'Entrepreneuriat social pourrait être adaptée pour comprendre une composante axée sur le bénévolat. Mme Chagger a aussi suggéré qu'UNIS envisage un volet de bénévolat pour les jeunes qui n'étaient pas bien servis à l'époque par le mentorat virtuel et qui cherchaient à obtenir des microsubventions pour faire avancer leur projet. Selon Mme Marquez, en tant que prochaine étape, Mme Chagger a exprimé qu'elle était disposée à mettre en contact UNIS et son personnel et à cerner des moyens concrets de faire avancer l'initiative. Mme Marquez a écrit qu'elle avait partagé la proposition d'UNIS avec bon nombre de fonctionnaires, y compris Mme Wernick, et qu'elle n'avait toujours pas reçu de rétroaction.
La directrice générale a acheminé le courriel de Mme Marquez à Mme Wernick et a demandé si un suivi était nécessaire. Mme Wernick a donné comme instructions à la fonctionnaire d'indiquer à Mme Marquez que les choses continuaient d'évoluer. Mme Wernick a aussi écrit que l'affaire était entre les mains des fonctionnaires du ministère de Finances qui devaient indiquer si la proposition suscitait un intérêt avant quelconque intervention d'UNIS.
Du 19 au 21 avril : UNIS communique avec le personnel ministériel de M. Morneau
Le 19 avril, à la suite de la discussion de M. Kielburger avec Mme Wernick, Mme Marquez a envoyé un courriel à M. Singh et à un autre membre du personnel du cabinet de M. Morneau pour mentionner qu'une haute fonctionnaire d'EDSC avait communiqué avec eux concernant l'annonce de financement possible pour les jeunes, probablement dans le cadre de Service jeunesse Canada. Mme Marquez a également fait remarquer que le programme semblait précipité et non coordonné, mais qu'elle pensait néanmoins qu'UNIS pouvait aider.
Dans sa réponse, M. Singh a présenté ses excuses pour la confusion que la conversation avec Mme Wernick avait pu causer. Il a également parlé de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS indiquant qu'il avait entendu de Mme Wernick qu'UNIS pourrait ajouter aux 8 000 placements et augmenter le nombre de participants. M. Singh a demandé quel serait le coût pour porter le programme en ligne de 10 semaines à 20 000 placements et a demandé que Mme Marquez lui transmette les détails.
Dans un courriel du 20 avril à Mme Kovacevic, M. Singh l'a informée qu'il avait parlé aux membres de l'équipe d'UNIS et qu'ils étaient heureux de retravailler leur proposition d'Entrepreneuriat social initiale pour la transformer en programme pour l'été, offrant 20 000 placements pour 12 millions de dollars, afin de répondre pleinement à l'objectif de l'initiative nationale de bénévolat. Il a écrit qu'il s'était entretenu avec UNIS à un haut niveau sur la nécessité d'une tierce partie pour administrer un incitatif monétaire, si le gouvernement décidait d'en offrir un.
Mme Kovacevic a déclaré qu'elle avait compris que le courriel de M. Singh signifiait qu'il croyait que les possibilités offertes par la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS pouvaient être utilisées pour alimenter le portail de jumelage des bénévoles
Je veux aider. Cependant, M. Singh a témoigné qu'il a demandé à UNIS de retravailler sa proposition comme un exercice conceptuel permettant au gouvernement de comprendre comment un programme de bénévolat national pourrait être administré, en particulier le suivi des heures de bénévolat effectuées. Dans son courriel, M. Singh a aussi indiqué qu'UNIS allait bientôt fournir une nouvelle proposition et que dès que les approbations politiques seraient reçues, EDSC devrait communiquer avec l'organisme et le mettre à contribution. Mme Kovacevic a remercié M. Singh d'avoir maintenu une relation « étroite » avec UNIS. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle voulait dire par son commentaire, Mme Kovacevic a déclaré que, au mieux de ses souvenirs, elle pensait que son commentaire venait peut‑être du fait qu'elle craignait de ne disposer que d'options limitées et qu'elle voulait s'assurer que le gouvernement entretenait cette relation.
Dans un courriel envoyé tôt le matin du 21 avril, Mme Marquez a soumis à M. Singh la nouvelle proposition d'UNIS pour un Programme de bénévolat d'été pour les jeunes. Dans son courriel, Mme Marquez expliquait que la proposition offrait de transformer le programme en ligne de 10 semaines de la proposition initiale d'Entrepreneuriat social en un programme national de bénévolat en ligne qui permettrait à 20 000 jeunes Canadiens de participer à des stages et à des projets de bénévolat d'été pendant la crise COVID‑19, au coût de 12 millions de dollars. M. Singh a témoigné qu'il n'avait ni évalué ni analysé la nouvelle proposition et qu'il n'avait pas non plus parlé de la proposition avec M. Morneau.
M. Singh a ensuite transmis la proposition d'UNIS pour le Programme de bénévolat d'été pour les jeunes à un membre du personnel ministériel au sein du cabinet du premier ministre. M. Singh a également déclaré qu'il n'avait pas parlé au personnel du cabinet du premier ministre de la nouvelle proposition d'UNIS.
21 avril : M. Morneau reçoit un compte rendu sur la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant
Le 19 avril, les fonctionnaires du ministère des Finances ont remis à M. Morneau une ébauche de note de service concernant les mesures d'aide aux étudiants proposées, qui contenait quatre notes de financement (annexes 1 à 4) pour approbation par le ministre des Finances, ainsi que de la documentation à titre informatif (annexes 5 à 9). Le 20 avril, la note de service et les annexes ont été communiquées aux fonctionnaires du Bureau du Conseil privé et au personnel du cabinet du premier ministre.
Le 21 avril, des fonctionnaires du ministère des Finances ont fait le point avec M. Morneau sur l'ébauche de la note de service du 19 avril et les neuf annexes.
Annexe 1 : Bonification des programmes d'emploi et de qualification professionnelle des jeunes
La note portait sur une vaste bonification des programmes fédéraux existants, comme Service jeunesse Canada, par l'augmentation des activités de bénévolat des jeunes et du nombre de microsubventions offertes par Service jeunesse Canada et par la création du portail de jumelage des bénévoles
Je veux aider pour soutenir les efforts plus larges pour aider les jeunes à saisir les offres de bénévolat un peu partout au pays.
Il a été noté que pour mobiliser le plus grand nombre de jeunes possible avec le portail de jumelage des bénévoles, EDSC étudierait la possibilité de recourir à des organisations de jeunesse, notamment par l'intermédiaire des médias sociaux. UNIS a été proposé comme exemple d'organisation ayant un grand nombre d'abonnés sur les médias sociaux.
Il a été recommandé que M. Morneau approuve la somme de 112 millions de dollars pour bonifier Service jeunesse Canada, ce qui inclut 2 millions de dollars pour soutenir le portail de jumelage des bénévoles
Je veux aider.
Annexe 4 : La Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant
Cette note concernait la nouvelle BCBE, proposition visant à encourager les jeunes et les étudiants à faire du bénévolat dans le cadre de la réponse à la COVID‑19 et à subvenir aux besoins de leurs communautés. Selon le document, l'appel à l'action serait accompagné du lancement du nouveau portail de jumelage des bénévoles
Je veux aider qui soutiendrait les efforts plus larges pour aider les jeunes Canadiens à saisir les offres de bénévolat, comme indiqué à l'annexe 1 sur Service jeunesse Canada.
La note soulignait également les avantages et les inconvénients potentiels du lancement du programme pendant l'été. On faisait remarquer qu'un lancement à la fin de l'été donnerait plus de temps pour prendre des décisions concernant le mécanisme de mise en œuvre et les options connexes. Cependant, étant donné les alternatives limitées et l'intérêt de déployer rapidement la BCBE, une tierce partie pour administrer la bourse a été considérée comme la meilleure option. Les fonctionnaires ont déclaré que le responsable de la mise en œuvre devrait être associé à une organisation connaissant bien le secteur du bénévolat, comme UNIS.
Les fonctionnaires du ministère des Finances ont souligné qu'il fallait retravailler l'annexe 4 en raison de préoccupations importantes concernant les bénéficiaires cibles, le coût potentiel et la comparaison du programme avec d'autres mesures proposées pour les jeunes.
Les fonctionnaires du ministère des Finances ont recommandé que si on prévoyait faire une annonce à court terme, il ne fallait présenter que les grandes lignes de la bourse. Ils ont également recommandé de réserver 900 millions de dollars pour l'initiative selon des estimations préliminaires et 100 millions de dollars supplémentaires pour la mise en œuvre et les coûts associés pour un portail plus large et une campagne de sensibilisation du public. Les fonctionnaires ont noté que si M. Morneau acceptait la recommandation, ils s'emploieraient à définir la portée du mécanisme de mise en œuvre et à obtenir une décision de financement sur les éléments en suspens, notamment la manière dont un tiers serait sélectionné et le coût approximatif de la gestion de la bourse.
Le 21 avril, M. Morneau a signé la page de décision approuvant l'annexe 1 et a approuvé verbalement la recommandation visant à mettre en réserve des fonds pour le programme, comme prévu à la page de décision de l'annexe 4.
Annexe 9 : Proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS
Parmi la documentation accompagnant la note, les fonctionnaires du ministère des Finances avaient inclus la proposition initiale d'UNIS sur l'Entrepreneuriat social, qui avait été soumise à Mme Ng le 9 avril. Le ministère des Finances a indiqué qu'étant donné l'intérêt d'encourager les jeunes à contribuer à la réponse à la pandémie de COVID‑19, il évaluait la proposition dans le contexte de l'option concernant la BCBE décrite à l'annexe 4 ainsi que du portail de jumelage des bénévoles proposé par Service jeunesse Canada à l'annexe 1. C'est le ministère des Finances qui a estimé qu'il pourrait être utile d'adopter une approche progressive pour la mise en œuvre d'une initiative de bénévolat plus large, compte tenu des contraintes de santé publique. La note indiquait qu'une séance d'information plus complète pourrait suivre si M. Morneau voulait une analyse plus approfondie de la proposition.
Selon M. Morneau, à sa connaissance, c'était la première fois qu'UNIS était nommé dans les documents d'information qu'il avait reçus concernant les mesures d'appui aux étudiants. Le témoignage de Mme Kovacevic est venu corroborer la version des faits de M. Morneau.
Mme Kovacevic a témoigné qu'étant donné les contraintes de temps, la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS n'avait pas été analysée ni évaluée à ce moment‑là. Selon Mme Kovacevic, M. Morneau n'a reçu aucun détail sur la proposition à sa séance d'information. Il a simplement été informé qu'ils avaient reçu la proposition.
M. Morneau a déclaré qu'il n'avait pris aucune décision concernant la proposition d'Entrepreneuriat social. Rien dans la preuve documentaire n'indique que M. Morneau a approuvé ou donné des directives sur cette initiative. Mme Kovacevic a en outre témoigné que M. Morneau n'a donné aucune instruction concernant UNIS pendant la séance d'information, n'a pas réclamé une autre séance d'information sur la proposition d'Entrepreneuriat social, et ne lui a jamais fait mention de la proposition.
Mme Kovacevic a déclaré que c'est après avoir fait le point avec le ministre qu'elle s'était rendu compte qu'ils n'avaient pas demandé à M. Morneau ses intentions concernant la proposition d'Entrepreneuriat social. Dans un courriel adressé à M. Singh pour lui demander de confirmer les décisions de M. Morneau, Mme Kovacevic a également demandé si le ministère des Finances devait réserver des fonds pour la proposition. M. Singh a répondu qu'il attendait toujours la confirmation du cabinet du premier ministre, mais qu'ils devraient mettre de côté 12 millions de dollars, et a transmis à Mme Kovacevic la nouvelle proposition de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS que Mme Marquez lui avait transmise plus tôt dans la journée.
M. Singh a témoigné qu'il n'avait reçu aucune confirmation de M. Morneau ou du cabinet du premier ministre concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et qu'il avait lui‑même pris la décision qu'une déclaration soit ajoutée à l'annexe 4 par Mme Kovacevic indiquant que la proposition avait été approuvée pour financement par M. Morneau.
Lorsqu'on lui a demandé si la proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS avait été présentée à M. Morneau, Mme Kovacevic a déclaré qu'à ce moment‑là elle n'avait lu ni l'une ni l'autre des propositions d'UNIS et qu'elle n'aurait donc pu donner aucun détail au ministre. N'ayant ni analysé ni évalué la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS, ni lu la nouvelle proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, semble‑t‑il que les fonctionnaires du ministère des Finances ne savaient pas, à ce moment‑là, qu'il s'agissait de deux propositions distinctes.
Selon le Bureau du Conseil privé, peu après la séance d'information de M. Morneau le 21 avril, un haut fonctionnaire du ministère des Finances a fait savoir au Bureau du Conseil privé que M. Morneau avait approuvé le financement de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Le Bureau du Conseil privé n'a pas été en mesure de fournir une trace de cette communication.
Dans la soirée du 21 avril, Mme Kovacevic a transmis à M. Singh la page de décision de l'annexe 4 qui comprenait l'approbation du ministre de mettre de côté 900 millions de dollars pour la BCBE et une ligne provisoire de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Mme Kovacevic a témoigné que la recommandation de financer la proposition était incluse dans l'annexe 4 et qu'il était entendu qu'elle pouvait être retirée si M. Morneau n'était pas d'accord.
Une ligne théorique de 12 millions de dollars pour UNIS a également été incluse dans la ventilation budgétaire de la BCBE et des produits de communication qui ont été rédigés à l'appui de l'annonce prochaine de M. Trudeau concernant les mesures d'appui aux étudiants.
M. Singh a admis que la ligne provisoire de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social n'aurait pas dû être incluse et, étant donné qu'il n'avait pas reçu la confirmation de l'inclure ni du cabinet du premier ministre ni de M. Morneau, il aurait dû s'assurer qu'elle avait été supprimée avant que l'annexe ne soit transmise au Bureau du Conseil privé. M. Singh a témoigné que tout s'était déroulé à un rythme effréné et que c'était une erreur dont il avait assumé la responsabilité.
Selon M. Morneau, il n'a jamais vu la version de l'annexe 4 avec la déclaration de financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. Cette affirmation est cohérente avec le témoignage de Mme Kovacevic ainsi qu'avec la preuve documentaire qui démontre que M. Singh a demandé à ses collègues du cabinet du ministre de conserver l'annexe 4 et de ne pas l'envoyer à M. Morneau, car il fallait la retravailler.
Mme Kovacevic a admis qu'étant donné le rythme effréné auquel le dossier devait progresser, des erreurs ont été commises. Selon Mme Kovacevic, dans un processus normal, un ministre aurait signé toute décision de financement avant une annonce plutôt que de simplement donner une approbation verbale, ce qui signifie qu'il y aurait eu une confirmation écrite de la décision.
21 avril : M. Trudeau reçoit un compte rendu sur les mesures d'appui aux étudiants
Le 21 avril, le personnel de M. Trudeau lui a parlé de l'ébauche de la note de service du 19 avril et des annexes sur les mesures d'appui aux étudiants préparées par le ministère des Finances à l'intention de M. Morneau.
Selon M. Trudeau, il n'avait toujours pas été question qu'UNIS joue un rôle, pour autant qu'il le sache. M. Trudeau avait toujours l'impression que Service jeunesse Canada serait probablement bonifié pour aider à la prestation du programme. M. Trudeau espérait que la bonification de Service jeunesse Canada pourrait être accélérée si cet organisme devenait responsable de la BCBE.
M. Trudeau ne se souvenait pas d'avoir lu l'annexe 9 relative à la proposition d'Entrepreneuriat social, ni qu'on lui en ait fait part à la séance d'information du 21 avril.
M. Theis, qui participait à la séance d'information, a déclaré qu'on avait présenté à M. Trudeau le concept général du programme de bénévolat national : un étudiant qui ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier de la nouvelle Prestation canadienne d'urgence pouvait demander et recevoir une bourse pour mener à bien une activité de bénévolat liée à la pandémie de COVID‑19. M. Theis a déclaré que le concept du programme n'avait pas encore été développé.
M. Theis a déclaré que la participation potentielle d'UNIS n'avait pas été mentionnée à la séance d'information, pas plus que la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS. M. Theis a en outre déclaré que ni M. Trudeau ni sa cheffe de cabinet, Mme Katie Telford, n'avaient donné de directives concernant la participation d'UNIS au nouveau programme de bénévolat national.
Le 21 avril, le personnel de Mme Chagger a reçu ses premiers comptes rendus de la part des fonctionnaires d'EDSC, du cabinet de M. Morneau et du cabinet du premier ministre sur les mesures d'appui aux étudiants qui seraient annoncées le lendemain. Les fonctionnaires d'EDSC ont donné des détails sur le portail de jumelage des bénévoles
Je veux aider et sur la bonification de Service jeunesse Canada. Le personnel du cabinet de M. Morneau et du cabinet du premier ministre a donné au personnel de Mme Chagger un aperçu des mesures globales d'aide aux jeunes et des nouvelles incitations financières qui seraient offertes pour les personnes ayant accompli du bénévolat. Selon la preuve documentaire, le personnel en a ensuite informé Mme Chagger.
22 avril : M. Trudeau annonce des mesures d'appui aux étudiants
Le 22 avril 2020, M. Trudeau a annoncé une série de mesures proposées pour aider financièrement les étudiants de niveau postsecondaire ainsi que les jeunes diplômés suivant la pandémie de COVID‑19. Parmi ces mesures se trouvait la BCBE, qui accorderait jusqu'à 5 000 $ aux étudiants admissibles qui feraient du bénévolat pendant l'été pour répondre à la pandémie. Il a aussi annoncé le lancement du nouveau portail de jumelage des bénévoles appelé
Je veux aider, géré par EDSC, qui permettrait aux étudiants de trouver des offres de bénévolat pour contribuer à la réponse à la COVID‑19 près de chez eux.
Selon M. Morneau, même si son cabinet n'était pas le principal responsable de l'élaboration de la BCBE, son personnel a continué de participer au dossier après l'annonce de M. Trudeau parce que son cabinet avait la responsabilité de suivre l'affectation appropriée des fonds. La preuve documentaire démontre que M. Singh a continué de communiquer avec le gouvernement et avec des représentants d'UNIS au sujet du projet de la BCBE.
22 avril : M. Craig Kielburger soumet la nouvelle proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS
Suivant l'annonce du premier ministre, M. Craig Kielburger a envoyé la proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS, que Mme Marquez avait initialement envoyée à M. Singh le 21 avril, à plusieurs fonctionnaires, dont Mme Wernick et le Bureau du Conseil privé, ainsi qu'à plusieurs ministres, dont M. Morneau, Mme Ng, Mme Chagger, le cabinet de la vice‑première ministre et le cabinet du ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie. Le personnel du cabinet du premier ministre a aussi reçu la proposition de la part du Bureau du Conseil privé. Le cabinet du premier ministre en avait toutefois déjà reçu une copie de la part de M. Singh le 21 avril.
Dans son courriel, M. Kielburger précisait que la nouvelle proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes d'UNIS donnerait à 20 000 jeunes l'occasion de participer à divers projets de bénévolat sur une durée de trois mois pendant l'été et leur permettrait en même temps de recevoir une bourse en prévision de leurs études postsecondaires ou pour leurs besoins personnels. M. Kielburger incluait aussi dans son courriel la mouture originale de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, qui, selon M. Kielburger, serait mise en œuvre parallèlement à la proposition du Programme de bénévolat pour les jeunes ou en tant que deuxième volet.
Le même jour, Mme Marquez a de nouveau soumis les deux propositions d'UNIS à M. Singh. Mme Marquez a mentionné que M. Kielburger les avait envoyées à plusieurs ministres le matin même. M. Singh a acheminé le courriel de Mme Marquez à Mme Kovacevic en offrant des introductions. Dans son courriel, M. Singh informait Mme Kovacevic que lui et Mme Marquez s'étaient parlé plus tôt ce jour‑là au sujet des 20 000 postes que proposait UNIS dans son nouveau Programme de bénévolat pour les jeunes, qui pourrait aider à lancer la BCBE. M. Singh a aussi écrit qu'il espérait que Mme Kovacevic communiquerait rapidement avec Mme Marquez.
23 avril : EDSC commence à discuter avec UNIS
Dans son témoignage, Mme Wernick a dit que c'est à la suite de l'annonce de M. Trudeau, le 23 avril, que les fonctionnaires d'EDSC ont reçu de Mme Kovacevic et d'autres fonctionnaires du ministère des Finances de plus amples détails au sujet du nouveau programme de la BCBE. Aux dires de Mme Wernick, le programme était très ambitieux et bien plus important que ce que les fonctionnaires d'EDSC avaient proposé en premier lieu avec la bonification de Service jeunesse Canada. Mme Kovacevic a demandé aux fonctionnaires d'EDSC de soumettre un plan de conception et d'exécution de la BCBE en visant la mi‑mai 2020 comme date de lancement.
Mme Wernick a déclaré dans son témoignage qu'étant donné que la BCBE devait être un programme estival lancé à la mi‑mai, les fonctionnaires d'EDSC et du ministère des Finances ont conclu qu'ils auraient besoin d'une tierce partie pour gérer la totalité du programme. Mme Wernick a ajouté que pour offrir des possibilités de bénévolat au plus grand nombre de jeunes possible, le gouvernement n'arriverait pas à exécuter le programme à temps par lui‑même.
Mme Wernick a aussi affirmé que c'est à ce moment‑là qu'on a pressenti UNIS comme administrateur potentiel de la BCBE, puisque l'organisme avait la capacité de verser les bourses et qu'il avait soumis sa proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, qui pourrait servir de base à la BCBE.
Suivant leur discussion du 23 avril, Mme Kovacevic a informé Mme Wernick que le cabinet du ministre des Finances avait confirmé que les fonctionnaires d'EDSC devraient « courtiser » UNIS. Toutefois, ils ne devraient pas annoncer de confirmation de financement pour leur proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, car le premier ministre n'avait pas encore signé d'approbation à ce sujet. Mme Wernick a déclaré qu'elle a interprété le courriel de Mme Kovacevic comme lui donnant le feu vert pour entamer des discussions avec UNIS en vue de leur confier potentiellement la gestion de la BCBE. Mme Kovacevic a aussi précisé qu'étant donné que M. Morneau avait uniquement approuvé les 900 millions de dollars réservés à la BCBE, et qu'aucune autre action n'avait été approuvée, Mme Wernick ne devrait faire aucune promesse dans ses pourparlers avec UNIS.
Le 24 avril, Mme Wernick et Mme Kovacevic se sont entretenues avec M. Kielburger et Mme Marquez. Les fonctionnaires du gouvernement leur ont donné des détails sur la nouvelle BCBE et leur ont demandé qu'UNIS soumette une proposition complète en vue de gérer le programme, qui comprendrait des détails supplémentaires comme un plan d'exécution, un budget et un échéancier.
La preuve documentaire démontre que les fonctionnaires d'EDSC ont commencé à travailler de près avec UNIS pour élaborer une proposition de grande envergure qui confierait à UNIS la gestion de la BCBE, sous réserve de l'approbation de Mme Chagger.
26 avril : M. Morneau s'entretient avec M. Craig Kielburger
Selon M. Morneau, dans le cadre d'une campagne de communication auprès d'entreprises et d'organismes sans but lucratif pour discuter de l'impact de la pandémie de COVID‑19 sur leurs secteurs, il a communiqué avec M. Craig Kielburger le 26 avril. M. Morneau a précisé que lui et M. Kielburger n'ont pas discuté de la BCBE ni de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS.
M. Kielburger a déclaré que lui et M. Morneau ont surtout parlé des répercussions de la pandémie de COVID‑19 sur le secteur caritatif et discuté de la pandémie elle‑même. M. Kielburger a dit qu'il avait mentionné en passant sa discussion avec Mme Ng au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social.
Suivant leur conversation téléphonique, M. Kielburger a envoyé un courriel à M. Morneau pour le remercier de l'avoir appelé et pour lui envoyer deux documents relatifs à la pandémie de COVID‑19 que M. Kielburger avait mentionnés pendant leur conversation. M. Kielburger n'a pas abordé le sujet du programme d'Entrepreneuriat social dans son courriel.
M. Kielburger a confirmé qu'il n'avait pas eu d'autres discussions ou communications portant sur la proposition d'Entrepreneuriat social avec M. Morneau après leur conversation du 26 avril.
Le 27 avril, Mme Kovacevic a écrit à Mme Wernick : « Je sais que mon ministre [my min] a parlé avec UNIS. Ça discute beaucoup. Il y a beaucoup d'intérêt de mon côté » [traduction]. Mme Kovacevic a déclaré, dans son témoignage, qu'elle faisait référence, en disant « my min », aux nombreuses discussions qui avaient lieu à cette époque entre M. Singh et Mme Marquez. Toutefois, elle a précisé qu'à son avis, M. Singh n'essayait pas de faire d'UNIS l'administrateur de la BCBE. Mme Kovacevic a ajouté que pendant leurs séances d'information, M. Morneau n'avait jamais parlé d'UNIS. Selon Mme Kovacevic, la priorité de M. Morneau était la pandémie de COVID‑19 et de mettre rapidement des mesures en place pour soutenir les jeunes.
28 avril : EDSC élabore la proposition de la BCBE
Le 28 avril, des fonctionnaires d'EDSC ont fait parvenir au cabinet de Mme Chagger une ébauche de plan de conception et d'exécution pour bonifier le programme de microsubventions de Service jeunesse Canada et de la BCBE.
En ce qui concerne la BCBE, l'ébauche recommandait trois éléments : une bourse pour les jeunes faisant du bénévolat, la création du portail
Je veux aider, où les jeunes trouveraient des offres de bénévolat et qui servirait à suivre le nombre d'heures de bénévolat accompli, et la sélection d'une tierce partie pour verser les bourses.
En ce qui concerne le portail
Je veux aider, la proposition précisait qu'EDSC n'avait pas, à l'époque, la capacité de recueillir, de traduire et de vérifier la qualité des offres de bénévolat avant le lancement du portail. C'est pourquoi on recommandait qu'une tierce partie déniche et valide les offres de bénévolat. En misant sur ses réseaux d'un bout à l'autre du pays, la tierce partie serait en mesure de compiler rapidement des offres de bénévolat et d'en faire une base de données dont elle pourrait aussi contrôler la qualité.
La proposition précisait aussi que la distribution des fonds comportait de grandes difficultés pour EDSC, car il n'y avait pas, à ce moment‑là, de mécanisme pour distribuer ce type de bourse directement à un grand nombre de jeunes. Selon la proposition, le fait qu'EDSC verse des bourses directement aux jeunes pourrait présenter des problèmes du point de vue juridique et des pouvoirs. C'est pour cette raison, et pour accélérer et faciliter la distribution des fonds, que la proposition recommandait que les bourses soient administrées et distribuées par une tierce partie.
La proposition décrivait les trois domaines dans lesquels l'intervention d'une tierce partie était nécessaire si on voulait lancer le programme à la mi‑mai : la gestion des bourses, l'ajout d'offres de bénévolat, et la recherche et la validation des nouvelles offres de bénévolat à afficher sur le portail. La proposition mentionnait qu'on examinait le dossier de diverses tierces parties, mais qu'il n'y en avait pas beaucoup qui avaient ce qu'il fallait pour s'acquitter des trois volets ou qui avaient l'expertise requise pour travailler auprès des jeunes.
Les fonctionnaires d'EDSC ont fait observer qu'UNIS avait soumis une proposition qui était conforme au modèle de la BCBE. Plus précisément, UNIS avait la capacité de fournir 20 000 offres de bénévolat, d'aider à alimenter le portail en faisant appel à son réseau pour chercher de nouvelles offres, d'agir à titre de bureau central en validant les offres en fonction des critères approuvés, et de verser les bourses à chaque étudiant.
30 avril : On discute de la proposition de la BCBE à une réunion interne
Le 30 avril, des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé organisent une réunion interne pour discuter de la BCBE. M. Theis a déclaré dans son témoignage avoir demandé la tenue de cette réunion afin que les fonctionnaires lui expliquent ce qu'ils envisageaient pour la mise en œuvre de la BCBE. Étaient présents des fonctionnaires du ministère des Finances, d'EDSC, du Bureau du Conseil privé ainsi que du personnel ministériel du cabinet du premier ministre et du cabinet de Mme Chagger.
En prévision de la réunion, les fonctionnaires d'EDSC avaient fourni la proposition de BCBE ainsi qu'un document des principaux points à aborder relativement à la BCBE. Le document donnait une description des personnes admissibles, des offres de bénévolat et du portail de jumelage
Je veux aider et précisait les montants des bourses et le mode de versement.
Selon les notes prises par les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé et le procès‑verbal de la réunion, celles et ceux présents à la réunion ont posé des questions sur l'admissibilité des participants, les questions d'équité et les divers niveaux de bourse en fonction des heures de bénévolat accomplies. Aucune question n'a été posée sur la gestion de la BCBE par UNIS pendant la réunion.
29 avril au 1er mai : Le personnel de M. Morneau plaide en faveur de la proposition d'Entrepreneuriat d'UNIS
La preuve documentaire démontre que pendant que M. Kielburger et Mme Marquez travaillaient avec les fonctionnaires d'EDSC pour élaborer une proposition concernant l'administration de la BCBE, ils continuaient de tenter d'obtenir du financement pour leur proposition initiale d'Entrepreneuriat social. Des documents démontrent aussi que M. Singh a aidé Mme Marquez à accéder aux bureaux ministériels en la présentant à des membres du personnel et en lui donnant les coordonnées de personnel ministériel, par exemple le personnel du cabinet de Mme Chagger et du cabinet du premier ministre.
Le 29 avril, Mme Marquez a envoyé un courriel à un membre du personnel du cabinet de Mme Chagger pour demander une rencontre, afin de discuter de la possibilité de recevoir des fonds pour la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS, en précisant que c'est M. Singh qui lui avait fourni ses coordonnées. La personne a transféré le courriel de Mme Marquez à M. Singh en lui demandant pour quelle raison il l'avait référée à elle. Dans sa réponse, M. Singh a mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS et suggéré qu'on pourrait inclure cette proposition dans les travaux en cours portant sur Service jeunesse Canada et la BCBE.
Le membre du personnel de Mme Chagger a répondu à M. Singh qu'il ne croyait pas que ce programme d'Entrepreneuriat social avait un rôle dans l'affaire. Selon Mme Chagger, l'objet de la proposition ne relevait pas de son portefeuille ministériel et son cabinet n'a pas fait d'autres démarches. Il n'existe pas de preuve documentaire qui démontrerait le contraire.
Dans un courriel du 1er mai envoyé à M. Singh, un membre du personnel du cabinet de Mme Ng a écrit qu'il avait parlé avec M. Kielburger la veille et que M. Kielburger avait indiqué que le cabinet du ministre des Finances appuyait la proposition d'Entrepreneuriat social. Le membre du personnel de Mme Ng a demandé à M. Singh de lui donner du contexte.
Dans sa réponse, M. Singh a confirmé que la proposition initiale d'Entrepreneuriat social d'UNIS avait l'appui du cabinet du ministre des Finances. Il a aussi écrit que la proposition serait utile pour la prochaine étape de la réponse à la pandémie de COVID‑19 et a demandé s'il existait une politique ou un programme qui pourrait faire une place à cette proposition au sein du ministère de Mme Ng ou s'il faudrait élaborer un nouveau cadre. Le personnel de Mme Ng a informé M. Singh que des fonctionnaires avaient analysé la proposition et qu'ils estimaient qu'elle était mieux adaptée à EDSC. Le personnel de Mme Ng a ensuite écrit qu'il transmettrait les commentaires de M. Singh au sujet de la proposition et qu'il en discuterait avec ses collègues. Il ne semble pas que le cabinet de Mme Ng ait fait d'autres démarches concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS.
M. Singh a déclaré qu'il parlait au nom du cabinet du ministre des Finances lorsqu'il a dit au personnel de Mme Ng que la proposition avait reçu l'aval du ministre. Selon M. Singh, même si M. Morneau n'avait pas donné son appui à la proposition d'UNIS, et qu'il n'avait pas non plus donné de consignes à M. Singh concernant la proposition, il avait parlé à M. Singh de l'importance de mobiliser autant de jeunes que possible en leur donnant des possibilités d'acquérir de l'expérience de travail. M. Singh était d'avis que la proposition d'UNIS était un bon programme qui pourrait avoir un impact valable sur les jeunes et, par conséquent, en a parlé à d'autres cabinets ministériels.
Selon MM. Marc et Craig Kielburger, on ne leur a jamais promis, ni à eux ni à personne au sein d'UNIS, que leur proposition d'Entrepreneuriat social serait financée par le gouvernement.
1er mai : UNIS soumet une nouvelle version de sa proposition
Le 1er mai, M. Craig Kielburger soumet aux représentants d'EDSC une proposition mise à jour expliquant la façon dont UNIS s'y prendrait pour administrer la BCBE. La proposition a également été envoyée au personnel de Mme Chagger. La proposition donnait un aperçu du budget nécessaire au versement de bourses à trois cohortes de 20 000 étudiants. Le coût du versement à la première cohorte d'étudiants était estimé à 19,5 millions de dollars et celui des deux cohortes suivantes était estimé à 13,77 millions de dollars chacune.
Dans la proposition, les noms de l'épouse et de la mère de M. Trudeau apparaissaient en tant que personnalités ambassadrices canadiennes d'UNIS.
À ce moment‑là, le fait que les noms de l'épouse et de la mère de M. Trudeau apparaissaient dans la proposition à titre de personnalités ambassadrices d'UNIS ne semble pas avoir soulevé le moindre doute quant à un possible conflit d'intérêts pour M. Trudeau.
1er mai : Note de service du Bureau du Conseil privé au premier ministre sur les mesures d'appui aux étudiants
Le 1er mai, des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont envoyé une note de service au premier ministre au sujet des décisions prises le 21 avril par le ministre des Finances concernant les mesures d'appui aux étudiants. Dans la note, on demandait au premier ministre de confirmer sa décision en ce qui concerne la ligne de conduite et l'autorisation de financement en vue de mettre en œuvre les mesures d'appui aux jeunes et aux étudiants canadiens que M. Trudeau avait annoncées le 22 avril.
En ce qui concerne Service jeunesse Canada et la BCBE, les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont appuyé la décision du ministre des Finances.
Tenant pour acquis que M. Morneau avait approuvé le financement de 12 millions de dollars pour la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS, les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont inclus dans leur note de service une recommandation au sujet de cette proposition. Selon la note, qui a été approuvée par M. Ian Shugart, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, des fonctionnaires recommandaient de ne pas financer la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS parce qu'à leur avis, la proposition ne parviendrait pas à aider le vaste éventail d'étudiants touchés par la pandémie de COVID‑19, en particulier les étudiants de populations vulnérables. Ils recommandaient que si le gouvernement souhaitait financer une proposition de ce type dans le cadre d'une aide plus générale aux étudiants, il fallait mener d'autres analyses et retravailler la proposition pour la rendre plus inclusive.
Il semblerait que les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ignoraient que les 12 millions de dollars se rapportaient à la nouvelle proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS et non à sa proposition initiale d'Entrepreneuriat social.
Selon le Bureau du Conseil privé, les interactions au sujet de la proposition d'Entrepreneuriat social se sont limitées aux fonctionnaires du ministère des Finances. Il n'y a eu aucune discussion entre le Bureau du Conseil privé et M. Morneau ou son personnel au sujet de cette proposition ni avec d'autres ministres ou leur personnel.
Des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont rédigé un mémoire pour le premier ministre, mais ont aussi avisé verbalement le personnel du cabinet du premier ministre quant à l'ensemble du programme d'aide aux étudiants. Le Bureau du Conseil privé a recommandé de ne pas financer la proposition d'Entrepreneuriat social. Selon M. Shugart, il n'y a pas eu d'autres discussions avec le premier ministre au sujet de la proposition.
Dans son témoignage, M. Theis a dit se souvenir que des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé avaient soulevé la même préoccupation que celle exprimée dans leur note de service.
Aux dires de M. Morneau, il n'était pas au courant de l'existence de la note de service du 1er mai, puisque ni lui ni les fonctionnaires du ministère des Finances n'avaient accès aux notes de service destinées au premier ministre. M. Morneau était surpris d'apprendre que la déclaration concernant la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avait été incluse dans la note de service. M. Morneau a confirmé ne pas avoir donné une telle confirmation au Bureau du Conseil privé, et a dit ignorer comment ou pourquoi cette déclaration s'y était retrouvée puisqu'il n'avait jamais approuvé un tel financement.
5 mai : Présentation de la proposition d'EDSC pour la mise en œuvre de la BCBE au Comité du Cabinet sur la COVID‑19
Le 3 mai, un décret est approuvé en vue de confier la responsabilité de la BCBE à Mme Chagger. Le 5 mai, Mme Chagger approuve la proposition d'EDSC concernant la mise en œuvre de la BCBE.
Pendant la pandémie de COVID‑19, le travail habituel des comités du Cabinet a été suspendu et le gouvernement a plutôt créé un comité unique du Cabinet chargé de répondre à la pandémie : le Comité du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie à coronavirus (COVID‑19) (le Comité du Cabinet sur la COVID‑19). En étaient membres les ministres Qualtrough et Morneau; l'honorable Navdeep Bains, ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie; l'honorable Patricia Hajdu, ministre de la Santé; l'honorable Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles; l'honorable Bill Blair, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile; l'honorable Chrystia Freeland, vice‑première ministre du Canada; et l'honorable Jean‑Yves Duclos, président du Conseil du Trésor.
Le 5 mai, Mme Chagger et Mme Qualtrough ont présenté au Comité du Cabinet sur la COVID‑19 la proposition concernant la BCBE, préparée par les fonctionnaires d'EDSC. On leur avait demandé de présenter la proposition conjointement, puisque les questions d'éducation postsecondaire relevaient du portefeuille de Mme Qualtrough, et que Service jeunesse Canada relevait du portefeuille de Mme Chagger.
La proposition précisait que pour assurer la mise en œuvre efficace de la BCBE, il fallait l'appui d'une organisation tierce, étant donné le peu de temps dont on disposait pour la mettre en œuvre et compte tenu du grand nombre d'offres de bénévolat déjà disponibles pour les jeunes au moment du lancement. Ainsi, EDSC recommandait d'accorder du financement à UNIS. Selon Mme Chagger, étant donné que la fonction publique fédérale recommandait UNIS comme administrateur du programme, elle ne croyait pas qu'on avait à s'inquiéter d'un conflit d'intérêts.
Selon le procès‑verbal de la réunion, les membres du Comité du Cabinet sur la COVID‑19 se sont dits en faveur du programme proposé. Ils ont toutefois demandé des précisions quant aux paramètres de conception du programme et ont exprimé des craintes quant à la mise en œuvre par UNIS. Par exemple, ils se demandaient si UNIS avait la capacité de mettre en œuvre un programme national en si peu de temps, de répondre au volume prévu de demandes et d'assurer l'intégrité de la gestion et du versement des bourses aux étudiants de niveau postsecondaire. Plus particulièrement, un des ministres présents s'interrogeait sur le rayonnement de l'organisme au Québec et a soulevé des inquiétudes quant au coût du programme.
Les membres du Comité du Cabinet sur la COVID‑19 ont approuvé la proposition en principe.
Selon M. Morneau, il n'était pas présent à la réunion du 5 mai et n'a discuté de la proposition ni avec des fonctionnaires ni avec ses collègues du Cabinet avant qu'elle soit présentée. On lui a fait un compte rendu de la réunion le 7 mai.
5 mai : Le cabinet du premier ministre s'entretient avec des représentants d'UNIS
Le 5 mai, M. Theis et des représentants d'UNIS se sont parlé au téléphone après que M. Singh a présenté Mme Marquez à des membres du personnel du cabinet du premier ministre.
Selon M. Marc Kielburger, pendant l'appel téléphonique, son frère, lui et Mme Marquez ont discuté de la proposition d'UNIS concernant la gestion de la BCBE. Ils ont demandé de plus amples renseignements à M. Theis sur le cadre stratégique et la structure que le gouvernement souhaitait mettre en œuvre afin que le programme puisse fonctionner correctement.
M. Theis a déclaré, dans son témoignage, qu'à la fin de la discussion, les frères Kielburger et Mme Marquez ont mentionné la proposition d'Entrepreneuriat social. Selon M. Theis, il a suggéré qu'ils discutent de cette proposition avec le ministère compétent.
Après l'appel, M. Craig Kielburger a envoyé à M. Theis, par courriel, la proposition d'UNIS concernant la gestion de la BCBE, en incluant aussi dans le courriel la proposition d'Entrepreneuriat social. M. Kielburger a demandé à M. Theis de lui fournir le nom des personnes avec qui il pourrait discuter de la proposition d'Entrepreneuriat social afin qu'il soit inclus dans les futures mesures de relance économique. M. Theis a déclaré dans son témoignage qu'il n'avait donné aucun nom à M. Kielburger.
M. Theis et les frères Kielburger ont confirmé ne pas avoir eu d'autres discussions. Les frères Kielburger ont aussi confirmé ne pas avoir eu d'autres discussions avec d'autres membres du personnel du cabinet du premier ministre et n'avoir jamais discuté avec M. Trudeau de leur proposition d'Entrepreneuriat social ou de la BCBE. M. Trudeau a confirmé qu'il n'avait pas personnellement communiqué avec des représentants d'UNIS pour discuter de la BCBE ni de la proposition d'Entrepreneuriat social. Je n'ai pu trouver d'éléments de preuve contraires.
7 mai : M. Morneau reçoit un compte rendu sur la BCBE
Dans un courriel envoyé le 7 mai à M. Morneau, M. Singh a indiqué que la proposition sur la BCBE allait être présentée au Cabinet le lendemain, comme l'avait demandé le cabinet du premier ministre. M. Singh a aussi écrit que la proposition respectait dans une large mesure le cadre établi par le ministère des Finances et le cabinet du premier ministre, et que le choix d'UNIS comme tierce partie souhaitée avait été approuvé par le cabinet du premier ministre. Selon M. Singh, le cabinet du premier ministre avait approuvé le choix d'UNIS en autorisant la présentation de la proposition au Cabinet.
M. Theis a témoigné que lui et d'autres membres du personnel du cabinet du premier ministre avaient décidé de présenter la proposition à l'ensemble du Cabinet pour qu'elle soit ratifiée, ce que ne pouvait pas faire le Comité du Cabinet sur la COVID‑19. M. Theis a aussi affirmé que les dossiers de premier plan étudiés par le Comité du Cabinet sur la COVID‑19 devaient également être portés à l'attention du reste du Cabinet afin que tous les ministres soient au courant des dossiers importants.
Dans un courriel envoyé le 7 mai à Mme Wernick, Mme Kovacevic a indiqué qu'UNIS entretenait des liens avec le cabinet de M. Morneau. Mme Kovacevic a utilisé le terme « meilleurs amis » [traduction] pour décrire la relation entre l'organisme et le ministre Morneau. Elle a ajouté qu'elle ne voulait pas que le cabinet de M. Morneau éclipse Mme Wernick et a demandé au personnel de M. Morneau de dire à UNIS que Mme Wernick était le point de contact. Amenée à expliquer pourquoi elle avait utilisé le terme « meilleurs amis », Mme Kovacevic a déclaré qu'elle ne voulait pas dire que les deux parties avaient une relation spéciale, mais des interactions régulières. Mme Wernick a témoigné que, pour elle, le terme voulait dire qu'il y avait eu des interactions entre le cabinet de M. Morneau et UNIS. Mme Wernick a dit que, d'après son expérience de travail dans la fonction publique fédérale, les cabinets ministériels étaient souvent en communication avec les intervenants; selon elle, ce type d'interactions est approprié et acceptable.
8 mai : M. Trudeau reçoit un compte rendu sur la BCBE
Le 8 mai, Mme Chagger devait présenter la proposition sur la BCBE au Cabinet.
Selon M. Trudeau, c'est à une séance d'information donnée par son personnel avant la présentation au Cabinet qu'il a appris que la proposition prévoyait la conclusion d'une entente de contribution avec UNIS, tierce partie proposée pour l'exécution du programme. M. Trudeau n'avait jusqu'alors pas discuté d'UNIS dans le contexte de la BCBE et s'attendait toujours à ce qu'une version « hyperbonifiée » du Service jeunesse Canada mette en œuvre le programme.
M. Trudeau a indiqué que Mme Telford et lui avaient voulu savoir pourquoi Service jeunesse Canada, ou une autre organisation gouvernementale, n'était pas recommandé pour exécuter le programme. M. Trudeau et son personnel savaient également qu'UNIS était vu comme un organisme ayant des contacts avec des gens au gouvernement. M. Trudeau lui‑même était au nombre de ces contacts, car il avait déjà été invité à parler à des événements d'UNIS. Étant donné que la décision prise ne manquerait pas d'être scrutée, M. Trudeau a jugé qu'il était particulièrement important de s'assurer que le processus décisionnel et la décision elle‑même soient les meilleurs possible dans les circonstances.
M. Trudeau a indiqué que Mme Telford et lui ont estimé qu'il fallait plus de temps pour étudier la proposition avant de la présenter au Cabinet. Ils voulaient être en mesure d'examiner la proposition et de comprendre les raisons qui amenaient la fonction publique à recommander qu'UNIS mette en œuvre le programme. M. Trudeau a donc demandé que le dossier soit retiré de l'ordre du jour de la réunion du Cabinet et que la discussion sur le sujet soit remise à plus tard, le temps d'approfondir l'examen.
M. Theis a déclaré se souvenir que Mme Telford avait exprimé des préoccupations concernant les relations de la famille de M. Trudeau avec UNIS, et que M. Trudeau et Mme Telford avaient tous deux décidé de retirer la proposition de l'ordre du jour du Cabinet parce qu'ils ne comprenaient pas exactement pourquoi la fonction publique estimait que seul UNIS pouvait gérer la BCBE, ni pourquoi le recours aux organisations de Service jeunesse Canada n'avait pas été envisagé. M. Theis a témoigné que, pour cette raison, M. Trudeau a demandé à son personnel de tenter de mieux comprendre la recommandation de la fonction publique.
M. Morneau a dit qu'il n'avait pris part à aucune discussion concernant le report de la présentation au Cabinet, et qu'il n'avait pas discuté de la question avec le premier ministre ni avec ses collègues.
Dans un courriel envoyé au personnel de Mme Chagger à la suite de la décision de ne pas présenter la proposition sur la BCBE plus tôt le même jour, Mme Wernick a jugé qu'il ne fallait pas avoir d'attentes irréalistes concernant la rapidité à laquelle les fonctionnaires pouvaient lancer la BCBE, d'autant plus qu'une autre semaine était perdue en raison du report de la présentation au Cabinet.
Du 13 au 15 mai : Le cabinet du premier ministre exige une analyse plus poussée
Le 13 mai, le personnel de Mme Chagger a transmis à des fonctionnaires d'EDSC la directive de M. Theis concernant le Service jeunesse Canada et la BCBE, comme l'avait demandé M. Trudeau. Les fonctionnaires d'EDSC ont alors été mandatés de déterminer si on pourrait confier la gestion de la BCBE aux 12 organisations de Service jeunesse Canada en plus d'UNIS.
Dans un échange de messages textes avec M. Jamie Kippen, chef de cabinet de Mme Chagger, M. Theis a indiqué qu'il s'agissait de déterminer la meilleure marche à suivre; il a aussi fait écho des préoccupations soulevées relativement au coût et au point de vue voulant que seul UNIS pouvait gérer le programme.
Les fonctionnaires d'EDSC ont réagi en attirant l'attention du personnel de Mme Chagger sur le fait que les organisations de Service jeunesse Canada éprouvaient déjà des difficultés à mettre en œuvre les programmes existants. Ils ont aussi expliqué que Service jeunesse Canada n'avait pas les capacités requises pour accepter d'autres offres de bénévolat, et que ses programmes n'étaient pas destinés à répondre, par l'entremise de bénévoles, aux besoins des communautés découlant de la pandémie de COVID‑19, ce qui était la raison d'être de la BCBE.
Le 15 mai, des membres du personnel de Mme Chagger ont offert à M. Theis leur évaluation de l'idée qu'avait eue le cabinet du premier ministre d'inviter les partenaires nationaux de Service jeunesse Canada à gérer la BCBE de concert avec UNIS. Dans un courriel envoyé à M. Theis, M. Kippen a fait savoir que, puisque la BCBE sortait du mandat donné à Service jeunesse Canada et aux autres parties concernées, les fonctionnaires d'EDSC avaient recommandé vivement de ne pas confier la gestion de la BCBE aux organisations de Service jeunesse Canada. En outre, les fonctionnaires ont indiqué que, pour assurer la bonne gestion des risques financiers et juridiques, il fallait accorder à une seule organisation la mission de verser les bourses.
Dans son témoignage, M. Theis a dit que le personnel de Mme Chagger lui avait envoyé la position d'EDSC, selon laquelle il fallait retenir les services d'UNIS pour garantir la bonne gestion de la BCBE. Lorsqu'on lui a demandé si elle maintenait la position de la fonction publique selon laquelle UNIS était la seule organisation qui pouvait administrer la BCBE, Mme Wernick a témoigné qu'étant donné l'étendue et l'ampleur du programme et la vitesse à laquelle il devait être élaboré et devenir opérationnel, elle maintenait effectivement cette position. Elle a témoigné que s'ils avaient été moins serrés dans le temps, les fonctionnaires d'EDSC auraient proposé différentes options.
15 mai : M. Trudeau approuve le financement des mesures d'appui aux étudiants
Le 15 mai, le personnel du cabinet du premier ministre a remis à M. Trudeau une note d'information sollicitant son approbation des décisions du ministre des Finances concernant le financement des mesures d'appui aux étudiants, qui comprenait le financement conditionnel de 900 millions de dollars pour la BCBE.
La note d'information contenait également la recommandation tirée de la note d'information du 1er mai provenant du Bureau du Conseil privé au sujet de ce que l'on avait cru être, par erreur, la décision du ministre des Finances d'accorder 12 millions de dollars à UNIS pour sa proposition d'Entrepreneuriat social. Dans la note d'information, les membres du personnel du cabinet du premier ministre avisaient M. Trudeau qu'ils étaient d'accord avec la recommandation des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé de ne pas approuver le financement pour la proposition.
M. Trudeau était d'accord avec la recommandation du Bureau du Conseil privé d'approuver le financement d'un vaste programme d'aide financière aux étudiants et de refuser le financement de 12 millions de dollars à UNIS pour sa proposition d'Entrepreneuriat social.
Aux dires de M. Trudeau, il n'avait pas eu connaissance de la proposition d'Entrepreneuriat social d'UNIS avant de recevoir la note d'information du 15 mai.
21 mai : M. Trudeau est informé des résultats de l'examen de la BCBE
Le 21 mai, M. Trudeau a été informé des résultats de l'examen de la mise en œuvre de la BCBE avant la réunion du Cabinet prévue pour le 22 mai. Selon M. Theis, il a informé M. Trudeau que des fonctionnaires l'avaient assuré qu'ils avaient fait preuve de la diligence requise et s'est dit satisfait de leur recommandation selon laquelle UNIS était la seule organisation en mesure d'exécuter le programme en question dans les délais prévus.
Selon M. Trudeau, compte tenu de cet exercice de diligence raisonnable et des assurances fournies par la fonction publique, lui et son personnel étaient à l'aise de présenter la proposition au Cabinet.
22 mai : Ratification de la proposition concernant la BCBE
Le 22 mai, la proposition concernant la BCBE a été présentée au Cabinet sous la même forme qu'elle avait été présentée au Comité du Cabinet sur la COVID‑19 le 5 mai.
Mme Chagger a demandé au Cabinet l'autorisation d'accorder des prix en espèces par le biais de bourses pouvant atteindre 5 000 $ aux étudiants admissibles qui auront fait du bénévolat dans le cadre de la pandémie de COVID‑19, ainsi que du financement pour UNIS pour dénicher des offres de bénévolat un peu partout au Canada.
Le Cabinet a ratifié la proposition sous réserve de l'approbation finale du financement par le ministre des Finances et le premier ministre.
Selon M. Morneau, il a appuyé la proposition finale concernant la BCBE. Le 29 mai, M. Morneau a reçu une lettre officielle de Mme Chagger qui demandait le financement de la BCBE et, le 3 juin, il a approuvé par écrit l'annexe 4 : l'exécution de la BCBE.
Du 25 mai au 21 juin : Le cabinet du premier ministre examine l'entente de contribution
À la suite de la décision du Cabinet de ratifier la proposition concernant la BCBE, le personnel du cabinet du premier ministre a demandé à voir l'entente de contribution conclue avec UNIS. Dans son témoignage, M. Theis a dit que le personnel du cabinet du premier ministre voulait s'assurer de bien comprendre comment UNIS comptait gérer le programme.
Le 29 mai, le personnel du cabinet du premier ministre a rencontré des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé pour discuter de l'entente de contribution conclue avec UNIS. Le personnel du cabinet du premier ministre avait relevé des passages qu'il voulait revoir avec UNIS, comme l'amélioration des exigences en matière de rapports et la présentation régulière de rapports sur les résultats concernant la diversité des étudiants ayant accès au programme.
Dans une note d'information du 11 juin destinée à Mme Telford, le personnel du cabinet du premier ministre faisait le point sur la version finale de l'entente de contribution. Dans la note, le personnel a décrit les changements qu'on avait demandé d'apporter pour s'assurer que le programme réponde aux attentes du gouvernement. Le personnel recommandait que l'entente soit conclue et demandait à Mme Telford son approbation pour aller de l'avant et transmettre la recommandation à M. Trudeau. Le 21 juin, Mme Telford a donné son approbation.
Selon M. Trudeau, il n'a pas reçu de copie de l'entente de contribution et n'a pas eu son mot à dire dans la négociation de l'entente. Le témoignage de M. Theis est venu corroborer la version des faits de M. Trudeau.
22 juin : M. Trudeau approuve l'entente de contribution avec UNIS
Selon M. Trudeau, le 15 juin, M. Theis a fait le point avec lui sur la proposition concernant la BCBE.
M. Trudeau a reçu une note d'information sur les décisions finales en matière de politique et de financement hors cycle pour la BCBE. Dans cette note, le personnel recommandait à M. Trudeau de fournir des directives supplémentaires concernant la supervision du décaissement des fonds approuvés à UNIS pour la gestion d'un maximum de 100 000 placements de volontaires en ce qui concerne les trois tranches qui avaient été déterminées et le financement proposé pour chaque tranche. Le personnel a recommandé à M. Trudeau de demander à la ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse d'écrire au président du Conseil du Trésor pour faire le point sur la BCBE, avant de prélever des fonds supplémentaires pour la prochaine tranche de placements. Le 22 juin, M. Trudeau a signé la note d'information fournie par son personnel, approuvant la proposition concernant la BCBE et le financement de l'entente de contribution avec UNIS.
Mme Chagger a signé l'entente de contribution avec UNIS le 23 juin. Celle‑ci prévoyait 19,5 millions de dollars pour la première tranche de 20 000 placements, 13,53 millions de dollars pour la deuxième tranche de 20 000 placements, et 10,5 millions de dollars pour la troisième tranche allant jusqu'à 60 000 placements additionnels, soit un total de 43,53 millions de dollars.
Le 25 juin, M. Trudeau a annoncé publiquement le lancement de la BCBE, qui serait gérée par UNIS.
Le 3 juillet, Mme Chagger a annoncé que le gouvernement fédéral et UNIS avaient convenu de rompre tout lien.
En ce qui concerne la contravention alléguée au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi, M. Morneau a reconnu d'entrée de jeu qu'il aurait dû se récuser du processus d'approbation de la BCBE par le Cabinet. M. Morneau a indiqué que, avec le recul, il a pu voir sous un angle différent les interactions personnelles que lui et sa famille avaient eues avec UNIS et reconnait que cela aurait pu donner lieu à un conflit d'intérêts apparent. Il a fermement soutenu que les interactions de sa famille avec UNIS n'ont jamais eu d'incidence sur sa prise de décision. M. Morneau a confirmé qu'il a toujours agi seulement dans l'intérêt de la population canadienne et qu'il n'a jamais pris de décisions qui ont favorisé d'autres intérêts de façon intentionnelle ou irrégulière. Cependant, il se rend maintenant compte qu'il était tenu de prendre en considération tout lien antérieur que sa famille et lui avaient pu avoir avec cet organisme, et de songer à la manière dont l'exercice de ses fonctions officielles pouvait, à cet égard, créer une apparence d'irrégularité.
M. Morneau a également accepté l'entière responsabilité du fait d'avoir omis de s'assurer que ses affaires et ses comptes personnels étaient en ordre. Il a indiqué que, dans le contraire, il aurait sans doute pris conscience de la portée des interactions de sa famille et de ses propres interactions avec UNIS.
Bien qu'il ait fourni une explication écrite de la nature non intentionnelle de ses erreurs, M. Morneau a dit qu'il ne voulait pas que ces erreurs servent à justifier sa conduite. En effet, il a exprimé le regret de ne pas s'être abstenu de participer aux discussions et aux décisions du Cabinet relatives à l'approbation de la BCBE et au choix d'UNIS comme administrateur, et de ne pas s'être récusé formellement concernant ces discussions et décisions.
En ce qui a trait à la contravention alléguée à l'article 7, M. Morneau a déclaré qu'il n'avait pas accordé de traitement de faveur à UNIS. Il a dit croire que ses relations avec UNIS étaient convenables, cordiales et professionnelles, à l'image des nombreuses autres relations qu'il avait entretenues avec des organisations sans but lucratif, dans le cadre de ses fonctions de ministre des Finances et de député de Toronto‑Centre.
Analyse
Prise de décision et récusation – paragraphe 6(1) et article 21
Je dois déterminer si M. Morneau, dans le cadre de ses fonctions antérieures de ministre des Finances, a contrevenu au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi lorsqu'il a pris part à la décision de recommander des fonds au programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS et à celle de confier l'administration de la BCBE à UNIS.
Le paragraphe 6(1) de la Loi interdit aux titulaires de charge publique de participer à la prise d'une décision susceptible de les placer en situation de conflit d'intérêts :
6. (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d'une décision dans l'exercice de sa charge s'il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts.
L'article 4 de la Loi précise les circonstances dans lesquelles une ou un titulaire de charge publique se trouverait en situation de conflit d'intérêts pour les besoins du paragraphe 6(1) de la Loi :
4. Pour l'application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d'un parent ou d'un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
L'article 21 de la Loi exige que les titulaires de charge publique se récusent concernant certaines situations :
21. Le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts.
En ce qui concerne la contravention alléguée au paragraphe 6(1), je suis d'avis que ni les intérêts de M. Morneau, ni ceux des membres de sa famille n'ont été favorisés directement dans l'affaire à l'étude. M. Morneau et sa famille étaient bien informés au sujet des activités d'UNIS au Canada et à l'étranger, puisqu'ils en avaient pris connaissance d'eux‑mêmes.
La BCBE avait pour objet d'aider les étudiantes et étudiants et les jeunes durement touchés par les perturbations causées par la pandémie de COVID‑19. Aucune des filles de M. Morneau, dont l'association avec UNIS avait été établie bien avant la pandémie, n'a participé de quelque façon que ce soit aux discussions ou aux décisions concernant les mesures d'appui aux étudiants. On avait demandé à sa fille aînée de donner une allocution à plusieurs occasions lors des événements de la Journée UNIS pour faire la promotion de son livre, tandis que sa fille cadette a été embauchée dans un poste de premier échelon dans une filiale d'UNIS qui n'aurait eu aucun rôle dans l'administration de la BCBE. Autrement dit, le lien entre, d'une part, la demande de financement présentée par UNIS pour son programme d'Entrepreneuriat social ou le rôle de l'organisme relativement à la BCBE et, d'autre part, l'association des filles de M. Morneau avec UNIS, est trop ténu pour mériter un examen plus approfondi. Par ailleurs, aucun élément de preuve ne laisse penser qu'il existait un lien, quel qu'il soit, entre les dons versés à UNIS par la conjointe de M. Morneau et la participation de M. Morneau au dossier à l'étude.
M. Morneau m'a fourni des milliers de pages de preuve documentaire qui exposent en détail les nombreuses communications officielles et personnelles qu'UNIS et son cabinet ministériel ont eues après qu'il est devenu titulaire de charge publique. Ces documents m'ont amené à porter tout particulièrement attention à la relation de M. Morneau avec M. Craig Kielburger.
Selon la Loi, l'interdiction de favoriser les intérêts personnels d'un ami est la même que celle qui s'applique aux intérêts personnels d'un parent, ou du titulaire de charge publique lui‑même. Il n'est pas nécessaire d'établir le degré de participation du titulaire de charge publique à la prise de décision ou de déterminer si celui‑ci avait des motifs inacceptables; l'irrégularité est dans ce cas inhérente. Cependant, contrairement au terme « parent », dont l'application par rapport au titulaire de charge publique peut être vérifiée empiriquement et objectivement, il peut être difficile d'établir si le terme « ami » s'applique dans un cas donné.
Dans le
Rapport Watson, la commissaire Dawson s'était penchée sur une relation semblable entre un titulaire de charge publique et un demandeur de financement fédéral, afin de déterminer s'il y avait eu contravention au paragraphe 6(1) et à l'article 21 de la Loi. L'étude portait sur des décisions qu'aurait prises M. Colin Watson, un membre du conseil d'administration de l'Administration portuaire de Toronto, concernant un projet d'achat d'un nouveau traversier. Il avait été allégué que le demandeur, M. Robert Deluce, était un ami de M. Watson.
La commissaire Dawson a souligné que le terme « ami » n'est pas défini dans la Loi. Elle a ajouté que le mot pouvait s'appliquer à « une variété de rapports, du compagnon de vie de longue date au voisin, en passant par le collègue, la connaissance et le partenaire d'affaires qu'on ne voit qu'à l'occasion et envers qui on ressent peu d'attachement ». À son avis, l'interdiction concernant la prise de décision au paragraphe 6(1) ne vise pas les personnes autres que « celles qui ont un lien étroit d'amitié, un sentiment d'affection ou un lien spécial ». Cette interprétation laisse entendre que le cercle d'amis visé par la Loi est composé de personnes qui ont, avec le titulaire de charge publique, un lien d'amitié assez étroit pour que le jugement de ce dernier puisse raisonnablement être mis en doute dans le cadre d'une prise de décision.
Les deux personnes appartenaient au même cercle social et étaient des connaissances professionnelles. Elles ont cependant affirmé toutes les deux que l'une ne recherchait pas la compagnie de l'autre et que leurs familles ne se fréquentaient pas. Même si M. Watson avait souvent qualifié M. Deluce d'« ami » ou de « copain », la commissaire Dawson a estimé que « ces déclarations de M. Watson [provenaient] probablement de son habitude de se dire ami de gens avec qui il n'a[vait] pas nécessairement de rapports étroits ».
Comme l'illustre le cas exposé ci‑dessus, le Commissariat s'en tient traditionnellement à une interprétation étroite du terme « ami », qui ne s'applique qu'aux amis intimes du titulaire de charge publique. Les collègues, les partenaires en affaires et les membres du cercle social élargi sont en général exclus de cette interprétation. Je crois nécessaire d'élargir la portée du terme pour qu'il s'applique aux relations pour lesquelles les interactions personnelles et professionnelles s'entremêlent au point où il devient difficile de distinguer les unes des autres. Dans de tels cas, il est raisonnable de croire que le jugement dont fait preuve le titulaire de charge publique dans l'exercice de ses fonctions officielles puisse être brouillé.
Bien que le critère du « lien étroit » contenu dans le
Rapport Watson soit utile, il y a aussi lieu d'évaluer le lien d'amitié à la lumière d'indicateurs plus objectifs. Dans ma réflexion visant à déterminer si M. Morneau et M. Kielburger étaient des amis au sens où l'entend la Loi, j'ai examiné, entre autres, les points suivants : la durée de la relation et ce qui la motivait; la nature, la fréquence et l'exclusivité des interactions; le partage de repas et l'échange de cadeaux dans un contexte personnel; et les témoignages mutuels de confiance, de respect, d'affection ou d'admiration.
Tant M. Morneau que les frères Kielburger ont indiqué par écrit qu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois peu après la nomination de M. Morneau à une charge publique, à la fin de 2015 ou au début de 2016. Cela donne à penser, de prime abord, que la relation entre eux soit typique d'une relation entre des électeurs et leur député. Dans un tel cas, l'établissement d'un lien d'amitié serait, a priori, peu probable. Cependant, je ne peux pas faire abstraction du fait que les valeurs sociales de la famille Morneau coïncidaient fortement avec celles des Kielburger et l'effet qui a pu en découler sur l'évolution de la relation. M. Morneau et sa famille étaient particulièrement engagés dans des projets de développement au Kenya – pays où UNIS avait aussi des activités – avant même que M. Morneau fasse connaissance avec UNIS et ses cofondateurs. M. Craig Kielburger a également tissé des liens avec la conjointe de M. Morneau, une philanthrope bien connue, et avec au moins un de ses enfants, qui avait écrit un livre sur les expériences d'écolières kenyanes. Sa fille cadette a été embauchée plus tard par UNIS. La concordance des valeurs et les nombreux points en commun entre les deux familles ont sans aucun doute facilité la naissance d'une amitié possible.
La preuve démontre clairement que M. Morneau et M. Kielburger n'étaient pas que de simples connaissances qui s'étaient côtoyées pendant un temps dans un contexte professionnel, ni même qu'ils se trouvaient appartenir, sans plus, à un même cercle social élargi. Les courriels qu'ils se sont échangés révèlent que M. Kielburger et les Morneau avaient de l'affection l'un pour l'autre et qu'ils s'entendaient bien. M. Kielburger a invité personnellement toute la famille Morneau à des événements de la Journée UNIS. Dans plus d'un message envoyé à M. Morneau, M. Kielburger a évoqué l'amitié entre les deux familles et a fait l'éloge de la fille de M. Morneau qui avait participé aux événements de la Journée UNIS. Ils s'appelaient par leur prénom, même dans la correspondance professionnelle. M. Kielburger donnait des nouvelles d'ordre personnel à M. Morneau et Mme McCain (c.‑à‑d. la naissance de son bébé) et ils parlaient avec chaleur des membres de leurs familles. M. Morneau a indiqué qu'il se peut bien qu'il ait donné un petit cadeau à M. Kielburger pour souligner la naissance de son fils. M. Morneau a aussi tenu à annoncer personnellement la nouvelle à M. Kielburger lorsqu'une demande de financement avait été approuvée. À au moins une occasion, les deux familles se sont réunies chez les Morneau. Tous ces éléments militent en faveur d'un lien d'amitié.
En réponse aux questions du Commissariat, M. Kielburger a indiqué qu'il ne voyait pas les Morneau comme des amis personnels. Il a expliqué que, lors des deux voyages qu'ils avaient faits en 2017 dans le cadre des activités d'UNIS, les Morneau faisaient partie d'un groupe comprenant d'autres personnes. M. Kielburger était cependant présent lors des deux voyages, et il a dîné en privé avec la conjointe et la fille de M. Morneau au Kenya. M. Kielburger a ajouté que ses interactions avec M. Morneau se tenaient toujours dans le cadre de ses fonctions professionnelles, y compris lorsqu'il avait assisté à un brunch du dimanche, en compagnie de sa famille, chez les Morneau. La preuve démontre toutefois qu'il arrivait à M. Kielburger d'écrire directement à M. Morneau à son adresse de courriel personnelle. Lorsqu'il communiquait avec d'autres ministres, M. Kielburger s'adressait à eux par leur titre et leur nom de famille, et il passait par les voies officielles. Dans ces courriels, le ton était très différent de celui utilisé dans les communications avec M. Morneau.
L'affirmation de M. Kielburger selon laquelle il ne considérait pas M. Morneau ou sa conjointe comme des amis contraste radicalement avec les nombreux échanges qu'il a eus avec des membres de la famille de M. Morneau. Pour qui en fait une lecture objective, ces communications ressemblent plus à un dialogue entre amis qu'à un échange entre un électeur et son député. Je crois que M. Kielburger était sincère quand, durant cette période, il disait apprécier le soutien de la famille Morneau et quand il lui manifestait son affection et son respect. Je crois aussi que, au fil de ces nombreuses interactions, M. Morneau et sa famille sentaient qu'ils étaient devenus des amis personnels de M. Kielburger.
Cette relation semblait en outre être bien connue au sein du personnel ministériel de M. Morneau, qui voyait M. Kielburger comme quelqu'un d'« important pour Bill » et jugeait qu'« il avait été très bon pour nous ». Elle justifie également le choix de mots de Mme Kovacevic lorsqu'elle a fait allusion à la relation entre MM. Morneau et Kielburger comme celle de « meilleurs amis ».
Donc, pour les raisons énoncées plus haut, je conclus que M. Morneau et M. Craig Kielburger étaient des amis au sens où l'entend la Loi.
Les intérêts de M. Kielburger auraient sans aucun doute été favorisés si l'organisme avait administré la BCBE. UNIS était le seul administrateur de la BCBE et aurait obtenu un intérêt financier considérable en s'acquittant de cette fonction. À titre de cofondateurs, les frères Kielburger détiennent une participation importante dans les affaires d'UNIS et reçoivent un salaire annuel de l'entreprise social ME to WE. Leur participation aux opérations quotidiennes d'UNIS est si prédominante que les intérêts de l'organisme sont aussi ceux de ses cofondateurs.
L'obtention d'un intérêt financier par une personne ou par une organisation, peu importe si cet intérêt permet au bout du compte d'accroître les biens de celui qui en bénéficie, constitue un intérêt personnel selon la Loi. Comme ma prédécesseure l'avait établi dans le
Rapport Trudeau à l'égard d'une subvention fédérale accordée au Centre mondial du pluralisme, une organisation à but non lucratif, « même si les décisions sur le financement public sont généralement censées être prises dans l'intérêt public, il n'en reste pas moins qu'une subvention publique favorise expressément l'intérêt personnel du bénéficiaire ».
Selon M. Morneau, les liens tissés par lui‑même et sa famille avec UNIS ont créé l'apparence d'un conflit d'intérêts. Comme je l'ai noté dans le
Rapport Trudeau III, l'apparence de conflit d'intérêts n'est pas visée par la définition ou les interdictions prévues par la Loi. Cependant, la nature des interactions entre les Morneau et les Kielburger diffère beaucoup de celle qui caractérisait les interactions examinées dans le
Rapport Trudeau III. L'amitié entre les deux familles, conjuguée à la proximité entre les intérêts des Kielburger et d'UNIS, créait plutôt un conflit d'intérêt potentiel, lequel est devenu bien réel lorsque M. Morneau a été appelé à prendre une décision qui lui fournirait la possibilité de favoriser les intérêts personnels d'UNIS. Autrement dit, toute décision de M. Morneau qui pourrait favoriser les intérêts personnels d'UNIS serait forcément prise de façon irrégulière au sens de la Loi, puisqu'elle favoriserait du même coup les intérêts du cofondateur de l'organisme, M. Kielburger.
Les titulaires de charge publique doivent organiser leurs affaires de manière à réduire au minimum toute possibilité de conflit d'intérêts; en cas de doute, ils doivent prendre les mesures nécessaires pour résoudre ces conflits dans l'intérêt public. Cette approche est conforme à l'objet et à l'esprit de la Loi (alinéa 3b)). L'article 21 exige notamment que le titulaire de charge publique se récuse concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l'égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d'intérêts. En se récusant, le titulaire de charge publique ne se contente pas de s'abstenir de voter; il doit se retirer physiquement de l'endroit où la question est débattue, de crainte que sa simple présence puisse être perçue comme ayant influencé la décision des autres titulaires de charge publique.
La Loi prévoit également que les titulaires de charge publique principaux doivent déclarer toute récusation au commissaire en donnant suffisamment de détails concernant le conflit d'intérêts évité. Conformément à la Loi, une déclaration publique à cet égard doit être affichée dans le registre public du Commissariat, à moins que la déclaration ne puisse avoir pour effet de révéler, directement ou indirectement, des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou d'autres renseignements protégés.
Je suis d'avis que M. Morneau aurait raisonnablement dû savoir que, étant donné sa relation avec M. Kielburger, toute participation aux décisions concernant UNIS pourrait le placer dans une situation de conflit d'intérêts, au sens de la Loi. Cela aurait dû lui venir à l'esprit lorsqu'il a reçu la proposition du programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS le 10 avril 2020 ainsi que lors des comptes rendus subséquents auxquels il a assisté concernant l'avancement du programme d'aide aux étudiants, où il a de nouveau été question du programme d'Entrepreneuriat social proposé par UNIS et où l'organisme a été mentionné comme partenaire possible pour l'administration du programme de bénévolat national.
Le 19 avril 2020, date à laquelle on lui a fait savoir qu'il était plus probable qu'improbable qu'UNIS joue un rôle important dans l'initiative de soutien pour les étudiants, M. Morneau aurait dû se récuser concernant les discussions sur le sujet, conformément à l'article 21 de la Loi, et il aurait dû déclarer sa récusation au Commissariat.
Bien qu'aucune décision formelle n'avait été prise au sujet du rôle précis d'UNIS, M. Morneau savait que l'organisme allait être « intégré » dans l'initiative de soutien pour les étudiants. Par conséquent, la recommandation formulée par M. Morneau de mettre en réserve les 900 millions de dollars pour la BCBE le 21 avril et sa participation aux discussions du Cabinet le 22 mai, lorsqu'il a voté pour la création de la BCBE et la sélection d'UNIS comme administrateur, avait fourni la possibilité de favoriser de façon irrégulière les intérêts d'UNIS du fait de son amitié avec M. Craig Kielburger. Ce faisant, M. Morneau s'est placé en situation de conflit d'intérêts.
Traitement de faveur – article 7
Je dois aussi déterminer si, dans l'exercice de ses fonctions officielles, M. Morneau a accordé un traitement de faveur à UNIS en fonction d'une personne retenue pour représenter UNIS.
L'article 7 indique ce qui suit :
7. Il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
J'ai passé en revue les rapports d'étude antérieurs du Commissariat afin de dégager une définition du traitement de faveur fondée sur la pratique antérieure, car ce terme n'est pas défini dans la Loi. Selon la définition adoptée par le Commissariat, le traitement de faveur renvoie à des « privilèges qui ne sont pas accordés à d'autres personnes dans des circonstances semblables ». L'article 7 de la Loi vise tout particulièrement les cas de traitement de faveur accordé à une personne ou à un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre.
Dans le Rapport Paradis (mars 2012), qui avait aussi trait à des allégations de contravention possible à l'article 7 de la Loi, la commissaire Dawson a conclu que les facteurs examinés l'amenaient « fortement à croire » que l'honorable Christian Paradis, alors ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, avait accordé un traitement de faveur à l'entreprise Green Power Generation. En effet, le ministre avait vu à ce que des rencontres soient organisées entre des fonctionnaires du ministère et le fondateur de l'entreprise, M. Rahim Jaffer, même s'il n'avait que des connaissances minimes sur la proposition de ce dernier. La commissaire Dawson a également conclu que M. Paradis était motivé par le désir d'« aider un ancien collègue de caucus ». Le traitement de faveur avait donc été accordé en fonction d'une personne retenue pour représenter l'organisation.
Il est aussi possible de tirer des parallèles entre la présente étude et celle qui a donné lieu au
Rapport Paradis (décembre 2013). Il était allégué, dans cette dernière étude, que M. Paradis, alors ministre des Ressources naturelles et ministre régional pour la province de Québec, était intervenu au nom d'un électeur auprès de l'honorable Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences. Il était allégué plus précisément que M. Paradis avait tenté d'influencer Mme Finley pour qu'un centre d'assurance‑emploi soit déménagé de Rimouski à Thetford Mines et qu'il soit installé dans un immeuble appartenant à une entreprise dont l'actionnaire principal était un associé de la famille de M. Paradis et un ami de ce dernier.
La commissaire Dawson a conclu que, même si M. Paradis n'avait pas pris part à la décision finale, il était impossible pour lui de dissocier son rôle de ministre de son rôle de député lorsqu'il soulevait une question de circonscription auprès d'une institution fédérale ou d'un collègue du Cabinet. L'influence que pouvait avoir M. Paradis était attribuable à sa charge de ministre.
Dans l'affaire qui m'occupe, la preuve documentaire que m'a fournie M. Morneau démontre que le ministère des Finances – et le cabinet ministériel de M. Morneau en particulier – a joué un rôle central dans l'élaboration des mesures d'appui aux étudiants. Notamment, la BCBE n'était qu'une des initiatives entreprises dans le cadre d'un vaste portefeuille de programmes coordonnés par l'entremise du ministère des Finances.
Je n'ai trouvé aucune preuve montrant que M. Morneau aurait participé directement à l'élaboration du modèle de mise en œuvre de la BCBE, ni dans la décision d'EDSC de proposer UNIS comme administrateur du programme. Dans la volumineuse documentation que M. Morneau a remise au Commissariat, aucune des communications avec UNIS ne laisse croire, et encore moins ne révèle, que M. Morneau aurait donné des consignes ou des directives à qui que ce soit – y compris à ses collègues du Cabinet, aux membres de son personnel ministériel et à des fonctionnaires – concernant le programme proposé d'Entrepreneuriat social.
Néanmoins, je suis d'avis que le cabinet ministériel de M. Morneau, ayant reçu l'approbation tacite de M. Morneau, a accordé un traitement de faveur à UNIS dans le contexte des discussions qui ont finalement mené à l'élaboration de la BCBE et en continuant de mettre de l'avant et d'appuyer le programme initial d'Entrepreneuriat social d'UNIS.
EDSC a d'abord proposé, à la suite de discussions préliminaires entre Mme Wernick et M. Kielburger, d'accroître quelque peu la capacité du Service jeunesse Canada avec la participation d'UNIS. Toutefois, UNIS a jugé utile de transmettre cette information au cabinet ministériel de M. Morneau. M. Singh a alors demandé s'il était possible d'élargir la proposition originale d'UNIS pour qu'elle permette le placement de 20 000 bénévoles. M. Singh a reçu la version révisée de la proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes d'UNIS le 21 avril et l'a transmise au cabinet du premier ministre et au ministère des Finances sans l'examiner ni l'analyser, ni même la faire connaître à M. Morneau.
Le cahier d'information remis à M. Morneau le 21 avril contenait non pas la version révisée de la proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes, mais la proposition originale de programme d'Entrepreneuriat social d'UNIS. M. Singh a témoigné que l'inclusion de cette proposition et l'enveloppe réservée de 12 millions de dollars n'avaient pas été approuvées officiellement par M. Morneau; elles avaient été laissées par erreur dans l'annexe 4. De plus, M. Singh a déclaré que, lorsqu'il avait été question de la proposition du programme d'Entrepreneuriat social, il s'agissait en fait des aspects pratiques de la proposition, et non du programme en tant que tel. J'ai du mal à concilier la description que M. Singh fait des événements avec la preuve documentaire; il semblerait plutôt que, pour lui, la nouvelle proposition du Programme de bénévolat d'été pour les jeunes pouvait servir de base à la BCBE, et qu'il a continué de promouvoir la proposition originale pendant son cheminement vers le cabinet du premier ministre.
Les fonctionnaires d'EDSC n'ont pris conscience de l'ampleur de l'initiative et de sa mise en œuvre, prévue pour le début de mai, qu'après l'annonce publique faite par M. Trudeau le 22 avril. Il est devenu évident pour Mme Wernick que les programmes fédéraux alors existants ne permettaient pas de mener un projet aussi ambitieux en aussi peu de temps. Mais avant même le 23 avril, date à laquelle Mme Wernick a reçu le feu vert pour commencer à « courtiser » UNIS, l'organisme avait déjà remanié sa proposition originale en réponse aux demandes de M. Singh. Compte tenu du délai imposé par le ministère des Finances, EDSC n'a eu d'autre choix que de faire appel à UNIS. Et puisqu'il avait pu restructurer sa proposition en connaissance de cause, l'organisme était le seul candidat capable d'administrer le programme en respectant les nouveaux paramètres. La recommandation présentée au cabinet de Mme Chagger le 28 avril n'est donc guère surprenante.
L'affaire à l'étude n'est pas la seule occasion où, s'agissant des dossiers relatifs à UNIS, le cabinet ministériel de M. Morneau a montré un tel degré de mobilisation. En effet, la preuve documentaire révèle plusieurs autres occasions où M. Morneau et des membres de son personnel ministériel ont fourni à des représentants d'UNIS un soutien qui, à mon avis, sortait du cadre délimitant l'utilisation normale et acceptable des ressources ministérielles. Ce soutien a pris plusieurs formes dont la prise de contact avec des homologues fédéraux et provinciaux relativement à des initiatives de financement ou à de dossiers ne relevant pas du mandat du ministre, ou encore une intervention directe auprès d'autres ordres de gouvernement au nom d'un électeur. Un tel traitement a été accordé avant la période visée par l'affaire à l'étude et s'est poursuivi dans celle‑ci.
M. Morneau a expliqué que, à l'instar de nombreuses organisations de sa circonscription, UNIS avait fait appel à son personnel pour obtenir des conseils et du soutien dans la recherche de financement auprès de différents ordres de gouvernement. Il a ajouté que, comme pour bien d'autres projets, son cabinet ministériel devait évaluer les demandes et s'engager si possible à fournir du soutien, sans que M. Morneau donne de directives.
Bien qu'il soit une œuvre de bienfaisance établie qui aspire à servir de grandes causes, l'organisme UNIS et ses représentants doivent être traités comme tout autre intervenant de sa circonscription. L'organisme doit demander du soutien en utilisant les voies habituelles et être aiguillé vers les autorités compétentes, sans influence indue, notamment lorsque, comme dans le cas présent, les relations personnelles et professionnelles se confondent.
Il est depuis longtemps admis qu'un ministre ou un secrétaire parlementaire doit clairement distinguer ses fonctions ministérielles de ses fonctions parlementaires. Le Commissariat a déjà rendu des ordonnances et produit des rapports d'étude concernant des ministres ou des secrétaires parlementaires qui, par exemple, avaient agi de façon irrégulière en envoyant des lettres d'appui à un tribunal administratif (le
Rapport Gill) ou qui avaient été réprimandés simplement pour s'être servis de leur poste de ministre pour prêter assistance à leurs électeurs, même si aucune autre contravention n'avait été constatée (le Rapport Clement).
Comme la commissaire Dawson l'a indiqué dans le
Rapport Clement : « [L]orsqu'ils s'acquittent de leurs obligations à titre de députés, les ministres doivent faire preuve de prudence. En répondant aux préoccupations de leurs électeurs, les ministres ne doivent pas se prévaloir de leur poste de ministre pour prêter à leurs électeurs une assistance particulière qu'ils ne prêteraient pas à d'autres Canadiens relativement à leur propre ministère ou portefeuille. »
Ayant maintenant terminé l'étude de la preuve documentaire fournie, je suis d'avis que M. Morneau a accordé un traitement de faveur à UNIS en permettant aux membres de son personnel ministériel de fournir une assistance disproportionnée à un électeur. S'il y a eu libre accès au cabinet du ministre des Finances, c'est en raison de la relation entre M. Morneau et M. Craig Kielburger, qui sont à mon avis des amis au sens où l'entend la Loi. Ce traitement de faveur est également, à mon avis, une irrégularité au sens du paragraphe 6(1) de la Loi.
Conclusion
Par conséquent, je conclus que M. Morneau a contrevenu au paragraphe 6(1), à l'article 7 et à l'article 21 de la Loi.
Les noms de tous les témoins sont énumérés ci‑dessous en fonction des organisations dont ils relevaient au moment des faits qui font l'objet du présent rapport.
Entrevues
- Mme Michelle Kovacevic, sous‑ministre‑adjointe, Direction des relations fédérales‑provinciales et de la politique sociale, ministère des Finances du Canada
- M. Amitpal Singh, conseiller en politiques, cabinet du ministre des Finances
- M. Rick Theis, directeur, Politiques et affaires du cabinet, cabinet du premier ministre
- Mme Rachel Wernick, sous‑ministre adjointe principale, Direction générale des compétences et de l'emploi, Emploi et Développement social Canada
Représentations écrites et documents demandés
- Le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada
- L'honorable Bill Morneau, ministre des Finances
- L'honorable Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l'Inclusion et de la Jeunesse
- MM. Marc et Craig Kielburger, UNIS
Renseignements et documents demandés
- L'honorable Carla Qualtrough, ministre de l'Emploi, du Développement de la main‑d'œuvre et de l'Inclusion des personnes handicapées
- M. Graham Flack, sous‑ministre, Emploi et Développement social Canada
- M. Alexandre Trudeau et Mme Margaret Trudeau
- M. Ian Shugart, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet
- Mme Gina Wilson, sous‑ministre déléguée principale de la Diversité, de l'Inclusion et de la Jeunesse
1 - Pour les besoins du rapport, l'« Organisme UNIS », l'« entreprise sociale ME to WE », ou toute autre filiale de l'organisme seront désignées collectivement par « UNIS ».
2 - Cette allégation m'a amené à entreprendre, en vertu du
Code régissant les conflits d'intérêts des députés, un examen préliminaire concernant la participation de M. Morneau, en sa qualité de député de Toronto‑Centre, à l'octroi de cet investissement. La réponse que j'ai reçue de M. Morneau m'a permis de conclure qu'il n'y avait pas lieu de lancer une enquête dans ce dossier.
3 - Selon les renseignements affichés sur le site Web d'UNIS, les frères Kielburger reçoivent chacun un salaire de l'entreprise sociale ME to WE.